Quelques leçons pour défendre sa subvention

Quand vous bénéficiez d’un dispositif par lequel l’Etat assure la rentabilité de votre activité, vous y tenez. Vous consacrez donc une grande énergie à en obtenir le maintien, notamment dans la presse. Inutile de dire qu’il est alors recommandé d’utiliser les arguments les plus bidon possible. Quelques exemples illustrés par cet article du président de la fédération des promoteurs et constructeurs :

L’auteur cherche à défendre les dispositifs Borloo-Robien de défiscalisation de l’investissement immobilier.

– Première leçon : sans ma subvention, il n’y aurait rien. L’auteur nous explique donc qu’environ 200 000 logements récemment construits font l’objet de ce dispositif, DONC que ce dispositif a permis la construction de 200 000 logements. C’est oublier l’effet d’aubaine : de nombreux logements auraient été construits de toute façon, que ce dispositif existe ou non. Combien? Impossible de le savoir, mais le chiffre réel des logements nouvellement construits du fait de la loi doit donc être revenu significativement à la baisse. “Où logeraient donc ces 196 000 ménages et à quel prix si ces logements n’avaient été construits ?” nous demande l’auteur. Mais si effectivement il existe 196 000 ménages souhaitant être logés et solvables, pourquoi la construction a-t-elle besoin de subventions pour les satisfaire?

– Seconde leçon : ça crée des emplois. Petit rappel de la première loi du discours économique : quand une quelconque dépense publique ou activité est défendue sous le prétexte que “ça crée des emplois”, c’est toujours une ânerie. Si la somme consacrée à la subvention n’avait pas été dépensée là, cet argent n’aurait pas mystérieusement disparu : il se serait retrouvé soit dans la poche des contribuables (un cas rare, certes) soit consacré à d’autres dépenses publiques. Dans tous les cas, cet argent aurait été dépensé par quelqu’un, quelque part, et aurait de toute façon “créé des emplois”. On ne le rappellera jamais assez, le meilleur moyen de “créer des emplois” par la subvention reste encore de payer des gens à creuser des trous pour les reboucher ensuite.

Et ce serait sans doute plus efficace : l’auteur nous indique que le dispositif coûte 400 millions d’euros par an, pour la création de 1.7 emploi par logement construit. On a déjà vu que le nombre de logements construits du fait de ces dispositifs était grossièrement exagéré; mais même en retenant les chiffres de l’auteur, qui conclut à 100 000 emplois créés par an, cela représente un coût de 40 000 euros par emploi créé. En somme, non seulement ces emplois ne coûtent rien aux entreprises qui les génèrent, mais elles réalisent au passage une petite marge sur les embauches effectuées. Si l’on voulait “créer des emplois”, payer des gens à creuser des trous serait certainement plus efficace.

Dernière leçon : ma subvention ne bénéficie pas aux riches, mais aux “classes moyennes”. Nous apprenons donc que “plus de 50% des investisseurs sont dans la tranche des 14% (d’impôt sur le revenu)”. La tranche en question correspond à des revenus imposables compris entre 11 000 et 25 000 euros annuels, qui comprend effectivement le revenu médian français; mais ou, exactement, dans cette tranche, se situent les investisseurs en question (qui au passage, voient leur revenu imposable diminuer précisément du fait du dispositif?) probablement, plutôt vers le haut. Et rappelons qu’en France, le 9ème décile (les 10% de plus hauts revenus) se situe à 33 000 euros.

Si l’on suppose que les 50% restant du dispositif vont en totalité aux revenus des tranches supérieures, et que celui-ci est plutôt concentré dans le haut de la tranche des 14%, il n’est pas du tout impossible qu’au final, 80% des bénéficiaires de ce dispositif appartiennent aux 20% de français aux revenus les plus élevés. Evidemment, vu comme cela, ce n’est plus tout à fait la même chose.

Je n’ai pas d’avis sur les dispositifs Borloo et Robien d’aide aux logements; à la base, si l’on veut soutenir le logement, subventionner les investisseurs n’est pas la chose la plus stupide à faire, loin de là (au passage, si quelqu’un connaît une évaluation sérieuse de ces dispositifs, qu’il n’hésite pas à la poster dans les commentaires). Mais s’il n’y a que ce genre de justification bidon à avancer en leur faveur, ce n’est pas très encourageant…

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Alexandre Delaigue

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18 Commentaires

  1. La tranche 14% ne correspond pas aux revenus entre 11 000 et 25 000 euros mais au quotient familial entre ces deux mêmes valeurs.
    Si cela ne change rien pour les célibataires ou les couples sans enfants à charge, pour une famille avec 2 enfants à charge, cela signifie un revenu moyen par adulte du foyer compris entre 16500 et 37500 euros. Et avec 3 enfants à charge, on est entre 22000 et 50000 euros.
    Là, on commence à mordre sérieusement sur le 9ème décile…
    Oui mais les déciles (du moins ceux que j’ai utilisés) sont aussi calculés sur la base du revenu fiscal du ménage, par unité de consommation; donc les deux types de données sont homogènes.

