Dans Libération, une tribune rédigée par Sidonie Lebel et Emmanuel Jollet porte-parole du collectif des jeunes chercheurs contre la précarité affirme que “Seule une petite minorité de la jeunesse, issue de milieux privilégiés, est épargnée. Elle passe par les très «grandes écoles», qui reproduisent l’élite du pays celle, précisément, qui chante les louanges du contrat première embauche. Le pouvoir de cette aristocratie s’est renforcé grâce à la précarisation de ceux sur qui elle règne.”. N’est-ce pas un peu trop simple ?
En réalité, et c’est là que c’est amusant, pour que l’argument tienne, il faudrait cibler plus spécifiquement les grandes écoles de la fonction publique. Pour les anciens élèves de celles-ci, en effet, point de précarité, en principe. CPE ou pas, la fonction publique leur ouvrira toujours ses portes.
Ce qui me semble assez spectaculaire dans le cas du CPE, c’est qu’il n’a rien de bon en principe pour tous les autres (ceux des écoles de commerce ou d’ingénieur hors fonction publique). Disons que s’il ne devrait pas leur nuire outre mesure ou les plonger dans une situation de précarité intolérable, il représente néanmoins un élément foncièrement négatif. Rien de positif. Qu’on soit qualifié ou non, issu d’une grande école ou non, on n’aime pas pouvoir se faire virer du jour au lendemain d’un poste qu’on peut apprécier pour diverses raisons. On peut toujours se rassurer en se disant qu’un jeune cadre surdiplômé entre dans une filière de recrutement qui ne devrait pas être trop perturbé par le CPE. N’empêche. Je demande à voir comment cette hypothèse se concrétisera sur le terrain. Je poserais d’ailleurs bien la question à des spécialistes de l’économie du travail.
Alors, cette tribune me semble bien inspirée par l’envie de trouver un bouc-émissaire facile. Les représentants des étudiants de grandes écoles ont-ils publié des communiqués en faveur du CPE ? Je n’en ai pas eu vent. Pire que ça, je parierais volontiers que la majorité des pro-CPE ne se recrute pas dans les très grandes écoles, même si quelques uns de leurs représentants se font voir plus que d’autres. Bref, je trouve un peu gros le coup de l’ “establishment” bourdieusien. Les pro CPE sont très certainement une population sociologiquement plus subtile. Et je le dis d’autant plus facilement que je n’en suis pas.
- Sur le passeport vaccinal - 18 mai 2021
- Laissez le temps de travail en paix - 19 mai 2020
- Élinor Ostrom, le Covid-19 et le déconfinement - 16 mai 2020
- Ne tuons pas l’enseignement à distance. Optimisons-le - 15 mai 2020
- Quelques commentaires sur les évaluations à l’arrache des systèmes de santé en pleine épidémie - 9 mai 2020
- Du bon usage du supposé dilemme santé vs économie - 9 mai 2020
- Le problème avec la courbe. Édition Covid-19 - 4 mai 2020
- Reprise d’activité - 21 avril 2020
- Problème corrigé sur les notes de lecture - 6 février 2020
- éconoclaste a 20 ans. Épisode 2. Passeurs dans les années 2000 - 27 décembre 2019
"En réalité, et c’est là que c’est amusant, pour que l’argument tienne, il faudrait cibler plus spécifiquement les grandes écoles de la fonction publique. "
Je comprends votre raisonnement et, sans nullement le désapprouver, et plutôt dans l’intention de l’enrichir, je crois qu’il faudrait un peu plus l’étayer en étayant l’hypothèse selon laquelle il existe effectivement une précarité pour les jeunes issus des écoles de première catégorie de la conférence des grandes écoles.
Par ailleurs, peut-on parler de précarité lorsqu’elle reste théorique, par exemple, lorsqu’on constate que la durée moyenne d’un CDI est de l’ordre de 12 ans ?
Mais il est vrai que le débat sur la "précarité" qui laisse totalement de côté la fonction publique, et notamment les professions enseignantes ou soignantes, particulièrement saillantes de par leurs énormes effectifs ne saurait être qu’un débat tronqué.
Tout à fait d’accord avec vous. A Sciences Po (certes, pas une grande école, mais pas une fac non plus), l’UNEF fait campagne avec succès sur le thème "tous concernés". Il y a une vrai peur d’être touché.
Les élèves sont conscients qu’ils n’auront souvent pas un pouvoir de négociation suffisant pour refuser un CPE. Résultat : la grève a été votée, ainsi que le principe d’une occupation.
