Le paradoxe d’Arrow illustré

Soit un ensemble d’électeurs qui doivent choisir entre les candidats B, R et S. On peut supposer que chaque électeur est capable d’exprimer un choix de préférences, deux à deux et en totalité, entre ces différents candidats. Par exemple un électeur déclarera que selon lui, R>B et B>S, donc que R>S. Un autre pourra penser que S>B>R. etc, etc.

Que dit le théorème d’Arrow? Qu’il n’existe pas de procédure de vote qui permette de traduire ces préférences individuelles en préférences collectives de façon cohérente. Toutes les procédures de vote aboutiront à des situations dans lesquelles les préférences collectives sont incapables de satisfaire un test minimal de cohérence logique. Par exemple, on peut très bien imaginer que les préférences collectives à un moment donné deux à deux soient :

B>R et B>S, et S>R; Et pourtant, au même moment, que lorsque l’on demande aux électeurs de choisir collectivement entre les trois à la fois (et plus deux à deux) on obtienne une sélection parfaitement incompatible avec les choix exprimés deux à deux; par exemple, une incohérence comme S>R>B.

C’est le paradoxe d’Arrow : les fonctions de préférences collectives sont soit inexistantes, soit incohérentes. Et il n’existe aucune procédure d’agrégation des préférences qui permette de résoudre ce problème.

Il y a aussi en économie le paradoxe des sondages, analysé par Herbert Simon; on sait que les sondages modifient les décisions des individus, pouvant de ce fait s’annuler (par exemple, je ne me déplacerai peut-être pas pour voter si mon candidat est sûr de gagner; mais si trop de gens le font, mon candidat va perdre). Avant Simon, on pensait que ce mécanisme faisait que toute prédiction en matière électorale est impossible. Ce que Simon a montré, c’est que ce processus est convergent (il y a un moment ou ce processus aboutit à un équilibre). Problème : le modèle présente des équilibres multiples, dépendant du chemin suivi. En d’autres termes la publication ou non des sondages est susceptible de déterminer, par avance, le résultat de l’élection en déterminant un chemin qui sera suivi.

Bien sûr, tout ceci ne sont que des modèles théoriques d’économistes. Cela n’a vraiment, mais vraiment, aucun rapport avec la réalité. N’est-ce pas?

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Alexandre Delaigue

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8 Commentaires

  1. Ou paradoxe de Condorcet…

    Oui. Le paradoxe de condorcet est un cas particulier du théorème d’Arrow.

  2. Ceci dit, le système uninominal à deux tours, que l’on aime à décrire comme "au premier tour on choisit, on second, on élimine" favorise tout particulièrement la vérification du paradoxe, puisqu’il impose à l’électeur de changer de stratégie (et donc, assez probablement, de suffrage) entre les deux étapes de l’élection.

    Son caractère extrème n’est donc sans doute pas étranger au fait qu’il ait été choisi, et d’ailleurs réaffirmé, voire renforcé dans les toutes les réformes constitutionnelles le concernant.

    On notera par exemple qu’avec 5.5m voix au premier tour de 2002, Chirac aura reçu le soutien explicite et librement exprimé de moins d’un français sur dix pour finir avec un score à 80% et une majorité bétonnée à l’assemblée.

