L’Assemblée Nationale a voté une loi créant le “contrat de génération” le 23 janvier dernier. Il s’agissait d’une promesse de campagne de François Hollande. Maintenant que sa forme probablement définitive a été fixée, que dire sur le sujet ?
Parlons de la symbolique tout d’abord. Les séniors et les jeunes sont les mal aimés du marché du travail. Le taux de chômage des jeunes est aux alentours de 24%. Et même si les seniors sont nettement moins touchés par le chômage, le licenciement passé 55 ans est souvent synonyme de fin de carrière. Ils sont pourtant l’avenir et la sagesse de notre société. Créer un arrangement qui lie positivement le destin d’un sénior et d’un junior, c’est beau. Tout le monde l’a bien compris.
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? En principe, toutes les entreprises doivent se préoccuper du contrat de génération et négocier avec les syndicats un accord qui montre leur engagement à ne plus laisser nos aînés et nos enfants sur le bord de la route. En pratique, deux catégories d’entreprises seront particulièrement concernées par cette obligation. Les entreprises de 300 salariés et plus, seront contraintes de signer un accord, sous peine de pénalités financières. Si elles s’exécutent sagement, elles bénéficieront en plus… de rien. Pour les entreprises de moins de 300 salariés, celles employant plus 50 salariés et plus seront astreintes à ce régime si elles sollicitent l’aide financière accordée pour l’embauche en CDI d’un jeune de moins de 26 ans et le maintien en emploi ou le recrutement d’un senior de plus de 57 ans. Cette aide, qui sera accordée sans obligation d’accord aux entreprises de moins de 50 salariés, s’élève à 4 000€ par an pour un binôme jeune-vieux. Elle s’étend sur une durée de 3 ans maximum. Outre l’emploi, ce binôme doit remplir un objectif de formation du junior par le senior, dont les modalités pratiques ne semblent pas forcément très clairement définies.
Le contrat de génération est un contrat aidé. Dans le but d’inciter les entreprises à créer ou préserver des emplois, les pouvoirs publics accordent une subvention qui, quelle que soit sa forme, aboutit à réduire le coût du travail pour l’entreprise. Le choix de privilégier les petites entreprises (moins de 50 salariés) tient à leur importance en termes d’emplois (2/3 des emplois du privé, selon l’étude d’impact de la mesure qui reprend des données INSEE) alors même que ce sont elles qui rencontrent le plus de difficultés à recruter, leurs effectifs n’étant pas simplement modulables compte tenu de leur petite taille et de leurs moyens financiers limités.
Le gouvernement attend la signature de 500 000 contrats en 5 ans. Le coût est estimé à 920 millions d’euros annuels, en rythme de croisière, soit à partir de 2016. Le mode de financement de la mesure reste relativement nébuleux. C’est le pool de ressources fiscales du pack compétitivité qui le financera. Initialement, la mobilisation de certaines réductions d’allègements de charges devait le financer. Mais, si j’ai bien tout compris, le patronat et la CFDT ont réussi à éliminer cette option.
En septembre 2012, l’OFCE avait publié un document qui s’interrogeait sur les effets de la mesure proposée par François Hollande. L’étude reprend les caractéristiques connues des emplois aidés pour évaluer l’impact du contrat de génération. Du côté des aspects positifs, on peut retenir trois points :
– La réduction du coût du travail, ce qui est favorable à l’emploi ;
– L’impact positif sur la production ;
– L’effet de “tremplin” de ce type d’emploi, qui en maintenant dans l’emploi des individus qui seraient sans cela au chômage favorise leur insertion ultérieure dans un emploi stable. De ce point de vue, les jeunes chômeurs sont une bonne cible, puisqu’ils sont moins expérimentés et surtout moins qualifiés (rappelons que les jeunes chômeurs sont avant tout des gens peu qualifiés). Et les emplois aidés du secteur marchand sont plus efficaces dans ce domaine que les emplois non marchands. A condition, néanmoins, que la durée du contrat soit suffisante. Or, le contrat de génération porte sur des embauches en CDI. Ce qui est une bonne chose. A un détail près : on peut se demander si imposer ce type de contrat pour des salariés moins productifs (car moins expérimenté) séduira les entreprises.
Du côté des inconvénients, trois types d’effets amoindrissent l’intérêt de la mesure :
– Un effet classique (d’équilibre général) lié au financement : si les prélèvements finançant la mesure ont un impact négatif sur l’offre ou la demande sur l’ensemble des marchés, ils peuvent réduire l’emploi par ailleurs. Autant dire que si cet impact n’est pas simple à mesurer, il doit pourtant être évoqué. Mais c’est surtout deux autres effets qui posent le plus de difficultés.
– Ce type de contrat crée des effets d’aubaine importants. Les emplois qui bénéficient de l’aide sont majoritairement des emplois qui auraient été créés sans aide. Or, lorsque les critères d’éligibilité au dispositif sont respectés, il est impossible de distinguer ces emplois de ceux qui sont réellement impulsés par l’aide. Et ces effets d’aubaine sont énormes, puisque les études sur le sujet les chiffrent, toujours d’après l’OFCE, entre 70% et 85% des emplois concernés.
– A ces effets d’aubaine s’ajoutent des effets de substitution. Les employeurs auront tendance à privilégier l’embauche de salariés qui bénéficient de l’aide, plutôt que d’autres. Dans le cas du contrat de génération, une clause d’accès au dispositif limite les cas les plus flagrants de substitution, en interdisant le recrutement sur un poste équivalent à un poste ayant fait l’objet d’un licenciement au cours des six derniers mois. Mais cela ne supprime pas définitivement les possibilités de substitution. Quand ces deux effets (aubaine ou substitution) dominent, le coût pour les finances publiques est énorme, rapporté au nombre d’emplois nets créés.
En définitive, l’OFCE prévoit un maximum de créations nettes d’emplois de 100 000 sur les cinq ans à venir. Ce chiffre a été repris en boucle dans la presse, comme je le fais ici. Mais il doit être traité avec les plus grandes précautions. Outre que, comme toute prévision, il a toutes les chances d’être démenti par les faits, il se basait sur le projet initialement annoncé par le gouvernement. Depuis des changements ont été opérés, que ce soit dans le mode de financement, qui reste visiblement dans une zone de clair obscur, ou sur certaines modalités d’applications non négligeables, puisque l’obligation de maintenir le senior dans l’emploi pendant 5 ans a été supprimée et remplacée par un maintien annuel (la subvention de 2 000€ par tête disparaissant en cas de licenciement). Ce dernier point peut avoir pour effet de favoriser la mesure ou au contraire de la rendre moins efficace, les voies du lien entre la protection de l’emploi et l’embauche étant parfois impénétrables. Enfin, un point n’est pas évoqué par l’étude de l’OFCE. Il concerne la vitesse de mise en place du dispositif (un point favorable) et l’effet positif, même limité, qu’il peut avoir sur des variables macroéconomiques (consommation ou investissement) ou psychologiques. Mais là encore, outre qu’on ne doit pas s’attendre à des miracles, on peut également craindre une réaction inverse, liée aux anticipations relatives coût du financement.
Pour conclure rapidement, on a avec le contrat de génération un objet essentiellement connu, dont les qualités et défauts le sont tout autant. Le concept contient bien une part d’originalité, notamment en ce qui a trait à la logique de tutorat-formation. Mais il semble aussi que ce soit le volet le moins structuré. Et il ne règle aucun des problèmes de fond concernant l’insertion des jeunes et l’employabilité des seniors.
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