Mise à jour – 15/12/2008

Une nouvelle chronique de livre : La crise, de Michel Aglietta. Et ça parle de… la crise.

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5 Commentaires

  1. Je n’ai pas fini le livre, mais votre billet m’incite à écrit un commentaire à chaud, et le premier chapitre suffira à la tâche. Voici d’abord un résumé du chapitre, et ensuite quelques pistes de réflexion comme le suggère éconoclaste-Stéphane :

    La première phrase d’Aglietta est : "Les historiens l’ont constaté, les phases de crise sont inhérentes à la logique financière." Le cadre est donc posé dès le départ, l’auteur affirme ses origines historicistes. Il se distingue volontairement du point de vue dominant, qui considère que le marché est naturellement stable, et tend vers l’équilibre.

    Son raisonnement est le suivant : si le marché avait ses propres mécanismes stabilisateurs, il ne devrait provoquer de crises. Il faudrait donc une cause extérieure pour déclencher une crise, et le déroulement de la crise devrait varier selon la cause. Ce n’est pas ce que l’on observe, puisque les crises n’existent réellement que depuis quatre siècles, et le scénario est toujours le même.

    Sa réponse est la suivante : l’apparition des crises modernes coïncide avec l’apparition du "papier", des "titres sur lesquels les gens peuvent spéculer". Avant leur apparition, les crises étaient mineures; depuis, elles sont importantes. Il y a donc un lien de cause à effet, une "logique commune [qui permet] de théoriser ce processus".

    Pour Aglietta, ce sont les actifs financiers et la monnaie – ou le crédit – qui sont au coeur de cette logique. Je le cite encore : "Si [le marché des actifs] ne fonctionnait que sur l’épargne disponible, il porterait en lui-même ses propres limites […] Le lien entre le crédit et le prix des actifs est essentiel […] C’est exactement le processus qui a conduit à la crise […]"

    Et de conclure : "Il est ainsi démontré que le marché des actifs fonctionne selon des lois [distinctes des biens ordinaires] et que l’instabilité est intrinsèque […]"

    Or, la nationalisation de la monnaie est en tous points contradictoire avec le fonctionnement normal d’un marché. Pour tous les autres biens, le fonctionnement libre du marché exige l’abolition des monopoles légaux, la liberté contractuelle, la responsabilité des parties et le respect des droits de propriété. Pour la monnaie, on a exactement l’inverse : la monnaie est un monopole légal, le contrat entre les déposants et leur banque n’est pas libre, les banques bénéficient de plans de sauvetage qui leur évitent d’être responsables de leurs erreurs, et enfin les droits de propriété sont violés.

    Notre système financier n’est donc PAS un marché libre. Aglietta en est conscient, bien entendu. Il n’écrit d’ailleurs pas que c’est le marché qui est naturellement instable. Au lieu de cela, il utilise la formule alambiquée "capitalisme financier" pour désigner notre système actuel. De plus, il donne tous les arguments qui permettent de comprendre pourquoi ce capitalisme financier – ce "non-marché" du crédit et de la monnaie – est instable. Et contrairement à ce qu’il écrit, les économistes partisans du marché ne sont pas tous favorables à ce "non-marché" qu’est le capitalisme financier, bien au contraire!

    Les Autrichiens écrivent depuis toujours qu’un tel système, non seulement n’est pas "auto-stable", mais est même nécessairement instable. Ils sont d’accord avec Aglietta, à ceci près qu’ils prônent le retour à un véritable marché, tandis que lui occulte cette possibilité et propose (dans les autres chapitres du livre) des recettes pour améliorer la gestion publique de la monnaie.

    Quand je lis ça, j’ai envie de lui demander "Mais n’est-ce donc pas ce capitalisme financier qu’il faut remplacer par un véritable marché? Pour tous les biens autres que la monnaie, on reconnaît les vertus éthiques et utilitaristes du marché par rapport à la planification. La même conclusion ne s’impose-t-elle pas pour la monnaie et le crédit? Ne serait-il pas temps rouvrir ce débat ancien qui a pris plusieurs formes au cours des siècles, entre currency school et banking school, économistes et socialistes, keynésiens et monétaristes, etc.? Pourquoi vous acharnez-vous à nous convaincre de ce nouveau Plan de la Monnaie et du Crédit?"

