La cause est entendue : les marchés financiers sont irrationnels. Le « manifeste des économistes atterrés » paru il y a quelques mois, l’indiquait : La croyance dans « l’efficience des marchés » a conduit à placer les marchés financiers au centre de la régulation de nos économies, provoquant crises et inégalités; aujourd’hui, cette croyance pousse à mener des politiques d’austérité budgétaire, à démanteler les états-providence, pour « rassurer les marchés » pourtant principaux responsables de nos difficultés. La spéculation est responsable de fluctuations irraisonnées des matières premières, des devises, etc.
OK. Sauf qu’il est en pratique assez rare de trouver des gens qui vous diront, « les marchés sont rationnels, voilà ce qu’ils disent, voilà donc ce qu’il faut faire ». Le défenseur de l’efficience des marchés est un homme de paille commode. « l’opinion des marchés » nous est parfois donnée sous la forme d’une interview avec un employé de banque, un analyste qui donnera son opinion et ses prévisions. Mais l’avis en question n’est pas « ce que les marchés disent » : si l’on veut prendre l’efficience des marchés au sérieux, seuls les prix des actifs financiers doivent être pris en considération. Voici donc un petit exercice intellectuel : que disent les marchés, exactement?
– Le « quantitative easing » de la fed aura des effets, mais ceux-ci seront modestes. On lit tout sur l’évolution de la politique de la fed, souvent des discours apocalyptiques, comme si la nouvelle vague de « quantitative easing » allait provoquer des secousses telluriques, correspondaient à l’abandon de toute raison de la part d’un président de la fed qui ne sait « qu’imprimer de la monnaie ». On voit des commentateurs promettre une explosion de l’inflation, une plongée du dollar, voire la disparition de son statut de monnaie de réserve internationale. On en voit d’autres considérer que cela n’aura aucun effet. Si l’on en juge par les réactions du marché, pourtant, il va y avoir un effet, mais celui-ci sera modéré. L’annonce de politique de la fed a été suivie de hausses boursières aux USA, d’une baisse du dollar; mais tout cela n’a pas été particulièrement spectaculaire. L’anticipation des marchés est donc celle d’un effet, mais pas d’un effet très important.
– Une inflation hors de contrôle aux USA a peu de chances de se produire. Si tel était le cas, on devrait observer une baisse de valeur des obligations normales, et une hausse de celle des obligations indexées sur l’inflation. Or si les marchés semblent considérer que QE2 va éviter la déflation, et atteindre l’objectif présenté par Bernanke de ramener l’inflation vers les 2% annuels, ils ne semblent rien indiquer de plus que cela. Certes, dans le même temps, la protection contre l’inflation peut passer par les achats de matières premières. Mais on peut trouver d’autres explications à leur hausse récente.
– Dans de nombreux pays, il n’y a pas d’inquiétude majeure sur la soutenabilité de la dette publique. Si je consulte bloomberg, je constate que les taux d’intérêt sur les bons du trésor à 10 ans de différents pays sont très faibles au regard des normes historiques. 2,53 aux USA, 2,85 au Canada, 2,97 en Grande-Bretagne, 2,85 en France, 2,41 en Allemagne, 1,44 en Suisse, 0,94 (!) au Japon. Ces taux ne ressemblent guère à ceux de gouvernements aux abois, sur le point d’être ruinés et poussés au défaut sur leur dette.
– Dans d’autres pays, par contre, la dette publique est difficilement soutenable. Ces pays sont essentiellement ceux d’Europe périphérique : Portugal, Irlande, Grèce (11,53%…), Espagne. Dans ces pays-là, les écarts de taux par rapport aux autres pays sont énormes, et croissants; le prix des CDS tend lui aussi à augmenter. Ces pays se retrouvent donc, sous la pression des marchés, obligés à l’austérité budgétaire au plus mauvais moment possible. Mais cela nous conduit au constat suivant :
– L’austérité ne paie pas. Si l’annonce de plans d’austérité budgétaire a pu ponctuellement produire une réaction positive des marchés, celle-ci n’a que rarement duré. Si le plan d’austérité britannique a conduit à une baisse du taux des emprunts publics, ceux-ci restent plus élevés que les taux du gouvernement français, qui n’a rien annoncé de tel. Il y a des raisons à cela. En Irlande, les marchés réagissent beaucoup plus à la situation du système bancaire national qu’à l’état des finances publiques. Il n’en reste pas moins qu’il peut y avoir des raisons d’enrager pour les gouvernements qui imposent à des populations parfois violemment réticentes des plans d’austérité, et qui ne reçoivent aucune gratitude des marchés pour cet effort.
