Public Choice appliqué, le retour

Quand l’obsession française du tramway est sublimée à Marseille…

Rappel des faits : Marseille, comme toute ville de France qui veut attirer le bobo de base (ouai, ok, c’est un peu de la provoc, c’est juste pour signaler que le tram n’est pas toujours et partout la solution la plus efficace), s’est dotée d’un tramway dont le parcours est quelque peu étonnant, dès qu’on aborde le centre ville. Des trajets qui doublent le métro sur plusieurs kilomètres. Des arguments stimulants tels que “Nous allons rendre le boulevard Longchamp aux piétons… en faisant passer le tramway” (bêtement, je pensais que pour créer une zone piétonne sur une artère, il suffisait de mettre des barrières aux extrémités).

J’apprends sur le site de La Provence que les élus marseillais de tous les bords s’entendent pour reconnaître que prolonger le tramway actuel entre la Canebière et la place Castellane, par la rue de Rome est un objectif primordial. Il est, paraît-il, “nécessaire pour l’attractivité du centre-ville et la liaison entre les quartiers Nord et Est”, nous dit le maire.

Repositionnement du problème : distance entre l’arrêt l’actuel et l’arrêt envisagé à la place Castellane : environ 1,2km.
Distance entre l’arrêt actuel et la bouche de métro qui mène à l’arrêt Castellane : au pire, 300m.
Des bus circulent déjà sur le trajet envisagé.
Coût du prolongement : 45 à 60 millions d’euros.

Argument phare suggéré par le journaliste, suite à l’octroi de 4,5 millions d’euros de subventions de l’Etat : ce serait dommage de perdre des subventions qui représentent 10% du projet. Eh oui, bien moins dommage que de dépenser inutilement 90% projet…

Vous l’avez compris, je fais partie des sceptiques, ceux qui soutiennent la polémique sur “le doublon” avec le métro. Mais il paraît qu’elle s’essouffle ! Ben vi, un cadre de la RTM le dit : “Il faut un tram d’autant plus que l’aiguillage, cours Saint-Louis, a été installé” (le cours Saint Louis est la rue qui relie sur 30 mètres la rue de Rome et la Canebière). Bref, comme une évidence, puisqu’on a claqué du fric pour un aiguillage, maintenant il faut en claquer encore plus pour justifier d’en avoir claqué. Imparable.

Mais pourquoi autant de niaiseries ? Il faut passer rapidement par le Public Choice. Un élu et un fonctionnaire ne sont pas par nature motivés par l’intérêt général, mais par leur intérêt personnel. L’intérêt des élus est clairement de dilapider le pognon de tous les contribuables pour satisfaire une partie de ceux-ci, qui leur leur rendront dans les urnes. Et les autres ? Les spoliés ? Tant que le coût subi n’est pas suffisamment élevé car réparti sur un grand nombre. Ils le négligeront, car il ne serait pas rentable pour eux de se mobiliser pour économiser quelques dizaines d’euros. Il y a mieux à faire, en effet : se mobiliser pour obtenir un autre avantage.
Et puis, même parmi les contribuables enfumés, on en trouvera toujours pour considérer que le tramway est le signe d’un développement et d’un dynamisme de bon augure (à la limite, si ça leur fait plaisir, pourquoi pas ? Mais construisons plutôt des statues de Jean Claude Gaudin, l’effet sera sensiblement le même et on peut s’arranger pour que ce soit moins coûteux).

Du côté de la RTM, un cadre a bien évidemment intérêt à faire partie d’une organisation qui génèrent plus de budgets et n’a surtout pas intérêt à s’opposer à la volonté des élus, dont il dépend d’une façon ou d’une autre (c’est si facile d’empêcher à un gars d’adhérer au cercle des nageurs, sans même parler de son évolution de carrière…).

Conclusion : l’évaluation des politiques publiques, faut pas s’y essayer à Marseille. Mais où, d’ailleurs ?

Un petit plan pour fixer les idées. Le trajet envisagé en bleu (avec déjà des bus). Et le trajet en métro et à pied, en noir.

