Les jeunes et l’emploi : un sacrifice générationnel à revisiter

J’ai assez longuement chroniqué un livre sur l’emploi des jeunes dans la partie “notes de lecture” du site. J’en tire quelques conclusions personnelles sur les grands et petits discours, que l’on peut résumer dans la formule “Nous traitons mal la jeune génération”.

1 – Il n’y a pas de problème de taux de chômage des jeunes spécifique à la période récente. Ce n’est pas une provocation. Il y a deux problèmes réels :
a) Le chômage tout court. Si on se fie au rapport taux de chômage des jeunes sur taux de chômage des adultes, on constate une grande constance depuis des décennies. Ce qui choque, c’est le taux en valeur absolue. C’est normal. Mais compte tenu de la faible variation du rapport mentionné, on doit penser que la baisse du chômage tous âges confondus réduirait aussi le taux de chômage des jeunes.

Rapport du taux de chômage des 15-24 ans sur celui des 25-49 ans
Source : INSEE. Données mensuelles, 1967-2004

b) Le chômage de certains jeunes. Avoir un diplôme ne garantit pas un emploi de rêve, mais protège assez bien du chômage. Les jeunes non qualifiés, c’est un fait connu, mais rappelons le vigoureusement, sont réellement en difficulté sur le marché du travail. Ce ne sont donc pas tous les jeunes qui connaissent une fâcheuse posture. La situation des jeunes femmes est mitigée, comme le rappelle le livre chroniqué.

2 – La question du coût du travail des jeunes n’est pas l’essentiel. Du moins, elle est loin de recouvrir la totalité du problème. L’analyse des déterminants de l’accès à l’emploi des jeunes montre une relation complexe entre coût du travail, expérience professionnelle, qualifications, dispositifs institutionnels et caractéristiques individuelles, qui doit définitivement convaincre que ce n’est pas par la baisse du salaire des jeunes que l’on obtiendra des résultats spectaculaires. Je renvoie à la chronique ou à l’ouvrage sur ces points. J’ajoute que je ne comprends guère le raisonnement qui consiste à dire dans un premier temps que les temps sont trop durs pour les jeunes, qu’ils sont mal traités par leurs aînés et qui conclut qu’il faut les priver d’un salaire décent (ou juger comme tel pour les adultes) pour leur témoigner tout l’attachement de la société à leur égard. On pourra répondre qu’un salaire plus faible permet au moins de développer spectaculairement l’employabilité. Ca ne tient pas. On retombe sur tous les autres paramètres envisagés (manque d’expérience, qualifications insuffisantes, que sais-je encore). Concrètement, on manque de preuves pour appuyer cette hypothèse.

Les FPE sont les emplois non CDI à temps plein.

Il est proprement impossible d’affirmer à partir de cette matrice que :
– l’occupation d’un emploi, même mal payé, est un passeport pour une meilleure insertion des jeunes. La comparaison des transitions FPE-emploi stable pour les jeunes en FPe et les jeunes au chômage par exemple est imparfaite. Nul ne dit que la situation de chômage n’est pas liée à un autre problème que le manque d’expérience professionnelle. On peut même penser le contraire. On peut en revanche remarquer sans équivoque que ceux qui ont un emploi de type FPE en 2000 ont une probabilité d’être en FPE, au chômage ou en inactivité un an après de 60%. En tout état de cause, les jeunes en insertion au chômage connaissent une probabilité de 71% d’être dans la même situation. Moyennant les commentaires précédents sur les raisons possibles de cette situation de chômage, il semble raisonnable de penser qu’un écart de 11% n’est pas énorme.
– les jeunes au chômage sont moins bien placés dans cette matrice de transition que les adultes. Un jeune chômeur à 28% de chances de trouver un emploi stable après une année de chômage, alors qu’un adulte a 21% de chances d’obtenir ce type d’emploi.

En soi, ces remarques ne sont pas une démonstration que l’emploi systématique, même à bas salaire, n’apporte pas des perspectives aux jeunes les occupant. Les données retenues ne sont peut-être pas les plus éclairantes. Néanmoins, on peut en déduire qu’il n’y a pas de miracle.
Il est possible de passer de jobs mal payés en jobs mal payés, de jobs mal payés au chômage ; bref, d’états précaires en états précaires durant de longues périodes, sans percevoir l’effet positif d’un salaire faible. On me répondra que je nie alors l’effet de la baisse des charges sur le chômage des jeunes. Non. Je pense que moyennant les précautions usuelles (notamment un bon ciblage), elle a fait la preuve qu’elle pouvait être utile. Mais si la baisse des charges a des effets probants, je ne vois pas en quoi ces effets devraient être analysés différemment pour les jeunes.

3 – Les jeunes entrés sur le marché du travail depuis une dizaine d’années environ sont une génération qui voit la première se modifier le rapport salarial hérité de l’après-guerre. On peut légitimement penser qu’ils paient des pots cassés dans la transition. Emplois précarisés, salaires et statuts relatifs largement défavorables. Les faits sont réels. Mais quid du devenir de cette génération une fois l’âge adulte atteint ? Et quid des modalités d’insertion des générations qui arriveront sur le marché du travail dans dix ans ? Comme le dit Florence Lefresne, on a un effet génération qui joue à plein. Il reste cependant que le taux de chômage en lui-même n’est peut-être pas l’aspect le plus spectaculaire des changements en cours.

En conclusion, je ne pense pas qu’il y ait grand chose à gagner à victimiser à outrance les jeunes dans leur rapport au marché du travail. Si les temps sont durs, ce n’est pas seulement pour la catégorie “jeunes”. A trop pleurer sur leur sort dans une problématique mal posée, loin de résoudre un problème économique qui n’existe pas, du moins de façon simpliste, on risque de surcroît de créer des attentes, des rancoeurs et des malentendus sociologiquement dansgereux. Du conflit entre générations au rejet de la formation comme vecteur d’une insertion professionnelle réussie, en passant par le développement du sentiment que l’avenir, incarné par les jeunes est compromis, on prend beaucoup de risques. De ce point de vue, il est vraiment essentiel de lire des textes comme celui de Lefresne. Ils permettent de garder la tête froide.