  2. Comme vous l’aviez dit dans un billet il y a un an (Pourquoi se loger coûte de plus en plus cher?) les problèmes de logement sont dûs à une série de lois qui raréfient l’offre.

    Et si ces lois étaient abrogées, permettant plus de construction et une baisse des coûts administratifs? Cela n’aurait-il pas des conséquences positives pour les promoteurs et constructeurs, en plus de rendre le logement abordable? Messieurs les promoteurs (comme dirait Dutronc), changez donc votre ritournelle!

  3. Un autre piège dans le langage de cet article : 50% des investisseurs ne représentent pas 50% des investissements…

    Très juste 🙂

  4. Je ne suis pas économiste, mais je connais un peu le milieu de la promotion. La défiscalisation et les faibles taux d’intérêt ont produit une ruée des promoteurs sur le foncier, qui a vu son prix augmenter. Le coût de production, et donc de vente du logement également. La promotion a vendu la défiscalisation ET le rendement locatif. Cela adonné une spirale qui fait que que la production a concerné essentiellemnt des petits logements (du studio au 3 pièces) et à de loyers qui sont progressivement sortis du marché. D’ou des invendus actuellement. Et l’impossibilité de beaucoup de personnes d’acquérir des logements devenus trop chers, en plus de l’augmentation des taux d’intérêts.

    A Gu Si Fang: quelles lois (au sens règlementations ?) raréfient l’offre ? L’offre est actuellemnt assez abondante au ponit que la promotion réduit sa production. Les invendus ne sont pas que dans les petites villes uù il n’y avait pas de marché au départ…

  5. Les données ne sont pas si homogène : un couple avec deux enfants de moins de 14 ans, cela fait 3 parts (1 + 1 + 2 * 0,5) mais seulement 2.1 unités de consommation (1 + 0.5 + 2 * 0.3).

    Il faut également prendre en compte l’abattement de 10%.

    Ainsi, le haut de la tranche (25000 euros) correspond à un revenu de 39700 euros par unité de consommation pour un couple avec deux enfants.

  6. @ jicé

    La liste est longue et ancienne :

    – plafonnement des loyers par diverses méthodes plus ou moins "violentes" (principalement les lois de 1914 puis de 1948 puis Quillot 1982) ce qui a pour effet de baisser la rentabilité du locatif et donc de réduire mécaniquement l’investissement

    – la protection des locataires, même indélicats (toujours Quillot 1982) qui a les mêmes effets que le plafonnement des loyers

    – les normes (surface, sanitaires, phoniques, thermiques) qui augmentent le coût et interdisent de louer une chambre de bonne de moins de 9m² mais autorisent de dormir dans une tente de 2m² 🙁

    – le secteur social qui représente déjà 1 résidence principale sur 6, et qui continue de croître "pour combler le retard" (loi SRU de 2000) alors qu’il sera toujours structurellement en pénurie (puisqu’il doit être loué en-dessous du marché, sinon il ne serait pas social)

    – et surtout (surtout) la stérilisation du foncier (code de l’urbanisme, PLU, autorisations préfectorales, permis de construire etc.) qui raréfie inutilement cette ressource précieuse, contribuant largement à la formation de bulles spéculatives locales

    A côté de tout cela, on trouve une succession de lois "incitatives" (Périssol, Robien, Besson, Borloo) qui essaient de contrecarrer les effets précédents. Mais, dira-t-on, on n’empêche la construction, on l’encourage au contraire par ces incitations fiscales! N’est-ce pas un contre-exemple flagrant? Que nenni! Grâce à ces subventions, nous réussissons l’exploit d’avoir un surinvestissement à certains endroits et sous-investissement ailleurs. Il est même parfaitement possible d’être en situation de pénurie tout en ayant un surinvestissement global. En effet, le nombre de logements n’est pas le seul critère. Si les logements construits ne répondent pas aux besoins (notamment de localisation) des clients, leur prix de vente sera inférieur à leur coût de construction (subvention comprise). C’est-à-dire qu’on aura beaucoup investi, mais une partie de ces investissements sera perdue, d’où la pénurie.