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17 Commentaires

  1. Imparable.

    Je me demande quand même si la tramwisation n’est pas aussi un moyen d’imposer par la ruse des opérations de requalification urbaine type Longchamp. De la vaseline urbanistique en quelque sorte.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Je l’ignore aussi, mais ça peut le faire…

  2. Je ne connais pas Marseille, mais pour que le tram fasse doublon avec le métro :
    – vérifier que la ligne ne "sature" pas. A Paris, le RER A reprends le trajet de la ligne 1, et pourtant personne ne va se plaindre de double emploi. (d’ailleurs, RER A et Ligne 1 sont déjà archipleins aux heures de pointe).
    – considérer la ligne en entier. Alors oui, on peut prendre une correspondance en métro, en bus, ou le faire à pied. Mais, n’est-il pas largement plus pratique et rapide de pouvoir faire ce trajet sans changement, pour ceux qui utilisent déjà cette ligne de tram ?

    Réponse de Stéphane Ménia
    Pas de saturation. Pour ce qui est de la question des prolongations, il faut bien comprendre que le volume de passagers qui transitent n’a rien à voir par exemple (y compris ramené à la population marseillaise) avec le Métro 14 à Paris. Il faut également signaler que la rue de Rome est déjà interdite aux voitures sur la moitié du parcours (donc les bus circulent très fluidement).

  3. Le doublonnage peut se justifier si le réseau doublonné est saturé. À Paris, pour aller de Châtelet à Gare de Lyon, on a le choix entre QUATRE lignes (1, 14, A, D). Ceci dit, je n’ai jamais été à Marseille, donc free guess absolu.

    Réponse de Stéphane Ménia
    En l’état, il n’y a pas saturation.

  4. Venant d’une ville où les transports publiques sont une catastrophe (Nice), j’ai été écœuré depuis longtemps des bus à tel point que je me refuse à les envisager maintenant, alors que je vis à Lyon, et qu’ils sont efficaces.

    Mais, sans parler de coût, c’est vrai que les correspondances lors d’un trajet sont ce qu’il y a de plus horrible, et souvent les plus coûteux en temps.

    La question pour moi serait plutôt: Le prix payé donnera t’il un gain de temps (time is money, isn’t it?) à l’ensemble des passagers prenant le tram et désirant se rendre au point B.

    Il n’y a qu’à imaginer le gain de temps à paris s’il était possible de tout faire sans correspondance.

    D’ailleurs, je crois que de la recherche en urbanisme (version voyageur du commerce) se penchait sur ces questions, telle que : comment créer une ville et un/des trams pour que toutes les habitations se trouvent à moins de 5min à pied d’un arrêt ET qu’on puisse joindre toute la ville avec se tram sans correspondance.
    (il y a des solutions mais principal problème: il faut raser la ville et reconstruire :P)

    Réponse de Stéphane Ménia
    Il faut évaluer le gain et le coût. Qui prend le tram ? Quelle est la disposition à payer pour un rallongement de la ligne ? Toutes ces choses… Le problème du tramway, c’est que sur la partie centre, son intérêt repose largement sur le pari du complexe Euromed (rénovation du port de commerce, supposée amener des entreprises, des salariés qui habitent les logements rénovés du quartier populaire de la Joliette et dynamiser la zone). Or, ce complexe a un coût certain, pour un gain que l’on risque d’attendre longtemps. Son contenu est à ce stade tape à l’oeil. Il a été soutenu par des hommes politiques du 20ième siècle qui veulent donner le sentiment d’être modernes. Ses chances de réussite sont probablement indépendantes du projet lui-même, en réalité. On ne décrète pas une zone d’attractivité autour d’un projet immobilier. Il faut autre chose.

  5. Les subventions de l’État c’est comme les promotions dans les supermarchés, ça pousse aux consommations inutiles ? ^^

  6. >Il faut également signaler que la rue de Rome est >déjà interdite aux voitures sur la moitié du >parcours (donc les bus circulent très >fluidement).

    Sur les 3/4 du parcours en fait (les voitures ne peuvent circuler que sur la moitié du parcours… mais dans un seul sens). Et sur le 1/4 emprunté par les voitures, le bus a un couloir.

    Bon ce bus est souvent blindé, mais je pense que sa fréquence de passage peut être augmentée.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oui, je voulais faire simple…

  7. Notons également qu’il existe un 3ème acteur en plus des contribuables et des pouvoirs publics, bien connu à Marseille (ou ailleurs) et qui se trouve au Milieu. Ceci pouvant, à ma connaissance, fort bien expliquer cela.

