Il ne m’appartient pas d’y répondre. La vraie question est de savoir si sa vision de l’école maternelle entre deux et trois ans est inspirée. En d’autres termes, la fonction des enseignants de ces classes est-elle résumable par le duo siestes-couches ?
EDIT à l’intérieur
Il faut dire que dans notre pays, nous avons parfois tendance à considérer l’école comme une garderie. Quand les enfants sont grands, ça se voit moins, quel que soit le statut réel des heures de cours. En dehors des périodes de grève, notre goût pour cette fonction de l’école n’apparaît guère. Mais quand on se penche sur les tout-petits, son spectre reparaît. En préalable, il faut indiquer que les enfants admis en maternelle doivent être propres (du moins pour ce que j’en sais et c’est une question que je connais un peu, au moins localement). Le changement de couches ne peut donc être que fortuit et nullement constitutif d’une activité prégnante pour le professeur des écoles. On m’a même suggéré que les changements de couche étaient faits par les fameuses tatas (j’en sais rien). Bon, bref. Pour la sieste, aucune idée.
Ce préambule achevé, l’école entre deux et trois ans est-elle utile autrement qu’en tant que garderie ? Eric Maurin consacre un chapitre entier à l’école maternelle dans sa nouvelle question scolaire. Et il se trouve qu’il pose exactement la question : “faut-il encourager son extension aux enfants de 2 ans ou, au contraire, se recentrer sur les seuls enfants de 3 ans et plus ?”. Et comme Maurin n’est pas du genre à faire dans la caricature, la réponse est claire, documentée et non définitive. Actuellement, on ne sait pas. On n’a pas d’études assez nourries sur le sujet. Mais on en a quelques-unes, dont il parle.
Une étude du ministère, sur une cohorte (entrée à l’école en 1997), montre ainsi que les enfants entrés à l’école dans l’année des 2 ans réussissent mieux. Néanmoins, il peut exister un biais de sélection, à savoir que ceux qui entrent à l’école à 2 ans sont aussi ceux qui réussiraient le mieux à l’école dans toutes situations parce qu’ils y sont mieux préparés (gosses de riches ou de profs). Maurin et Edwin Leuven concluent d’après une de leurs études que c’est plutôt le cas.
Eric Maurin ajoute qu’un enfant entré à 2 ans en maternelle est accueilli en petite section comme s’il avait 3 ans et refait une année de petite section l’année suivante. Il n’y a donc pas de traitement particulier de ces enfants. L’idée que cette année ne serve pas à grand chose, à part de garderie, n’est donc pas très étonnante (qui a dit qu’il fallait prévoir quelque chose de spécifique pour en avoir le coeur net ?).
Au préalable, Maurin a évidemment rappelé que l’investissement éducatif est, de façon générale, d’autant plus rentable qu’on s’y prend tôt et que l’on cible les enfants issus de milieux défavorisés comme les programmes américains de type Head Start et Perry School l’ontmontré après des décennies d’expérimentation.
Au total, l’inutilité de l’école entre 2 et 3 ans n’est donc pas prouvée, ni son contraire. Un ministre de l’éducation nationale devrait le savoir. Et, dans le cas contraire, devant une commission parlementaire, il serait peut-être plus adapté de poser la question sous une autre forme que celle choisie par le ministre, quitte à donner son sentiment en l’état actuel des connaissances ; ce qui se défend quand on a à faire des choix.
EDIT : un lecteur attire mon attention sur deux documents d’Eric Maurin importants pour le débat : un document de travail du CEPREMAP et un entretien pour Le Monde qui reprend ses conclusions.
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Il ne faut évidemment pas le même type de compétences pour enseigner en CM2 et pour encadrer une classe d’enfants de deux ans. Je ne vois pas trop comment on peut nier la pertinence de la remarque darcossienne là-dessus, même si les termes choisis peuvent paraître un peu lapidaires. Mais on est en commission, on n’est pas obligé de surveiller les moindres connotations des ses paroles. Le procès me paraît malvenu, et la question posée parfaitement légitime.
Sinon, les enfants sont censés être propres à l’entrée en maternelle, mais je ne crois pas qu’on les renvoie quand ils ne le sont pas… Et pour ce qui est de la sieste, ils la font en petite section.
La fonction "garderie" de la maternelle me paraît fondamentale: elle explique pour une très large part le maintien de la fécondité dans notre pays.
