Comme vous vous en doutez, parler devant mon écran à des gens que je dois imaginer est devenu mon quotidien depuis le 15 mars. Dans les structures où je travaille (avec des étudiants de 18 ans à… ouh, ben… plus vieux que moi peut-être pour quelques-uns), le principe des cours à distance a été maintenu jusqu’à la prochaine rentrée. Cette période, de mon point de vue, mais aussi de celui que je perçois autour de moi ou dans les média, m’inspire quelques idées simples.
Le bilan global est impressionnant
Le jeudi 12 mars, si je me souviens bien, Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités le lundi 15 mars. De là jusqu’au week-end, les profs moulinent pour trouver des outils, contacter leurs élèves, se concerter au mieux pour faciliter la continuité pédagogique. De mon expérience directe ou des informations plus larges que j’ai pu recueillir, une chose structurée se met en place. Avec des approches parfois différentes, mais coordonnées. Tous les enseignants et tous les élèves ne sont pas sur un pied d’égalité. Il y a ceux qui sont à l’aise avec les outils numériques et les autres. Il y a ceux qui sont confinés à l’aise et ceux qui le sont dans des conditions différentes. Mais ceux qui sont confinés dans des conditions compliquées ne sont pas forcément ceux qui galèrent le plus, pour ce que j’ai pu constater (j’ai 30% environ de boursiers dans ma filière de DCG). Les cours se sont tenus. Moins bons que d’habitude ou, au prix d’un temps de travail exceptionnel, simplement un peu moins bons. Je crois qu’il faut mesurer que cette improvisation totale a donné des résultats remarquables, dans des circonstances qui ne le laissaient pas présager.
Ne pas extrapoler les insuffisances
Ceci étant dit, nous sommes unanimes à dire que si on avait pu se passer de ces modalités de travail et rester sur le mode de fonctionnement habituel, on ne s’en serait pas privés car :
– l’équipement technique était parfois lacunaire pour les profs et les élèves (matériel informatique insuffisant, connexions Internet défaillantes, etc.).
– les infrastructures de l’Éducation nationale étaient insuffisantes (réseaux saturés, outils moyennement fiables, etc.), même si les bases sont là, le plus souvent sous-dimensionnées.
– certains élèves ont décroché dans cette organisation improvisée, en raison d’un manque de dispositifs de contrôle suffisamment solides.
– au-delà d’un certain temps, dans ces conditions ad hoc bancales, la motivation diminue pour tout le monde. Devoir supporter les problèmes d’organisation divers dans un contexte social et sanitaire par ailleurs lourd et incertain (notamment pour la tenue des examens) amène à une forme de découragement plus ou moins latent.
Le jugement de beaucoup sur l’enseignement à distance est donc assez sévère aujourd’hui, en raison de ces difficultés, qui sont réelles. Il me semble néanmoins que ces conclusions parfois radicales ne contextualisent pas assez notre expérience. On doit pouvoir en tirer des perspectives d’intégration de l’enseignement à distance dans les pratiques pédagogiques.
Que faire de tout ça ?
La période a permis à beaucoup de se former à de nouveaux usages pédagogiques numériques. Il serait dommage de ne pas en profiter. Je vois un intérêt à cela pour plusieurs raisons :
– Travailler de chez soi évite des déplacements.
– Il y a trop d’heures de cours dans l’école française.
– Le travail numérique rétablit en quelque sorte le travail personnel des élèves. Progressivement rogné, sa diminution est à l’origine d’une dégradation notable de nos performances éducatives. C’est en tout cas ma conviction depuis des années.
– Ce travail personnel a un potentiel d’individualisation pédagogique intéressant.
– Enfin, si nous devions nous retrouver durablement sous la menace épidémique, ce système permettrait d’économiser des espaces dans les établissements, facilitant ainsi l’organisation de la distanciation physique.
Concrètement, à la louche, je verrais les choses comme ça :
– Remplacer 1/4 des heures de cours par un travail à distance en synchrone ou pas. Intégrer clairement les deux temps de travail en présentiel et à distance.
– Appliquer cela à partir d’un âge où les élèves sont suffisamment autonomes seuls à la maison. Exit donc l’école primaire et le début du collège.
– Investir dans des infrastructures et équipements numériques dignes de ce nom à l’Éducation nationale.
– Apprendre aux élèves et enseignants à faire des choses élémentaires mais essentielles pour que ce type de travail fonctionne. Nos étudiants savent faire des choses très compliquées sous Excel, mais nombre d’entre eux sont incapables de transformer des images en fichier PDF pour les joindre en un seul fichier à un mail. Et pour cause : on ne le leur apprend pas (ce qui peut se comprendre dans un sens, mais finalement pas tant que ça).
– Mettre en place à la marge un suivi de vie scolaire efficace sur ce temps de travail à distance. Je dis “à la marge” parce que l’alternance de l’enseignement présentiel et à distance me semble largement suffisant pour prévenir le manque de travail des élèves. Au contraire, je pense que certains élèves trouveraient une forme de motivation nouvelle dans le fait de pouvoir travailler à leur rythme.
– Mettre en place un système d’assistance technique qui garantisse un accès à l’ enseignement numérique satisfaisant pour tous. Je suis convaincu que l’on peut améliorer l’équipement des familles sans que cela ne soit coûteux. Comme je le disais dans ce billet, utiliser une technologie frugale efficace est possible. Un ordinateur basique et relativement âgé est bien plus utile pour suivre un cours à distance ou accéder à des ressources numériques que le plus cher des Iphone. Dans les cas les plus compliqués, on peut envisager de mettre des salles informatiques à disposition des élèves dans les établissements (voire dans des locaux dédiés destinés à accueillir sur une zone donnée les élèves ayant besoin de ce service).
J’ai griffonné tout ceci sur un coin de table. Le message est uniquement de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et de capitaliser ce qu’il y a eu de bon dans cette brutale obligation de continuité pédagogique.
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“Un ordinateur basique et relativement âgé est bien plus utile pour suivre un cours à distance ou accéder à des ressources numériques que le plus cher des Iphone.”
oh oui, pendant le confinement mon père a rencontré une amie qui collectait de vieux ordis pour les donner à des collégiens de milieux modestes. Elle avait demandé à mon père un connecteur, j’ai ajouté une souris trouvée dans la poubelle de mon entreprise.
Pour le non-gaspillage, il est grand temps de revoir le système pour encourager les entreprises à donner au lieu de jeter.
Voilà. L’accessibilité numérique de base est possible. C’est plus compliqué quand il s’agit de l’accès au réseau, qui ne peut reposer que sur des solutions de marché. Pour le reste, c’est entre les mains des gens.