Au lieu de nous servir de la "lutte des classes mal réchauffée", je ne saurais conseiller aux auteurs de cette tribune dans Libé de s’investir dans des analyses plus fines. Etant moi-même jeune chercheur, ça me fait un peu mal de voir ces collègues (me représentant finalement un peu, dans l’esprit du quidam) servir du pret-à-la-révolution en barquette de douze. Je propose deux pistes, qui me semble pertinentes.
Par exemple, pourquoi ne pas parler du fait que les détenteurs d’un diplome sont détenteurs d’un signal (d’autant plus fort que le diplome est valorisé) qui leur permet d’éviter une bonne partie de la phase de doute qu’à l’employeur sur les compétences et la détermination de son salarié. Du coup, les individualistes des grandes écoles sont indifférents au CPE, qui ne les concerne pas. Et ce n’est pas pour des raisons d’aristo.
On pourrait aussi parler "partage de risque" dans le contrat de travail, et du fait que l’un des problèmes majeurs de l’incitation, c’est qu’on refile au salarié dans le même salaire (ou emploi) variable des risques sur lesquels il n’a pas plus de prises que l’employeur. Et bien sûr, que le salarié au bout de la chaine soit la variable d’ajustement c’est une vraie question. La conséquence c’est que le système de protection sociale du travail doit mettre l’accent sur l’appariemment, c’est à dire la formation et la réorientation vers d’autres emplois. Que dit le CPE la dessus, rien. Et c’est pourtant central.
Sans trop de prétention, je crois qu’on touche mieux du doigt les problèmes de 2006 en ne se contentant pas de réciter son cours de 1ere ES sur la lutte des classes au XIXe.
On peut même se demander si des "pro-CPE" ne peuvent se "recruter" dans cette catégorie de la population peu qualifiée pour qui obtenir un boulot est tout ce qui compte; qui préfère un CPE, même instable et "précarisant", à un stage ou au chômage. On lui fait miroiter un emploi, "elle" (catégorie qu’il faudrait bien entendu individualiser) défend le projet, se disant que "c’est mieux que rien".
Non, décidemment, je trouve cette "tribune" bien trop simpliste – et bien peu scientifiquement démontrée i.e. sur des faits pas une idéologie marxisante – pour tenir la route. Et je le dis d’autant plus facilement que je ne suis pas non plus un chaud partisan de cette mesure. Pas plus que de la lutte des classes dans les écoles du reste (sans jeu de mots… enfin si, un peu quand même, c’était trop facile ;o) ).
Pour commencer, quelles sont les Grandes Écoles de la fonction publique ? On peut probablement en faire une liste (non exhaustive):
– l’École nationale d’administration;
– l’École nationale de la magistrature;
– l’École Polytechnique;
– les Écoles normales supérieures.
Dans cette liste (et on pourrait ajouter les autres écoles de la fonction publique dont j’ai connaissance), seuls les élèves des Écoles normales supérieures ne sont pas assurés d’un poste dans la fonction publique à l’issue de leur scolarité. On peut donc se demander quel est leur statut.
Deux solutions : soit ils ont passé une agrégation du secondaire, et ils ont la possibilité d’enseigner dans le secondaire (on ne posera pas ici la question de leur sur-qualification pour ce rôle), soit ils n’ont pas d’agrégation ou préfèrent la recherche et l’enseignement universitaire. Dans ce cas, leur lot est celui des autres jeunes, à un âge plus avancé : trois ans d’allocation de thèse, puis la multiplication des petits boulots et emplois précaires de l’enseignement et de la recherche en France : ATER, post-doc, missions, dans l’espoir de décrocher le Graal d’un poste de Maître de conférences ou de Chargé de recherches au CNRS. Je doute donc que ce soit parmi ces derniers qu’on trouve de chauds partisans du CPE. Les revendications du mouvement des chercheurs tend d’ailleurs à le prouver.
Reste les élèves des autres Écoles envisagées. On peut partir d’un constat : les professions auquelles elles conduisent sont probablement sous-payées par rapport à ce que les élèves de ses écoles pourraient gagner avec d’autres choix d’orientation (HEC par exemple). De ce fait, on peut penser qu’ils ont accepté d’échanger cette perte de rémunération contre une certaine sécurité de l’emploi. On les voit donc mal en chantres de la flexibilité.
