E-24 m’a fait passer cette après-midi le bac de philo, avec quelques autres, sur ce sujet. Le résultat est ici. Les contraintes de volume étant ce qu’elles sont, c’est forcément un peu bref. Et vous, qu’en pensez vous?
Question subsidiaire : pensez-vous, comme moi, que depuis la fin du 19ième siècle, les sciences sociales ont apporté une bien meilleure connaissance du monde que la philosophie à la même époque?
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Pour répondre seulement à votre première question, j’ai l’impression que les choses importantes sont plutôt bien rappelées dans l’article, pour un sujet proposé à des lycéens : autarcie et bien-être, gains à l’échange "nationalement" ou "internationalement", jeu à somme positive gagnant-gagnant si échange bilatéralement volontaire par des parties informées, spécialisation et avantage comparatif, division du travail, variété accrue des biens et services produits, libre-échange et protectionnisme.
"pensez-vous, comme moi, que depuis la fin du 19ième siècle, les sciences sociales ont apporté une bien meilleure connaissance du monde que la philosophie à la même époque ?"
Au sens où le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus fabriqué, certainement, puisque par définition, ce qui est fabriqué l’est à partir d’une représentation pré-existante.
"pensez-vous, comme moi, que depuis la fin du 19ième siècle, les sciences sociales ont apporté une bien meilleure connaissance du monde que la philosophie à la même époque?"
sérieusement, ce genre de questions…
Je ne connaissais pas "l’école de guerre économique", dont le directeur a lui-aussi répondu à E24.
Ce nom est assez magique. J’ai même cru au fake au début.
"pensez-vous, comme moi, que depuis la fin du 19ième siècle, les sciences sociales ont apporté une bien meilleure connaissance du monde que la philosophie à la même époque"
Je le pense d’autant plus que, pour moi, la philosophie ne parle pas du monde mais d’une idée du monde très peu opérante en dehors du champ purement académique, tandis que les sciences sociales, même si elles travaillent aussi à une certaine modélisation du monde, vont s’y frotter au monde, comme toutes les sciences, ne serait-ce que pour valider ou invalider leurs modélisations, mais aussi pour gagner leur place dans le champ académique, en tant que science justement.
Seconde question : probablement, surtout si on place la philosophie analytique au second plan. Cela dit, est-ce le but de la philosophie d’apporter « une connaissance du monde » de même nature que celle des sciences sociales ?
Je suis tout à fait d’accord avec la deuxième proposition.
Les sciences expériementales sont devenues bien plus difficiles à comprendre, et n’expliquent pas grand-chose à notre propre vie (seuls les charlatans appliquent la relativité à l’esprit humain) mais en contrepartie, peuvent revendiquer d’avoir amélioré la qualité de vie (iPods grâce aux progrès sur la maîtrise du magnétisme…)
Les sciences sociales, elles, se sont complexifiées, mais ont bien aidé à comprendre le monde des humains.
La philosophie s’est complexifiée sans se trouver d’application autre qu’elle-même. Pour comprendre les philosophes actuels, il faut avoir lu Les Lumières, mais aussi Sartre et Heideger. Et je ne vois pas à quelle fin cela a si l’on ne voit pas d’intérêt à la philo contemporaine comme fin en elle-même.
Par ailleurs.. Est-ce pour renforcer les stéréotypes sur les économistes qu’aucun d’entre eux n’a même mentionné la possibilité d’échanges non marchands (les sentiments? l’échange intellectuel/spirituel ?).. erf 🙂
Peut-être que Thierry Henri a besoin de tondre sa pelouse lui-même pour une question de stabilité intérieure et de rapport au monde? Ce qui alors nous inclinerait à penser que l’économie est une des façons complémentaires de penser le monde mais non la seule et corrollairement sur la question subsidiaire:
Peut-être que tout simplement la philosophie et les sciences sociales n’ont pas les même objets d’étude et les mêmes objectifs et que si l’on a les deux, l’on peut un peu mieux penser le monde que si l’on engage une compétition?
