Question pour pas un rond [Réponse et commentaires publiés]

Jeu facile, digne des trucs avec des SMS pour gagner un plasma à la mi-temps d’un match de coupe de la ligue.
Quel est le pays qui a connu un taux de croissance de 8,5% en 2006 (et 40% en cumulé depuis 2003) ? Quel est ce pays qui enregistre un excédent fiscal alors que son budget augmente ? Ce pays où les importations ont crû de 19% (et les exportations de 15%), avec un excédent commercial de 6,5% du PIB. Dans ce pays, la pauvreté est passée de 54% en 2003 à 27%, en trois ans. Sa dette publique représentait 121% du PIB en 2004 et 61,8% en 2006. Le taux de chômage : de 21% en 2003 à 9% en 2006. Dernier indice : son équipe a été éliminée en quart de finale du dernier mondial de football (faut bien qu’on justifie le SMS surtaxé !). Alors, cékikidonc ce pays mystère ?
Réponse et commentaires à lire dans le corps du billet.

Vous êtes forts. Le nombre de fois où la bonne réponse a été donnée en atteste. C’est bien évidemment de l’Argentine dont il est question. Certains, que je soupçonne légèrement de malveillance latente, demande quelle est la morale de l’histoire. Il n’y a pas de morale à cette histoire. Pas de morale, parce que sept ans après la crise argentine, il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives. J’ai sciemment tu quelques informations importantes sur la situation économique du pays (l’inflation, par exemple, qui est à deux chiffres officieusement ; la fragilisation des classes moyennes et, tout simplement, une perte de PIB sur quelques années, qu’une croissance soutenue n’efface pas comme ça – à voir cependant…). Mais, comme il semble que beaucoup d’argentins soient soulagés, sans angélisme, de la tournure que prennent les choses, je ne vois pas pourquoi on devrait, nous, être plus pessimistes qu’eux. Que s’est-il passé en Argentine durant ces années ?
Le peso a été dévalué, redynamisant la production locale, quelque peu malmenée par la parité dollar-peso de 1 pour 1 (elle est passé à 3 pesos pour 1 dollar). Dans le contexte de crise, c’était indispensable. Ensuite, la chance s’en est mêlée. La hausse du cours des céréales et matières premières et les débouchés offerts par les marchés d’Asie (les deux sont évidemment liés) ont permis une hausse de l’activité. Les taxes prélevées sur les exportations agricoles ont contribué à l’équilibre fiscal. Le tourisme est florissant, le pouvoir d’achat des visiteurs ayant été dopé par l’évolution du taux de change. La construction, durement touchée par la crise, va mieux. Voilà pour la face visible, macroéconomqiue et conjoncturelle.
En Argentine, après la crise, il existe (au moins) une architecte qui est devenue vendeuse de jus d’orange pour continuer à vivre (un certaine Maria Viegas, dont la guinguette est paraît-il devenue célèbre, citée dans cet article du monde, payant). La création culturelle a connu un certain renouveau, soutenu par les devises des touristes fans de culture latino-américaine. Si la classe moyenne reste globalement encore appauvrie, ces quelques anecdotes, qui se retrouvent dans l’évolution des taux de chômage, montrent à quel point une communauté est capable de rebondir quand certaines conditions sont réunies. Ces conditions, elle sont simples, au fond : des institutions qui viennent palier celles qui sont défaillantes. Une population éduquée et créative, des ressources naturelles inchangées, des solidarités familiales persistantes, une classe moyenne importante (une caractéristique de l’Argentine) mobilisée contre des politiciens (qui l’ont joué fine pour préserver leur pré carré en faisant le gros dos et en bénéficiant à fond de la reprise), autant d’éléments qui ont pu préserver l’essentiel face à l’explosion du système financier. Ce sont ces éléments qui permettent au capital de “revenir” en Argentine, car, suite à la chute du PIB en 2001 et 2002, on sait qu’il y sera rentable, couplé à d’autres facteurs de production présents en quantité et en qualité. De ce point de vue, on assiste simplement à un rattrapage en bonne et due forme, comme les théories de la croissance nous l’enseignent. Concernant l’emploi, Jean Dubois l’avait bien expliqué dans ce texte, le chômage, au fond, ça n’existe pas. Une situation comme celle qu’a connu l’Argentine le montre bien. Quand il s’agit de vivre décemment, ce qui compte n’est plus de savoir si on a un job valorisant socialement, selon des critères rigides, mais de savoir si ce qu’on fait est utile aux autres, s’ils sont prêts à payer pour cela. Bien sûr, je m’attends à des commentaires outrés sur ce point, qui vont me parler des chômeurs français, de la misère des délocalisés, etc., etc. Las… Contrairement à certains, je ne compare pas la France à l’Argentine. En revanche, ça n’infirme en rien cette idée que l’emploi n’est pas une variable fixe, à partager, mais la résultante d’un effort toujours identique de rechercher dans la division du travail les moyens de satisfaire des besoins encore non satisfaits. Une situation à l’Argentine le met simplement en évidence de façon spectaculaire.

