PAC & business

Le Monde revient sur ce que j’avais appelé “autre euromillion” dans un laconique billet, la PAC. On sait maintenant qui a touché le gros lot. Loin de moi l’idée de stigmatiser l’agriculteur qui est présenté dans l’article. Il est dans son droit lorsqu’il reçoit ses subventions.

Cependant, tout “droit dans ses bottes” qu’il soit, je reste perplexe devant la justification qu’il donne pour le maintien de la PAC :

Faut-il se scandaliser de ces aides publiques ? Le gérant, 57 ans, Italien volubile mais d’une rigueur extrême, tient un discours décomplexé : “Sans la PAC, le prix serait trop élevé pour le consommateur. Il faut donc aider les agriculteurs à produire.” Ce diplômé de l’enseignement supérieur qui roule en Mercedes regrette même qu’elles soient “touchées par les mauvais comme par les bons.

Sans la PAC, le prix serait trop élevé pour le consommateur. La PAC est donc une invention paradoxale. Destinée à compenser des prix mondiaux trop faibles pour assurer un niveau de vie décent aux agriculteurs et à accroître la productivité pour assurer l’autosuffisance européenne, voilà que sa suppression conduirait à une hausse des prix ? J’imagine que le volubile exploitant a raisonné comme si on conservait les protections, en supprimant les aides. Pratique…

L’exploitant ajoute que ce serait bien mieux si seuls les bons touchaient les subventions. La première question qui vient à l’esprit est “qui sont les bons ?” ; la seconde “Où trouve-t-on les mauvais ?”. On comprend bien que lui se place parmi les bons. Mais c’est un peu fruste comme définition. Quoi qu’il en soit, je peine à comprendre comment on peut parler de “bons” et de subventions avec autant d’assurance. Car, si je récapitule, il faut subventionner ces entreprises qui, laissées au gré du marché, ne parviendraient pas à faire des bénéfices sans pratiquer des prix trop élevés.

Les subventions allouées à la PAC sont le fruit de prélèvements obligatoires qui pourraient avoir un usage tout à fait différent. Exemple parmi d’autres : financer des allocations familiales dont le but serait de permettre aux familles modestes de s’offrir des produits agricoles plus chers (vous aurez noté que j’accepte pour l’occasion l’hypothèse d’une hausse des prix).

Il existe plusieurs justifications usuelles à la PAC : assurer l’auto-suffisance alimentaire de l’UE, assurer un revenu décent aux agriculteurs, d’assurer un certain développement rural et de permettre à Jacques Chirac de se rendre dans un riche salon de l’agriculture une fois par an. On est d’accord avec ou non. La parer des vertus de l’efficacité économique en 2006 est en tout cas pour le moins surprenant.

Pourtant, oui, il faut le dire sans équivoque, cette entreprise est remarquablement bien gérée. La suite de l’article l’explique fort bien. Son avantage compétitif, c’est le montage juridique qui permet de maximiser les subventions par animal :

les Italiens ont créé pas moins de huit sociétés, dont une holding : la société civile Pulsar. Celle-ci chapeaute deux sociétés civiles d’exploitation agricole (Berneuil et La Perche), deux sociétés civiles propriétaires des terrains qu’elles louent aux exploitations, deux groupements forestiers et la SARL Sifaz (import-export). M. Oldani est gérant du Domaine de Berneuil, du groupement forestier qui lui est associé, et de Sifaz. Les propriétaires, les frères Ultrocchi, suivent de près les orientations : le montant des aides et leurs conditions d’attribution, qui varient selon les pays, jouent un rôle décisif dans leur stratégie. D’où l’élevage des génisses en France et des taurillons en Italie.

La PAC… J’imagine que c’est cela que l’on appelle une politique “pro-business”. Libéral ?

2 Commentaires

  1. SM : Je suis tout a fait d’accord avec toi. Cepandant, il faut pousser le raisonnement plus loin.

    Notre labeur en tant qu’économistes est de faire une analyse positive de ce qui est, et de ce qui pourrait etre, pour qu’ensuite une décision collective soit prise sur le critere, normatif cette fois, de la solution préférée.