Mais les réactions des marchés sont compréhensibles. Ils souhaitent avant tout que les dettes publiques qu’ils ont acheté soient finalement payées. Et cela dépend de facteurs qui interagissent : Les impôts, les dépenses publiques, et la conjoncture économique. La conjoncture économique détermine les recettes fiscales des gouvernements; l’austérité budgétaire peut dégrader la conjoncture économique, voire provoquer un tel mécontentement des populations qu’elle conduit au chaos économique. Et le chaos n’est pas bon pour le paiement des dettes. Pour ces raisons, un gouvernement qui croit satisfaire les marchés par l’austérité budgétaire risque d’être souvent déçu.
Cela ne devrait surprendre personne : comme le rappelle Kevin O’Rourke, c’est une constante de l’histoire économique du 20ième siècle. Les marchés veulent que les dettes publiques soient remboursées; mais si ce remboursement exige une austérité budgétaire qui provoque un chômage trop important, ils parient que les gouvernements élus démocratiquement ne pourront pas éternellement maintenir l’austérité, et finiront par être remplacés, ou par changer de politique pour éviter de l’être. C’est ce qui s’est produit dans les années 20, et lors des attaques spéculatives contre les monnaies européennes durant les années 90. Les marchés attendent des dirigeants politiques qui choisissent de bonnes politiques (quelles qu’elles soient) et qui expliquent en quoi elles sont bonnes; ils sont à ce titre bien moins idéologiques qu’on ne le croit, ou que l’affirment ces gouvernements pour qui « la pression des marchés » est le moyen d’imposer des choix idéologiques. Et cela nous amène à notre dernier point:
– Les gouvernements européens ne sont pas crédibles. Ce que montrent avant tout ce que subissent les économies européennes périphériques, c’est que les mécanismes de sauvetage mis en oeuvre au cours de l’année (fonds de stabilisation, notamment) n’ont aucunement rassuré les marchés. C’est que rien n’a été fait pour régler les problèmes structurels de la zone euro : faible croissance, déséquilibres macroéconomiques, politique monétaire qui doit faire le grand écart entre pays trop différents. Les difficultés de la zone euro sont à ce titre loin d’être terminées.
Alors, il est fort possible de considérer que les marchés sont totalement irrationnels, qu’ils ont tort et que les divers commentateurs et politiques qui nous annoncent inflation galopante, finances publiques ruinées, austérité indispensable, aient raison. Il est possible également mon interprétation de leur message ne soit pas la bonne (il est toujours difficile d’être l’oracle du Dieu marché, même lorsqu’on est l’un de ses valets stipendiés, car il a un peu tendance à s’exprimer en langage codé).
Mais je dois avouer que ces temps-ci, les marchés me semblent assez raisonnables.
En fait, quand on est dans la situation de déficit et d’endettement des pays européens périphériques, il n’y a pas de bonnes politiques, et la question est de trouver la moins mauvaise, en sachant qu’il faudra du temps pour en sortir
C’est pareil pour les entreprises et les ménages
En fait on est obligé de faire des opérations difficiles au plus mauvais moment
La vraie bonne politique est de ne pas en arriver là
C’est pour cela que ceux qui dénoncent les licenciements des entreprises qui font des bénéfices Imaginons quelles reportent les opérations d’ajustements, jusqu’à ce qu’elles soient en perte : elles seront obligés de les faire dans les pires condition,pour elles comme pour leurs salariés
pas mal; le theme de lire les anticipations dans les prix est tres bien, encore faut-il prendre garde aux primes de risque!
(1) Sur l’effet de QE, difficile de dire car l’annonce de la fed a tres peu surpris les marchés, donc pas de reaction des marches. Mais il y a certainement un consensus que l’effet sera minime.