Reste l’« usual suspect » : les élèves de l’X partis dans la politique ou l’entreprise, ainsi que ceux d’HEC. Cela fait une élite bien maigre pour avoir l’influence que lui attribuent les auteurs de l’article cité.
j’ai un avis assez nuancé par rapport à tout ce qui est dit :
* les élèves des grandes écoles, notamment les plus grandes, ne seront pas exposés au CPE : le taux de chômage pour eux est très faible (4%), les entreprises se battent plutôt pour les attirer, elles leurs proposeront donc des contrats de long terme solides
* les personnes moins qualifiées vont être exposées. De mon point de vue, il n’y aura pas de création nette d’emploi, ou très peu, mais plutôt substitution CDI/CDD/intérim vers CPE. Une remarque en passant : l’intérim permet à l’entreprise d’avoir de la flexibilité, mais ca lui coute plus cher. On aurait pu attendre que le CPE s’accompagne d’une sur-rémunération en échange de plus de flexibilité…
* sur l’élite : certains sont quand même un petit peu éveillé, on peut espérer qu’ils s’associent au mouvement non pas parce qu’ils sont concernés, mais parce qu’ils ont une conscience politique… A voir les commentaires, on dirait que n’existent que des homo oeconomicus…
* sur l’élite encore : je m’interroge vraiment sur les compétences économiques de nos énarques. Je n’ai pas vu un économiste défendant le CPE sur la base d’une argumentation solide : des libéraux s’y opposent car ils auraient voulu l’extension à tous du CNE, les mois libéraux dénoncent tout un ensemble d’effets pervers. Comment se fait-il que Villepin se soit lancer la dedans? Très sincèrement, je suis preneur de réponses…
De ce fait, je pense que le problème tient moins à la volonté des énarques (et consorts, pas souvent d’ailleurs :)) de conserver du pouvoir, que de leur incompétence, que j’aimerais bien pouvoir mesurer…
ilfo : " il existe effectivement une précarité pour les jeunes issus des écoles de première catégorie de la conférence des grandes écoles"
Oh, on est d’accord, le terme "précarité" est bien difficile à utiliser ici sans passer pour ce que je ne suis pas vraiment… Disons que je raisonnais en variation de situation. Et de ce point de vue, le CPE ne peut être perçu a priori que comme une régression – possible – du confort de ces travailleurs.
alex : "on peut même se demander si des "pro-CPE" ne peuvent se "recruter" dans cette catégorie de la population peu qualifiée pour qui obtenir un boulot est tout ce qui compte; qui préfère un CPE, même instable et "précarisant", à un stage ou au chômage."
Ce sont bien eux qui sont les mieux placés pour tenter le coup, en effet. Et je me garderai bien de dire s’ils ont raison ou tort de penser ainsi (pour ceux qui le font). Quand on est très loin de l’emploi j’ignore quelle peut être la différence fondamentale entre un CDD et un CPE. Je ne crois pas que l’un soit mieux que l’autre. Mais ce n’est pas lié au contrat, c’est lié au profil d’emploi des jeunes concernés.
WIlliam : "Les individualistes des grandes écoles sont indifférents au CPE, qui ne les concerne pas. Et ce n’est pas pour des raisons d’aristo."
Cet article m’a en effet énervé parce qu’il posait mal les mauvaises questions. Ce qui fait beaucoup…
olivier : "les élèves des grandes écoles, notamment les plus grandes, ne seront pas exposés au CPE : le taux de chômage pour eux est très faible (4%), les entreprises se battent plutôt pour les attirer, elles leurs proposeront donc des contrats de long terme solides"
Il y a juste un problème avec ça. J’ai déjà dit que globalement, je ne pense pas, comme vous, qu’ils aient à s’en faire. Ensuite, je réfute l’idée qu’ils soient pour autant favorables à ce contrat.
L’élément que j’ai avancé est que, hors de leurs éventuelles motivations altruistes, ils n’ont rien à gagner à l’affaire ; au pire à y perdre. Et certains, très minoritaires, y perdront d’ailleurs. IL faut rappeler le processus fractal d’inégalités dans les positions d’emplois. Dans les écoles superstars, certains font des carrières de rêve, d’autres juste correctes. Ceux-là seront concernés, même s’ils ne le savent pas. Un accident de parcours et ils seront au coude à coude avec des candidats issus d’écoles moins prestigieuses.
Je persiste à coire à l’intérêt d’une étude sur le sujet. Etude à faire ou qui peut probablement être déduite des caractéristiques de cette population et de leur marché. Ca mangerait pas de pain… En même temps, c’est pas prioritaire.
