Un peu plus de temps pour bloguer, le rythme va augmenter. En attendant, un petit paquet sur diverses questions économiques et politiques d’actualité récente.
– Philippe Martin s’interroge sur la proposition d’inscrire des règles concernant l’équilibre budgétaire dans la constitution. cela n’étonnera pas les lecteurs réguliers, cette règle, quelle que soit la forme qu’elle prenne, est une aberration (sur la dette publique, voir ici, ici, ici, ici). Je trouve P. Martin, pourtant très critique, encore excessivement généreux vis à vis de cette idée qui ne fait que reprendre l’obsession malsaine des déficits publics. Il faudrait rappeler une chose simple : rien, strictement rien, dans l’analyse économique, ne permet de savoir quel est le niveau "optimal" de balance budgétaire – laquelle balance budgétaire, de toute façon, ne signifie pas grand-chose. Personne ne peut dire si un déficit de 1, 2, 3%, ou un excédent, ou un solde budgétaire à zéro, constitue le "bon chiffre" – parce que ce "bon chiffre", tout simplement, n’existe pas. L’application de ce genre de règle n’a qu’une conséquence probable, c’est de déchaîner la loi de Goodhart, et d’aboutir à ce que la règle perde toute signification concrète.
– Dans le même ordre d’idées, on apprend que les hausses du SMIC sont vouées à être déterminées par une "commission d’experts indépendants" à partir de 2010, pour éviter la tentation des "coups de pouce" politiques et n’être fondées que sur des critères "économiques". Je sais que beaucoup d’économistes sont favorables à ce genre d’idée, qui est appliquée en Grande-Bretagne depuis que le gouvernement Blair y a mis en place un salaire minimum. Je persiste à penser que c’est une erreur : ce n’est pas le rôle des économistes que de déterminer un "bon" niveau de hausse du SMIC. En matière de salaire minimum, le consensus des économistes peut se résumer aux deux propositions suivantes :
Premièrement, une hausse trop importante du salaire minimum va créer du chômage, notamment chez les individus les moins qualifiés, et aux revenus déjà les plus faibles.
Deuxièmement, une hausse modérée du salaire minimum n’a en pratique aucun effet mesurable d’augmentation du chômage, pour des raisons diverses (qui ne bénéficient pas toutes aux salariés d’ailleurs).
Les désaccords entre économistes sur le sujet portent ensuite sur ce que représente une hausse "trop importante" ou "modérée". Pour aller vite, un Bernard Salanié considérera qu’une hausse du salaire minimum devient très vite "trop importante" alors qu’un Philippe Askenazy aura une conception étendue de ce que constitue une hausse "modérée". Cette différence d’évaluation, en elle-même, pose problème : dès lors que les avis divergent sur ce que constitue une hausse "acceptable" du salaire minimum, comment une commission composée de plus d’une personne pourrait-elle arriver à définir une telle hausse "acceptable"? En faisant la moyenne des différentes propositions? En établissant un consensus? En procédant au vote à la majorité? On le voit, le processus politique revient vite même lorsqu’on cherche à s’en débarrasser. En fonction des règles de décision, la simple composition de la commission peut avoir un impact sur la décision finale.
Et il est normal que le processus politique entre en jeu, parce que la décision d’augmenter le salaire minimum est par nature politique. Il n’existe pas de hausse du SMIC "Pareto-optimale" qui permettrait d’accroître le revenu des smicards sans pénaliser d’autres personnes – qui se trouvent être le plus souvent les plus pauvres (rappelons que le SMIC est pour l’essentiel une redistribution des plus pauvres vers les moyennement pauvres). Elever le salaire minimum est toujours une façon d’avantager certains, et de désavantager d’autres, pour un résultat final incertain (qui fait que compenser les perdants éventuels n’est pas possible). Une telle décision est politique, pas économique. Un économiste qui dirait qu’il existe un niveau "optimal" de hausse du SMIC dirait dans le fond qu’il existe un point ou les pertes d’emploi liées à cette hausse sont suffisamment modérées par les gains des smicards. De quel droit, avec quelle légitimité, peut-il prendre une décision pareille?
Les économistes sont dans leur rôle lorsqu’ils débattent, commentent les décisions publiques. Il est sain que des économistes critiquent les "coups de pouce au SMIC" et que d’autres les trouvent au contraire trop chiches, parce que ce faisant, ils avancent des arguments qui permettent d’éclairer les décisions publiques et les choix des électeurs qui (parfois) les lisent. Ils sortent de leur rôle lorsqu’ils prennent, sans légitimité, des décisions susceptibles d’avantager certains au détriment d’autres, en fonction de ce qu’ils considèrent être un niveau "acceptable" de désavantage. Que l’on fasse une commission chargée de donner un avis dûment justifié, mettant en évidence les divergences de vues entre membres, très bien; que cette commission prenne les décisions à la place du pouvoir politique, c’est antidémocratique et profondément malsain.
– Les candidats à la direction du parti socialiste se demandent s’ils doivent se déclarer "libéraux". Voir sur le sujet Guillermo, Jules ou Versac (là et là). Comme toujours en pareil débat, le libéralisme version socialiste est assimilé au Blairisme, par erreur : les pratiques de Blair ne sont pas du libéralisme, mais du managérialisme, c’est à dire, les aberrations de la social-démocratie, sans les avantages; l’idée qu’il existe quelque part un ensemble de politiques "rationnelles" qui permettent de cumuler prospérité et égalité, et qu’il suffit de trouver les bons dirigeants, qui auront le talent et l’énergie de les mettre en place. Il n’est pas surprenant d’ailleurs que le "libéralisme" dans cette perspective, lorsqu’on sort du verbiage pour entrer dans des questions concrètes, devienne particulièrement autoritaire et constructiviste : Delanoé déclare ainsi dans sa soi-disant "profession de foi libérale" qu’il s’inquiète de la crise de l’autorité, que les frontières françaises ne doivent pas être des passoires, et que la délinquance doit être traitée à coups de centres éducatifs fermés; que le "libéralisme" se limite alors à favoriser les entreprises et à ne pas être favorable à la nationalisation de tous les moyens de production – tout en pratiquant, comme à Paris, un degré de constructivisme social inédit. S’il fallait définir un libéralisme "de gauche", posant comme principe fondateur l’autonomie de l’individu, voici ce qu’il pourrait contenir :
– l’identification des caractéristiques de l’homme politique conservateur, et la décision d’en être l’exact inverse;
– L’adoption d’un revenu minimal inconditionnel, versé à tous les français, sans distinctions. Plutôt que de subordonner l’individu à des obligations de travail, faire en sorte que chacun puisse vivre de façon décente; faire ainsi en sorte que le travail devienne un choix (pour éventuellement accroître ses revenus) et non une obligation vitale. Devoir travailler pour vivre est la première source d’aliénation individuelle de nos sociétés, poussant des gens à faire des travaux ingrats et mal payés. Lorsque le travail sera devenu un choix volontaire, peut-être que les entreprises seront obligées de proposer des activités authentiquement enrichissantes à leurs employés potentiels. Ce qui implique un refus de la logique du RSA, et de l’obligation "d’insertion" que contient le RMI.
– Comment payer? En commençant par mettre fin à toutes les formes de subventions et de "corporate welfare", tous ces mécanismes par lesquels l’Etat cherche à orienter l’activité économique au gré de ses fantaisies, pour favoriser certains secteurs, certains types d’activités et d’emplois. Les allègements de charges sur les bas salaires, les carottes fiscales diverses et variées, n’ont pas lieu d’être dans une société avec revenu garanti.