Ce que les argentins ont montré encore une fois, c’est qu’une économie n’est pas une entreprise. Un pays ne fait pas faillite. La faillite, c’est la disparition pure et simple de l’entité en perdition. L’Argentine n’a pas disparu. Sa capacité de résilience apparente est à ce stade frappante. L’avenir nous dira si elle méritait tant qu’on s’y arrête.

Share Button

41 Commentaires

  1. Espagne (ils ne dépassent jamais les quarts de finale en coupe du monde)

    Réponse de Stéphane Ménia
    Loupé 🙂

  2. Un pays avec une croissance aussi insolente, ça doit être l’argentine. Cela dit ne connaissant rien au foot, je ne suis pas bien certain 🙂

  3. C’est le Portugual, à penser que certains pays refusaient qu’ils rentrent (avec l’Espagne) dans l’UE sous pretexe qu’ils sont très pauvres.

  4. le mexique!!??
    qui pourrait etre en train de se relever de sa torpeur economique issue de la crise qui l’avait frappé (il est trop tard pour l’heure!)

  5. Je pensais à l’Argentine remontant de sa situation difficile, mais je crois qu’ils ont été plus loin que le quart de finale au foot. M’enfin moi l’économie et le foot ça fait trois.

  6. le bresil?
    Si oui, a defaut du plasma, je me contente d’un panier garni, voire d’un jambon a l’os…

  7. L’Argentine (?)
    Dont il faut dire qu’ils sont partis de très bas après la purge du FMI, et que l’inflación y est importante

  8. Les dates sont fantaisistes et les chiffres exagérés, mais à écouter notre président, je pense qu’il s’agit de la France d’après.

  9. Argentine.
    Quelle est la morale de l’histoire?

    Sinon pour la livraison de l’écran, ce ne sera pas possible tout de suite, je m’absente quelque temps.

  10. L’argentine, sûr.
    Ils avaient sûrement une meilleure commission pour la libération de la croissance que nous 😀
    (Pour l’écran, recontactez-moi)

  11. Argentine.
    Mais ils trichent, nous aussi on peut faire pareil avec une bonne crise économique. Ah non, l’Europe nous en empêcherait. Saleté d’Europe.

  12. C’est l’Argentine, on pouvait hésiter avec le Bresil sur l’élimination de la coupe du monde mais les données economiques correspondent à l’Argentine.

  13. L’Argentine, oui, non?
    Et Barca, bonne question, quelle est la morale de l’histoire?
    Un spécialiste de l’Argentine pour nous faire un petit topo?

  14. Je crois pourtant qu’il y a une morale à cette histoire:
    La crise argentine a été la conséquence de la politique exigée par le FMI, la dette tenant les Argentins à la gorge. La mesure la plus intelligente, et là est la morale, a été de rembourser intégralement la dette, quitte à souffrir encore quelque temps, ce qui a été le cas.
    Les Argentins ne dépendent désormais plus des décisions de la banque mondiale (nord-américaine) ni du FMI.
    Ils sont libres, pour le meilleur et pour le pire, à eux de savoir ce qu’ils feront de cette liberté.
    Les premiers résultats ne semblent pas si mauvais…

  15. "La faillite, c’est la disparition pure et simple de l’entité en perdition."

