Why blog (2)?

SM a donné sa réponse. Voici la mienne.

1 – Je blogue pour diffuser la connaissance économique. Je ne me fais pas trop d’illusions sur ce qu’il est possible d’obtenir comme améliorations, et sur les effets que cela pourrait avoir. Mais – et d’ailleurs, c’est la même chose en cours – de façon incrémentale, transmettre des connaissances, une façon de penser, produit des effets. Quelqu’un va se mettre à douter de ses certitudes, s’interroger, et poursuivre son apprentissage de son côté. La connaissance économique est mal répartie, considérée comme ennuyeuse, les discours sont bourrés d’idées reçues : dans ce domaine, rien n’est de trop pour obtenir des progrès.

2 – Cela pose néanmoins la question du média employé : pourquoi un blog, plutôt que des livres, des articles, plutôt qu’entrer dans une structure dans laquelle on pourra “pratiquer”? C’est que chaque média présente ses avantages et ses inconvénients. Il y a beaucoup de livres en économie; une fois que l’on retire des librairies les manuels et les brûlots, il ne reste pas grand-chose d’accessible pour le grand public. SM et moi tentons de rectifier cela (précommandez notre livre!) mais l’écriture d’un ouvrage nous a permis de constater que ce média impose des contraintes spécifiques : contraintes commerciales (faire quelque chose que les lecteurs aient envie de lire), contraintes de forme, etc. Le livre offre par contre la possibilité d’une plus grande diffusion et son caractère “permanent”.

Pour les articles de journaux, autrefois, comme beaucoup de monde, j’avais tendance à m’énerver rapidement des raccourcis que ceux-ci contiennent; depuis que j’ai eu l’occasion de travailler avec des journalistes, j’ai pu voir le poids exercé par deux contraintes : le temps et le volume. Transformer un entretien de deux heures en un article de 1000 signes est un casse-tête; et celui-ci doit en général être résolu dans un temps très court. Chaque fois que j’ai fait un article, j’ai passé beaucoup plus de temps à chercher à résoudre ces problèmes qu’au fond de l’article en lui-même; et j’en ai retiré une certaine admiration pour les journalistes qui doivent faire cela tout le temps (cela me conduit à exercer mon esprit critique vis à vis d’eux sur d’autres aspects). Ce n’est vraiment pas un travail simple, et ces exigences génèrent des contraintes lourdes (et je ne vous raconte même pas à la télé : si vous bavardez trop longtemps, on ne vous retiendra même pas).

Le blog permet d’écrire dans le volume que l’on veut, au moment où on le veut, sur les sujets que l’on veut. Nul besoin de suivre l’actualité, de s’imposer des contraintes de volume, de “faire un article” si l’on en a pas envie. Cela offre beaucoup de possibilités, mais présente aussi des limites; la diffusion est beaucoup moins grande (même Eolas n’est pas aussi lu qu’un quotidien); il faut “trouver son public”; et il y a une contrainte de volume, d’autant plus difficile que l’on est sans contraintes, car un blog qui n’est pas entretenu régulièrement ne sera pas assez lu. Il faut aussi sans cesse gérer le jugement des autres, ce qui peut devenir infernal pour peu que l’on soit intronisé “roi des blogs” (Versac en a fait l’amère expérience). Cela donne lieu au paradoxe du blog : plus on est lu, moins il est facile de dire des choses intéressantes; mais si l’on n’est pas lu, c’est sans doute que l’on n’a pas trouvé la forme adéquate. Nous essayons ici de garder cet équilibre, en restant nous-mêmes, c’est à dire, sans trop nous prendre le chou.

3 – Je blogue parce que cela permet d’appartenir à une petite communauté. Beaucoup de temps a passé depuis l’époque où nous étions les hardis pionniers du blogage économique français; depuis, nous avons trouvé des lecteurs, qui reviennent régulièrement, avec lesquels nous entretenons des discussions; depuis aussi, la blogosphère économique francophone s’est développée, et constitue un petit groupe de personnes qui se lisent, se commentent, et s’apprécient. Nous ne sommes pas encore au stade de la blogosphère économique anglo-saxonne, dans laquelle de véritables débats ont eu lieu sur des sujets importants (voir par exemple récemment la question du rôle de la spéculation dans la hausse des prix des matières premières); La blogosphère est là devenue un moyen de production de connaissances d’une impressionnante efficacité. L’avenir de la recherche est aussi là.

4 – Je blogue par narcissisme. Je n’ai pas vu beaucoup de gens aborder cet aspect, mais il me semble qu’il faut avoir une dose de narcissisme pour ouvrir un blog, et considérer que l’on a des choses intéressantes à dire à l’humanité. Mon narcissisme prend la forme suivante : lorsque je suis dans un groupe de personnes, j’aime me “hisser” dans la conversation, participer activement, me retrouver au centre de celle-ci. Mais je suis dans le même temps assez timide et introverti; La solution pour me lancer, c’est de parler de ce que je connais. Et de m’efforcer d’avoir préalablement beaucoup pensé à ce que je vais dire. Tenir un blog participe de ce narcissisme personnel. Je dois le confesser, lorsqu’on me parle de ce que je viens d’écrire, lorsque je vois un jugement porté sur ce que je fais (positif ou négatif d’ailleurs), cela me fait plaisir.

Cela ne fait que 4 raisons, mais SM en a déjà donné d’autres, donc le compte doit y être. En ce qui concerne les gens tagués, et puisqu’ils doivent être de préférence dans le monde scientifique :

– Iana Dreyer de Global Conditions, pour les relations internationales;

– Jonathan Dingel de Trade Diversion pour l’économie, en espérant que le meme sorte du monde francophone;

Géographe du Monde, du blog éponyme;

– Sinon, j’aurai bien tagué ma blogueuse scientifique préférée, l’auteur de l’excellent Manuel Universel d’éducation sexuelle à l’usage de toutes les espèces, Olivia Judson : mais je doute qu’elle réponde.

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Alexandre Delaigue

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3 Commentaires

  1. Arf… Le mème "Why blog" existe déjà dans le monde anglophone. La version francophone a été lancée du côté du Café des Sciences pour pouvoir, à terme, comparer les résultats avec ceux du monde anglophone. J’aurais du l’expliquer dans le mail que je vous ai fait, mais j’ai oublié. Mea Culpa.

  2. Sur l’introversion, ça me rappelle une blague lue sur marginal revolution il y a quelques mois: "Comment reconnaitre un blogueur extraverti? Il ne regarde pas ses chaussures mais les votres lors d’une conversation…"

  3. Sur le narcissisme, je te signale que s’il est présent, il n’a pas démarré avec le blog, qui n’est venu qu’au bout de presque 5 ans de publication. Et quand je remets dans le contexte notre démarrage, avec probablement (je ne sais pas, je ne tenais pas de stats) 10 consultations par jour pendant longtemps, je me vois obligé de dire que l’égoïsme (la volonté d’écrire pour soi, avant tout, pour ne pas devenir trop con) a sûrement été un moteur plus puissant que le narcissisme, y compris pour toi. L’aspect communauté, bien que très réduite à l’époque, me semble plus significatif. Et rappelle toi de notre (agréable) étonnement quand on a commencé à avoir des retours qu’on n’attendait pas. Donc, finalement, je ne vois pas le narcissisme comme un moteur – spécifique – de blogage, dans notre cas.

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