– Une politique migratoire ouverte, passant par exemple par le remplacement de l’arbitraire administratif de la "carte de séjour" par une taxe annuelle, payée par tout migrant résident dans le pays et permettant de supporter les éventuels coûts que sa présence entraîne. Les pauvres authentiques, ceux qui sont vraiment privés de libertés et d’autonomie, ne sont pas dans notre pays mais à l’étranger. Une telle politique est le meilleur mécanisme de lutte contre la pauvreté et d’émancipation individuelle qu’il soit possible d’envisager.
– protéger les individus contre les risques de l’existence en permettant l’apparition de mécanismes d’assurances et de marchés, par exemple des options déterminées par la conjoncture. L’essentiel des risques importants subis par les individus (macroéconomiques notamment) ne sont couverts par aucun mécanisme, alors même qu’il est possible de s’assurer contre des risques dérisoires, comme les bris de vitre des PDAs. L’innovation financière devrait pouvoir préserver les individus plus qu’elle ne le fait aujourd’hui – et c’est une réconciliation de la population avec la finance bien plus utile que de développer "l’intéressement", cette vieillerie marxisante qui soumet encore plus le revenu des salariés à la conjoncture économique.
– la promotion de l’éducation, le bien de consommation majeur du 21ème siècle. La démocratisation scolaire doit se poursuivre, mais pas dans le sens de la fourniture à l’appareil productif de gens disposant de "compétences" vendables; l’éducation et la connaissance doivent être perçues comme des biens consommés pour elles-mêmes, des fins plutôt que des moyens, et généralisées plus qu’aujourd’hui.
Enfin bref, quelques idées comme cela. Je crois bien qu’on en est très, très loin.
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J’aurais bien aimé voir la tête de Jospin si en 2002 Chirac avait fait la couverture de l’Express, déclarant : Moi, socialiste ET de droite. On nage dans l’absurdité…
Quel pays se rapproche le plus du programme que vous décrivez?
Sur le sujet de la commission ad hoc, je ferai simplement remarquer qu’AD rame à contre-courant : après la création en masse d’AAI, voici maintenant, depuis quelques années les API (AAI + personnalité juridique).
L’intérêt de l’innovation est qu’en disposant de son propre budget, et en étant distinct de l’État, l’API fera mieux et de manière optimale en termes de coûts. Surtout, la personnalité morale assurera une vraie indépendance. On a eu une première série en 2003 dans le secteur financier (AMF et ACAM), mais le modèle ne semble pas épuisé (Haute autorité de santé).
Ça fait quand même du bien de lire de temps en temps des gens qui rament à contre-courant 🙂
Sur la question de l’équilibrage des budgets publics, cette mesure est parfois défendue comme un moyen de réduire le montant des dépenses inutiles de l’Etats (ou de freiner leur augmentation), en obligeant les politiciens à augmenter les contributions publiques lorsqu’ils souhaitent prendre des mesures en faveur de groupes d’intérêts.
Cet argument en faveur de l’obligation de l’équilibre budgétaire vous semble-t-il aussi fallacieux ?
Réponse de Alexandre Delaigue
Oui, parce que ce mécanisme ne change rien aux incitations publiques à faire des dépenses inappropriées. Il peut conduire à réduire les dépenses si la tolérance des individus à l’impôt a atteint son maximum, mais en pratique, il conduit à réduire les bonnes comme les mauvaises.
Vous croyez bien AMHA. On en est même tellement loin qu’il n’y a que l’extrême-gauche pour avoir ce genre d’idées.
J’aurais juste une question : le concept du revenu minimal inconditionnel serait-il viable économiquement dans un pays aux frontières quasi-ouvertes comme la France ? Comment être sûrs que les entreprises qui le peuvent ne se casseraient pas plutôt que de devoir humaniser leurs rapports avec leur "force de travail" ?
Enfin bref, tout ça pour dire que si c’est jouable économiquement sans aller à la banqueroute, votre programme économique libéral de gauche, je ne vois même pas pourquoi on ne l’applique pas de suite. Ou pourquoi le PS – au moins un des éléphants – ne le propose pas.
Parce que pour les 4 prochaines années, l’émancipation de l’individu par la liberté, l’éducation et la connaissance – de mon point de vue, que du très bon – , effectivement, je ne le sens pas trop comme ça.
Est ce qu’on dispose d’études "sérieuses" sur le revenu minimal / l’impot négatif ? Ca parrait a la fois tellement séduisant et tellement improbable ? Et sur le coup du "corporate welfare", tiens ?
Réponse de Alexandre Delaigue
Il y a pas mal de productions (en général américaines) sur le revenu minimal et l’impôt négatif. Sur le corporate welfare, je crois que l’étude de Cato citée en lien sur la fiche wikipedia n’est pas mal.
C’est un joli mot « liberalisme. » Il y a liberté dedans. La liberté, c’est bien. Alors ça ne coûte rien de se dire libéral, d’autant que le mot ne veut plus dire grand chose (pour une histoire du mot, pas de l’idée, voir lafabriquedepingles.blogs…
Le problème, c’est que si on considère que des différences importantes de revenus créent une forme de domination sociale qui entraîne une privation de liberté, on se retrouve vite à être tenté d’intervenir pour les atténuer. Donc c’est toujours du libéralisme, on avance la liberté de l’individu et son émancipation, mais c’est déjà de l’interventionnisme. C’est toute l’histoire du new liberalism anglais et du modern liberalism américain (c’est pour ça qu’aux USA, libéral ça veut dire « de gauche »)
Je ne comprends pas l’histoire du revenu minimum inconditionnel… A quel niveau ? celui de la pure subsistance ? ça risque de mal passer… Les Anglais faisaient déjà ça au 18e siècle avec les Poor Laws. C’est quoi le revenu minimum à partir duquel on peut s’émanciper ? Est-ce que c’est vraiment le travail la principale force aliénatrice dans la société ? Une grande partie de la gauche considère que les inégalités de revenus créent des processus d’aliénation. Donc une masse d’individus qui gagnent ce qu’il faut (combien ?) et quelques autres qui gagnent plus, voir beaucoup plus, par choix, je ne suis pas sûr que ça soit très « de gauche. »
Sinon, une ouverture des frontières aux biens, capitaux ET aux hommes, la fin du corporate welfare, une réflexion poussée sur des formes de mutualisation des risques non chapeautées par l’Etat et des investissements massifs dans l’éducation, parce qu’au fond elle est là la liberté, oui, je suis pour, je vote Delaigue en 2012 !
Vous êtes sur qu’on a les ressources financière pour ça?Cela me paraît très utopique.
Une remarque sur un domaine que je connais par exemple.Vous parler de "corporate welfare", pourtant l’Etat est amené à soutenir les industries défenses de manière directe et indirecte pour maintenir une base technologique et industrielle de défense(BTID).Je suis convaincu que pour certain ce serait des prébendes versés à des marchands de mort.Mais du point de vue du ministère de la défense c’est un soutien nécessaire pour garantir la défense nationale.Cela rentre comment dans votre schéma?
Sans être économiste,je ne pense vraiment pas qu’on puisse appeler le soutiens à certaines industries, une lubie à la mode.Un autre exemple, la rentabilité économique de l’énergie nucléaire est passablement douteuse, je reste pourtant un fervent partisan de cette énergie pour des raisons de sécurités énergétique.
On pourrais parler aussi des énergies renouvelable et de l’ensemble des moyens nécessaires pour diminuer les émissions de dioxyde de carbone.La réglementation est bien obligé de jouer un rôle incitatif et dissuasif.Donc de distribuer des carottes et des coup de bâtons.
Mêmes questions que Gu Si Fang et Moktarama. Je suis aussi surpris de ne rien voir sur les externalités. N’est-ce pas le problème principal de nos économies?
Réponse de Alexandre Delaigue
Cela dépend du sens que vous donnez à “externalités”… On vous dira parfois que les inégalités de revenu en sont. La réponse à cette question ramène forcément à des questions politiques.