    Critiquer une mesure protectionniste est une tache facile. Au sujet de la PAC, il suffit de dire qu’elle aporte un gain considérable à une toute petite partie de la population, et qu’elle provoque une petite perte pour la grande majorité. On peut aussi dire que la perte globale est supérieure au gain global.

    Mais il faudrait rajouter que les subventions des grands pays provoquent, toutes choses égales par ailleurs, une baisse du cours mondial et une perte considérable pour les petits pays exportateurs, dont les prix sont alignés sur les cours mondiaux.

    Et, comme tu l’a souligné, le classique argument blairien : "j’en ai marre de subventionner les vaches, je préfère mettre mon fric dans l’éducation et la santé, sachant que je peut acheter de la viande bon marché en argentine"
    Voilà le cadre général de ce qui est.

    Maintenant, SM : au lieu de critiquer sans rien proposer, la prochaine fois tu pourrais etre un peu plus constructif (et un peu plus économiste) et exposer quelles seraient les conséquences de la supréssion de la PAC.

    Chiche ?

  2. Remarque préliminaire. Contrairement à certaines personnes qui pensent qu’un diplôme donne un statut, je ne me considère pas comme "économiste", mais "de formation économique". Donc, mon labeur ne correspond pas du tout à ce qui tu supposes. Je suis un simple "passeur". En tant que passeur, quand je vois le champion des subventions agricoles dire n’importe quoi pour justifier ses subsides, ça me donne envie de le relever, pas nécessairement de monter un projet de suppression de la PAC.

    C’est toi qui parle de supprimer la PAC. Et Alexandre, ici :
    econoclaste.org.free.fr/d…
    Je me contentais de remarquer que l’argumentaire de l’exploitant ne tenait pas la route.

    Les avantages liés à la suppression de la PAC sont contenus dans le texte d’Alexandre. Je renvoie sans hésitation à sa riche synthèse. L’intérêt de son texte est de dépasser les aspects habituellement cités (les prix qui baissent, les pays pauvres qui sont riches, blablabla).

    Déterminer ex ante dans le détail les effets de la suppression PAC me dépasse totalement. Considérer l’agriculture comme un seul et unique marché est impossible. Partant de là, il est par exemple tout à fait imaginable que le prix augmente sur certains marchés, avec un changement dans la qualité des produits, pendant qu’il baisse ailleurs avec maintien ou baisse de la qualité. Sur ce point, c’est un raisonnement bien technocratique que de vouloir dire ce que sera la nature de la demande sur un marché libéralisé tel que celui des denrées agricoles. J’ignore en ce qui me concerne vers quel type de produits je me tournerai. Pour une bonne raison, je ne connais pas tous les produits qui pourraient être proposés sur un tel marché. Ils sont à inventer.
    Donc, si je peux identifier certains effets connus, je ne m’aventurerais pas à donner des détails. Finalement, comme je préfère avoir vaguement raison que précisément tort, j’estime qu’un faisceau de présomptions doit nous conduire à penser que la suppression de la PAC ne serait vraiment pas une mauvaise nouvelle.

    Néanmoins, je sais une chose : si la PAC disparaissait, elle serait remplacée par une politique nationale qui ne serait pas meilleure. Là, au moins, comme français, on peut se consoler en se disant que les polonais paient pour nos bovins…
    Politiquement, la donne ne changerait pas : tant que les voix paysannes compteront et se vendront, il y aura des impôts conséquents qui partiront dans les subventions agricoles. Donc si on fait de l’économie politique, on peut opter sur des réformes pour limiter les pertes plutôt que d’envisager une illusoire suppression.

    Autre point : il me semble faux de considérer qu’on achètera forcément de la viande en Argentine. La suppression de la PAC ne serait pas la suppression de l’agriculture française, que je sache. Quand à l’argument blairien, ce n’est pas forcément ce que j’avais en tête.
    Bon, sinon, en quoi est-ce si “constructif” d’expliquer les effets d’une suppression de la PAC ?

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