  2. Je ne vois pas de mécanismes par lesquels la privatisation du marché de la monnaie aurait entrainé une diminution de l’impact de la crise.

    Si on regarde la production de titrisation, on voit qu’à partir de 2005, quand Freddy et Fannie diminuent le montant de crédits titrisés, le secteur privé reprend largement le flambeau (et sans la garantie implicite d’Etat qu’avaient Freddy et Fannie).

    Une très grande partie des acheteurs des titres financiers créés étaient des institutions privées.

    Donc des entreprises de crédit privées, faisaient titriser des crédits privés en passant par des intérmédiaires privées, et les vendant à des firmes privées. Et cette pratique a atteint son maximum en 2005-2006, soit au sommet de la bulle. J’ai du mal à comprendre comment plus de marché la dedans permettrait d’éviter ce genre de comportements.

  3. @ Olivier

    Effectivement, je n’ai donné aucune raison, aucun argument dans mon commentaire. C’est une question de place, et aussi un truc dont on n’est pas trop censé parler ici, un peu comme les bêtes à grandes oreilles sur un bateau ou les liens de chanvre dans un théâtre 😉 Pour plus d’info vous pouvez lire ce petit livre qui amha dit l’essentiel dl.free.fr/nZ9JkwwdQ

  4. J’ai lu un peu le doc attaché, merci pour le lien, mais j’avoue rester dubitatif malgré tout. D’une part, je ne vois pas comment ce système aurait évité la crise, qui repose à mon avis sur des ressorts qu’un système totalement privé n’auraient pas évité (disons que la garantie d’Etat sur Fannie et Freddie a pu jouer négativement, mais on voit que la titrisation privée était également en plein essor).
    D’autre part, dans un système de monnaie privée, quelle serait la situation après la crise de confiance ? Les banques n’avaient plus aucune confiance les unes dans les autres et ne se pretaient plus, il serait advenu la même chose de leurs monnaies, et l’instabilité du système n’en aurait que plus grande.

  5. Il faut renverser la causalité : ce n’est pas la titrisation qui a causé la bulle, mais l’expansion monétaire qui a causé la bulle et encouragé le développement de la titrisation. Le mécanisme est en gros que l’expansion monétaire incite tous les acteurs économiques à s’endetter et à spéculer sur la hausse du prix des actifs. La titrisation a permis aux banques de le faire en contournant les contraintes réglementaires qui pesaient sur elles. Sans expansion monétaire, la titrisation existerait à un niveau beaucoup plus faible. En effet, sans expansion monétaire, s’endetter pour spéculer sur un actif est une activité risquée et pas particulièrement rentable. Le théorème de Modigliani-Miller illustre ce mécanisme. La titrisation devient du coup un montage financier coûteux et pas très intéressant. La titrisation a aussi été encouragée pour des raisons politiques, via Fannie et Freddie.

    Après la faillite d’une banque dans un système de monnaie privée, une procédure de liquidation a lieu. Les comptes des déposants et autres créanciers sont gelés. Les actifs sont recensés, et vendus pour rembourser, par ordre de priorité, les déposants, les créanciers, les obligataires, les actionnaires. Ce sont donc en général les actionnaires qui perdent de l’argent, d’autant que les banques doivent être fortement capitalisées dans un tel système. Il n’y a pas d’effet systémique. C’est ainsi que cela se passait par exemple dans les banques écossaises (quasiment libres) fin 18 et début 19ème. Adam Smith lui-même avait perdu de l’argent en tant qu’actionnaire dans une telle faillite. Ce genre de mésaventure est très désagréable et incitait les gens à être regardants avant de choisir une banque.

    Pour les banque comme les autres activités économiques, le risque zéro n’existe pas. Dans le système bancaire actuel, le risque n’a donc pas été éliminé mais socialisé. Ceci a abouti à transférer le risque – les pertes – des gens qui ont fait des erreurs vers les gens qui n’en ont pas fait, et à augmenter globalement le risque, à cause de l’aléa moral qui résulte de cette socialisation.

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