    Dans le genre pire que nous, on peut regarder nos voisins d’outre-Manche. Baladez-vous autour de Londres sur Google Maps (option satellite) et vous verrez de nombreuses zones pavillonnaires relativement peu denses. Une petite maison (80m²) dans un bon quartier (Kew) à 25km de la City peut se louer 3000 euros par mois. Comme par hasard, l’immobilier est un secteur qui n’a pas été déréglementé dans les années 1980. Le Town and Country Act instaure des ceintures vertes autour des grands villes et empêche la construction d’immeubles plus denses. Or il suffirait de relativement peu de constructions pour faire baisser fortement les prix (faible élasticité de la demande).

    Quel est l’effet de ces lois? Elles créent de la pénurie : nous avons moins de m², moins bien situés et moins beaux que ce que nous devrions avoir. Et elles effectuent un transfert de richesses sur le marché immobilier, allant des nouveaux entrants vers les déjà-propriétaires. Comme pour les licences de taxis, par exemple.

  7. Sur l’efficacité de la dépense publique, le coût effectif par emploi ne serait-il pas de 4 000 euros par emploi plutôt que 40 000 ?

    Vous avez raison. Faut que je révise ma table de 10 🙁

  8. "Quel est l’effet de ces lois? Elles créent de la pénurie : nous avons moins de m², moins bien situés et moins beaux que ce que nous devrions avoir"

    Sur les "moins de m²", je veux bien; mais "moins bien situés et moins beaux", ça reste à prouver. Nous payons la "muséification" de Paris, il me semble. On n’a rien sans rien. Si vous déréglementez, vous aurez des grandes tours au-dessus de Saint-Germain-des-Prés.

    Les Parisiens veulent garder leur ville intacte, à taille humaine, et conserver un environnement physique dans lequel il est aisé de se sentir cultivé, branché et de gauche. C’est une demande sociologique forte. Ca va être difficile d’aller contre.

  9. Juste un complément d’info sur le calcul de la défiscalisation pour une tranche à 14% :

    Le principe c’est de retirer 10700 € (déficit foncier créé par les lois Borloo ou de Robien)de ses revenus imposables.
    On multiplie 14% par 10700 et l’on obtient l’ économie d’impôt annuelle.
    Ce qui fait qu’un couple sans enfant qui gagne 1500 € / mois chacun aura autant d’économie d’impôt qu’un couple qui gagne 2300 euros par mois chacun (haut de tranche à 14%).

  10. @ FC

    D’accord avec vous, je constate souvent qu’il est difficile de convaincre mes amis de déréglementer complètement la construction à Paris. Essayons quand même! En général, leurs certitudes se lézardent dès qu’on aborde deux points :

    1) Les programmes de constructions planifiés par la collectivité sont laids. Et si vous pensez que c’est de l’histoire ancienne (picasaweb.google.fr/steph… ), jetez donc un coup d’oeil aux programmes en cours (picasaweb.google.fr/steph… ).

    2) Si on regarde les incitations dans les deux cas de figure, elles sont totalement différentes. Le programme public de logements sociaux doit faire du quantitatif sous contrainte budgétaire. C’est en gros le cahier des charges qui est donné aux architectes. La valorisation patrimoniale n’est pas un critère significatif, car les HLM sont rarement conçus pour être vendus.

    Le promoteur, à l’inverse, doit faire un produit qui maximise peu ou prou son profit. Pour cela, il vaut mieux qu’il soit beau et perçu comme un bon placement patrimonial à long terme, car c’est un critère important pour les acheteurs.

    La différence entre programme public et promoteur privé, c’est donc que le promoteur a une incitation à construire quelque chose d’assez beau pour pouvoir le vendre. La meilleure façon de faire monter la qualité esthétique des constructions privées, c’est la concurrence entre promoteurs, et non la réglementation des façades. Personne n’a réglementé le design de l’iPhone, que je sache!

    Evidemment, si une commune ou un arrondissement est la seule à libéraliser son marché immobilier, alors que tout le reste du marché reste sous contrainte, on va y voir pousser les tours comme des champignons. Il faut donc que tout soit déréglementé simultanément (via l’abrogation des lois en question) afin qu’on puisse tendre vers un équilibre entre la densité des logements et leurs qualités esthétiques. Je ne pense pas que la densité augmenterait beaucoup. Encore une fois : la demande est très peu élastique, c’est-à-dire que 1% de logements en plus feraient baisser les prix de beaucoup plus que 1%.

    Pour les promoteurs et les constructeurs du BTP – ceux qui réclament des subventions – le bilan d’une telle déréglementation est difficile à prévoir car deux effets jouent en sens inverse. D’un côté les obstacles à la construction freinent leur activité, de l’autre les programmes subventionnés Robien and Co. les aident. Si on supprime les deux, je ne sais pas lequel des deux effets l’emportera.

