On n’est pas plus avancé, mais on avance…

Cet article publié sur le site de The Economist se demande ce qu’est une dette trop élevée. Je n’utilise volontairement pas le terme “insoutenable” qui a une autre signification, à la fois plus précise et romantiquement indicible, pour les économistes.

Ce paragraphe résume bien le problème de ces dettes qu’on annonce trop hautes et qui, finalement, ne demandent encore qu’à grossir, si on s’en tient aux taux d’intérêt exigés par les investisseurs, mais qui laissent planer la menace qu’elles deviennent un jour trop importantes ; surtout que personne n’a une idée précise de quand il faut s’arrêter (je sais, c’est compliqué, mais relisez, vous verrez, ça se tient) :

“These governments can borrow cheaply for decades at a time. While it is certainly possible that the markets are wrong, policymakers should probably pay more attention to investors and less to the fear-mongers, especially since economists do not know how much government debt is too much. In fact, there is good reason to think that many countries with their own currencies could become far more indebted without risking trouble. One reason is that many private investors do not own enough sovereign bonds.”

Il y a quelque chose de très stimulant et de désespérant dans les analyses économiques de la dette publique qui foisonnent depuis quelques années. Quand je parle d’analyses économiques, mettons nous d’accord, je ne parle pas des prophètes de l’apocalypse ou des défenseurs-acharnés-et-permanents-de-toujours-plus-de-déficits-pour-relancer-la-croissance. Je parle des économistes qui bossent. Les rigolos ne me désespèrent même plus et vous devriez en faire autant, en oubliant surtout qu’ils existent. Ce sont les mêmes qui prédisaient la fin du monde avant les Mayas à propos du triple A ou veulent taxer les riches pour régler tous les problèmes sur Terre.

Non, ce qui est stimulant, ce sont les publications de qualité qui fleurissent sur le sujet. Parmi celles-ci, celle de Reinhart et Rogoff (je devrais dire celles, au pluriel, mais vous pouvez jeter un oeil à ce papier central chronologiquement dans leur analyse ou, plus simplement à celui-ci, plus court et également cité par l’article de The Economist) a eu un rôle particulier. Rapidement publiée (le livre This Time Is different date de 2009), elle a été saluée comme un exercice économétrique qu’il fallait faire. Avec le recul, on peut considérer qu’elle a été trop mise en avant, en dépit des limites qu’on lui connaissait dès le départ (et qui n’enlèvent rien à son intérêt). C’est un peu ce que signale l’article qui, bien que n’étant jamais dur à son égard, montre que quelques temps après sa diffusion, il ne nous éclaire pas beaucoup plus et a alimenté des commentaires parfois trop tranchés. Comme je l’écris plus haut, il y a eu des tas d’autres articles et études publiés sur le sujet qui sont loin de manquer d’intérêt. Mais, et c’est là l’aspect désespérant de l’histoire, le bilan est clair : “debt matters, but the precise way that it matters isn’t as clear-cut”.

Conclusion : on avance, mais pas vite.

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2 Commentaires

  1. >debt matters, but the precise way that it matters isn’t as clear-cut

    Y a que les economistes pour ne pas voir ce qui compte. Ce qui compte c’est le pourquoi on s’endette, et quand c’est pour un bien vital, non remplacable, et non renouvelable, et bien faut pas se leurrer, la dette elle sera jamais remboursee.

  2. Une petite question. Vous dites : "personne n’a une idée précise de quand il faut s’arrêter [de faire grossir les dettes]", et votre billet tourne autour de l’incapacité des économistes à établir un discours vraiment convaincant à ce sujet ; mais considérez-vous cette incapacité comme temporaire, contingente, simplement liée aux limites intellectuelles des économistes contemporains (et de leurs outils), ou est-ce que vous pensez que la question est par principe indécidable ?

    En tant que non-économiste, la seconde position me paraît plus intuitive : il n’y a pas "un" taux de dette à ne pas dépasser, puisqu’en gros les États peuvent s’endetter tant que les investisseurs ont confiance en eux. Or cette confiance est subjective : elle s’appuie sur des données économiques objectives, mais aussi sur des modèles en évolution, sur des indices plus ténus (par exemple, les discours des hommes politiques), et elle me semble sujette à des effets de groupe (panique, ou confiance exagérée, etc.). Ainsi, si l’économie — comme discipline — est inapte à fixer le taux d’endettement à ne pas dépasser, il me semble que c’est parce que l’économie ne peut pas expliquer à elle seule la confiance ou la perte de confiance. Et comme la psychologie n’y parvient pas bien non plus…
    Mais je fais peut-être fausse route ?

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