On envisage la possibilité de mettre à zéro la consommation autorisée d’alcool au volant.
Avant de parler d’alcool, rappelons quelques principes de base de l’économie du crime (Voir l’article fondateur de Gary Becker). Un individu commet un crime (compris comme “un truc interdit par la loi”) si son espérance d’utilité est positive. Une espérance d’utilité pour commettre un crime, c’est quelque chose qui a la tête suivante : G – pS. G est l’utilité tirée du comportement criminel, p la probabilité de se faire attraper et S la sanction encourue quand on se fait attraper (la perte d’utilité d’une sanction). Vu l’application qu’on veut faire ici du concept, on suppose que G est certain : quand vous avez bu, si cela vous apporte une utilité, elle sera certaine, avant une éventuelle sanction. Par ailleurs, dans le cas de l’alcoolisme au volant, on peut supposer que G inclut déjà le risque d’accident et ses désagréments potentiels, hors sanction pénale. De sorte que celui qui est pleinement conscient du fait que mourir ou tuer quelqu’un est embêtant voit G baisser, pour un degré d’alcool donné (ce qui veut dire qu’il faudrait détailler G en probas aussi, mais on va le garder tel quel pour simplifier).
De la théorie économique du crime on déduit des principes élémentaires, dont les suivants : si la probabilité de se faire attraper croît, un criminel potentiel reçoit moins de gratification de son crime en espérance. Si la sanction est plus élevée, il en va de même. Dans le cas de l’alcool, si on éduque les gens à comprendre que G baisse quand ils picolent, on réduira leur propension à prendre le volant dans un état litigieux.
Les pouvoirs publics ont pour objectif de limiter le nombre d’accidents imputables à l’alcool. Ils peuvent jouer sur trois leviers : la prévention (réduire G en moyenne), le contrôle (accroître p), la sanction (accroître S). Je crois inutile de préciser qu’à 0,1g d’alcool dans le sang la probabilité que votre comportement de débauché provoque un accident est faible. Il le devient quand vous consommez davantage. Pourquoi pénaliser une faible consommation alors ? Une explication simple est que puisque nous sommes incapables de consommer modérément de l’alcool, pénaliser la première goutte est le seul moyen de s’assurer que les gens ne se laissent pas déborder, afin d’éviter la sanction. Et quand je dis “incapables de consommer modérément”, je veux dire “en toute bonne foi”. Au jour d’aujourd’hui, je suis dans l’incapacité de mesurer à titre personnel la limite de consommation qui me conduit à dépasser les 0,5g. Les indications en termes de nombres de verres sont utiles, mais trompeuses. Si j’ai bien tout compris, l’importance de la masse musculaire modifie le taux d’alcool dans le sang, de même que les quantités de nourriture ingurgitée avant et, très certainement, d’autres paramètres physiologiques propres à chacun. A titre d’exemple, j’ai subi des alcootests (ballon ou éthylomètre professionnel) qui m’ont laissé totalement interdit, en regard des x verres annoncés par la prévention routière. Bref, 0,5 ou 0,6, je ne sais pas quand je les atteins. Pour éviter que des gens comme moi deviennent dangereux, il faut les tuer interdire l’alcool est une idée.
A une première condition néanmoins. Il faut que la pénalisation de cette consommation sans vrais risques soit suffisamment inférieure à celle d’une forte consommation. Si par exemple la perte de points liées à une consommation disons inférieure à 0,5g est quasiment identique à celle liée à une consommation supérieure, alors la mesure est grotesque. Si on vous ôte 4 points pour une consommation entre 0 et 0,5g et 6 points entre 0,5 et 0,8g, vous ne distinguerez que faiblement les deux seuils. Alors, pris pour pris, autant l’être pour quelque chose, n’est-ce pas ? Sauf si vous n’avez plus que 3 points sur votre permis, évidemment, mais cela signifie que l’on veut dissuader les gens de perdre leur permis, pas de boire… Et évidemment, si vous pénalisez de façon trop insuffisante la faible consommation, la mesure est totalement inefficace, sauf à accroître les sanctions existantes pour un degré supérieur. Mais en accroissant les sanctions pour la tranche 0,5 à 0,8g par exemple, vous allez rapidement vous heurter à une réalité tragique : il n’y a que 12 points sur un permis. Tant qu’à faire, rétablissons la peine de mort pour ceux qui conduisent avec 0,51g. Et je ne vous parle même pas des contraintes politico-économiques diverses (lobbying, popularité). Bref, l’idée est certainement bonne, dans le sens où elle permet de gérer certaines limites des législations actuelles, mais elle évolue sur un méchant fil du rasoir. Ajoutez à ça que, pour faire une comparaison avec la politique monétaire et la barrière du taux zéro, si ça ne marche pas, on n’a plus de cartouches…
D’autre part, 2012 sera finalement une année incroyable pour moi. Pour la première fois de ma vie, je lis et entends un truc de Chantal Perrichon, la présidente de la Ligue contre la violence routière, que je ne trouve pas absurde en soi :
“Appliquons déjà ce qu’il en est avec le 0,5 pour obtenir des résultats extrêmement importants. Ce n’est pas le cas actuellement. C’est décrédibiliser la loi que de faire de nouvelles lois qui ne sont pas appliquées”.
Elle souhaite, plus de contrôles, donc augmenter p. Le problème de la Ligue, c’est leur obsession du contrôle des vies au nom de leur sauvegarde. A un point qui peut s’avérer vraiment inquiétant. Mais elle s’aligne implicitement sur ce coup sur une idée simple : si ce qui est dangereux, c’est un taux supérieur à x, alors assurons-nous que celui-ci soit respecté et ne pénalisons pas un jeune avec un permis probatoire pour… une bière. Quant à la faisabilité de l’augmentation des contrôles, “aux bons moments et aux bons endroits”, comme elle le dit, je me demande sérieusement si nous disposons vraiment de marges de manoeuvres aussi larges. Les ressources policières sont ce qu’elles sont. Et elles seront distraites d’autres missions. Est-ce faisable ? Question ouverte, dans un premier temps. Dans un second temps, j’y crois très peu. Une fois les dispositifs connus, le contournement des points de contrôle récurrents s’organisera. On peut arriver à des aberrations en la matière. Mettre un point de contrôle à proximité d’un grand axe routier, moins dangereux (une entrée d’autoroute, par exemple) peut amener des conducteurs à prendre – bourrés – des axes plus dangereux (comme une départementale). Bref, là aussi, fil du rasoir.
Que va-t-il se passer ? Ma prévision : on va emmerder et sanctionner les gens plus qu’avant et, malheureusement, les résultats seront jugés positifs sur le court terme puis médiocres à plus long terme. On mélangera les effets de la mesure et les changements de comportements ou d’autres paramètres qui réduisent le nombre d’accidents. Une nouvelle majorité viendra et elle mettra elle aussi son grain de sel, dans les mêmes termes. Pendant ce temps, les vrais dangers publics continueront à rouler n’importe comment car, même avec la peine de mort, ils le feraient. Mais bon, j’imagine qu’il faut essayer.
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