  11. @ jicé (merci à Alexandre qui valide sans broncher mes multiples posts, après je me calme)

    "Les invendus ne sont pas que dans les petites villes où il n’y avait pas de marché au départ…"

    Dans certains zones hyper-demandées et hyper-contraintes, les prix se sont envolés sous l’effet de la baisse des taux en 2003 et de la faible élasticité de la demande. Nous assistons donc à l’éclatement de ces bulles. Même aux US, la bulle est localisée. Vu de loin on a l’impression que tout le marché s’est emballé, mais c’est loin d’être le cas.

    L’éclatement de ces bulles révèle donc la vraie nature de certains mauvais investissements. Quand les coûts de construction ont été élevés et que le marché se retourne, les promoteurs ne savent pas encore combien ils vont perdre d’argent. Plutôt que de baisser massivement leurs prix pour écouler le stock, ils baissent petit à petit en espérant trouver l’équilibre. En attendant, certains programmes restent avec des invendus sur les bras.

  12. Rue Françoise Dolto, ça jette, comme adresse.

    L’efficacité de la régulation pour maintenir Paris beau ne réside pas dans les nouveaux programmes, mais dans le gel de l’ancien parc… Là-dessus, malheureusement, je pense que les Parisiens ont raison: le marché ne leur construira pas de plus beaux immeubles que ceux qui existent. Mais bon là c’est une question de goût. Pour ma part j’ai du mal à faire la différence entre ce que les architectes construisent quand on leur donne beaucoup d’argent et ce qu’ils font quand on leur en donne peu. Tous les arts se sont un peu déconnectés du peuple ces dernières décennies; mais pour l’architecture ça se voit plus…

  13. comme je n’y connais rien en dispositifs robien, je vous propose d’autres moyens de défendre ses subventions
    1- s’inspirer des méthodes de négociations en vigueur dans le milieu du cirque équestre. Très apprécié au ministère de la culture.
    2- si ca ne suffit pas, appeler le secrétaire d’état en charge des relations avec le parlement, et lui demander simplement comment faire pour récupérer la thune.

  14. @Gu Si Fang: ce que vous dites repose sur l’hypothèse que l’extérieur d’un immeuble importe autant aux propriétaires que l’intérieur (en supposant des propriétaires). C’est vrai pour les maisons individuelles, qui reflêtent l’ame de leur propriétaire :->. Mais pour les immeubles collectifs, tout indique au contraire que pour les propriétaires, ce qui compte, ce n’est pas ce qui se voit, c’est ce qui ne se voit pas (l’intérieur, auquel toutes les ressources sont réservées) . Il suffit de penser aux réglementations forçant les propriétaires à entretenir leurs façades. Si on est dans une ville qui a des immeubles avec cour intérieure, lorsqu’on rentre et qu’on voit l’intérieur qui n’est pas soumis à réglementation, c’est le choc: on croirait voir un taudis alors qu’à l’extérieur c’est un bel immeuble bourgeois avec des médecins, des avocats…La concurrence pousserait les promoteurs à minimiser les couts qui sont peu importants pour leurs clients. Si on doit faire des réglementations pour forcer les promoteurs privés à faire des beaux immeubles, ça compte pour un bon point dans votre apologie du marché immobilier libre ? Soit dit en passant, la bourgeoisie a toujours réglementé la construction, dès le moyen-age (voir les magnifiques villes de l’Est de la France : ce n’est pas spontanément que toutes les maisons ont le même style ‘typique’, les propriétaires étaient contraints et forcés…). Et aux USA, j’ai lu que le même genre de marché profondément réglementé rêgne dans tous les quartiers huppés sans même parler des quartiers fermés qui sont de véritables entreprises où tout ce qui concerne l’apparence est contrôlé par le rêglement intérieur.

  15. En liaison avec le sujet du billet, citons une nouvelle fois un grand monsieur, Robert M. SOLOW, dans un article du printemps 1983 : "Be a little cynical when you see any group, whether it’s bankers, or businessmen, or trade unionists, or college professors, advocating their own self-interest on the grounds that it will be good for society."

  16. @gerard

    Dès qu’on voit un résultat qui a l’air bien foutu, beau, efficace etc. on ne peut s’empêcher de penser qu’il a été pensé dès le départ. L’idée que quelque chose d’organisé puisse surgir du désordre du marché nous dépasse. C’est le syndrome de l’intelligent design 😉

  17. J’ai un bémol, qui sort de la suite de commentaires.
    La subvention peut avoir une utilité si elle s’adresse à un organisme non rentable (éviter que la cocotte minute n’explose dans les quartiers via les organismes d’insertion par exemple) ou sur des activités pas encore rentables comme une startup innovante (pas forcément voire surtout pas internetophile). Elle permet à mon avis de développer une activité encore inconnue
    Je me trompe?

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