-> Je pensais que le revenu minimal inconditionnel se nommait RMI ? Il est d’ailleurs déjà géré de manière décentralisé : donner à ses gestionnaires la liberté de fixer son montant irait vite.
-> J’aurais imaginé que la taxe de séjour des étrangers comme des citoyens existait déjà et se nommait l’impôt. J’avoue ne pas très bien comprendre ce qui justifierait dans l’absolu qu’un migrant paierait plus ou moins qu’un national pour justifier des frais que sa présence sur le territoire occasionne. Une certaine réhabilitation de l’impôt et surtout de son rôle social, comme celle proposée par Lang en 2002, serait plus simple avec quelques efforts en matière de productivité publique, par exemple, par un encadrement de la dépense publique dans un réseau de mesures pouvant inclure un plafonnement des déficits.
-> J’admets que le capitalisme familial et notamment la solidarité inter-générationnelle spontanée n’est pas la panacée du mécanisme assuranciel contre les aléas de la vi, ne serait-ce que parce que tout le monde n’a pas de famille. : mais j’observe qu’il suffirait d’attendre le démantèlement probable des actuelles caisses sociales et leur ramplacement par le marché et notamment les mutuelles pour que tout ceci arrive. D’où cette amusante conclusion : les réformateurs des caisses d’assurance dont les comptes sont artificiellement équilibrés par l’interventionnisme constant sont les seuls réels opposants à ce que tout cela arrive.
– Quand à la promotion de l’éducation, elle passe certainement, en France, par la liberté d’entreprendre sur le marché européen de l’éducation en complément de l’actuel système déjà fort bien proportionné. Et l’on connait très bien les forces qui s’y opposent : tout est dans leurs mains.
En conclusion, la France est sans doute déjà libérale, au Mammouth et aux "réformateurs" près. Et dire que personne ne l’avait remarqué ?
Je suis d’accord avec la morale humaniste qui demande que le travaille permette l’émancipation et ne soit pas une activité de pure subsistance.
Cependant, le comportement humain tendant à la minimisation de l’effort (tout comme les lois physiques et économiques) le RMI (pour Inconditionnel) devrait alors être flottant et "indicé comme un prix" sur le travail moyen fourni par la société, la productivité tendant alors vers un juste équilibre entre flemmardise totale et production minimale de subsistance.
Ce qui m’amène à la conclusion suivante : cela ressemble plus à un modèle de société primitive, où le niveau de vie est déterminé par l’abondance des ressources naturelles "facilement exploitables" dont la propriété est partagée par tous.
J’ajouterai que la disponibilité de ce type de ressource est aujourd’hui inexistente, ou du moins faible au vu du nombre d’êtres humains sur la planète.
Réponse de Alexandre Delaigue
Notre richesse est fondée sur des connaissances, abondamment disponibles.
myo: une politique pigovienne pour s’attaquer aux externalités peut très bien être compatible et complémentaire avec le "programme" présenté ici…
Je voudrais poser une question aux lecteurs de ce blog : quelles contradictions voyez-vous entre le programme de la LCR tel qu’actuellement défini par sa stucture dirigeante et le cadre proposé par Alexandre Delaigue-Senseï pour définir une gauche libérale ?
Ce blog étant un blog d’économie, je n’en débattrai pas ici. Mais j’invite les hommes de bonne volonté à s’interroger.
(si la modération ne laisse pas passer, je comprendrai : pas de mal)
Réponse de Alexandre Delaigue
Non, non, vous pouvez vous exprimer. Cela dit, à ma connaissance, la LCR a pour ambition de supprimer le capitalisme, ce qui entre en contradiction flagrante avec ce programme.
Plein d’idées très intéressantes dont on ne parle pas assez (mise à plat des subventions, assurances, taxe Becker…)
Mais je reste frappé par une contradiction majeure dans vos propos. Vous êtes à l’évidence convaincu qu’un dirigeant puisse être inefficace et prendre de mauvaises décisions (Sarkozy semble en être l’archétype pour vous). Mais dans le même temps, vous affirmez avec force que les bonnes décisions n’existent pas. Selon vous, on peut mal gérer mais on ne peut pas bien gérer.
On retrouve ça dans votre critique du managérialisme, dans la répétition de la loi de Goodhart, dans la négation d’un niveau pareto-optimal pour le SMIC… Comme s’il n’y avait que des jeux à somme nulle (ou négative).
Et pour finir, après avoir écrit tout le mal que vous pensez de "l’idée qu’il existe quelque part un ensemble de politiques "rationnelles" qui permettent de cumuler prospérité et égalité, et qu’il suffit de trouver les bons dirigeants, qui auront le talent et l’énergie de les mettre en place", vous nous proposez votre propre set de politiques "rationnelles" pour lesquelles on cherche des dirigeants qui auraient le courage de les proposer et les mettre en place…
Réponse de Alexandre Delaigue
La question n’est pas de bien ou mal gérer : la question est de confondre politique et gestion. La politique relève de choix et d’arbitrages entre intérêts divergents, la gestion relève de l’optimisation. Le managérialisme consiste à faire de la politique en faisant croire que c’est de la gestion, qu’il existe donc “une bonne politique”. Lorsque l’on dit que les idéologies n’ont pas d’importance, qu’il n’y a pas de politique de gauche ou de droite, mais seulement des bonnes ou des mauvaises, on fait du managérialisme. Je ne reproche pas à Sarkozy d’appliquer le programme pour lequel il a été élu (même si je désapprouve de nombreux aspects de ce programme, notamment en matière migratoire); je reproche le discours consistant à présenter cette politique comme “globalement bénéficiaire”, une sorte de cadeau généralisé, en faisant abstraction du fait qu’il s’agit de politique, donc de choix, qui avantagent les uns et pas les autres; je reproche cela d’autant plus que jamais cette politique ne fait l’objet de la moindre évaluation, ni a priori ni a posteriori, ce qui veut dire que le managérialisme ne respecte même pas ses propres critères (ce qui est habituel d’ailleurs). Ensuite, je pense que vous confondez la somme d’un jeu et la répartition de cette somme. Un jeu peut fort bien être à somme positive mais avoir des effets de répartition non neutres : une opération par laquelle l’un gagne 20 et l’autre perd 10. Une telle opération n’est pas Pareto-optimale, sans une règle de répartition qui vient s’y ajouter (si le premier compense le second pour sa perte, alors on entre dans la pareto-optimalité). Or en pratique, la compensation est difficile, voire impossible, sauf dans des cas très précis (les chauffeurs de taxi?). De telles situations sont donc rares, et jamais rencontrées dans le processus politique qui relève de valeurs. Supprimer l’ISF, faire fluctuer le SMIC, détaxer les heures supplémentaires sont des jeux à somme indéterminée, mais dont les coûts et les bénéfices ne sont pas supportés par les mêmes, ce qui veut dire que ces décisions impliquent de trancher entre intérêts divergents – la nature même de la politique. Enfin, la liste de politiques qui suit n’a strictement rien de “rationnel” ou “d’inévitable” : ce sont des mesures vis à vis desquelles il est possible d’être pour ou contre, qui relèvent de choix de valeurs portant sur l’organisation de la société – ce que l’on retrouve d’ailleurs dans les commentaires. Un revenu inconditionnel est un choix, qui va contre la valeur du travail, contre l’idée selon laquelle les “droits” doivent être subordonnés à un certain type de comportement. Libéraliser l’immigration contre taxe est un autre de ces choix, et on peut s’y opposer (je pense d’ailleurs que la majorité s’y opposerait). fonder la protection individuelle contre les risques sur des marchés plutôt que sur des mécanismes étatiques paternalistes en est un autre (et si l’on juge l’effarante production de lois paternalistes de notre époque, pas un choix fréquent). C’est le sens de ce message : la politique consiste à avancer des propositions avec lesquelles on peut être d’accord ou pas en fonction d’intérêts et de systèmes de valeurs. Lorsqu’un Delanoé explique qu’il est un bon candidat au vu de la “qualité” de sa gestion parisienne, nous sommes dans la négation de la politique. Le problème des socialistes est celui-là : ils n’ont rien à proposer comme système de valeurs. Ils se contentent de dire “nous gérons mieux que les autres”. Ce qui n’a aucun intérêt, et surtout, les pousse vers l’échec, parce que si les élections sont des concours de gestionnaires, autant se référer au classement de sortie de l’ENA – ou voter pour celui qui produit la plus belle illusion de “compétence”.
