Point commun

Quel est le point commun entre le problème des médecins qui refusent de recevoir les bénéficiaires de la CMU; le mouvement des avocats pour la revalorisation de l’aide juridictionnelle; les facteurs déterminant la rémunération des dirigeants de grandes entreprises; et l’interminable débat sur la stagnation du pouvoir d’achat?

Ce point commun, c’est la maladie des coûts.

Rappelons que le principe en est le suivant : dans certains secteurs d’activité, la productivité augmente très rapidement; dans d’autres, la productivité stagne ou augmente beaucoup moins vite. Cette situation produit des tensions sur le marché du travail; Dans les secteurs ou la productivité monte, les rémunérations augmentent; de ce fait, si les secteurs dont la productivité stagne veulent continuer d’attirer du personnel compétent, ils doivent augmenter les salaires à leur tour. Mais comme la productivité n’a pas augmenté, ces hausses de salaires doivent être reportées en totalité sur les prix de vente. Résultat : sans que personne ne soit responsable, ces activités coûtent de plus en plus cher, sans que la quantité de service fournie n’augmente.

Quels sont les secteurs en question? Ils se trouvent essentiellement dans le secteur des services peu intensifs en capital. Il faut toujours à peu près autant de temps à un coiffeur pour réaliser une coupe de cheveux qu’il y a un siècle; il faut toujours autant de temps pour enseigner à une classe qu’autrefois; Par contre, moins d’un million d’agriculteurs produisent aujourd’hui beaucoup plus de nourriture que les 80% de la population française qui travaillaient dans ce secteur il y a 150 ans; par contre, les produits d’électronique grand public, les produits manufacturés, voient leur prix s’effondrer à vue d’oeil. Bernard Salanié montre de façon très nette comment un ensemble d’évolutions techniques et institutionnelles a fait récemment considérablement augmenter le salaire des dirigeants d’entreprises. Le progrès technique actuel, très concentré sur quelques secteurs alors que la demande augmente dans des secteurs où celle-ci stagne, est très propice au développement de la maladie des coûts.

Dans tout cela, ou se situent des activités comme avocat ou médecin généraliste? Plutôt du côté des activités de service dont les coûts augmentent et dont la productivité n’augmente pas. La description du problème des avocats par Maître Eolas est à ce titre éloquente. On peut sans doute accéder plus aisément, via internet, qu’autrefois aux textes de loi, à la jurisprudence; mais dans le même temps, le droit est plus complexe. Au total, le temps nécessaire pour traiter le dossier d’un client doit rester constant, voire augmenter. Pour un médecin généraliste, c’est la même chose. Certes, la médecine a réalisé des progrès considérables; mais le temps nécessaire pour une consultation n’a pas diminué. Dans le domaine médical, les améliorations qualitatives issues du progrès technologiques se sont accompagnées de coûts en hausse. Il est donc parfaitement naturel, dans un contexte dans lequel d’autres secteurs à forts gains de productivité deviennent de plus en plus rémunérateurs, les prix augmentent.

Or c’est le problème de la maladie des coûts : les consommateurs ne comprennent pas pourquoi les coûts de ces activités augmentent alors même que la productivité n’y augmente pas : cela leur donne le sentiment que leur pouvoir d’achat diminue; souvent, ces secteurs correspondent à des dépenses inéluctables, alors que l’achat de produits manufacturés résulte d’un choix. Lorsque des professionnels, qui n’appartiennent pas pour l’essentiel aux catégories les plus défavorisées de la société, veulent élever leurs tarifs sans élever leur productivité (alors que dans bien d’autres secteurs, les prix baissent et la qualité monte), leurs réclamations deviennent rapidement inaudibles. Il faut noter en plus que les professions en question font l’objet d’une méfiance spontanée, dans la mesure ou l’asymétrie d’information entre le client et le prestataire permet à celui-ci de déterminer pour une large part les besoins et la dépense du client. La façon dont les medias rendent compte des manifestations des avocats sont à ce titre exemplaire : leurs demandes ne sont que distraitement évoquées, et leur mouvement cité dans le bulletin des grèves, noyé entre les enseignants et les entreprises publiques de transport.