    Cette situation c’est plus la liquidation que la faillite. D’ailleurs les faillites personnelles aboutissent rarement sur une exécution…

  16. Bonjour,
    Vous dites dans votre billet :"un pays ne fait pas faillite". Bon, admettons. J’ai cependant un peu de mal ( et notamment concernant la France ) avec certains raisonnements et discours récurrents qui semblent partir d’un postulat selon lequel l’Etat est solvable pour toujours, et que par conséquent il ne peut pas y avoir faillite ( en particulier par exemple de notre beau système de sécurité sociale ). Vous me direz peut-être, l’Etat et le pays, ce n’est pas pareil. Dont acte mais tout de même… Je ne suis pas du tout économiste aussi ces questions me passent largement au-dessus de la tête, néanmoins votre avis et celui de vos commentateurs sur la question m’offrira sûrement de quoi réfléchir. Merci.

  17. Autrefois, il y a bien longtemps, les Etats pouvait faire faillite, ou plutot banqueroute. Ils disaient à leurs créanciers d’aller se faire f***, qu’ils ne rembourseraient pas leur dette (en fait, c’était plus compliqué: on annulait certaines dettes, on renégociait les plus importantes.) L’Espagne a fait ça plusieurs fois au 16e siècle. En 1917, les bolcheviques ont considéré qu’ils ne leur incombait pas de rembourser les dettes de la Russie tsariste.
    Le système financier moderne s’est développé à la fin du 17e siècle en Angleterre. L’Etat est alors devenu sur le marché du crédit un super-acteur en lequel les prêteurs avaient super-confiance. L’accroissement de la dette publique en Angleterre (pour des raisons purement militaires, hein, il n’y avait pas de sécu à l’époque) a entraîné la création d’une banque nationale pour gérer la dette, puis cette banque s’est mise à émettre des billets de banque, elle s’est mise à réescompter les lettres de change. Elle s’est mise à prêter aux autres banques et elle a joué un rôle de stabilisateur du marché du crédit.
    Depuis lors, sauf en cas de révolution communiste (mais il faut avouer que ça ne court pas les rues), les Etats ne font plus purement et simplement banqueroute. Si les prêteurs commencent à douter de la capacité d’un Etat à rembourser ses dettes, les taux d’intérêt augmentent, puis les prêteurs refusent de prêter. Puis c’est le FMI, qui prête à condition que le pays fasse un certain nbe de réformes drastiques pour rétablir ses finances publiques. (Attention, je ne suis pas en train de dire que la France est sur le point d’aller au FMI!)
    A cela, il faut ajouter qu’un déficit trop important génère de l’inflation (c’est pour ça que l’UE surveille les déficits.)
    Mais tant que le PIB d’un pays augmente, la dette peut augmenter, puisque les recettes fiscales augmentent aussi et que l’Etat a donc la capacité de rembourser. On dépense maintenant un argent qu’on va collecter plus tard, mais qu’on va collecter sur un pays plus riche (hopefully.) Tout ça ne veut pas dire qu’on peut être complètement insouciant en matière de dette publique. Emprunter pour investir dans l’éducation et la recherche, ce n’est pas emprunter pour financer des dépenses courantes qu’on n’a pas réussi à financer par l’impôt.
    A l’époque ou Keynes était à la mode, on considérait que creuser le déficit public relançait la croissance, et qu’on rembourserait en période de croissance forte, et meme qu’on mettrait un petit matelas de coté pour la relance d’après. Mais Keynes n’est plus trop à la mode.
    Après, il y a toutes les question sur ce que l’Etat peut faire, doit faire, sur la manière de répartir l’impôt, etc. C’est ce qu’on appelle la politique.8

Commentaires fermés.