Parlez en même temps d’une taxe annuelle sur les étrangers et d’un revenu minimal inconditionnel fait un peu étrange et me semble violer l’égalité de traitement 🙂
Ceci étant, je suis très favorable à cette taxe annuelle. J’y vois deux avantages immédiats un impact significatif sur la croissance française en permettant une immigration légale et productive et le désamorçage du principal levier de la xénophobie : les étrangers sont en France pour nous voler nos droits sociaux.
Sur le Revenu Minimal Inconditionnel je suis beaucoup plus réservé. A quel niveau le fixer ?
– 400 € (grosso modo le RMI actuel) mais atteint-on réellement l’objectif d’une vie décente ?
– plus (de l’ordre de 1 000 €) ? Mais dans ce cas, l’économie pourrat-elle vraiment tourner ? Malgré tous les efforts des employeurs, il y aura toujours des jobs pénibles peu intéressant et à faible valeur ajouté et pourtant indispensable à la vie commune. Et la nécessité d’assurer ces fonctions sera d’autan plus forte qu’il y aura ce RMI a financer.
Doit-on l’assortir de contrôle sur l’individu ? Sur son patrimoine, ou sa situation familiale ? Avec ces contrôles on perd beaucoup de la simplicité du mécanisme et ses aspects libératoires. Sans, on a une forte rupture d’égalité contraire – il me semble – aux objectifs initiaux.
Réponse de Alexandre Delaigue
Entre 400 et 1000 alors :-). Ce qui me paraît notable dans la mesure n’est pas tant la question du montant que la logique qui la sous-tend : pas de contraintes exercées sur les individus. C’est à cela que sert une idée.
Vos idées de gauche me paraissent légèrement polluées par une vision de petit bourgeois a capital intellectuel (une Bourdieuserie de temps en temps cela sert).
1- La plupart des gens sont "creux"; hors du travail il se sentent des nobody, ils ne savent que faire et sont désengagés socialement. Si vous voulez en voir des exemples vous n’avez qu’a voyager avec tous ces jeunes vieux retraités qui vont chercher ailleurs ce qu’ils ne peuvent trouver nulle part car il n’est pas en eux.
Alors avant de faire du travail une activité libre il coulera de l’eau sous les ponts. Le travail est un puissant moyen de socialisation et de "sens".
2- Vous semblez confondre "Éducation" et service public de l’éducation. L’éducation est ce que vous dites, mais le services public DOIT être utilitaire.
La raison et elle s’applique aussi a votre merveilleuse vision du travail choisi, c’est que pour taxer des gens, c.a.d. prélever sur le revenu de leur travail une part afin de l’attribuer a des actions qu’ils n’auraient pas volontairement choisies et qui ne les concernent pas directement, il faut au moins qu’elles les concernent indirectement par le biais de l’utilité collective. Tout service public ne peut se justifier que par l’utilité a la collectivité. Tout service public est utilitariste.
Tout ceci est un peu oublié en France ou service public veut dire essentiellement service gratuit a destinations de classes moyennes qui veulent bénéficier du mode de vie le plus agréable possible tout en n’en payant pas le prix eux même.
Donc votre programme n’est pas un programme de gauche, c’est un plaidoyer pro domo.
Je dois être un libéral de droite; si cela existe mais c’est désespérant.
Réponse de Alexandre Delaigue
Sur l’éducation, nulle part n’est écrit “service public”, mais c’est un autre sujet. Sinon, le simple fait que vous soyez en désaccord avec ce genre de propositions, sur la base de principes, montre qu’elles sont authentiquement politiques – le but n’était pas différent.
À propos des mécanismes de marché pour couvrir les risques conjoncturels, il me semble qu’il existe déjà des "puts" (option de vente d’actions).
Maintenant, c’est vrai qu’ils ne sont pas répandus dans le grand public.
Mais j’ai de sérieux doutes sur le fait que l’on puisse trouver suffisamment d’agents qui soient volontaires pour supporter le risque conjoncturel puisqu’il n’est que peu diversifiable.
"voter pour celui qui produit la plus belle illusion de "compétence". Mais n’est ce pas ce qui s’est passé en Mai 2007 ?
Merci pour votre réponse Alexandre.
Je trouve que vous opposez trop systématiquement politique et gestion. Prenons un exemple : le revenu inconditionnel. Vous considérez cette proposition comme une démarche politique car elle traduit un choix de valeur. Et pourtant j’y suis moi-même favorable alors que je réfute les valeurs sur lesquelles vous fondez cette proposition. Je considère que le besoin de travailler pour vivre, loin d’être aliénant, constitue un aiguillon essentiel pour la plupart des gens, un facteur de sens et de lien social.
Ce qui est intéressant, ce n’est pas que j’aie une opinion différente de la vôtre, c’est que partant de cette opinion, j’arrive malgré tout à la même conclusion. Pourquoi alors suis-je favorable au revenu inconditionnel? Par un raisonnement que vous qualifieriez de managerialiste. Selon moi, un tel revenu existe déjà plus ou moins dans les faits. Nous avons collectivement décidé à tort ou à raison que notre société ne pouvait tolérer la misère absolue et qu’il fallait donner un revenu à ceux qui n’en avaient pas. Le problème, c’est que cela se fait au travers d’un maquis de systèmes d’aides hétéroclites, avec des critères, des objectifs, des mécanismes différents (RMI, Assedic, minimum vieillesse, retraites…). Au global, le système est illisible, incroyablement complexe, et génère donc des injustices, des fraudes, des effets pervers et des coûts de gestion exorbitants. Dès lors, la réponse efficace est d’annuler et remplacer tous ces dispositifs par un mécanisme universel simple et transparent.
En fait, dans votre réponse à henriparisien, vous êtes presque d’accord avec moi : le rôle du politique n’est pas de fixer le montant du revenu universel, de décider où doit se positionner le curseur de la redistribution. Cette question-là doit être tranchée par la société, par les citoyens-électeurs. Le rôle du politique, selon moi, est de mettre en place un système simple, transparent et efficace qui permette à la volonté publique de s’exprimer en connaissance de cause.
Là où je vous rejoins, c’est qu’on est loin d’avoir les mécanismes de mesure et d’évaluation qu’il faudrait. Mais j’aurais plutôt tendance à les appeler de mes voeux plutôt que de clamer leur inutilité.
Réponse de Alexandre Delaigue
Ce que vous ne semblez pas voir, c’est que ce système hétéroclite, loin d’être un effet non désiré, est exactement ce que l’on peut prévoir comme conséquence du managérialisme. C’est parce que le principe de base est que les gens ne peuvent pas être autonomes mais doivent être guidés par les sages décideurs publics que tous les mécanismes d’aides sont assortis de conditions, de mécanismes limitatifs, de préférences pour les uns et pas les autres. C’est en cela que le principe de l’universalité est différent; c’était d’ailleurs très net au moment de la création du RMI, la critique permanente selon laquelle la partie “insertion” n’est pas satisfaite, et dans les débats actuels sur le RSA. L’idée est double dans ces contraintes/incitations associées au mécanisme : culpabiliser les bénéficiaires, afin qu’ils sentent qu’ils ont besoin d’être contrôlés; et orienter leur comportement dans un sens jugé bon pour eux, mais ils sont trop bêtes pour s’en rendre compte. Si vous mettez en place ce genre de mesure en pensant “efficacité” vous aboutirez à ce genre d’évolution. J’ajouterai autre chose : le processus politique n’est naturellement pas efficace, parce que ce n’est pas son rôle, et que tout dans son fonctionnement va en sens contraire. Les élections ne sont pas un bon moyen pour désigner des dirigeants compétents – et d’ailleurs ce n’est pas le but de l’opération. C’est pour cela que les questions de valeurs sont primordiales.