En lisant le commentaire d’Axonn, il me semble qu’il y a peut-être quelque chose en réponse à ajouter à la question posée : la pratique scientifique en général a depuis le XIXème siècle quitté le stade amateur pour se professionnaliser et de ce fait, se voir contrainte de contribuer d’une manière ou d’une autre à un certain service social, parfois difficile à discerner dans le cas par exemple de la recherche publique en sciences de l’éducation, et ce, au détriment parfois de la quête de la vérité qui semblait historiquement l’animer.
Pour autant, cet éloignement de la quête de la vérité ne me semble pas incompatible avec une contribution croissante à une meilleure compréhension du monde : notamment, lorsque le projet de société au sein duquel elle se pratique ne semble plus réellement se soucier de s’insérer dans une quelconque notion de vérité ou même simplement de réalité, comme y invite d’ailleurs le dernier idéal en date de l’époque : "Yes, we can".
L’on observera à ce sujet que jamais les romains ne firent preuve d’autant de lucidité envers eux-mêmes qu’à l’aube de leur intégration dans l’univers barbare.
"pensez-vous, comme moi, que depuis la fin du 19ième siècle, les sciences sociales ont apporté une bien meilleure connaissance du monde que la philosophie à la même époque"
Introduction: de tout temps, les hommes ont fait des sciences sociales. Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation et de la crise économique, etc.
1: oui, si on veut
2: ouais, mais la philo, ça répond pas vraiment aux mêmes questions que l’éco, l’histoire ou la sociologie… Ca a pour fonction d’aider les autres sciences en se concentrant sur la question "comment peut on dire que quelque chose est vrai/bon/beau?"
3: Les meilleurs philosophes du dernier siecle et demi on en fait fait… des sciences sociales. Par exemple, Foucault fait de l’histoire. C’est Nietzsche qui a détruit la philosophie en disant: "bon, en fait, tous les jugements de valeurs sont construits historiquement et ont un substrat biologique." De ce fait, il a ouvert la philo vers les sciences sociales.
Conclusion: quel beau sujet!
"pensez-vous, comme moi, que depuis la fin du 19ième siècle, les sciences sociales ont apporté une bien meilleure connaissance du monde que la philosophie à la même époque?"
Difficile comme question… contribuer à la connaissance du monde est l’objectif affiché des sciences sociales, moins de la philosophie. Cela dit:
La généalogie de la morale de Nietzsche (mais est-il inclus dans la période dont vous parlez et est-il vraiment philosophe) a vraiment changé ma vision de la morale et de la place du ressentiment dans les comportements humains.
L’oeuvre de Popper a vraiment changé ma compréhension non pas du monde mais de ce qu’est la compréhension du monde, ce qui n’est déjà pas mal.
Celle de Rawls n’a pas beaucoup changé ma compréhension du monde, mais elle apporte quand même quelque chose, comme une grille de lecture éthique.
En revanche, si vous faites allusion à l’existentialisme par exemple (dont Popper se moque allègrement dans je ne sais plus lequel de ses textes, précisément parce qu’il n’apporte pas grand chose à la compréhension du monde), je ne me sens pas qualifié pour le critiquer, mais il ne m’évoque rien. Autrement dit, quand je pense "Sartre", ça ne m’évoque pas "s’il n’avait pas existé, je n’aurais jamais compris que […]". Mais ça peut venir de ma méconnaissance de son œuvre….
Poser cette question, c’est déjà y répondre… Je la reformulerais donc plutôt: "la philosophie, pourquoi faire?"
Si je dois faire de moins de diplomatie ma réponse est brutale, pourquoi faire? à rien. Les sciences sont de loin supérieure…
Sur la question subsidiaire: c’est sans doute vrai de la philosophie continentale. Sloterdijk ou Sarte ne me paraissent effectivement pas très utiles.
