Nouvel obs : précurseur oublié de la no brain campaign

Il y a dix ans de cela, je me suis abonné un an au nouvel observateur. Fatigué de lire, au nom d’un regard iconoclaste sur le sujet, des inepties sur les profs, en phase avec les débordements puérils de Claude Allègre, j’ai résilié mon abonnement. Le temps passe, mais rien ne change.

Aujourd’hui, c’était pédiatre. Et chez la pédiatre, il y avait ce nouvel obs d’avril, avec en couverture un titre qui m’interpelle “Qu’est-ce qu’un bon prof ?”. Je feuillette le truc. Et là, montée de haine. Morceaux choisis.

””5. Travaillent-ils assez ?
(…)Les experts ne s’y trompent pas. «En moyenne, les professeurs ne travaillent pas assez avec leurs élèves. Même si nous en connaissons qui travaillent beaucoup! La preuve? Certains ont le temps d’avoir des activités secondaires rémunérées : l’un fait du soutien scolaire dans une officine privée, l’autre écrit des livres scolaires, celui-là est répétiteur dans un établissement d’enseignement supérieur, celui-ci fait de la formation continue…, rappelle Claude Thélot. C’est un gâchis collectif. L’organisation du métier, trop peu orienté vers l’accompagnement des élèves, ne permet pas de rendre le meilleur service à la nation.»

Moralité, tous les gens qui ont le temps d’avoir des activités secondaires rémunérées ne bossent pas assez. Pire, certains ont même des activités secondaires non rémunérées (suivez mon regard…). Figurez vous qu’il y a même des ministres de l’éducation nationale qui écrivent des livres pendant qu’ils dirigent ces profs actifs et oisifs à la fois. La preuve, donc… Pitoyable approche du problème, on en conviendra. Un prof, ce n’est pas productif. Donc, s’il travaille plus, c’est qu’il ne travaille pas assez. La productivité d’un prof est faible et identique pour tous. Circulez.

6. Sont-ils assez payés ? «4000 euros!»Jean-François Copé, le ministre du Budget, a créé la surprise en affirmant au journal télévisé qu’un professeur certifié en fin de carrière empochait un tel salaire. D’où tenait-il cette information fantaisiste ? La réalité est moins attrayante. Après trente ans de carrière, le certifié titulaire du Capes perçoit entre 2 471 euros et 2 931 euros. Et l’agrégé entre 3 082 euros et 3 615 euros. Pas le Pérou, pour cinq à six ans d’études supérieures ! Mais il ne faut guère accorder de crédit à l’étude de l’économiste Robert Gary-Bobo, souvent cité par les syndicalistes enseignants : le pouvoir d’achat des professeurs aurait baissé de 20% depuis vingt-cinq ans. «Il y a là des erreurs méthodologiques graves. L’auteur a notamment omis d’intégrer dans ses calculs tout ce qui peut s’ajouter au traitement de base des professeurs : indemnités de suivi et d’orientation des élèves pour tous les professeurs du secondaire (97 euros), de ZEP (93 euros), de professeur principal (114 euros), d’heures supplémentaires (104 euros)…», explique Daniel Vitry, directeur de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance au ministère de l’Education. Autre oubli : toutes les activités annexes (cours particuliers, livres scolaires…) qui mettent parfois du beurre dans les épinards. «Il faudrait réfléchir en termes de salaire global, qui inclurait toutes ces ressources, et les faire connaître pour être plus transparent», note Claude Thélot.

Ah, là, franchement, j’ai cru que j’allais m’étouffer. On prend le mec qui est à la solde du gouvernement, on lui fait répondre à côté du sujet et on conclue que Gary-Bobo est un clown. L’étude en question est très claire : elle s’attache à mesurer l’évolution de la valeur du point d’indice. J’avais expliqué ce que cela signifiait et notamment que cela ne voulait pas dire que le pouvoir d’achat effectif des profs avait baissé, la progression à l’ancienneté compensant la dévalorisation du point d’indice pour un individu donné. Citer les compléments de rémunération, qui ont comme contrepartie un travail supplémentaire, pour discréditer l’étude est d’une rare fumisterie. Si vous dites que pour voir son pouvoir d’achat se maintenir ou augmenter, il faut travailler plus, vous reconnaissez implicitement que le pouvoir d’achat d’une heure de travail a baissé. En matière de méthodologie, certains devraient balayer devant leur porte. Dire que les cours particuliers maintiennent le pouvoir d’achat des profs, c’est pareil que dire que le salarié qui deale pour arrondir les fins de mois n’a pas à ennuyer son employeur régulier. Notez ensuite que les rémunérations de type prime de suivi des élèves existaient déjà il y a vingt ans. On voit mal comment, en valeur absolue, elles ont pu jouer un rôle dans l’évolution du pouvoir d’achat. Ensuite, il y a un truc qui me gonfle : l’histoire des livres scolaires. Combien de profs écrivent des livres scolaires ? En proportion, très peu. Ah, ben ils n’ont qu’à en écrire plus ! Parce que vous croyez que si chaque prof voulait écrire un livre, il trouverait un éditeur ?

Tant de connerie en si peu de lignes m’émeut. J’ai encore eu le temps d’apercevoir une ou deux autres pépites (je vous laisse le soin de les découvrir). J’ai pas pu finir, la pédiatre est venue nous chercher et on a amené la petite faire la révision des 18 mois dans la pièce à côté.

