En réponse à une question au gouvernement posée le mercredi 3 mai, la Ministre du travail a évoqué l’évolution de l’âge moyen d’accès au premier CDI, soulignant qu’il était passé d’environ 22 ans à 27 ans en l’espace de quinze ans (vidéo ici, à 49 minutes). Un chiffre intéressant, mais qui mérite d’être un peu creusé.
Pour information, elle avait dit « en 20 ans » lors d’une réunion de la commission des affaires sociales, le 29 mars et a visiblement retenu « 15 ans » depuis. Ce n’est pas bien grave, in fine.
Le chiffre serait issu d’un document du conseil économique et social, précédemment cité dans le projet de loi du contrat de génération et repris récemment dans le rapport sur la Loi Travail remis au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Je ne sais pas d’où il sort (comment il a été évalué). Aucune source n’est disponible (assez simplement, en tout cas). Mais convenons que c’est assez facile à calculer et acceptons-le tel quel.
Une telle évolution ne peut être analysée comme un progrès, a priori, c’est-à-dire si aucune autre évolution bénéfique aux jeunes ne peut l’expliquer. Spontanément, on se dit qu’en 15 ans, le nombre moyen d’années d’études a dû croître. Ce qui expliquerait alors facilement le phénomène observé. Or, ce n’est pas le cas. Il a plutôt stagné, et légèrement baissé en moyenne. La baisse des taux de redoublement y étant pour beaucoup, on peut conclure à une stagnation en termes de niveau atteint. L’espérance d’années d’études a légèrement augmenté pour un jeune entrant dans le supérieur, mais sûrement pas au point de pouvoir expliquer le recul de l’âge d’accès au premier CDI. Elle est faible et ne concerne qu’une part limitée de la population visée. Le tableau suivant, issu de L’état de l’École en 2015 synthétise les données utiles sur ce point.
Évolution de l’espérance de scolarisation de 2 à 29 ans (en années)
L’observation des taux de scolarisation par tranche d’âge sur la période va dans le même sens.
Taux de scolarisation selon l’âge (1986-2014)
D’après le Cereq, la part de ceux qui reprennent des études dans les trois ans qui suivent leur sortie du système scolaire est de 9%. Un pourcentage trop faible pour pouvoir expliquer le recul de l’âge moyen du premier emploi stable.
Dans ce contexte, une hausse de l’âge moyen d’accès au premier CDI n’est pas une bonne nouvelle.
Que cache la notion de « CDI » ? En lisant les publications du Cereq, on constate que l’indicateur d’emploi à durée indéterminée (EDI) typiquement utilisé pour qualifier les emplois stables inclut les emplois en CDI, les emplois d’indépendants et ceux de fonctionnaires. Je ne peux pas vous dire si c’est celui qui est utilisé pour le calcul de la moyenne cité par Myriam El Khomri. Mais compte tenu de la part relativement limitée d’indépendants et de fonctionnaires, admettons que c’est comparable.
Pour la génération entrée sur le marché du travail en 1998, le Cereq fournit les chiffres suivants sur l’occupation d’un EDI (pages 4 et 5) .
Le document me pose un problème, dans la mesure où on ne sait pas si, par exemple, « à la fin de la 3ième année sur le marché du travail, 52% des diplômés du secondaire sont en EDI » ou si « à la fin de la 3ième année sur le marché du travail, 52% des diplômés du secondaire ont déjà occupé un EDI ». La différence est importante. Cette phrase de l’introduction de l’article laisse supposer qu’il s’agit de ceux qui occupent un EDI :
“Plus de la moitié de la Génération 98 est stabilisée en emploi à durée indéterminée dès la fin de la troisième année de vie active.”
Ce qui correspondrait effectivement au 57% du graphique d’ensemble.
Pour la génération 98, on peut donc avancer que vers 25 ans, une grande majorité était en EDI ou avait au moins connu l’EDI. Que disent les chiffres ensuite, en particulier pour la dernière génération suivie par le Cereq, la génération 2010 ?
Ben, c’est difficile à dire. Les documents publiés ne prennent pas exactement le même indicateur comme base. Ils sont cependant intéressants. Évidemment, vu qu’elle est sortie en 2010, les derniers chiffres disponibles sont seulement ceux des trois premières années (à ma connaissance, ceux de 2015 ne sont pas encore disponibles). Les voici, en deux temps :
En trois ans, environ 60% des entrants sur le marché du travail ont occupé un EDI. La différence, selon le niveau de diplôme, varie néanmoins du simple au double. Si tant est que les données soient réellement comparables, la situation de la génération 2010 ne semble pas forcément très dégradée par rapport à celle de 98. Mais je ne m’avancerai pas outre mesure sur ce point, le souci méthodologique signalé au dessus n’étant pas dissipé (si les chiffres 98 concernent ceux qui occupent un EDI après 3 ans, le taux d’accès au premier EDI peut s’avérer bien plus élevé en réalité pour cette génération).
Les informations concernant le temps d’accès – attention – de ceux qui ont occupé un EDI (et uniquement eux) dans les trois ans ne sont malheureusement que peu indicatives, notamment parce qu’au delà de 12 mois, la durée moyenne n’est pas précisée. On peut retenir cependant que pour ceux qui ont obtenu un EDI dans les trois années, une majorité l’a obtenu en moins d’un an, quel que soit le niveau de diplôme. On relèvera encore, toutefois, que cette proportion varie fortement selon le niveau de diplôme.
Comme le précise le document, au fond, se poser la question du premier EDI comme indicateur de stabilité de l’emploi est peut-être un peu limité :
“Décrocher un EDI ne garantit pas pour autant la pérennité de l’emploi. En effet, dans 38% des cas, les jeunes sortis en 2010 n’occupent plus cet emploi au printemps 2013. La démission est à l’origine de 60 % des ruptures, 16 % font suite à un licenciement ou à la fermeture de l’établissement employeur. À la date de l’enquête, 45 % des jeunes concernés occupent un autre EDI, 19 % un emploi à durée déterminée (EDD), 23 % sont au chômage et 13 % dans une autre situation.”
Les statistiques concernant ceux dont l’EDI prend fin sont globalement mitigées, s’il s’agit d’estimer la stabilité dans le temps non pas de l’emploi lui-même, mais de la position sur le marché du travail.
Que conclure de tout cela ou, au moins, quelles hypothèses formuler autour du fameux chiffre de 27 ans ? La part de ceux qui ont occupé un EDI dans les trois ans qui suivent leur sortie du système scolaire est finalement assez élevée, du moins par rapport à ce que l’on pouvait craindre au départ. Si l’âge moyen est si élevé, c’est forcément imputable à des inégalités importantes. Les données disponibles laissent conjecturer que ce sont parmi les moins diplômés que se trouvent ceux qui élèvent fortement l’âge moyen d’accès au premier EDI. Moyennant les réserves déjà évoquées sur la possibilité de comparer les statistiques fournies sur la génération 98, dans lesquelles on a du mal à voir une grosse dégradation globales des conditions d’accès à l’EDI dans les 15 années passées, on peut encore supposer que les plus mal lotis des peu diplômés ont connu une dégradation très importante.
Si ces réflexions s’avèrent quelque peu fondées, la conclusion à en tirer est toujours la même : les jeunes actifs ne sont pas un ensemble homogène, à traiter en bloc. Il y a ceux qui suivent un parcours d’insertion assez linéaire et ceux qui végètent durablement dans le non-emploi ou la précarité.
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