En revanche, sans Russell, Wittgenstein ou Montague, il n’est pas sûr que l’informatique ou le traitement automatique des langues naturelles aurait progressé aussi vite qu’ils l’ont fait en ce siècle. Et en ce moment, il y a pas mal de travaux de philosophes (cf par exemple: pacherie.free.fr/) qui aident vraiment à la compréhension du cerveau.
PS: J’aime bien le programme de terminale mais je ne suis pas sûr que ce soit de la philo vivante!
J.-F. Revel avait en son temps écrit un petit brûlot "Pourquoi des philosophes" où il épinglait (déjà et entre autres) Lacan. Je conseille sa lecture, je l’ai relu tout récemment et il me semble toujours aussi juste et subversif.
Sartre est un grand écrivain, mais en philosophie il n’est pas une référence majeure : mauvais exemple. Foucault ne faisait pas de l’histoire, son travail est plutôt en butte à la méthode de l’historien. Sloterdijke aussi peut éclairer, peu importe qu’il ne soit pas au goût d’un tel ou d’un tel, la philo n’est pas une affaire de corpus mais de rencontre !
j’avais cité Deleuze en exemple de ce qu’un penseur plus récent a pu apporté, mais le message est passé aux oubliettes.. pour d’autres Foucault, et d’autres ce qu’ils veulent. A moi la philo non continentale a moins apporté, mais peu importe, vos angles d’approche de la philosophie sont inappropriés (dans l’ensemble).
Mais peut-on vraiment comparer les sciences sociales et la "philosophie", car la philosophie me semble faire partie des sciences sociales sans en être vraiment une.
Je pense que c’est justement depuis la fin du 19 éme siécle que l’on essaie de faire de la philosophie une science… cela passe alors par une professionnalisation (en dehors du professorat) de la philosophie qui n’a ,je trouve, aucun intérêt. C’est justement la force de cette discipline d’englober toutes les autres, Averroes disait que pour être un philosophe il fallait tout connaître de la physique, de l’astronomie, de la médecine, de la théologie, … avoir une connaissance pluridisciplinaire.
Aujourd’hui on commence justement à appeler à un décloisonnement des disciplines, je pense par exemple à Edgar Morin ( sociologue ET philosophe…)
En somme, il s’agit de pas aborder la philosophie selon une vision utilitariste, mais de voir cette discipline comme une pratique individuelle d’élévation de la pensée.
Alors non, la philosophie n’a pas apporté une meilleure connaissance du monde que les sciences sociales, mais une meilleure connaissance de soi et peut-être un changement de la vision du monde.
"C’est justement la force de cette discipline d’englober toutes les autres, Averroes disait que pour être un philosophe il fallait tout connaître de la physique, de l’astronomie, de la médecine, de la théologie, … avoir une connaissance pluridisciplinaire."
Un slogan complètement dépassé. Cela voudrait dire que je peux affirmer que n’est pas philosophe celui qui n’est pas capable de démontrer que la masse du neutrino est non-nulle.
"Aujourd’hui on commence justement à appeler à un décloisonnement des disciplines, je pense par exemple à Edgar Morin ( sociologue ET philosophe…)"
On ne commence pas. On en parle de plus en plus parce que c’est de plus en plus impossible. Sérieusement, on parle de plus en plus de décloisonner science et philosophie, mais dans les faits, les physiciens étudiant le comportement électrique des ions condensés s’entendent de moins en moins avec les physiciens étudiant le le comportement électrique des ions condensés en solution.
"Alors non, la philosophie n’a pas apporté une meilleure connaissance du monde que les sciences sociales, mais une meilleure connaissance de soi et peut-être un changement de la vision du monde."
Là où j’en doute vraiment, c’est que la philosophie n’a apporté de connaissances qu’à ceux qui l’ont étudiée profondément.
Les sciences sociales ont apporté des réponses sur le comportement humain à ceux qui en avaient vraiment besoin. Peut-être que les politiciens écoutent moins les économistes qu’ils devraient.
Mais les philosophes, peut-on vraiment affirmer qu’ils ont apporté une meilleure connaissance de soi à ceux qui en avaient vraiment besoin ? Est-ce que leur vision du monde touche massivement ?