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10 Commentaires

  1. Ce genre d’article est en effet assez lamentable
    Pour revenir à l’étude de Gary Bobo, j’avais montré que l’évolution des salaires qu’elle indiquait n’était pas vraie que pour les enseignants mais pour beaucoup de bac +2 ou +4 dont la place dans la hiérarchie des diplômés avait beaucoup baissé sur la période
    verel.typepad.fr/verel/20…

    L’étude disait que les profs avaient échangé des conditions de travail(des classes moins chargées) contre leurs salaires. Dit autrement, la productivité apparente avait baissé
    Mais qu’est ce que la productivité réelle d’un prof?
    Un article d’éconoclaste sur le sujet?

    PS: la petit va t’ elle bien?

    Sur la productivité des profs, j’ai évoqué le problème dans divers billets, même s’ils n’étaient pas uniquement liés à cela. Je ne prévois pas d’aller plus loin pour le moment. Une chose est certaine, ce n’est pas la chose la plus facile à mesurer, voire définir, au monde…

    Quant à la petite, merci, RAS 🙂

  2. Marrant votre papier,
    il faut bien dire qu’aujourd’hui avec une bonne partie de la population qui devient de plus en plus informée/experte (merci Internet). Les journalistes s’en prennent alors à juste titre, plein la tête.

    Ils ne peuvent plus raconter n’importe quoi, on le remarque et on le dit maintenant.

    Il est où est le bon vieux temps du maljournalisme où on l’on pouvait tranquilement affirmer que le nuage de Tchernobyl contournait la France!!

  3. ce qui est amusant c’est que les deux critiques sont contradictoires (ou complementaires, selon les points de vue). Ils ont le temps de faire des boulots a cote, donc ils ne travaillent pas assez. Ils sont assez payes, puisqu’ils touchent des revenus complementaires de leurs a cotes.

    Donc, ils pourraient travailler plus et n’ont pas besoin d’etre augmentes.

    CQFD.

  4. Je dirais deux choses : 1) l’éducation française souffre de certains problèmes, comme tendent à l’illustrer certaines études sur l’illétrisme, par exemple 2) mais parce qu’on prétend lutter (au moins "intellectuellement", déjà trop d’honneur ce terme cela dit…) contre ces problèmes, les profs deviennent vite boucs-émissaires et responsables de la fin du monde et de l’Armaguédon…

    Au fond je crois qu’en plus de cette facilité qu’a la presse à taper sur les profs, il y a tellement d’acteurs et d’intérêts particuliers là-dedans qu’on n’est pas prêt de voir le bout du tunnel, chacun défendant son pré-carré : les syndicats de profs, les profs "non alignés", les fédérations de parents d’élèves, la gauche avec une certaine vision de l’enseignement, la droite avec une certaine vision des fonctionnaires, et j’en passe…

    Finalement tous les acteurs cherchent la maximisation de leur profit individuel, mais au final on est loin d’arriver à un équilibre Pareto-optimal… puisqu’il serait possible de mieux satisfaire bon nombre d’acteurs sans en insatisfaire d’autres. Genre : changer les programmes d’apprentissage de la langue française => les élèves savent mieux écrire => les profs n’ont pas de surcharge particulière de travail => les parents voient leur progéniture mieux formée => au final situation déjà plus efficace…

    (Pardonnez ce dernier paragraphe, de comptoir PMU… Cela dit non, je ne fréquente pas ce genre d’endroit…)

    Enfin bref, il faudrait peut-être (?) prendre le temps de poser tout ça, d’ouvrir un vrai débat où tout le monde serait invité à participer, pour au moins faire un peu de tri entre les clichés (les profs tous des faignants, etc.) et la réalité (par exemple un manque assez clair d’efficacité de l’apprentissage du français, etc.).

    Peut-être que notre Super-Président, de droite, réussira à ouvrir ce genre de débat… avec des esprits apaisés, tant du côté de la presse que de(s) l’autre(s)…

  5. L’article de Gary-Bobo et ses coauteurs est paru dans la Revue d’Economie Politique (voir <a href="legizmoblog.blogspot.com/… Il est facile de parler d’"erreurs méthodologiques graves" sans les prouver : le fait que des primes n’aient pas été incluses altère le message en niveau, mais pas en tendance. Soit Daniel Vitry conteste scientifiquement la démonstration de Gary-Bobo et al., reprend les données initiales, inclut les primes, analyse l’évolution depuis 40 ans et soumet un commentaire à la REP en réponse; soit il se contente d’une opinion, éventuellement respectable, mais qui reste une opinion.
    PS. Personnellement, j’ai une réelle incitation à ne jamais tomber malade : mon médecin est un fan absolu de Jean-Marc Sylvestre…

  6. Toutes les études crédibles faites à ce jour prouvent que mes voisins sont trop payés.

    Pourquoi payer des tas de scientifiques à constater de telles évidences ??? Il suffisait de voir que j’ai la caisse la plus pourrie du parking pour s’en rendre compte.

  7. C’est pourtant vrai : enseignant, c’est un métier facile, que tout le monde
    peut exercer, qui ne demande que peu d’investissement en temps, grassement
    payé.
    On se demande même pourquoi plus de monde ne passe pas les concours…

    Pour se retrouver une bonne dizaine d’années en banlieue dans une Académie
    éloignée…

  8. Gizmo ne change pas de médecin parce que, en bonne théoricienne des jeux, elle veut que quand elle incline à tomber malade la menace "Jean-Marc Sylvestre" reste crédible (et donc dissuasive).

    (J’ai bon ?)

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