Au final je ne comprends pas très bien votre titre et le fond de votre remarque. Darcos pose une question, à savoir, l’accueil des enfants de moins de 3 ans en maternelle doit-il être la variable d’ajustement des maternelles et des mairies quant à leurs effectifs? En d’autres termes, le service public décide-t-il d’accueillir, oui ou non, les enfants de 2 ans de façon systématique? Si oui, ne peut-on pas se poser la question des compétences requises pour les personnels qui effectuent cet accueil?
Vous croyez vraiment qu’il connait les programmes Head Start et Perry School? Faut lire les livres de Maurin pour en entendre parler. Vu comment il a réformé les rythmes scolaires (dans la tradition jacobine la plus totale), que même l’OCDE l’a critiqué, je crois qu’il se contrefiche de l’éducation des enfants, sauf ceux de ses amis riches qui vont dans le privée. L’école française part à contre courant, on revient à l’école de la IIIeime république.
Réponse de Stéphane Ménia
Je ne crois rien.
Un témoignage plus qu’un commentaire, je m’en excuse d’avance.
A la différence de la France, les pays nordiques entament la scolarité des enfants vers 5 ans. Avant cela (pour le cas finlandais en tous cas), les enfants sont dans des programmes de "pré-école": une garderie où ils se frottent à des notions de base (lecture etc), ont des activités créatives et autres. Le système est débattu mais n’a pas bougé depuis des décennies. Je ne vise pas à reprendre le discours "les pays nrodiques sont formidables, faisons tout comme eux", mais si le sujet intéresse je peux chercher des études sur la question.
Pour Xavier Darcos et sa bourde, une petite hypothèse politique: notre cher ministre ne serait-il pas victime de son image des "taties" de maternelle et de leurs orientations politiques? Toutes ces dames votant à gauche, étant mal payées et peu influentes, pourquoi les caresser dans le sens du poil? Dans tous les cas, une idiotie, qui malheureusement nous révèle peut-être le sentiment de notre gouvernement concernant l’enseignement national et l’éducation en général…
Petit complément d’information.
Jusqu’à très récemment, les 2-3 ans n’étaient pas accueillis dans la classe des petits mais des tous-petits, une classe spécifique fondamentale puisque permettant le développement du langage (beaucoup de gamins de 2 ans sont un peu courts de ce point de vue là) et de la vie en collectivité. Les enseignements de cette classe (car il s’agit bien d’enseignement) ouvrent le champ de la socialisation, de l’appréhension des outils (crayons, pinceaux, etc) et sortent l’enfant de sa famille et de son milieu. Cette classe est réellement très stimulante tout en restant très adaptée à son très jeune public.
Cependant, partout où une classe d’âge a un peu molli du genou, les académies se sont empressées de fermer ses classes et de regrouper ces jeunes enfants avec ceux de la classe des petits, provoquant sureffectifs et inadaptation des enseignements. Cette disparitions des classes de tous-petits permet à présent de justifier le renvoie des moins de 3 ans à la maison et de décaler ainsi d’un an bien des apprentissages fondamentaux.
Ne pas oublier qu’un enfant né en début d’année ne peux ainsi intégrer l’école qu’à presque 4 ans…
Bref, derrière les discours, des pratiques visant le démentellement de la maternelle, pourtant gage d’une meilleure égalité des chances au plus jeunes âge (même niveau de stimulation du langage et de la coordination motrice quelque soit le milieu familial d’origine).
Pour finir, les directives de cette année en maternelle abandonnent l’objectif du "vivre-ensemble" au profit de celui de "devenir élève", c’est à dire de la compréhension et de l’obéissance aux consignes. Tout un programme…
A titre personnel, je vois une certaine cohérence dans le discours de Darcos : vu qu’il n’y a pas besoin de compétences particulières pour enseigner dans le secondaire – mis à part les connaissances disciplinaires – il n’y en a pas besoin non plus pour gérer des maternelles…
Bref, ce qui serait intéressant sur cette question, ce serait d’avoir des études sur l’effet de la formation des enseignants sur la réussite des enfants.
Réponse de Stéphane Ménia
A mon sens, ce que demande Darcos, ce n’est pas principalement (même si c’est lié) si les enseignants de ces sections ont à avoir le même statut. C’est simplement si la maternelle sert à quelque chose, entre 2 et 3 ans.
C’est peut-être ce qu’il se demande, mais ce n’est pas ce qu’il dit. Ce qu’il dit, c’est qu’on n’a (peut-être) pas besoin d’un bac+5 pour enseigner à des tout-petits. C’est clairement la question de la formation (et donc du salaire ?) qui est posée.
Ce qui me permet de signaler que les professeurs de maternelles n’ont pas forcément envie de faire ça toute leur vie (de même que ceux de primaire), et que pouvoir passer de l’un à l’autre, ayant reçu la même formation à la base, ça me semble une très bonne chose.