Pourtant, le fait que des médecins refusent les bénéficiaires de la CMU devrait nous alerter : il y a là un avant-goût de ce qui risque de se passer si l’aide juridictionnelle n’est pas augmentée. Rien n’oblige après tout les avocats à faire du pénal, où à travailler dans des départements où les contraintes d’aide juridictionnelle sont conséquentes. Il n’y aurait alors pas de refus de pratique de l’aide juridictionnelle (ce qui est interdit); simplement, une pénurie d’avocats disponibles et une fuite des bons avocats vers des secteurs et des activités plus lucratives.

Et le problème est le même pour les médecins. Aujourd’hui, pour une durée et une difficulté d’études moindres de celles qui sont nécessaires pour devenir médecin généraliste, il est possible d’acquérir des compétences pour travailler dans la finance, et gagner beaucoup plus qu’un médecin en activité. Certes, cela exige du travail, mais pas beaucoup plus que pour un médecin généraliste exerçant une activité libérale. Le New York Times décrivait récemment la carrière d’un médecin spécialiste en oncologie, diplômé de Harvard, attiré à 35 ans par Wall Street; son activité médicale, bien rémunérée (de l’ordre de 150 000 dollars annuels) lui rapportait dix fois moins que son actuel métier de conseiller en investissements médicaux qui lui permet aujourd’hui, 10 ans plus tard, d’avoir gagné une fortune de l’ordre de 20 millions de dollars, en continuelle accumulation.

On peut pousser tous les cris d’indignation que l’on voudra, mais la réalité est simple : si l’on veut que les gens continuent d’être attirés vers des carrières comme avocat, médecin, mais aussi chercheur, il faudra que ces métiers suivent l’évolution financière des autres métiers exigeant autant d’efforts mais aujourd’hui beaucoup mieux rémunérés, même si cela peut sembler choquant. Après tout, cela n’a rien d’insurmontable : dès lors que la hausse de la productivité dans les secteurs ou elle augmente dépasse la hausse des coûts dans les secteurs où elle stagne – ce qui en moyenne, est le cas – tout le monde se retrouve gagnant. Sauf qu’il est rare de trouver des gens qui considèrent comme légitime de payer toujours plus cher pour un service dont la qualité ne s’améliore pas. Eolas et le mouvement des avocats ont toute ma sympathie : mais je doute qu’ils obtiennent satisfaction – avec les conséquences fâcheuses que cela aura sur le fonctionnement et l’équité de la justice. Les médecins, eux, trouveront aussi des moyens d’élever leur rémunération, de façon moins visible que par le refus de bénéficiaires de la CMU (par exemple en désertant discrètement les zones populaires); là aussi, il n’en résultera rien de bon.

Ce qui est très préoccupant, car toutes ces activités soumises à la maladie des coûts font en même temps partie des plus importantes pour le fonctionnement de la société; à ne pas se préoccuper de ce problème pour économiser des queues de cerise utilisées à colmater les brèches de l’état social-corporatiste, on se promet des lendemains qui déchantent.

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Alexandre Delaigue

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21 Commentaires

  1. Est-ce qu’il ne manque pas quelques variables dans ce modèle de comportement, comme la déontologie ? Attention, je n’insinue pas que les codes de déontologie forcent les médecins à soigner gratuitement ni les avocats à défendre pour pas un rond. Si ma mémoire est bonne, les médecins peuvent refuser de dispenser des soins mais doivent rediriger le patient vers un confrère. Idem pour les avocats, qui sont, me semble-t-il, soumis à certaines obligations (quelques heures de consultation publique et quelques "commis d’office").

    Dans le cas de ces professions libérales, qui choisissent leurs clients, les règlements intérieurs des professions ont prévu que le strict calcul économique aurait les effets que tu decris. Les contraintes que je cite encadrent toutefois leur activité.

    Peut-être est-ce une manifestation de ce que Hume évoque, quand il parle au livre III du ‘Treatise of Human Nature’ de ce qui sauvera les hommes de s’entre-tuer sur la base de leurs calculs coût/avantage, à travers le terme de ‘sympathie’.

