Réduire son temps de travail permet-il d’avoir une vie sociale plus riche, en libérant du temps pour pouvoir se livrer à plus d’activités sociales? Apparemment, non, si l’on en croit ce papier de K. Lamiraud et H. Saffer (version accessible ici; les auteurs ont résumé leurs travaux sur Vox-EU). Je cite (traduction personnelle) :
L’augmentation du nombre d’heures de travail par personne a créé la notion, intuitivement plausible, qu’elle laisse moins de temps disponible pour se livrer à des activités d’interaction sociale. La question spécifique de ce papier est l’effet du nombre d’heures de travail sur les interactions sociales. Il s’agit d’une question empirique difficile, car des facteurs exogènes peuvent accroître à la fois le temps de travail et les interactions sociales. Cet article utilise un déclin exogène du nombre d’heures travaillées en France, suite à une nouvelle loi (ie, les 35 heures). Les résultats montrent clairement que la loi a réduit les heures de travail individuelles, mais rien ne montre que les heures ainsi dégagées ont servi à accroître les interactions sociales.
Voir aussi cet ancien post qui résume entre autres, une ancienne discussion sur ce sujet.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
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- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
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Sur l’équilibre entre bonheur et travail, je vous conseille un bon papier d’Olivier Godechot publié pour la DARES.
olivier.godechot.free.fr/…
Il est tout à fait possible que diminuer le nombre d’heures de travail ne soit pas suffisant pour augmenter les "interactions sociales", toujours est-il que ça semble y être un passage obligé.
Réponse de Alexandre Delaigue
Pas forcément. Le temps dont on dispose ne se divise pas en “travail” et “interactions sociales”. Il comprend aussi d’autres choses, comme “regarder la télé” qui peuvent être réduites quand les deux autres augmentent.
Il serait intéressant de voir si un sondage d’opinion confirmerait cette analyse.
Intuitivement (ou sociologiquement), j’aurai plutôt pensé le contraire : dans la mesure où, dans nos société capitalistes organisées autours du travail salarié, le travail est une des instances essentielles d’insertion de l’individu au sein des interactions sociales, toute diminution du temps de travail doit plutôt diminuer les interactions (ce qu’on sait d’ailleurs depuis l’étude classique de Lazarsfeld sur Les chômeurs de Marienthal). Or, l’étude ne montre aucun lien significatif.
Mon problème avec ce travail est ailleurs : c’est le modèle de l’étude qui me semble poser problème, de même que sa question sous-jacente. Le modèle consiste à poser que les individus arbitrent entre leurs diverses activités, en cherchant à maximiser leur utilité conformément à leurs préférences. Ce qui relève en fait de la tautologie puisqu’on recours pour cela à des préférences que l’on considère comme données. Or c’est ces préférences qu’il faut expliquer, et le faire conduit à sortir de ce genre de modèle. Ainsi si on s’appuie sur les intéressants tableaux statistiques de l’étude, on y voit s’opposer une société américaine où les liens familiaux sont faibles et une société française où ils sont beaucoup plus forts, tout en connaissant une rapide diminution. On peut toujours dire que les préférences individuelles sont différentes entre les deux sociétés, mais ce n’est que reporter le problème, puisque rien n’explique la genèse de ces préférences. Ce qu’on voit là en fait ce sont deux modèles différents du lien social, et le rapide développement du modèle individualiste, où le lien familial décline aux profit d’autres liens, librement choisis mais qui sont aussi plus faibles.
Par ailleurs la question sous–jacente, soulevée notamment depuis les travaux de Blanchard, me semble critiquable. Elle consiste à se demander pourquoi les européens travaillent moins que les américains. Or, à mon sens, on devrait poser la question inverse : pourquoi les américains travaillent-ils plus ? Pourquoi les Etats-Unis sont le seul pays développé où depuis 20 ans a cessé le trend historique voulant que le temps de travail baisse selon des rythmes relativement proches entre les pays (par plus de deux depuis 1900) ? C’est la question que pose vraiment les faits. Qu’est-ce qui pousse les américains à travailler autant, alors qu’ils sont plus productifs, et donc plus riches -renversant ainsi un processus historique de long terme ?
Réponse de Alexandre Delaigue
éléments de réponse à cette dernière question : 1- La réalité américaine du temps de travail est plus contrastée que ce que le temps de travail moyen ne montre. En fait, seule une fraction de la population travaille plus, les revenus moyens et élevés. Le temps de travail a diminué pour les bas revenus. En fait, cela a accompagné l’évolution respective des salaires d’une façon assez logique : ceux dont le salaire augmentait ont travaillé plus, ceux dont le salaire diminuait moins, ce qui a amplifié les inégalités. Pour expliquer les changements de salaire au départ, il faut chercher du côté du progrès technique biaisé et de la politique fiscale, avec l’abaissement des taux marginaux d’imposition élevés à partir du début des années 80.
2- la distinction “travail-loisir” est trompeuse. En fait, les “loisirs” comprennent une part de travail, le travail domestique chez soi : faire la cuisine, tondre la pelouse, etc. Quand on prend cela en compte, on constate que même pour ceux dont le temps de travail salarié a monté, le temps de travail total a baissé avec une réduction énorme du temps passé aux activités domestiques. Les gens vont plus au restaurant, et paient pour la fourniture de services domestiques (société de jardinage qui vient tondre la pelouse). En prenant en compte ce changement de répartition, la tendance historique de long terme n’est plus modifiée.