En revanche, il faut tout de même se reprojeter quelques semaines en arrière et relire la presse. Que nous prévoyait-on dedans ? La généralisation d’un contrat unique de type CNE/CPE pour la fin de l’année. Certes, aujourd’hui, ça fait un peu pouffer. Mais c’est une bonne raison pour qu’un diplômé de ces écoles de stars puisse ne pas voir tout ça d’un bon oeil, justement dans un segment où avec les contrats actuels (réputés mauvais pour l’emploi) leur chômage est à 4%. Qu’auraient-ils à gagner à ce contrat unique ? A mon avis, des frayeurs… Mais, encore une fois, j’estime qu’il faut une excellente connaissance des marchés du travail concrets pour statuer finement sur le sujet.
Étrange : les noms-prénoms des auteurs ne renvoient aucun résultat dans Google, ni sur le site des jeunes chercheurs précaires. Fausses identités ?
François : quand on est précaire, on veut pas forcément le rester. D’où l’anonymat. Et puis, les pseudos…
Je ne serais pas non plus surpris si les anti-CPE se trouvaient davantage chez les "élites" ou classes moyennes et les pro-CPE (enfin disons "neutres" face au CPE) plutôt chez des jeunes moins favorisés qui y voient une possibilité d’avoir une chance d’être pris à l’essai.
Mais en fait, il y a une dimension du débat que je comprends mal:
– parle-t-on d’un dispositif destiné aux moins de 26 ans uniquement pour une première embauche? Ou d’une généralisation de la période de deux ans d’essai à tout CDI? Le texte de loi voté est clair (c’est pour les moins de 26 ans et le cas d’une nouvelle embauche) mais j’ai l’impression que tout le monde débat du CPE comme si ça devait être la nouvelle norme des contrats de travail (bon c’est vrai qu’il y a aussi le CNE pour les entreprises de moins de 20 salariés avec cette même option). A mon avis, on aurait des réponses différentes à la question pour ou contre le CPE selon qu’on parle d’un dispositif ciblé ou généralisé.
– qu’est-ce que la "précarité" du CPE? Là non plus, j’ai pas l’impression que tout soit au clair si on regarde concrètement l’alternative entre: 1- Ne pas avoir du tout d’emploi et pas toucher le chômage puisqu’on n’a jamais été embauché (ça c’est pas "précaire"?) 2- Avoir du travail sous forme de CDD ou d’interim (100% précaire, non?) 3- Avoir un CDI avec une période de test de 2 ans (comment cette "précarité" se compare aux deux autres?).
Je précise que je suis ni pour ni contre le CPE mais que je suis intéressé par la logique de la loi qui a été votée qui est une loi sur "l’égalité des chances" et qui semble dire que pour des jeunes qui sur le papier ne seront pas embauchés (pas de diplômes, pas d’expérience, habitant pas au bon endroit) avoir un contrat qui est un CDI et qui contient une longue période de test pour rassurer les employeurs est une opportunité d’avoir des chances "égales" avec les gens qui seront embauchés tout de suite en CDI classique (parce qu’ils ont fait l’école qu’il fallait, qu’ils sont pistonnés etc.). A charge de tester le dispositif et de voir ce qu’il vaut. En particulier pour voir comment les entreprises utilisent la période des deux ans. On oublie aussi un peu vite qu’embaucher a un coût et qu’une entreprise n’a pas intérêt à prendre les gens et les "jeter". Il faut former les nouveaux venus, leur apprendre comment fonctionne l’entreprise, etc. c’est une baisse de productivité pour les salariés en place et c’est coûteux donc recommencer cela en permanence est rarement rentable. Bref, testons le CPE pour deux ans!
Salut,
je suis membre du collectif en question.
Je voudrais lever une petite ambiguïté.
Reprenons la citation incriminée :
"Seule une petite minorité de la jeunesse, issue de milieux privilégiés, est épargnée. Elle passe par les très «grandes écoles», qui reproduisent l’élite du pays celle, précisément, qui chante les louanges du contrat première embauche. Le pouvoir de cette aristocratie s’est renforcé grâce à la précarisation de ceux sur qui elle règne"
On peut l’interpréter comme vous l’avez fait, en estimant que cette jeunesse là est favorable au CPE (ce que dément la mobilisation d’une fraction des élèves de l’ENS et de Science Po).