  3. Je pense que les choses sont un petit peu plus compliqué en politique que dans le théorème d’Arrow. En effet, ici, les alternatives ne sont pas données a priori mais sont largement endogènes. Le nombre de candidats et leurs stratégies, c’est-à-dire leur positionnement relatif, doivent également être modélisé, ce qui n’est pas pris en compte dans le théorème d’Arrow. En un sens, Arrow fait de la politique sans hommes politiques. Pour compléter le raisonnement, ilfaut dire que le nombre de candidats est une fonction de la règle de vote. C’est la dite loi de Duverger, qui n’a de loi que le nom. Ainsi dans un système de vote uninominal majoritaire à un tour, on risque fort d’avoir seulement deux candidats. Par ailleurs, d’autres règles institutionnelles telles que la règle des 500 signatures ou des règles de financement (remboursement pour ceux qui obtiennent 5 %), contribuent également à déterminer le nombre de candidats. Ensuite il faut prendre en compte les stratégies des candidats présents. B, R et S n’ont pas des programmes fixés à l’avance: leur rôle est justement de définir le package d’idées et de mesures qui va pouvoir rassembler la majorité des électeurs. Enfin si Bayrou négocie son ralliement au second tour contre une renégociation du programme de S ou R, on ne se retrouve pas dans une situation paradoxale.

  4. Une campagne présidentielle a un rôle important : évaluer les candidats.

    Le paradoxe des sondages que vous décrivez est réel. C’est l’explication communément admise du resserrement des majorités dans les récentes élections en Italie et au Mexique par exemple. Mais la France est peut-être vacciné depuis 2002.

    Bayrou bénéficie de l’image d’outsider qui a beaucoup aidé Ségolène jusqu’au début de 2007. Il (elle) est sympathique. C’est une nouvelle tête et on ne sait pas trop ce qu’il veut et ce qu’il vaut. On n’a pas besoin de s’y intéresser parce que c’est un outsider et qu’il n’a aucune chance d’être au second tour.

    Mais si les sondages le donnent gagnant pour le second tour, alors tout va changer. Il va être évaluer par les commentateurs et par l’électorat au même titre que sont évalué Sarkozy et Ségolène. Chevènement en 2002, a joué ce rôle de troisième homme. Il a donc été évalué et « rejeté ».

    La chance de Bayrou pourrait être d’apparaître comme une possibilité à 60 jours des élections et que ce processus d’évaluation n’est pas le temps de se mettre en place.

  5. En matière électorale, est-ce que le vote alternatif, qui contraint l’électeur à classer les candidats n’est pas une manière de répondre à ce problème ?

  6. Pour répondre à mrk, le vote alternatif ne permet pas plus que le système de vote à deux tours d’élire systématiquement le vainqueur de Condorcet s’il existe. Simplement on peut imaginer que certaines règles de vote élisent le vainqueur de Condorcet plus souvent que d’autres. Une équipe de chercheurs au CREM (labo de Caen) a mené de nombreuses recherches en essayant d’étudier la probabilité qu’une règle de vote donnée élise le vainqueur de Condorcet. La liste des publications peut être trouvées <a href="http://www.unicaen.fr/crem/publi... ici </a> et la plupart des travaux peuvent être téléchargés sur google scholar. Néanmoins cette littérature n’est à mon avis pas très pertinente parce qu’elle ne prend pas en compte le fait que le nombre de candidats et les stratégies des candidats sont fonction de la règle de vote adoptée. Par exemple dans un système de vote à un tour majoritaire (règle de la pluralité), on trouve en général deux gros candidats, alors que dans un système de vote à 2 tours ou dans un système de vote alternatif (Hare System), on trouvera beaucoup plus de candidats.

    En revanche, les règles de Condorcet offrent une solution pertinente à ce problème. Elles élisent le vainqueur de Condorcet s’il existe et définisse un vainqueur par divers procédé s’il n’existe pas. Ces règles sont par exemple mise en œuvre au sens de la communauté DEBIAN. Elles ne sont en général par utilisées à plus grande échelle en raison de leur complexité.Pour plus d’information là dessus <a href="en.wikipedia.org/wiki/Con… cet article de Wikipedia </a>. La règle de Condorcet la plus connue est <a href="en.wikipedia.org/wiki/Cop… règle de Copeland</a>.

  7. mrk: au risque de sembler un peu monomaniaque, la stratégie du maillon faible (élimination de la moitié des candidats arrondi inférieur à chaque tour de scrutin) fonctionne souvent assez bien.

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