  2. Dans le même genre, un bloggeur cite l’exemple des babysitteuses en s’étonnant que leur salaire augmente, bien que leur productivité n’augmente pas et que productivité = salaire. Où est l’erreur?

    J’essaie de comprendre ce qui se passe avec une équation très simple : SH = Q x P

    C’est bien la productivité (en valeur et non en volume!) qui détermine le salaire horaire, lui-même égal :
    – à la quantité de service produite (nombre d’enfants gardés, qui stagne)
    – multipliée par le prix de marché d’une heure de garde (qui augmente)

    Or le prix d’une heure de babysitting augmente en raison de la loi de l’offre et de la demande, parce que la demande augmente. C’est ce que vous semblez expliquer dans votre article : les salaires industriels montent, ce qui augmente le pouvoir d’achat des clients et rend les métiers de service moins attractifs jusqu’à ce que les prix s’équilibrent. Je me trompe?

  3. La théorie me semble inciter à penser que la faible progression de la productivité pourrait aussi provenir des imperfections de concurrence.

    Comment d’un point de vue théorique expliquer que ces secteurs intellectuels réputés intensifs en main d’oeuvre soient précisément ceux qui échappent au champs d’application de la directive Bolkestein ?

  4. (sorry pour le double post)

    Un autre point commun entre les médecins et les avocats (ou les appelés quand le service militaire existait) : ils sont tenus d’effectuer certains travaux à un tarif non négociable et en l’occurrence trop bas. Ce sont en quelque sorte des travaux forcés, et on comprend que cela rende les intéressés furieux. Libérons les prix!

  5. 1. Il ne faut quand même pas oublier la notion de rapport de force, apres tout il s’agit d’acquérir une part plus grande de la richesse collective en compétition avec d’autre claimants.

    2. Il me semble que le salaire moyen d’un chirurgien hospitalier pur (age moyen 56 ans) était de 45000€ par an. Salaire d’entrée d’un HEC de 26 ans approximativement. Et que le chirurgien privé arrivait a 120000€. Il semble que nous ayons des saints laïcs.

    3. Je vois assez peu mentionné la notion du cout des biens "gratuits" (éducation, santé, infrastructure,..) dans la discussion sur le pouvoir d’achat. N’est ce pas une notion pertinente?

  6. Quelques questions :
    1°) Pourquoi une meilleure productivité entraînerait t’elle mécaniquement une hausse des salaires dans ce secteur ? (ce qui semble la pierre angulaire du raisonnement de ce billet)
    2°) Pourquoi, si la meilleure productivité de certains rend globalement malade des coûts, du fait de l’impossibilité structurelle d’autres secteurs à être plus productif, encourager les gains de productivité ?

    YR

  7. Vous pointez avec raison que quand la productivité moyenne monte, même les professions qui n’ont pas de gain de productivité voyent leur revenu augmenté.

    Mais les problèmes qui agitent actuellement la société française sont d’une autre nature. Les exemples que vous citez : avocats, médecins, enseignants et chercheurs bénéficient peu ou pas de gains de productivités et leur revenu sont en partie ou en totalité financé par fond public.

    C’est la deuxième qui pose problème. Les revenus des coiffeurs n’ont – en proportion – pas beaucoup baissé sur la deuxième moitié du siècle. Les revenus des architectes ont eux subis une baisse globale. Ils sont confrontés aux lois du marché et ses évolutions – assez spectaculaire pour les architectes – sont naturelles.

    A partir de là, les revendications des avocats, médecins and Co, ne sont pas si naturelles que ça. Une société évolue sur le long terme, la distribution des revenus entre certaines catégories sociaux professionnelles n’a aucune raison d’être immuable. Quand le corps enseignant augmente très fortement ses effectifs, il ne me parait pas aberrant que la rémunérations moyenne des membres de ce corps baisse par rapport au reste de la société.

    Une compétence rare et utile est chère, mais si elle est moins rare ou moins utile, il est naturel qu’elle soit moins chère.