Pour moi, la philosophie est vraiment trop isolé pour prétendre avoir apporté une telle connaissance.
"même la prostitution, par exemple, est un échange globalement avantageux pour tous"
Je ne comprends pas que l’on puisse tenir ce genre de propos en 2009.
Le fait d’être un "économiste" ne sera pas retenu comme une circonstance atténuante
Innocent, il a bien prcéisé en dehors de toute considération morale.
Econoclaste> les réponses de vos collèges font peur, l’un qui parle de la contraintes de la grande distribution sur les produteurs en la considérant illégitime (!), l’autre qui considère qu’il peut y a voir des vainqueurs et des vaincus lors d’un échange…
@ Axonn : Ce que vous dites me semble très juste.
L’axiome d’Averroes nous indique peut-être que personne ne peut se dire philosophe, statut aussi inatteignable que l’est le savoir universel, mais que chacun peut s’en approcher par l’intérêt qu’il porte aux autres domaines que le sien.
De plus, la force du concept philosophique est de pouvoir s’appliquer au particulier grâce à son abstraction…
J’ai posé l’hypothèse que la philosophie permet une meilleure connaissance de soi, et de sa vision du monde, en me basant sur mon expérience personnelle.
J’évolue dans le domaine de l’économie et je lis avec grand intérêt les essais philosophiques, en plus des lectures de ma discipline.
Et je ne dis pas pour autant qu’un chercheur en physique quantique ne peut rien apporter au monde sans connaissance philosophique, mais plutôt que les concepts philosophiques sont autant de "terreaux favorables" à la réussite de nos recherches.
Comme mon camarade Chanteur De Charme, j’ai pensé à Revel qui, plus radical encore, avait daté la fin de la philosophie, en tant que projet d’explication du monde, au jour de la parution de Critique de la Raison pure en 1781
( A ce propos, on pourra lire avec profit ce qu’en dit Equinox : jazzthierry.blog.lemonde….
Réponse à la question subsidiaire:
Globalement, la réponse est «oui, mais…»
Oui, parce qu’avec Durkheim et Weber, un monde nouveau a vraiment commencé, sur le plan intellectuel, et que leur postérité représente incontestablement un apport décisif à la compréhension du monde. Et je ne parle même pas de l’économie.
«Mais…», outre le fait que la plupart des fondateurs des sciences sociales étaient philosophes de formation, on peut penser aussi que leurs travaux ont été rendus nécessaires par les limites inhérentes à la philosophie post-cartésienne et post-kantienne, pratiquement incapable de rendre compte du «fait social», en raison d’une conception de l’homme foncièrement individualiste.
Il y davantage de «conscience sociologique» chez Aristote que chez Descartes, il me semble…
En revanche, contrairement à plusieurs lecteurs ci-dessus, je pense que la philosophie du XXe siècle, sur son versant "analytique", a représenté un enrichissement décisif. Et, pour rester dans le contexte, je ne citerai que la manière dont elle a pu aider à prendre conscience, précisément, des limites de la conception de l’esprit héritée de Descartes, et d’en mesurer de nouveau la dimension sociale — ne serait-ce qu’à travers une réflexion profonde sur la nature du langage.
De ce fait, il serait difficile, par exemple, de concevoir le développement de l’anthropologie sociale, dans les pays de langue anglaise, sans l’influence décisive de Wittgenstein et de certains de ses disciples.
La philosophie ne cherche pas vraiment à apporter une connaissance du monde, mais va plutôt s’interroger sur une telle connaissance.
D’ailleurs, peut être devriez vous, vous y essayer, cela vous guerirait peut être de l’espéce de scientisme que l’on sent poindre dans votre discours.
Si on devait trouver une utilité à la philosophie, ce serait bien celle de guérir les hommes de certaines de leur idées.
(Et pour rappel, les sciences sociales comme connaissance du monde, c’est déjà une philosophie en soi..)