Pour le revenu minimal inconditionnel je vous suis totalement. Je suis assez d’accord avec Guillermo que ça parait "à la fois tellement séduisant et tellement improbable". En fait quand on fait le bilan entre impôt progressif pour les plus aisés, allocations diverses dégressives ou soumises à plafond, on doit pouvoir approximer le rapport entre revenu net et brut par une équation du type Revenu Net = a.(Revenu Brut) + b
En décidant que a est le taux d’imposition dans un système de flat tax et b le revenu minimum inconditionnel, on simplifierait beaucoup et on donnerait un système plus juste exempt des effets de seuil.
Pour la politique migratoire, la taxe que vous proposez concerne en fait plus le fait d’être immigré que l’immigration. Elle serait basée si je comprends bien sur la nationalité, c’est à dire essentiellement sur le fait d’être plus ou moins bien né, ce qui me parait moralement discutable. Non, la logique voudrait qu’on taxe l’immigration en elle-même c-a-d l’entrée sur le territoire. Un candidat à l’immigration prêt à dépenser quelques milliers d’euros dans un passage périlleux et au résultat plus qu’incertain du détroit de Gibraltar, serait certainement prêt à dépenser beaucoup plus pour acheter une carte de séjour lui assurant la légalité.
Poser des freins à la liberté de circulation me parait acceptable, discriminer dans un même territoire sur la base d’un critère fortement lié à l’origine me choque.
On pourrait s’inspirer de la lotterie US pour la green card, en remplaçant le système de lotterie par une mise aux enchères.
Ce qui me plaît dans le coup du revenu inconditionnel, c’est l’effet transformateur sur les relations de travail. Ca c’est une vraie idée. Je ne pense pas une seule seconde que ça puisse fonctionner, mais c’est séduisant comme démarche. (parmi les principales objections, le fait de croire qu’une telle mesure permettrait de développer la formation relève de l’illusion la plus totale: vous auriez surtout une augmentation vertigineuse de l’alcoolisme et des drames familiaux).
En revanche, je pense que vous sous-estimez gravement les conséquences en matière d’immigration: soit vous accordez le revenu à tous les résidents, et vous créez un appel d’air en provenance des pays d’émigration; soit vous ne l’accordez pas, et ce sont les employeurs qui le créeront, l’appel d’air. Résultat, vous serez contraint d’exercer un degré de violence aux frontières que la population n’acceptera pas.
Plus généralement, je l’ai déjà dit, je ne crois pas qu’il y ait d’alternative au managérialisme; il est un produit naturel de l’époque, de l’Europe et de la démocratie. Les choix de valeur sont faits à Bruxelles; et la population est trop diverse et divisée dans ses aspirations au changement ou au non-changement pour que vous puissiez vous permettre de rompre l’équilibre dans un sens ou dans l’autre. C’est fragile une société.
En définitive, ce que vous critiquez, ce n’est pas tellement le managérialisme; c’est le choix technique de l’interventionnisme. Au final, je ne suis pas sûr que votre programme libéral de gauche serait tellement différent dans ses conséquences d’un programme libéral de droite.
Liberal: vous ne me semblez pas rendre justice aux propos d’Alexandre Delaigue. Il existe bien des façons d’utiliser le pouvoir lorsqu’on a affirmé en faisant campagne pour l’obtenir être le meilleur d’entre nous, et plusieurs de ces approches sont exposées par exemple dans "Le petit Prince" de Saint-Exupéry, comme celle du roi qui explique ne commander aux choses que ce qu’elles feraient d’elles-mêmes. Aspirer pour soi et autrui à la liberté, ce n’est pas aspiré à être régenté, mais ce peut-être consentir à un certain nombre de contraintes minimales, donc, efficaces, donc, équitablement appliquées par tous et si possible évoluant en fonction de la situation telle qu’appréciée par tous ou du moins un très grand nombre.
Etre un homme d’état, c’est déjà avoir de très grandes responsabilités : garantir le fonctionnement de la justice et faire les citoyens avoir foi en elle, maîtriser l’usage légitime de la force par la police et l’armée, proposer au peuple un projet de société, chercher l’adhésion autour de ce projet, identifier les convergences entre les ressentis bien plus qu’exacerber les différences, parler avec les éducateurs, chercher et obtenir leur soutien si possible avec d’autres incitations que monétaires ou statutaires, oeuvrer à fonder avec d’autres périmètre politiques des associations avant pour vocation la paix, la prospérité, et sans doute, l’amitié entre les hommes. Que voilà de nobles taches pour celui qui voudrait exercer le pouvoir ! Infiniment plus difficiles, vous en conviendrez, que celles dévolues à un manager : quoi de plus naturel ?
A la lecture de vos réponses, je me rends compte que ce post fait écho à votre précédent sur « l’économie de marché est-elle la plus efficace ». Vous ne vous interrogez plus en économiste, ou la question centrale est la gestion des ressources, mais en philosophe avec la question du « sens ».
La politique influe de deux façons sur la gestion des ressources : sur la répartition et sur le stock disponible. Il est globalement difficile et surtout très lent de mettre en place une politique qui augmente significativement le stock
Par contre, répartir différemment ces ressources peut se faire d’un trait de plume. Avec souvent comme conséquence de les réduire drastiquement. Il me parait donc tout a fait légitime de discuter de la pertinence économique de ces politiques avec comme clé implicite l’accroissement des ressources.
Il est vrai que réduire la discussion politique au choix des bonnes (sans guillemets) mesures peut paraître réducteur et avoir des effets pervers : cela exclu du débat politique une frange importante de la population qui se retrouve dans l’abstention ou les votes extrêmes et rend tout à fait anachronique la fameuse « vision » que se devait d’avoir tout homme politique.
Mais cela répond aussi à une évolution profonde de nos sociétés où les individus sont de plus en plus autonomes et où leurs aspirations profondes sont de moins en moins collectives.
Pour résumer, je trouve que ce désenchantement du monde est une bonne chose 🙂
Réponse de Alexandre Delaigue
C’est une erreur selon moi que d’associer l’essor du managerialisme avec la fin des idéologies et l’individualisation des sociétés. Parce que le managérialisme en se présentant comme inévitable et rationnel, n’est au fond qu’une idéologie de plus, qui comme le marxisme s’impose par terrorisme intellectuel, “ce que je fais est rationnel et efficace, transcende les intérêts divergents, il n’y a que ma politique ou les mauvaises”. Et vous avez tort de distinguer “répartition” et “stock” – une distinction au coeur du managérialisme : seul augmenter le stock relève de l’efficacité, qui s’impose sur les questions de répartition, vues comme des jeux “à somme nulle”. Mais c’est oublier que la caractéristique principale du gâteau économique, c’est que sa taille dépend de façon cruciale de la façon dont il est réparti : le dilemme entre efficacité et égalité est inéluctable. Quand bien même d’ailleurs on découvre un moyen d’augmenter le revenu de 10% de la population sans modifier celui des autres, comment peut-on affirmer que c’est une action “neutre idéologiquement”? Donc il n’y a jamais de réduction de la discussion politique au choix des “bonnes” mesures et des “bons” dirigeants, parce que les “bonnes” mesures n’existent pas. Le managérialisme aboutit de fait à imposer des choix en les rendant inévitables, alors qu’ils ne le sont pas. Et il n’est pas un désenchantement du monde, mais une tentative brutale exercée par ceux qui se trouvent aux positions de pouvoir de préserver leur contrôle sur les gens, précisément parce que ceux-ci ayant la possibilité d’être plus autonomes, ils leur échappent – et quand on a pour obsession d’exercer le pouvoir sur ses semblables, c’est insupportable.
