Une émission bien peu capitale

Ce blog ayant ces derniers temps, pour des raisons essentiellement conjoncturelles, réduit le rythme de ses piques envers Nicolas Sarkozy, je m’y colle, avec le commentaire rapide de la première moitié de l’émission Capital de dimanche dernier, consacrée aux prix trop élevés, dont notre futur-ex ministre des finances était l’invité.

Sur la forme, l’émission était particulièrement rébarbative, avec des reportages longs et filandreux dont le contenu informationnel final pouvait se réduire à une ou deux phrases, entrecoupés d’un entretien plutôt complaisant de Nicolas Sarkozy avec un journaliste qui, respectueux d’une triste tradition française, n’avait pas la moindre intention de poser une seule question dérangeante (comment peut-on à la fois se déclarer libéral et vouloir imposer la baisse des prix par fait du prince aurait été, au hasard, une tentative louable). Lorsqu’à la publicité il a été annoncé qu’ “après la pub, on verrait comment en une nuit a été arrachée une décision de baisse des prix : un véritable western!!!!” n’y tenant plus j’ai laissé tomber, et raté la seconde moitié de l’émission.
Sur le fond, les enseignements de l’émission étaient bien minces. La vie est-elle trop chère en France? Les vraies raisons des plaintes des consommateurs vis à vis du niveau des prix depuis le passage à l’euro – l’écart entre l’inflation perçue par les français et l’inflation mesurée par l’INSEE – ont été mises de côté. N. Sarkozy a d’ailleurs montré rapidement qu’il préférait de loin la démagogie crasse à l’explication aride mais concrète : dès le début, il n’a pas manqué d’annoncer que “l’inflation est un concept, personne n’y comprend rien, même les spécialistes” (sic) et autres “les français ont raison de trouver que la vie est trop chère”. Nous apprenons donc que le ministre des finances ne lit pas les notes produites par ses propres services; les spectateurs pouvaient aussi comprendre qu’ils n’avaient aucune chance d’avoir une explication prosaique, du genre de celle-ci.
Le premier reportage consacré au prix de la tomate, du producteur au consommateur, était d’une longueur excessive et aurait pu se limiter à sa conclusion, dans laquelle le journaliste s’étonnait de ce que la même tomate faisait l’objet, dans les grandes surfaces autour de la ville de Rennes, de prix très variables, et plutôt élevés, le même jour. C’est la marge des détaillants et ses variations qui expliquait à la fois le niveau des prix et leur variation d’un hypermarché à l’autre. Le journaliste constatait par ailleurs que la marge des distributeurs était répartie différemment selon les enseignes (par exemple, les écarts de prix sur un même produit viennent en partie de ce que tel jour, l’hypermarché A va faire une promotion sur la tomate et se rattraper sur le concombre, tandis que l’hypermarché B fera l’inverse). Ce que les économistes appellent la discrimination tarifaire. Or la discrimination tarifaire, et des prix variables dans un même lieu sur des mêmes produits, ne peut signifier qu’une chose : Un manque de concurrence entre distributeurs. Ce n’est pas un scoop : la concurrence en France n’a jamais été une priorité des gouvernements, de gauche comme de droite. En matière de grande distribution, de la loi Royer aux lois Galland et Raffarin, tout a été fait pour faciliter la concentration des enseignes, limiter leur capacité à se concurrencer, et limiter l’entrée de concurrents étrangers (notamment les hard-discounters). On rencontre ce problème dans énormément de secteurs d’activité : on peut noter la marge de 170% réalisée par les industriels de la téléphonie mobile sur leurs services, ou la récente plainte d’une association de consommateurs envers les banques pour tarification opaque et concertation.
D’ailleurs, ironiquement, le fait qu’il ait été possible pour Sarkozy d’obtenir de la part des industriels et des enseignes de la grande distribution une baisse de prix de 2% – objet du second reportage – ne fait que confirmer cette absence de concurrence. Car après tout, si la concurrence était si réelle, il aurait été impossible aux producteurs et distributeurs de baisser leurs prix, puisqu’ils auraient déjà été au niveau le plus bas possible. Obtenir, même de haute lutte, une baisse des prix, ne fait que rendre évidente la concurrence insuffisante qui prévaut en France. Le reportage traduisait d’ailleurs la façon amusante dont la baisse des prix décidée d’en haut a été appliquée, démontrant par l’absurde le côté Gosplan de la baisse des prix tendance Sarkozy : certaines baisses de prix n’ont été atteintes que par la vente de produits en lots énormes, ou par l’utilisation de moyennes non pondérées (pour baisser en moyenne ses prix de 2%, un producteur baisse de 20% le prix d’un produit qui se vend mal, et maintient le prix de ses autres produits).
De cela, il n’a pas été question dans cette émission. Sarkozy a bien expliqué qu’il avait été victime du “conservatisme” lorsqu’on a évoqué la loi Galland, mais il a pour l’essentiel assuré sa propre promotion de ministre à la fois volontariste et libéral (volontariste quand cela fonctionne, et libéral quand il ne peut rien faire : “mais M. Guy Lagache, le temps est passé ou le ministre des finances décide du prix de la baguette de pain…”).
Volontarisme libéral… Peut-on définir la pensée Sarkozyenne comme l’art de l’oxymoron?

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Alexandre Delaigue

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