Par contre, il y aurait beaucoup à redire sur la formation des professeurs des écoles en général, mais je préfère ne pas ouvrir le débat ici, on n’en finirait plus.
Réponse de Stéphane Ménia
Sur ce qu’il dit ou pas : les discours inutilement ambigus m’ennuient. Un ministre parle au pays, pas à des syndicats.
Et si il s’agissait simplement de refiler le bébé (pas de mauvais jeu de mot là-dedans) aux collectivités locales ?
Réponse de Stéphane Ménia
Il y a sûrement de ça. Mais bon…
@Cimon : en fait, c’est ce que font déjà les collectivités locales. En scolarisant les moins de 3 ans, ces derniers pèsent moins lourd sur le budget petite enfance des collectivités locales: une partie est prise en charge par l’Education Nationale, l’autre par les communes.
Dans cette vidéo, Xavier Darcos est face à la Commission des Finances du Sénat. Il faudrait voir l’ensemble de son passage devant cette commission pour avoir plus d’éléments, en dehors du fait que XD ne connait pas le fonctionnement des écoles maternelles.
Ce passage tronqué sort un peu la phrase de son contexte.
Réponse de Stéphane Ménia
Oui, Cimon se demande si ce n’est pas une façon d’aller plus loin.
Sur le contexte, vous reconnaîtrez que la formule est, quoi qu’il en soit, familière et volontairement provocante. Je relève la provocation (par une autre provocation), mais souhaite recentrer sur la vraie question.
Ne faudrait-il pas aussi raisonner en termes d’utilité marginale ?
Par exemple, il se dit qu’un an de maternelle coûte 4500 € à l’état. Donc, on pourrait proposer aux parents qui font scolariser leurs enfants à 3 ans une prime de, disons, 50% de 4.500 €, et une prime double aux parents qui font scolariser leur enfant à 4 ans, etc..
Voir ce que signale Louis : redonner 13.500 € de budget à l’état par élève à éduquer sur l’ensemble de la scolarité en la faisant démarrer à 5 ans, ce n’est vraiment pas rien.
Réponse de Stéphane Ménia
L’idée de révélation des préférences seraient intéressantes si l’éducation n’était pas un bien créant des externalités. D’une certaine façon, vous proposez aux parents français la même option que dans les pays pauvres : l’enfant va à l’école ou il rapporte des sous (c’est un peu différent, je le reconnais, car ici, l’argent pourrait servir à de la garderie. Dans ce cas, la somme est peut-être un poil faible, mais bon, pas loin). Or, si l’école obligatoire existe, c’est pour corriger des choix ne tenant pas compte de l’effet externe macro d’une population éduquée. Peut-être qu’un contrôle régulier de l’état de développement de l’enfant pourrait éviter les erreurs et effets d’aubaine. Mais ça sent l’usine à gaz.
"Par exemple, il se dit qu’un an de maternelle coûte 4500 € à l’état." Et un an de crèche, a fortiori de garde alternative, encore bien plus (pour, c’est ce que dit Stéphane, a priori un effet similaire, ou en tout cas pas forcément un meilleur effet). C’est l’argument de la Cour des comptes en faveur de la scolarisation des tout-petits.
Réponse de Stéphane Ménia
Oui, je doute que le système soit rentable pour le budget de l’Etat. Quand je disais que la somme serait potentiellement acceptable pour une famille, c’est en incluant les aides type CAF et crédit d’impôt, selon le type de garde. Donc, à ajouter à la somme versée. Si on raisonne plus loin, c’est également une incitation à rester au foyer pour un parent. Avec des conséquences en termes de taux d’emploi qui ne me semble pas appropriées.
Vous avez dû louper l’interview de Maurin dans le monde : http://www.lemonde.fr/societe/ar...
où il est fait référence à son étude d’août disponible sur le site du cepremap :
http://www.cepremap.ens.fr/depot... .
Réponse de Stéphane Ménia
Oui, je ne la connaissais pas. Merci beaucoup. Je devrais lire plus souvent le journal auquel je suis abonné… Ca répond pleinement à la remarque de Passant et précise ses conclusions passées. Nuancé, donc.
Est-ce que la scolarisation à 2 ans est bénéfique pour les enfants ? On ne sait pas, mais rien n’indique qu’elle soit nuisible.
Est-ce qu’elle est bénéfique pour la collectivité ? Là, on a la réponse : une place à l’école maternelle coûte environ 3 fois moins cher qu’une place en crèche. L’enjeu financier est donc considérable, tout comme l’enjeu social dans un pays où la garde des enfants en bas âge est un gros problème.