Je crois que vous assimilez le management au micro-management.
Je reconnais que le maquis hétéroclite est en partie la conséquence du micro-management de nos politiques. Je vous suis tout à fait pour regretter ce besoin irrépressible de créer des incitations plus ou moins pertinentes dans un sens ou dans l’autre.
Mais l’usine à gaz provient au moins autant de cette volonté d’arbitrer entre des intérêts divergents, indépendamment du moindre caractère incitatif. Les trappes à pauvreté qu’on essaie de résoudre avec la PPE ou le RSA sont les effets de seuil qui découlent de ces arbitrages; ce ne sont pas (ou peu) les contraintes incitatives qui polluent le système.
Vous blâmez (une partie de) nos problèmes sur une certaine forme de recherche d’efficacité que vous appelez managérialisme et que vous opposez à la politique qui arbitre entre intérêts divergents et rétablit une forme de justice. Pour moi, le problème vient du micromanagement, qu’il soit mû par un soucis d’efficacité ou de justice.
L’exemple du SMIC est évocateur. Vous dites avec raison qu’il est un transfert des très pauvres vers les pauvres, ce qui traduit une décision d’un caractère politique. On sait qu’il génère un certain nombre de problèmes et d’effets de bord. Mais ces effets pervers découlent du coté micro-management du SMIC. Dès lors qu’on instaure un revenu inconditionnel, le SMIC perd toute raison d’être, il n’a plus de sens, ne sert à rien et peut être supprimé ainsi que ses effets pervers.
Est ce vraiment le rôle de l’Etat de décider d’avantager les agriculteurs, les notaires, les distributeurs, les taxis, les fonctionnaires, les actionnaires etc… aux dépends du reste de la population?
Pour moi, il ferait mieux de mettre en place des règles du jeu claires et transparentes garantissant autant que faire se peut une concurrence libre et non-faussée et d’instaurer pour corriger les déséquilibres un mécanisme simple, transparent et universel de redistribution tel votre revenu inconditionnel. Voila comment on peut améliorer à la fois l’efficacité et la justice. Pourquoi les opposer et s’obliger à en abandonner une?
Pour finir, et si vous avez le courage de le lire, j’avais écrit un commentaire connexe sous un billet d’Hugues il y a quelques semaines. http://www.com-vat.com/commvat/2...
Réponse de Alexandre Delaigue
Je suis entièrement d’accord avec votre commentaire chez Hugues; je pense que votre erreur consiste à voir dans ce micromanagement une dérive du système alors que c’est sa nature même. Quand vous écrivez qu’on cherche à “résoudre avec la PPE ou le RSA” des problèmes de trappes vous oubliez que ces systèmes, par nature, dès leur existence, impliquent effets de seuils et trappes, et jugements de valeurs implicites. Vous remplacez ces dispositifs par un revenu inconditionnel, vous modifiez inéluctablement les incitations et les arbitrages. Les arbitrages existent parce qu’ils sont incontournables, contrairement à un discours expliquant qu’il y a un “système” génial qui permet de cumuler efficacité et justice. Et vous semblez faire la distinction entre d’un côté le domaine de l’efficacité et du management public, et de l’autre la question de la politique qui ne se concerne que d’équité. Ce n’est pas cela : efficacité et justice constituent un dilemme inévitable. Il n’existe pas un domaine de l’efficacité que l’on peut maximiser par compétence, pour ensuite appliquer un principe de justice. Mais la politique n’est pas juste : elle est le lieu d’arbitrages entre intérêts divergents, et cet arbitrage n’a aucune raison d’être juste. Simplement, on ne sait pas faire sans ces arbitrages. Vous pouvez vous demander si c’est le rôle de l’Etat que d’avantager tel ou tel, mais vous oubliez que quoi qu’il arrive, de fait, il le fera : même la quête de “l’efficacité” conduit à avantager les uns et pas les autres. Supposer qu’il est possible de créer un ensemble de règles garantissant la concurrence “libre et non faussée” repose sur une illusion, celle de la table rase, la possibilité de faire abstraction du passé et des positions de force qui en découlent. Un revenu inconditionnel a des effets “pervers” : regardez certains commentateurs qui les détectent, et ils ont souvent raison. Mais il est difficile de dire que ce serait “mieux” que le maquis actuel, parce que le maquis actuel répond à des objectifs d’orientation des comportements des gens qui sont largement partagés par nos dirigeants. Regardez la liste impressionnante de micro-impôts, de micro-subventions, de dispositifs ad hoc, de règles et d’interdits ponctuels, que l’on a créé depuis simplement un an. Je ne blâme pas spécifiquement les gens au pouvoir : leurs concurrents auraient fait pareil, dans d’autres domaines. Je dis simplement que si certains veulent de nouvelles idées, il leur suffit de faire réellement le choix de ce qui contribue à l’autonomie individuelle et de refuser le managérialisme, de gauche comme de droite : je constate avec un certain désespoir que ce n’est pas le cas. J’espérais que l’expérience Sarkozy ouvrirait les yeux des gens : maintenant, je vois Delanoé expliquer que le libéralisme c’est le blairisme, et que ce qui compte, c’est que le candidat PS soit un bon gestionnaire. et Je désespère.
Concernant le premier point du billet: une justification de la maitrise des deficits n’est elle pas le traite de Maastricht ? Ou la regle 3 de deficit annuel et de limite de 66% du PIB n’en est-elle pas une ? Pourquoi d’ailleurs cette regle a-t-elle ete adoptee ?
Un peu d’eau récente à votre moulin anti-"welfare capitalism", dans la dernière livraison des Working papers du NBER : papers.nber.org/papers/w1…
Sinon je ne vois pas trop comment on peut s’assurer contre des risques macroéconomiques : puisque tout le monde en souffre, il semble difficile de se couvrir contre les pertes, non? (alors que le bris de glace est un risque idiosyncratique, om il peut y avoir une redistribution entre ceux qui ont un accident et les autres)
J’avoue que autant je suis souvent d’accord avec vos analyses "techniques" qui sont toujours rafraîchissantes et instructives, autant je trouve que vos opinions sont a moitié cuite.
Votre vision du Blairisme comme managérialisme et votre vision du managérialisme me laisse complètement perplexe.
Blair a été probablement l’homme politique Européen le plus intelligent des 10-15 dernières années et avant lui Margaret Thatcher. La seule chose que je puisse lui reprocher c’est sa position sur la guerre en Iraq qui me parait dictée par un soucis naïf de faire le bonheur des autres a l’insu de leur plein gré (donc antilibéral) et par une incompréhension du rôle de l’homme politique.
Quand au managérialisme vous en avez une vision plutôt livresque (c’est vrai que "leadership" c’est plus mode).
Dans la réalité des faits le manager est un politique. Toute organisation est un corps politique avec des groupes, sous groupes, factions etc qui ont des intérêts divergents et qui se bagarrent entres elles pour faire valoir leur point de vue.
Le boulot du manager, comme de l’homme politique n’est pas de trouver la solution optimale – ce qui est assez facile, c’est d’informer, justifier, convaincre, entraîner vers une solution de compromis qui préservera l’équilibre politique de sa collectivité. Si les entreprise prennent plus de décisions globalement rationnelles que les Etats, c’est car elles sont soumises a la corde de rappel souvent violente qui s’appellent gestion de ressources rares et notamment gestion du financement.