    Maintenant, la remarque de Gu Si Fang est également vrai. Il est anormal dans une économie de marché d’imposer certains travaux à des tarifs non négociable. Pour régler le problème des avocats – ou des soins de la CMU – l’Etat pourrait mettre en place un système d’enchère inversé. A ma connaissance, ce n’est pas la revendication des avocats 🙂

  8. " si l’on veut que les gens continuent d’être attirés vers des carrières comme avocat, médecin, mais aussi chercheur…"
    Please Alexandre,ou est donc l’evidence que les "gens" ne sont pas attires par ces professions ?

  9. En ce qui concerne la médecine, il faut remarquer que l’accés à cette profession est fortement limitée par le numerus clausus (un comble pour une profession dite « libérale »). Un peu plus de concurrence sur ce marché ne ferait peut-être pas de mal.

  10. @passant: Pour ce qui est des imperfections de concurrence, je ne vois pas trop ce que vous voulez dire. A Paris par exemple, il y a 19.000 avocats et la concurrence est réelle. Pour autant les prix ne baissent pas.

    Plusieurs explications à cela:
    – le fait que la relation avec un avocat soit non seulement une question de prix mais aussi une question de relations
    – les coûts fixes sont plus ou moins constants et limitent une éventuelle évolution à la baisse
    – il y a vraie concurrence sur certains secteurs, moins sur d’autre du fait de l’extrême spécialisation des avocats (ex: droit de la propriété intellectuelle n’est pas droit des affaires …)

  11. Bonjour

    Je voulais savoir ce que signifie l’expression "état social-corporatiste".

    J’aimerais aussi savoir comment on peut faire pour les payer bcp plus, ces avocats et ces chercheurs, ces médecins.

    Et quand vous parlez des queues de cerise, vous pensez à quoi exactement ?

    Une dernière remarque pour finir à propos du médecin en oncologie. Ne pensez-vous pas que le pb se situe plutôt du côté des 20 millions de dollars que du côté des 150 000 ?

  12. François : que des arrangements institutionnels puissent apparaître pour résoudre le problème de la fourniture de services aux plus nécessiteux, c’est certainement le cas; mais ici ce problème de fourniture est un symptome d’un problème plus grand. Le problème, c’est que ces activités de services coûtent naturellement de plus en plus cher; que lorsque les tarifs sont libres, ils montent; mais cela fait que soit la fourniture "service public" va coûter de plus en plus cher à productivité constante – ce qui est un problème pour les finances publiques, il va falloir trouver l’argent quelque part – soit que la fourniture service public ne va pas voir son prix monter et donc diminuer en quantité et en qualité. Ce n’est pas insurmontable, mais ce que traduisent l’attitude des médecins ou le mouvement des avocats, c’est la complète cécité sur une question importante.

    Gu si Fang : 1-oui, ce qui détermine les salaires, ce n’est pas la productivité d’une activité, mais la productivité moyenne dans l’économie, sous l’effet de changements sur les différents marchés du travail. Supposons que le rendement de l’heure de soutien scolaire augmente fortement : la demande augmente, donc hausse des salaires; donc il devient plus difficile de trouver des étudiantes pour du baby-sitting; donc les salaires des baby-sitters augmente sans que leur productivité n’ait augmenté.
    Concernant la libéralisation des prix, elle ne résout pas le problème, pour diverses raisons. La première c’est l’asymétrie d’information entre fournisseur et client, qui pousse les prix vers le haut à un niveau trop élevé. Deuxièmement, l’AJ ou la CMU servent précisément à fournir à faible coût des services pour des gens n’ayant pas les moyens de se les payer. Donc augmenter le prix n’est pas la solution; de toute façon, c’est la collectivité qui paie.

