Tiens, ça c’est une question problématique

pécresse

Valérie Pécresse, de l’UMP, s’est émue de l’aide aux transports accordée par la région Ile-de-France (dirigée par la gauche) aux étrangers en situation irrégulière. C’est une vraie question. Je n’ai pas de réponse. Mais ça n’empêche pas d’en chercher une. Ou deux.

Au départ, les choses semblent assez claires. Si laisser mourir des gens sur son territoire en vertu d’un statut juridique inadapté semble incompatible avec les fondements de notre société, une aide aux transports ne semble pas justifiée. D’autant plus que des résidents réguliers n’en bénéficient pas. De ce point de vue, Pécresse a raison.

Mais on peut s’interroger sur plusieurs points. Dans une logique à la Sen de capabilités ou de biens premiers chez Rawls, où est la limite ? La liberté de se déplacer dans un environnement proche fait-elle partie de ces biens ? Probablement. Doit-on en faire bénéficier les sans papiers ? S’ils ont vocation à être reconduits à la frontière, je suppose que la réponse logique est “non”.

Mais quid de ceux qui sont susceptibles d’être régularisés ? Doit-on considérer que tant qu’ils ne le sont pas, ils doivent se débrouiller seuls ? Si la régularisation repose sur une intégration (notamment par le travail) significative, sur la preuve qu’ils peuvent s’insérer durablement dans la société française, leur interdire une aide qui pourra contribuer à apporter cette preuve n’est plus aussi évident. Au fond, on peut considérer cette aide comme un investissement en capital humain (dans le sens où elle contribuera à les insérer dans un processus de production).

En ces temps de disette budgétaire, on objectera qu’investir dans le sans-papier n’est pas forcément très rentable. Mais justement, quel est vraiment le coût de cet investissement ? Si l’on suit Valérie Pécresse, il est conséquent : « autour de 80-100 millions d’euros », dit-elle. Je crains néanmoins que cette évaluation ne provienne d’un calcul du type 75% du prix de la carte de transport multiplié par le nombre de personnes bénéficiant de la réduction. Un calcul un peu rapide, basé sur un manque à gagner supposé, qui est certainement bien plus faible, voire tout simplement inexistant. Ajouter que cela représente « dix rames de trains neufs » ou « deux fois le plan de bus prévu pour la grande couronne » ne change pas grand chose à l’affaire.

J’avais il y a quelques années écrit quelques lignes sur la question de la fraude dans les transport en commun. Elles s’appliquent encore ici (je suppose en partie dans ce qui suit que vous l’avez lu). Si on assimile les étrangers subventionnés à des fraudeurs (uniquement pour l’analogie entre des gens qui paient et des gens qui ne paient pas), on doit relever, en faveur de l’aide, qu’elle fait voyager des gens qui ne voyageraient pas sinon ou voyageraient sans payer (même pas en payant 25%, du coup). La part des étrangers en situation irrégulière qui sont en mesure de payer les transports en commun à plein tarif est-elle élevée ? Je l’ignore. Supposons pour commencer, ce qui ne semble pas aberrant, qu’elle ne l’est pas.
Quel est l’effet de congestion créé par ces voyageurs supplémentaires ? S’il est faible, le coût de l’aide est en fait limité, car nul besoin, par exemple, de faire circuler des rames de métro supplémentaires pour les transporter. C’est la logique des coûts fixes dans les activités de réseau. Un client supplémentaire ne coûte (presque) rien tant qu’il n’est pas nécessaire d’accroître la capacité de production. Dans cette configuration, faire payer 25% peut s’avérer, au contraire, une mesure de discrimination tarifaire assez efficace, si elle pousse les clients en question à payer les 25% (au lieu de rien du tout). Il est donc théoriquement imaginable que l’aide apporte en réalité un supplément de revenus en faisant participer (même faiblement) les étrangers en situation irrégulière au financement des coûts fixes de la RATP.
Évidemment, si l’effet de congestion est élevé et que la demande de transport en commun des sans papiers est peu élastique au prix, alors l’aide est coûteuse et les estimations à la Pécresse ont un sens.

Contrairement au fraudeur lambda dont je parlais dans mon vieux billet, l’aide peut ici apporter des bénéfices, qui viennent socialement en déduction des coûts occasionnés (c’est la logique de l’investissement en capital humain évoqué plus haut). C’était notre point de départ : ça peut être utile. Un élément à mettre à l’actif de cette mesure.

En conclusion, il me semble que le bon sens est logiquement heurté par un tel dispositif. J’ignore comment le droit l’appréhende. C’est un élément crucial : ce que dit le droit doit être appliqué, il n’y a pas à discuter (si ce n’est pour changer la loi, le cas échéant). L’idée qu’un individu en situation irrégulière (donc qui n’a rien à faire sur le territoire national) soit subventionné pour ses transports n’est pas naturelle. Ce qui milite pour supprimer cette aide. En creusant un peu, néanmoins, on voit qu’il faut se poser la question à deux fois. Du moins, si on applique la rationalité économique. Il n’est pas assuré que les résidents réguliers trouvent davantage de “moments de grâce” dans le métro si l’aide est supprimée. A ce stade, néanmoins, ce n’est qu’une analyse non chiffrée.

Add : J’ai demandé à Maître Eolas si le droit disait quelque chose de précis sur le sujet. Voici sa réponse, via Twitter :

 

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2 Commentaires

  1. Très intéressant, la politique , l’économie et le droit. Il faudrait que cette pédagogie suive les mêmes canaux que les propos de VP…
    Maître Eolas a le don de la compression des caractères ?

Commentaires fermés.