Quelques mots sur les comptes du chômage

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Les chiffres du chômage en février, mesurés par le nombre d’inscrits à Pole emploi, sont sortis. Ils ne sont pas terribles.

En début de mois, l’INSEE avait publié sa version. Ces chiffres étaient, eux, encourageants. Rapidement, il a été expliqué partout dans la presse que cette divergence correspondait à des méthodes de calcul différentes. Pour le dire assez vite, le chômage calculé par l’INSEE prend en compte le comportement de recherche d’emploi des gens sans activité (grosso modo, si vous ne cherchez pas vraiment du travail, vous n’êtes pas chômeur), alors que Pole emploi donne une évaluation purement administrative (le nombre d’inscrits). Des écarts peuvent donc apparaître. Pointer à Pole emploi n’implique pas nécessairement d’être en véritable recherche d’emploi, ce qui réduit le nombre de chômeurs au sens de l’INSEE (et du BIT, dont elle retient la méthode de comptage). A un moment du temps, on peut aussi enregistrer davantage d’inscrits qu’auparavant, ce qui aura tendance à faire diverger les évolutions (une hypothèse est que des jeunes puissent avoir récemment trouvé un intérêt à s’inscrire pour bénéficier de services de Pole emploi). Circonstance aggravante, les derniers chiffres de l’INSEE reposent sur un questionnaire de l’enquête emploi qui a été subtilement (mais sans vice) remanié depuis les résultats précédents, pouvant objectivement conduire à modifier les réponses et le décompte des chômeurs pour l’institut. En d’autres termes, on ne sait pas ce qui explique le décalage à l’instant t.

Il est de notoriété publique que le sous-emploi ne se limite pas non plus au nombre d’individus dépourvus de toute activité. Ceux qui ont une activité (involontairement) fortement réduite ne peuvent pas être traités de la même façon que ceux qui occupent des emplois à temps plein ou à temps partiel “raisonnable”. C’est ce que capturent les catégories de Pole emploi. Juger du niveau du chômage passe par la prise en compte de ces situations. Au delà, on peut également tenir compte des sorties du marché du travail, en comptabilisant les chômeurs découragés. On voit bien néanmoins que plus on s’éloigne du coeur de la définition du chômage retenu aussi bien par Pole emploi pour la catégorie A que pour le BIT, les difficultés de mesure croissent et on peut se demander si établir un diagnostic de synthèse nécessite de s’attarder longuement sur ces aspects. Après tout, même si je ne milite pas pour l’ignorer purement et simplement, il est rare que le halo du chômage soit élevé quand le nombre d’individus dépourvus de toute activité est faible…

Une fois que tout ceci est dit, comment appréhender les chiffres du chômage ? Quelques principes simples et raisonnables peuvent être avancés :
– ne pas s’attacher à des variations de trop court terme, comme le mois ;
– si l’on retient un indicateur possible comme baromètre, garder toujours le même et ne pas en choisir un quand cela arrange notre point de vue ;
– considérer les différents indicateurs comme complémentaires.
Ces principes sont au demeurant compatibles avec l’exercice du pouvoir et une perception suffisamment rigoureuse et réaliste de la situation du marché du travail.

C’est pourtant tout le contraire que fait en général le gouvernement dans sa communication. Sur le premier point, on pourra dire qu’il est pressé de se justifier chaque mois. Ce n’est pas faux. Avec un président du principal parti d’opposition qui demande tous les mois la démission du gouvernement dès que les chiffres du chômage sortent, pas facile de garder son sang froid (en même temps… il est tellement risible celui-là qu’il me semble plus utile d’en rire que de paniquer). Mais le gouvernement et le chef de l’État n’étaient pas obligés d’entrer dans le jeu tel qu’il a pu le faire, espérant que le pile ou face mensuel lui donne raison. Après tout, s’il avait d’emblée choisi de se référer aux chiffres de l’INSEE, avec un peu d’habileté politique, il aurait pu commenter flegmatiquement les chiffres mensuels de Pole emploi et focaliser son exercice de communication sur les chiffres trimestriels de l’INSEE. Mais, après presque deux ans au pouvoir, en niant subitement la pertinence des chiffres de Pole emploi et en faisant mine de ne porter crédit qu’à ceux de l’enquête emploi, Michel Sapin se ridiculise clairement, violant avec beaucoup de désinvolture le second principe énoncé plus haut. La raison d’être des statistiques, comme le dit une maxime populaire, est peut-être de nous donner raison, mais il y a des limites. A tout prendre, autant inventer son propre indicateur, c’est plus crédible… Et c’est d’autant plus stupide que le troisième principe donne la possibilité sur plusieurs mois de dresser des bilans nuancés qu’une bonne communication peuvent rendre bien plus vendables que les niaiseries et contorsions autour des frémissements d’inversion de courbe.

Aucune naïveté dans mon propos. Quand on est dans un système démocratique et médiatique comme le nôtre, de tels arguments peuvent sembler dérisoires. Néanmoins, force est de le constater : le gouvernement s’est planté en prenant la voie qu’il a choisie.

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