    YR : 1-parce que si la productivité augmente dans un secteur, cela signifie que le travail d’une personne rapporte plus; donc on va chercher à en embaucher plus. 2- parce qu’au final, l’augmentation de la productivité dans un secteur enrichit tout le monde. voir ici :
    econo.free.fr/scripts/faq…

    Henriparisien : voir réponse à françois. Je ne dis pas que le problème est insurmontable : simplement qu’il implique de supporter des hausses de coût à productivité constante. Donc, soit payer plus cher, soit accepter une dégradation du service. Mais ce que traduisent les réactions actuelles, c’est que c’est la seconde voie qui est choisie, tout simplement parce que les finances publiques ont d’autres priorités, nettement plus discutables.

    jck : la formulation est maladroite; ces activités ne vont pas disparaître mais les gens qui s’y livrent risquent, pour cause de rémunérations plafonnées, d’abandonner des activités utiles comme médecin généraliste ou avocat pénaliste, au détriment d’autres, comme conseiller financier médical ou avocat d’affaires. La fractalisation des revenus dans le top 5% traduit ce genre d’évolution. s’y ajoute la multiplication d’articles comme celui du NYT cité dans le post, ou celui-ci :
    money.cnn.com/magazines/f…
    L’effet sur les professions dans leur ensemble de ce genre de phénomène est ambigu; beaucoup de gens pourront y aller pour tenter leur chance, attirés par d’éventuels hauts salaires, pour finalement y faire un travail plus "normalement" rémunéré. Mais le risque, c’est de voir certaines tâches utiles de plus en plus mal fournies.

    TB : c’est certainement utile de remonter les numerus clausus en matière médicale, mais pour d’autres raisons. En pratique cela ne résoudra pas la question des coûts de l’activité; et pour qu’un travail comme généraliste qui exige des études longues et difficiles, puis des contraintes fortes, il faudra une rémunération suffisante; sinon, les gens iront faire autre chose.

    internaute de passage : pour les définitions, google est votre ami. Pour le reste, on peut décider de ne pas payer plus cher, et de ne plus bénéficier du service. Dans le cas de services comme l’aide juridictionnelle, les économies réalisées en la payant un prix faible sont dérisoires, mais rendues nécessaires par la situation des finances publiques mises à mal par des dépenses à la pertinence douteuse, comme secourir des canards boiteux industriels ou maintenir un protectionnisme agricole ruineux.

  13. Bonjour,

    ete si on délocalisait une partie des dépenses de santé ? les économies réalisées (je suis d’un naturel optimiste) ne pourraient’elles pas entre autres permettre de compenser le surcoût de la prise en charge des gens qui bénéficient de la CMU ?

    j’ai aussi une question à vous poser : la productivité qui n’augmente pas chez les médecins et les avocats , est-ce une fatalité ?

    cordialement

    PAULO

  14. "1-parce que si la productivité augmente dans un secteur, cela signifie que le travail d’une personne rapporte plus; donc on va chercher à en embaucher plus. "

    Je ne comprends pas le raisonnement.

    On embauche plus quand la demande est supérieure à ce qu’on peut fournir et que les gains de productivité ne peuvent suffire à satisfaire cette demande.

    Le lien entre gain de productivité et embauche ne me paraît pas du tout évident.

  15. Alexandre Delaigue> « […] pour qu’un travail comme généraliste qui exige des études longues et difficiles, puis des contraintes fortes, il faudra une rémunération suffisante; sinon, les gens iront faire autre chose. »

    Les études longues et difficiles suivies de contraintes professionnelles fortes sont devenues sensiblement plus courantes qu’elles n’étaient il y a quelques générations de cela, dans bien des domaines. Il me semble que la médecine bénéficie encore d’une certaine surévaluation qui tient à son ancienneté parmi les métiers hautement qualifiés, l’influence politique de nombre de ses membres et l’importance vertigineuse de son objet : notre santé et notre mort. Le numerus clausus, tel qu’il est utilisé en France, ressemble beaucoup à un moyen de soutenir la valeur marchande de la médecine en limitant l’offre.

  16. Paulo : on peut délocaliser en partie la médecine :
    econoclaste.org.free.fr/d…
    Mais cela peut se faire pour quelques opérations chirurgicales; pour la médecine générale, c’est plus douteux. Vous pouvez aller vous faire poser une prothèse de hanches au Sénégal de façon rentable; plus difficilement aller conduire votre petit dernier qui a la respiration qui siffle et le nez qui coule.
    Sinon, il n’y a aucune fatalité, simplement un constat : il est beaucoup plus facile d’augmenter la productivité dans l’agriculture, pour la fabrication de produits manufacturés, dans la diffusion des médias, que pour des activités de service nécessitant un contact direct et une prestation personnalisée. Pour prendre un exemple classique, il faut toujours autant de temps pour jouer un opéra de Mozart qu’à l’époque ou ceux-ci ont été écrits… Une plaidoirie, une consultation médicale, prennent un temps difficilement réductible; plus difficilement réductible en tout cas que le coût d’un écran plasma.