La question subsidiaire porte sur les compétences des enseignants affectés à ces missions. Mais là aussi on a la réponse : la segmentation des compétences correspondant aux concours de l’Education Nationale est tout à fait arbitraire et sous-optimale. Tel certifié enseigne en lycée, tel agrégé en collège. Et, au rebours de ce qui existe dans le reste de l’économie, plus les gens sont performants, moins ils travaillent, avec des sommets d’absurdité dans les premiers cycles universitaires. Le problème dépasse largement l’école maternelle.
En réponse au commentaire d’Une heure de peine (n°5) : "Bref, ce qui serait intéressant sur cette question, ce serait d’avoir des études sur l’effet de la formation des enseignants sur la réussite des enfants."
Maurin évoque rapidement la question, il y consacre deux pages (229-230). Il utilise (ou plutôt Francis Kramarz, Pascal Bressous et Corinne Prost, dont il cite une étude, utilisent*) une "bizarrerie" de la formation des enseignants de l’école élémentaire : la majorité d’entre eux reçoit une formation avant d’enseigner, une minorité non (ce sont des admis "sur liste complémentaire"). D’après leurs résultats, les enseignants qui ont reçu une formation arrivent à faire davantage progresser les élèves.
* "Teachers’ training, Classe size and students’ outcomes", document de travail du CREST, 2005.
Bon : en effet, au vu des critiques reçues, je souligne qu’on pourrait affecter la prime donnée par l’état aux parents qui ne font pas scolariser leur enfant avant 5 ans (comme en Europe du Nord) correspondant à une fraction significative du coût-état de la scolarisation précoce aux futures probables études supérieures de l’intéressé, avec éventuellement versements d’intérêts.
Emmeline : j’ai l’intuition que le coût extraordinairement élevé des services de garde d’enfant, comparable à celui des études dans les meilleures écoles de France, doit avoir quelque chose à voir avec un certain manque de concurrence dans le secteur, auquel la règlementation spécifique du secteur n’est certainement pas étrangère. Une comparaison avec les coûts de garde dans les pays voisins serait intéressante.
Réponse de Stéphane Ménia
Sur la réglementation, je ne sais pas si elle a le même statut ici que dans d’autre secteurs. Personnellement, je n’irais pas payer le moins cher possible pour faire garder ma gosse. La question reste intéressante, mais avec un filtre spécifique, comme dans d’autres domaines tels que le nucléaire.
"un certain manque de concurrence dans le secteur".
Les crèches privées existent. Les "assistantes maternelles" tout aussi privées, également. C’est juste extrêmement onéreux (et encore).
La réglementation, c’est une autre affaire. La question à se poser est : doit-on empêcher la garde d’enfants par du personnel non qualifié et/ou en quantité insuffisante, avec tous les problèmes de développement et les risques d’accident que cela peut engendrer, afin de réduire les coûts et de laisser davantage de choix aux parents ? Le problème est qu’en moyenne ce sont plutôt les plus riches/éduqués/élites de la nation, notre hôte en tête (ça c’est pour être sûre de pas être censurée) qui refuseront de "payer le moins cher possible pour faire garder leurs gosses" (ceux-là donc exigeront de toute façon un encadrement minimal, réglementation ou pas), et que seuls ceux et surtout celles qui n’ont pas le choix y auront recours, alors que c’est précisément ceux dont les enfants auraient le plus besoin d’encadrement (partant, d’un système public subventionné). "La société", par la voix et la plume du législateur, a tranché entre les deux options. D’ailleurs, The Economist d’il y a quelques années était d’accord avec cet argument (la caution morale de malade…).
Après, je veux bien convenir que les exigences réglementaires sont probablement excessives, sans parler de Delanoë qui en rajoute une couche (ha ha ha) à Paris en exigeant que toutes les créchonnières (copyright D. Pennac) sans exception aient un diplôme d’assistante maternelle. Mais je pense qu’elles sont au final plus bénéfiques que nocives.
Il y a quand même quelque chose qui me tarabuste : si le surcoût dela crèche par rapport à la maternelle est justifié par ce qu’il apporte à l’enfant et que les externalités du service rendu à l’enfant justifient que la collectivité paye pour lui, alors, il est dans l’intérêt de tous que la collectivité dépense plus : autrement dit, developpe les crèches plutôt que l’école maternelle, puisque le système de crèches transfère plus efficacement à l’enfant que la maternelle ?
Réponse de Stéphane Ménia
Allez dormir un peu. Après, douche, café. Et hop, magique, les phrases raccourciront et… ON COMPRENDRA QUELQUE CHOSE !