Sur Marginal Revolution, Tyler Cowen se demande ce qui, en économie, est à la fois nouveau et essentiel (nouveau signifiant postérieur à 1990, les années 80 constituant l’apogée de l’ère de la modélisation). Pour Matthew Kahn, ce sont les interactions sociales : l’envie, l’altruisme, le désir mimétique et la volonté de “rester dans la course”, la religion, la coexistence de différents groupes, et leurs effets économiques et non économiques. Il cite par ailleurs un séminaire récent de l’université de Chicago dans lequel Becker, Glaeser et Ackerlof ont décrit ce qui constituait, selon eux, les questions économiques les plus importantes.
Pour ma part, et sans être forcément très original, je citerais deux domaines qui me semblent à la fois nouveaux et susceptibles de changer radicalement la science économique :
Le premier, c’est la neuro-économie, la convergence entre neurosciences, biologie évolutionniste et économie (voir cet article). L’économie comportementale n’est pas un domaine récent; mais elle prend de l’ampleur avec à la fois la capacité d’analyser le fonctionnement du cerveau face à des décisions, et le fait que la biologie évolutionniste utilise désormais des outils bien connus des économistes, notamment la théorie des jeux, pour expliquer l’évolution des espèces et l’émergence des organes. Bref, tout cela constitue un cocktail à la fois modélisable, fondé sur des résultats empiriques solides; si jusqu’à présent l’économie comportementale n’a pas pris d’ampleur, c’est qu’elle est difficile à modéliser et qu’elle pose des problèmes à la science existance : mais si elle devient modélisable avec des outils connus des économistes (si par exemple l’altruisme peut être expliqué en termes de théorie des jeux, et validé empiriquement par des mesures neurologiques) il ne sera plus possible de l’ignorer. Et là, tout est à construire.
Le second, c’est l’économie expérimentale. On me dira que ce n’est pas quelque chose de nouveau : ce qui est nouveau par contre, c’est l’utilisation d’expériences naturelles plutôt que d’expériences en laboratoire. C’est à dire, le fait d’identifier dans des ensembles de données un facteur qui permet d’identifier une causalité là ou on ne mesurait qu’une corrélation. L’exemple classique est celui présenté par Levitt (spécialiste de ce genre de choses) : augmenter les effectifs policiers dans un quartier réduit-il la criminalité? A priori, on ne peut se contenter de mesurer la présence policière, la criminalité, et de conclure : en effet, il y a de bonnes chances pour qu’on augmente la présence policière lorsque la criminalité augmente dans un quartier, ce qui pourrait donner l’impression que plus il y a de policiers, plus il y a de criminalité! pour avoir une réponse, il faut identifier un moment ou la présence policière a fluctué dans un quartier pour des raisons identifiables et indépendantes de la criminalité (par exemple, nous sommes une année électorale, et le maire a demandé à la police de se remuer). C’est bien entendu la spécialité de Steven Levitt; Plus récemment, par ailleurs, Piketty a utilisé ce genre de méthodes pour identifier l’effet de la taille des classes sur la réussite scolaire. Cette forme d’expérimentation est véritablement novatrice et susceptible d’apporter beaucoup, pas seulement en économie d’ailleurs, mais dans toutes les disciplines qui ont du mal à effectuer des expériences de laboratoires concluantes.
Et vous? Quelles nouveautés importantes, depuis 1990, citeriez-vous, qui sont à la fois importantes et véritablement novatrices?
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Soyez indulgent, je suis un des "nuls" auxquels ce site s’adresse, bien qu’ayant recu un vernis d’enseignement en ecole de commerce:
Un aspect qui m’a l’air nouveau c’est la prise en compte de la rarete des ressources en economie (autres que le travail), et de l’integration dans de nouveaux indicateurs ("green GNP") du cout de la consommation de ces ressources. Certes une ressource peut etre consideree comme du capital donc une variable presente depuis les premiers balbutiements de l’analyse economique, mais je ne connais point d’auteurs qui aient analyse leur cout en relation a leur epuisement futur, ni qui aient theorise le "juste" investissement scientifique et technologique qui nous permettent de s’en affranchir. (En gros combien depenser pour passer du petrole a l’hydrogene comme nouvelle source d’energie avant qu’il n’y ait plus une seule goutte d’or noir sur cette terre, ou comment moderer les emissions de CO2 sans stopper l’activite economique).
En ces temps de production accrue cela m’a l’air critique, a moins que l’incertitude sur les stocks de ressources et l’issue incertaine d’un investissement en recherche fondamentale n’en rendent la formalisation mathematique impossible ou peu significative…
Quelque chose de nouveau et essentiel me paraît être l’hétérogénéité des firmes. Le fait que sur un même marché se trouvent des entreprises avec des productivités différentes, grandes ou petites, qui exportent ou qui n’exportent pas, qui ont des stratégies de spécialisation différentes (verticale ou horizontale). Et que des modèles permettent de l’expliquer et de le prendre en compte. Cela est en train de complètement transformer l’économie internationale et permet d’enfin comprendre quelque chose à la mondialisation, l’outsourcing, la fragmentation de la production, etc. (parce qu’on en était resté à des modèles où les échanges s’expliquaient entre pays et où toutes les firmes avaient le même comportement). Voir les travaux d’auteurs comme Antras, Helpman, Melitz, Eaton, Kortum.
Bon c’est une petite hypothèse nouvelle dans un champ de la théorie déjà bien renouvelé par Krugman et Helpman dans les années 1980 avec la concurrence imparfaite et les économies d’échelle. Donc ce n’est pas à mettre sur le même plan que la neuro-économie ou l’économie expérimentale, mais c’est bien la preuve que l’économie progresse.
@Epicier : cela existe, et ce n’est pas particulièrement neuf. Il y a des choses sur ce sujet par Solow et Hotelling, entre autres. Sinon, la reformulation du PIB est un serpent de mer qui ressort régulièrement, mais qui il est vrai fait un peu plus parler d’elle ces derniers temps.
@Jean Dubois : c’est une petite hypothèse mais si c’est opérationnel, cela peut permettre des progrès dans tout un tas de domaines. Effectivement, c’est un exemple très pertinent.
@Jean Dubois et Econoclaste : sur l’hétérogénéité des firmes, je signale que la théorie évolutionniste a déjà fait plein de chose! Une preuve, sur le lien hétérogénéité des firmes et échange international, le livre de Moati, 1992, qui a précisément ce titre.
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j’en parle d’autant plus volontiers que c’est ce livre qui m’a incité à orienter ma réflexion sur l’évolutionnisme.
Mais c’est très bien que des approches mainstream s’y frotte 10 ans après :))