    YR : s’il ne vous paraît pas clair que lorsque quelque chos rapporte plus, on en achète plus, il va être difficile de clarifier encore plus. Sinon pour l’autre sujet, il y a des tas de professions sans numerus clausus dont les rémunérations sont élevées; et le numerus clausus en matière médicale , au passage, n’est pas tant une revendication des médecins que de des cadres de la sécurité sociale, dont de brillants penseurs ont considéré à partir des années 80 que réduire le nombre de médecins permettrait de ralentir la hausse des dépenses de santé.

  17. Il me semble qu’il y a une hypothèse sous jacente dans la théorie de la maladie des coûts, et que vous n’explicitez pas. Les questions dans les commentaires et les réponses que vous faites semblent tourner autour de ça, mais peut-être me trompe-je dans mon interprétation : outre l’impossibilité de réaliser des gains de productivité dans ces activités, un autre point commun est que l’élasticité de la demande est extrêmement faible. Si on pouvait substituer de la justice à un autre bien (par exemple des polices privées), la justice disparaitrait d’elle-même. Idem pour la médecine : elle est irremplaçable, d’où le fait que malgré la hausse des couts relatifs, on continue à utiliser des médecins. Personne ne veut voir disparaître les avocats ou les médecins. Il me semble que l’hypothèse d’impossibilité de gans de productivité n’est qu’une partie de la réponse (disons l’aspect ricardien de cette théorie),et qu’il faut aussi spécifier l’aspect demande.

  18. Si mes souvenirs sont exacts, Philippe Simonnot avançait que la rémunération des dirigeants de grandes entreprises avait pour but d’inciter lesdits dirigeants non seulement à ne pas se laisser corrompre contre les intérêts de l’entreprise, mais aussi à se laisser corrompre quand cela était favorable à ces mêmes intérêts. Que pensez-vous de cette analyse, purement qualitative, mais pour le moins intéressante ?

  19. Albert nonyme : Une explication convaincante du salaire des dirigeants doit répondre à un simple test : permet-elle d’expliquer pourquoi celle-ci a aussi considérablement augmenté au cours des 30 dernières années? L’analyse que vous décrivez ne répond pas à ce test, sauf à supposer que les incitations à la corruption ont considérablement changé durant la période (pourquoi, dans ce cas?). Donc je me déclare sceptique.

  20. Les incitations à la corruption ont peut-être changé. Je pense notamment à la croissance très forte du marché du renseignement d’entreprise et de l’intelligence économique (Jules Kroll, par exemple, a fondé son cabinet dans les années 70). Utiliser des renseignements "gris", selon l’expression consacrée (c’est à dire obtenus de manière pas tout à fait morale, mais pas complètement illégale) implique, pour certains dirigeants adeptes d’éthique des affaires, de se corrompre en faveur de leur entreprise. De même, les tentations de corruption contre son entreprise sont beaucoup plus fortes, qu’il s’agisse d’exfiltrer des documents (dont la duplication et l’exfiltration est devenue très facile depuis leur numérisation) ou de parler un peu trop à des enquêteurs dont le nombre s’est multiplié.

    L’explication n’est peut-être pas concurrente, mais sans doute complémentaire. De plus, difficile de la tester, "dans un domaine où les études empiriques sont très difficiles" (comme le dit fort bien Bernard Salanié).

  21. Vous illustrez mon point de vue : il faut aller chercher des explications tirées par les cheveux pour sauver la théorie dès qu’il s’agit de s’en servir pour expliquer des faits. Je continue donc de penser que cette conjecture n’est pas nécessaire, et surtout, parfaitement invérifiable.

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