Sinon les hommes sont les hommes et la rationalité ou l’optimum sont rarement un objectif suffisant pour qu’ils se lèvent le matin.
Le vocabulaire est également un peu diffèrent, la ou le politique dira "justice sociale" le "manager" dire "stratégique". Dans les deux cas cela voudra dire "décision injustifiable" mais qui satisfait son intérêt personnel ou celui de son groupe.
En soit la différence entre le manager et le politique ne réside que dans la possibilité de taxer. Rien d’autre.
Je trouve aussi très bizarre que ce soient les gens qui travaillent le plus et qui prennent apparemment le plus de plaisir a ce qu’ils font qui trouvent le travail aliénant. Il faut d’ailleurs être intello pour connaitre le sens du mot. Je n’ai encore jamais rencontrer de plombier ou de chauffeur poids lourd qui trouve son travail "aliénant" ni stupide.
Réponse de Alexandre Delaigue
Votre incompréhension vient d’une confusion entre managerialisme – qui est une idéologie – et “activité de manager” qui est, ben, un boulot compliqué. Le managérialisme est une idéologie, qui se résume au fordisme appliqué à la politique : il existe “une bonne façon de faire” et il faut donc confier le pouvoir à des gens très intelligents qui vont la trouver et la mettre en place. Cette idéologie est nocive en matière politique – et d’ailleurs aussi dans les organisations – pour tout un tas de raisons que je ne vais pas encore énumérer.Dans les entreprises, cette idéologie est le point de départ de la transformation du dirigeant – au départ, considéré comme un administratif ordinaire faisant un boulot utile – en superman, justifiant la constitution d’une classe de dirigeants parasitaire, s’appropriant “naturellement” des revenus que rien, quand on y regarde de près, ne légitime. En matière politique, cela produit le même genre d’effets, une politique de classe cachée sous le manteau de “l’efficacité”, et un dégoût généralisé pour la politique. Quant à votre dernier paradoxe, si vraiment les gens apprécient de travailler, qu’ils puissent le faire volontairement, sans obligation, devrait être une bonne chose, non?
Je rejoins Merlin dans sa remarque terminologique : le managérialisme que vous décrivez pourrait s’appeler de manière plus pertinente "technocratisme".
Ce comportement ne correspond en rien à celui d’un manager superman en entreprise. Un manager est payé pour gérer les risques et arbitrer. Sa valeur vient de sa capacité à faire les bons choix. Le technocratisme, à l’inverse, est bien le comportement administratif qui consiste à se réfugier derrière des avis d’experts pour masquer des choix réels. Il paraît que demander une place en crèche ou en HLM dans certains endroits permet d’expérimenter le phénomène : le choix se fait par piston, mais il est dissimulé par une fumeuse commission d’experts qui fait écran.
Maintenant, que les gens qui font des choix essayent de les faire paraître rationnels et inévitables, c’est une évidence, mais ce n’est pas propre à notre époque.
Le revenu minimal inconditionnel a été également proposé par Milton Friedman (sous la forme d’un crédit d’impôt) et en France par Christine Boutin (il y a quelque temps de cela. La mesure était alors appelé "dividende universel").
Il semble que l’Alaska ait adopté quelque chose se rapprochant de cette mesure mais le montant de l’allocation est basé sur les revenus pétroliers.
"Je dis simplement que si certains veulent de nouvelles idées, il leur suffit de faire réellement le choix de ce qui contribue à l’autonomie individuelle et de refuser le managérialisme, de gauche comme de droite : je constate avec un certain désespoir que ce n’est pas le cas. J’espérais que l’expérience Sarkozy ouvrirait les yeux des gens : maintenant, je vois Delanoé expliquer que le libéralisme c’est le blairisme, et que ce qui compte, c’est que le candidat PS soit un bon gestionnaire. et Je désespère."
Considérez la situation du point de vue de l’électeur éclairé, qui n’est point si sot : il est en face d’un bi-partisme organisé par Chirac et Jospin ayant juré tous leurs grands dieux qu’une telle organisation était nécessaire pour gouverner intelligemment. Bon : ils auront menti et on en est là (personne n’était dupe, la saga remonte à loin : au moins jusqu’à Giscard, le premier technocrate professionnel devenu président, mais que faire à part la révolution, les pavés et les piques ?).
Le bi-partisme organise une cours entre ambitieux professionnels, majoritairement sélectionnés entre crânes d’oeufs à l’entrée à l’ENA, dans lesquels se sélectionnent ensuite entre ceux formés à faire le bonheur des autres malgré eux les plus avides de gloire, de scènes de dévotion à leur égard des corps constitués, les plus certains de connaître mieux la vérité que tous les autres.
Raisonnez en économiste : les citoyens ont, globalement, des regrets, du recul, des enfants et peut-être des remords. Que devaient-ils faire ? Quelles stratégies pour sortir du guêpier ? On a cru en l’europe, ça a merdé, on a cru en l’URSS, yen a plus, et le temps passe, et l’on devient vieux, et vos enfants vous demandent comment vous avez pu laisser faire une telle merde alors que, depuis plus de trente ans, vous saviez que l’eau, l’air, le pétrole et les sols sont précieux… et ce qu’on disait autrefois : patience, tout ça, le consensus, il faut que les gens comprennent, il faut que les éducateurs relaient le message, ça prendre vingt ans, mais il faut bien ça pour qu’un politicien s’amende ou composte. Et le temps passe, et trop rien ne change et tous les cinq ans, les mêmes reviennent pointer leur tête au stand et on ne peut même plus leur jeter des oeufs pourris à la gueule sans aller en prison. Même faire la bise à Le Pen, Bayrou et Hulot pour tenter de tirer la sonnette d’alarme ne change rien hormis une chose : on a désormais installé des défibrillateurs dans les assemblées pour que les mêmes vieux fennecs instruits sous Pasqua ne meurent pas trop vite.
Alors, vous qui êtes économiste et donc croyez à l’existence d’un chemin sans rupture vers le progrès, quelles sont les tactiques que peut déployer un citoyen rationnel ?
C’est étonnant à quel point votre analyse de la dette publique est différente de ce qu’on peut entendre en général. Comme vous présentez ça, c’est plutôt rassurant…
Si vous me permettez, je voudrais quand même revenir sur un point noté dans un de vos ancien posts :
"On me rétorquera que la "vertu" n’est qu’une façon, certes impropre, de caractériser un problème réel : la "soutenabilité" de la dette publique, la capacité du gouvernement à payer ses dettes dans l’avenir. Si la dette du gouvernement est trop élevée, ne sera-t-il pas difficile d’en assurer le remboursement? N’y a-t-il pas un niveau "optimal" d’endettement public? Bien malin qui parviendra à déterminer un tel niveau d’endettement ou de déficit au dessus duquel les dépenses publiques deviennent intenables : ce niveau varie en fonction d’une quantité énorme de paramètres liés au pays et au gouvernement concerné. Heureusement, il existe un mécanisme très efficace d’agrégation de ces informations disparates, qui s’appelle le marché des titres. Si des investisseurs pensent qu’un gouvernement s’est endetté d’une façon excessive ou dangereuse, ils cesseront d’acheter des titres de la dette de ce gouvernement : celui-ci devra soit proposer un rendement supérieur pour ses titres de dette publique, soit financer ses dépenses par l’impôt. Cela ne nécessite aucune coordination particulière pour s’effectuer."