Mais à mon sens, le "celle, précisément qui chante les louanges du CPE" se rapporte à "l’élite du pays" et à "l’aristocratie" dont nous parlons après. Pas plus.
Je concéde que la formulation est absconse.
Sinon, la lecture de l’ensemble de la tribune, en particulier de sa dernière partie, explique peut-être le caractère fantomatique de nos deux porte-parole. Parler de "fausses identités", c’est un peu péjoratif, non? Et ça n’empêche pas la discussion, non plus.
A plus.
Juste pour rappel, le CPE s’applique avec une limite d’âge de 26 ans.
Les Normaliens sortent de leur Ecole à 24 ans, ceux des autres écoles d’ingé (sauf ESPCI et quelques autres) à 23 ans, dans le cas classique (pas de redoublement ou d’année anticipée). Dans les Ecoles scientifiques la tendance est à la poursuite des études, M2, doctorat.
Effectivement ce public ne peut être touché par le CPE que pendant trois ans au maximum, je comprends qu’ils puissent se sentir moins concernés.
@ Jean Dubois : Je vois les choses de cette façon : actuellement, étant donné le fonctionnement du marché du travail en France, les jeunes doivent intégrer une file d’attente après leurs études, file d’attente faite de séjours à l’ANPE et de CDDs empilés. Cette file d’attente est "acceptée" (je crois que Daniel Cohen avait présenté l’argument comme cela dans un article du Monde) parce qu’à la fin, elle permet enfin d’entrer dans le clan des insiders et de bénéficier, à son tour, d’un CDI considéré comme une sorte de statut indéboulonnable. C’est la perspective d’un CDI au bout d’un moment qui rend la situation actuelle supportable.
Le CPE rompt avec cette logique : le fameux CDI rêvé signifie d’un coup deux années supplémentaires de précarité. A mon avis, c’est cela qui fait sauter le couvercle de la marmite.
Concernant le caractère expérimental du CPE, n’oublions pas qu’il y avait déjà une expérience en cours : le CNE, qui n’a pas été contesté par les syndicats. Il aurait fallu laisser celui-ci fonctionner, voir au bout de deux ans ce qui se passe (si cela conduit à plus de licenciements par exemple). Là, on pouvait soit dire que ce genre de dispositif ne marche pas, soit qu’il fonctionne, et l’expliquer, preuves à l’appui. Avoir un vrai débat sur des faits au lieu d’une accumulation de fantasmes.
@ Jean Dubois : j’ai conclu que j’étais contre le CPE en faisant un simple calcul : qu’est-ce qu’il rapporte ? qu’est-ce qu’il coûte ?
Il semblerait qu’il ne rapporte pas grand chose. Et il semblerait qu’il coûte, même si c’est surtout en matière de confiance et de bien-être psychologique. Tu connais fort bien les travaux sur la croissance et le développement. Tu ne peux pas être insensible à cela.
Ensuite, je confesse que l’on peut être surpris par la forme d’hystérie qui s’en suit.
De manière plus générale, j’aimerais dire quelques trucs :
– quand une majorité d’opinion se dégage, ça tourne toutjours un peu comme ça, c’est presque normal ;
– on peut regretter que tout se passe toujours de la même façon quand le gouvernement souhaite réformer. Néanmoins, il n’y a que les gens qui ne descendent jamais dans la rue qui pensent qu’on peut effacer par de belles paroles moralistrices et réformatrices les habitudes, fussent-elles mauvaises quand poussées à l’extrême. Il est pour le moins suprenant d’entendre parler de modèle scandinave et de regretter l’existence de certains mécanismes de la cohésion sociale, fussent-ils régulièrement contre-productifs, je le répète.
– Et puis, bon, le couplet usuel de Le Boucher (je dis ça parce qu’il en a usé lourdement dans sa chronique de samedi, très lisible par morceaux) "impossible de réformer, blablabla", c’est peut-être vrai, mais ça ne sert visiblement à rien. Et ça commence à me fatiguer aussi, à titre personnel. Je trouve aussi pénible les couplets des uns et des autres. Ils ne mènent à rien et j’ai de plus en plus de mal à penser que ceux qui hurlent à la réforme sont les gentils de l’histoire. Après tout, il y a un côté ping-pong dans ces affrontements verbeux. Les vrais réformateurs dans ce pays, vont devoir sortir de cette logique. Et une fois que ce sera fait, là oui ils pourront dire que les syndicats étaient des cons. Pas avant.