  8. La démocratie est bien le pire des sytèmes. Le problème : on n’a pas trouvé mieux.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Notez au passage que personne ici n’a remis en cause la démocratie…

  9. Je suis de l’avis de Maître Cheveu, mais je rajouterais que le Milieu se confond souvent avec les politiques et les entrepreneurs à Marseille. Un des prestataires ne s’appellerait il pas Guérini&Brother? (ca marche aussi avec "Friends").

    Sinon j’adore les justifications pour les dépenses.

    (Pour plus d’informations voir le Canard Enchainé, le Monde, Challenges ou Google. Les Guérini dont je parle sont Jean-Noël, président du conseil général des Bouches-du-Rhône et son frère Alexandre, entrepreneur, qui est actuellement mis en examen pour détournement et abus de divers types, corruption,…)

  10. L’évaluation des politiques publiques en matière de transports ? Peut-être chez Rémy Prud’homme : http://www.rprudhomme.com/ (mais il est vendu à l’Automobile Club) ou Pierre Kopp : http://www.pierrekopp.com/public... (mais c’est un vilain garçon, il paraît qu’il roule en Yamaha).

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oulala, si vous ne nous sortez du chapeau que des gens douteux, on va où, hein ? Je suis sûr qu’ils sont au MoDem en plus. Pardon, qu’ils sont dans le Milieu. Merci pour les liens.

  11. Ravi de vous relire. Sur les transports en commun, et sans trop aller dans le sens de ‘Maître Cheveu’, je suis depuis longtemps persuadé qu’il y a beaucoup (…) de paramètres à prendre en compte.
    Cf Grand Paris : geographie.blog.lemonde.f…
    Mais n’y a-t-il pas une expression française pour ‘Public choice’ ?

    Réponse de Stéphane Ménia
    On voit parfois “école des choix publics”, mais on utilise public choice dans 90% des cas. Je pense, mais ce n’est qu’une intuition sans référence, que c’est l’usage du terme anglais est destinée à ne pas créer d’ambiguïté entre “économie publique” et “école des choix publics”.
    Pour ce qui est du tramway, j’ai lu avec attention l’article, avec un préjugé initial sur l’opportunité de prolonger (échaudé par le tram existant sur sa partie centre ville), mais prêt à lire les arguments en sa faveur. Quand je vois lesdits arguments, je me dis que ça pue.

  12. Ah, les modes municipales…! Les salles polyvalentes (combien de petites communes se sont lourdement endettées pour avoir la leur, comme la commune voisine…),les rond-points ,les ralentisseurs, les rétrécissements de voies…les tramways ! Qu’est-ce que j’ai oublié ?

    Réponse de Stéphane Ménia
    Les radars fixes ?

  13. « L’intérêt des élus est clairement de dilapider le pognon de tous les contribuables pour satisfaire une partie de ceux-ci, qui leur rendront dans les urnes. »
    Très bien dit. J’habite à San Diego. Nous voyons la même chose, le phénomène des fonctionnaires de la ville, organisés en syndicats publiques, qui ont si fortement appuyé les campagnes électorales de certains candidats au conseil municipale que, actuellement, la ville est surendettée, faute des couts de retraites et de l’assurance maladie de ces fonctionnaires votés par le conseil. Autrement dit, nous, les contribuables, payons les salaires de ceux qui se servent de notre argent pour nous endetter. La nouvelle noblesse ?

  14. Vous n’avez en effet jamais remis en cause la démocratie, je ne voulais pas vous faire dire ça, seulement rappeler la justesse du mot de Churchill.

    Réponse de Stéphane Ménia
    D’ailleurs, la formule n’est-elle pas : “la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ?”. De Churchill, j’aime bien aussi : “La première impression est souvent la bonne, surtout quand elle est mauvaise.”.

  15. En tout cas la rénovation de la rue de Rome est primordiale, cette grande artère est complètement laissée a l’abandon, mais bon , habitant rue de la République, je peux vous dire que les travaux ne sont pas le point fort de cette ville, tout dure une éternité…

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