Imaginons donc une situation ou le marché se rend compte un peu brutalement que l’endettement est excessif. Après tout, le marché ne répond pas toujours d’une manière graduelle et raisonnable…
Dans ce cas l’état en question (pas forcément la France d’ailleurs pour cette reflexion) pourrait proposer un rendement supérieur pour ces titres : il trouverait certes des acheteurs, mais il dégraderait sa situation. De plus, il ne pourrait se contenter de cette "mesure" : n’ayant pas régler le caractère excessif de son endettement (au contraire), il devrait à nouveau augmenter ses taux, etc… De plus, l’augmentation excessive de ces taux d’intérêts n’est elle pas potentiellement recessive ?
Reste donc la possibilité d’augmenter les impôts et de diminuer les dépenses : augmenter les impôts, si c’est brutal, vous expliquez que c’est récessif ; diminuer les dépenses, c’est compliqué et ça peut difficilement se faire à court terme.
Finalement, il s’agirait presque d’une situation de défaut ; défaut soit réel, soit par le canal de l’effondrement de la monnaie.
Donc ma question est la suivante : même si la description par les politiques de la situation de l’endettement est sans aucun sens économiquement parlant, même si il n’est pas posssible de déterminer de manière "scientifique" une barrière raisonnable du taux de déficit… est ce qu’il n’est vraiment pas possible de considérer qu’il peut être raisonnable d’en fixer une artificielle pour éviter une situation un jour potentiellement catastrophique ?
Je trouve un peu radical de dire qu’aucune option politique n’est objectivement meilleur qu’une autre (ou moins mauvaise). Vous ne croyez pas du tout à l’utilitarisme ?
Un article qui va dans le sens des idées de ce billets :
http://www.ft.com/cms/s/0/4ee1a0...
"on ne connait pas exactement les mécanismes causaux sous-jacents à la croissance, donc on ne sait pas comment une économie réagira à des incitations spécifiques, et on n’est pas sur que la réaction de demain sera la même que celle d’aujourd’hui."(rationalitelimitee.wordpr…
@ tangi
Voici un extrait de ‘Public Principles of Public Debt: A Defense and Restatement’, James Buchanan 1958. Je vous recommande le reste du texte.
[…]
The new orthodoxy of the public debt is based upon three basic propositions. These are:
1. The creation of public debt does not involve any transfer of the primary real burden to future generations.
2. The analogy between individual or private debt and public debt is fallacious in all essential respects.
3. There is a sharp and important distinction between an internal and an external public debt.
[…]
I shall attempt, in this and the following chapters, to accomplish this reversal. I shall try to prove that, in the most general case:
1. The primary real burden of a public debt is shifted to future generations.
2. The analogy between public debt and private debt is fundamentally correct.
3. The external debt and the internal debt are fundamentally equivalent.
[…]
Source :
http://www.econlib.org/library/B...
@ tangi
PS : "A secret tax on teenagers"
http://www.slate.com/id/2192361/
Sur le même sujet, voici justement un article de Tim Harford qui critique les récents "stimuli fiscaux" de Bush et Brown. Il présente succinctement la fameuse "équivalence ricardienne" entre déficit et impôt…
@Gu Si Fang
Mon Anglais est malheureusement trop approximatif pour comprendre les subtilités d’un article d’économie en Anglais ; enfin, c’est possible, mais ça me demande des vérifications de vocabulaire fastidieuses.
Toutefois, si j’ai bien compris le sens général de votre intervention, vous avez sur ce sujet une opinion qu’on peut considérer être à l’opposée de celle des éconoplastes (surtout dans votre première citation).
L’équivalence Ricardienne est compatible avec ce que j’ai compris de l’argumentation de M. Delaigue : il explique que "Pour la population, la dette n’en est pas une puisque si elle n’existait pas, il faudrait leur prélever des revenus sous forme d’impôts", tandis que l’équivalence ricardienne est que "il y aurait, sous certaines conditions, équivalence entre l’augmentation de la dette publique aujourd’hui et l’augmentation des impôts requise demain" (wikipédia). C’est le demain qui me semble rendre ces 2 théories compatibles. M. Delaigue explique d’ailleurs qu’il est normal que les générations futures payent plus d’impôts, puisqu’elles seront plus riches (personnellement j’ai vraiment pas l’impression d’être plus riche que mon père ne l’était au même âge, mais bon). Donc pas d’incompatibilité je pense.
En fait, je ne remet pas en cause l’exploitation politique sans aucun fondement économique, ni le fait qu’il n’existe pas de "bon chiffre en terme de déficit publique", ni même le fait que l’essentiel de cette dette étant détenue par des habitants du pays, la créance par habitants souvent mise en avant est sans aucun sens.
Je pose juste la question, compte tenu de la situation catastrophique dans lequel serait un pays ayant un réel problème de soutenabilité de sa dette et de ses dépenses publiques, de l’éventuelle légitimité d’une barrière. Artificielle, certes, mais permettant d’éviter une telle catastrophe.
Dans mon boulot, j’ai accès aux notes émises par l’équipe de Patrick Arthus (je crois avoir compris dans certains billets que les éconoplastes ne partage pas certaines de ses vues…)qui prédit pour les US des difficultés futures à financer leur déficit extérieur (problème donc de soutenabilité du déficit arrivé de manière un peu abrupte, puisque jusqu’à il y peu ils n’avaient pas ce genre de problèmes), avec comme conséquence une chute du dollar. Est ce que l’avenir va lui donner raison ? Est ce grâve pour les US ? Est ce qu’une barrière artificielle ne leur aurait pas permis d’éviter cette situation ? Bien sur cet exemple a ses limites, puisque dans le cas des US la dette privée pose au moins autant de problème que la dette publique. Mais bon, ça illustre un peu ce à quoi je pensais.
Où pour être plus bref, comment être certain de ne jamais être dans une situation où la soutenabilité de la dépense publique devient problématique ?
@ tangi
Dans un précédent billet d’Alexandre Delaigue, j’avais mis le résumé suivant en commentaire (j’enlève ce qui ne concerne pas la dette) :
"Peut-on résumer les explications données dans ce billet et d’autres plus anciens?
– ne pas confondre dette publique et dette extérieur nette, OK
– se souvenir que pour chaque euro de dette "intérieure", il y a un Français qui détient un euro de créance, OK
– ne pas croire que les droits à la retraite des fonctionnaires et des cotisants du privé sont une vraie créance, OK"
C’est, je crois, ce qu’Alexandre a répété assez souvent. Il considère que la vraie question c’est 1) la dépense publique et son efficacité, et pas 2) son mode de financement. Dans l’ordre des priorités, c’est vrai, 1) passe avant 2).
Mais à la réflexion le mode de financement est important, pas pour "la communauté", mais pour les individus. C’est le raisonnement que fait Buchanan. Contrairement aux économistes qui raisonnent par agrégats macro, lui regarde ce qui se passe au niveau d’un contribuable. La vue macro revient à dire "quand on se doit de l’argent à soi-même on n’est pas endetté". Elle traite la population française comme un tout homogène.
Mais au niveau de l’individu, l’image est différente. Prenez une dépense donnée (mettons qu’elle soit justifiée). Il n’est pas du tout équivalent qu’elle soit payée par vous ou par moi; par vous ou par vos parents. La dette publique effectue ce genre de redistribution de façon déguisée et imprévisible, contrairement à l’impôt.
L’efficacité de la dépense publique est évidemment la question centrale : celle qui justifie le débat sur la dette ou les déficits.
Depuis Salomon, il existe un moyen simple de vérifier l’utilité d’une dépense publique : la supprimer, et voir si elle manque et à qui.
Toute autre solution est normalement justifiable dans le cadre d’une analyse rationnelle : laquelle n’est jamais réalisé, justifiant l’envie pour l’électeur de recourir au jugement de Salomon.
Tout ceci est bien connu, et même de nos élus, qui ont voté la LOLF dans un grand consensus gauche-droite en 2001 : tout autre discours est un discours de diversion. Mon bras fatigue.