(2) Sur l’inflation, d’accord avec vous qu’elle n’est pas pricee (sauf p-e dans commodities); attention cpdt a l’interpretation du spread TIPS-Treasury qui peut etre lie a des primes de risque d’inflation, et le risque de deflation affecte les TIPS de facon asymetrique.
(3) Sur la soutenabilite de la dette, oui, mais il vaut mieux regarder les CDS que les taux longs qui refletent l’inflation. Il faut bien noter aussi que les obligations d’etat jouent un role d’assurance tres fort, i.e. si la crise persiste et l’inflation baisse, la bourse baissera mais c’est bon pour les obligatoins d’etats! Donc les taux longs bas s’expliquent en partie par cette prime de risque negative. (tant que les obligations sont assez safe.)
(4)"L’austérité ne paie pas." Je pense que c’est le + difficile a evaluer. Les pays qui ont fait des plans d’austerite sont precisement ceux qui avaient le plus de problemes. La comparaison entre pays ne fait donc aucun sens. Aux UK, il y a clairement une tentation inflationiste, d’ou le niveau des taux longs (j’ai cherche les inflation-indexed yields mais pas trouvés).
L’experience sous-jacente, c’est, prenons un pays qui annonce une surprise budgetaire (plan d’austerite + fort que prevu). Que se passe t-il sur les taux longs? Je n’ai pas d’exemples ou ca aille dans le mauvais sens. (le pt etant que le plan d’austerite est endogene, donc il est + dur si les choses vont + mal.)
(5) L’absence de credibilite de l’Europe. Oui mais c’est normal: on n’a pas propose de restructuration de la dette. Hors personne ne voudra effectivement payer la dette grecque. Donc le probleme est entier. (On a gere la "crise de liquidite", qui n’en etait evidemment pas une.)
Excellente analyse.
Les cas danois et suédois l’illustre bien.
Merci d’avoir enfin levé un truc: La dette, à quelques exceptions prés, n’est généralement pas une menace dans la plupart des pays. Enfin quelqu’un le dit!
Les marchés resteront toujours d’autant plus raisonnables qu’ils n’ont pas le choix : tous les titres du monde ne valent rien sans états financièrement crédibles pour en garantir l’utilité. Car que vaut un capital fait de promesses lorsque personne ne s’estime devoir en dernier recours tenir les engagements pris ?
Hello
J admire vos message mais la ref a cet article de macroblog est franchement decevante
une vision tres americaine, tres "PIGS", bref bien en deca de la qualite de votre analyse
E
Réponse de Alexandre Delaigue
C’est affaire de point de vue. cet article m’intéressait surtout ici pour les graphiques.
Pour information, voici trois graphiques intéressants :
Si le Portugal lançait un emprunt à 10 ans, il devrait payer un taux d’intérêt de 6,776 % !
http://www.bloomberg.com/apps/qu...
Si l’Irlande lançait un emprunt à 10 ans, elle devrait payer un taux d’intérêt de 7,859 % !
http://www.bloomberg.com/apps/qu...
Si la Grèce lançait un emprunt à 10 ans, elle devrait payer un taux d’intérêt de 11,407 % !
http://www.bloomberg.com/apps/qu...
Le prix d’un actif n’a que peu de corrélation avec sa valeur intrinsèque.
Si une OAT vaut 2% à 10 ans, ce n’est pas parce que le "marché" pense qu’elle vaut 2% mais parce que le rapport acheteur/vendeur fait qu’elle vaut 2%.
Enlevez la fiscalité favorable à l’assurance vie, la peur "psychologique" actuelle (mais peut être pas futur) sur les actions, la tradition des économies père de famille sur les obligs…
Rajoutez a cela une propagande médiatique sur la faillite des états.
=> Vous avez des facteurs externes qui influent bien plus sur la valeur de l’OAT que ce que pense le marché.
Rien que le fait de supprimer (l’avantage fiscal) de l’assurance vie et l’OAT sera à 5% au lieu de 2. Et pourtant le marché pensera exactement la même chose !!
Nous sommes au coeur du probleme du systeme capitaliste… Le besoin d un endettement croissant (donc d une solvabilite croissante…CROISSANCE CROISSANCE!!!) et la speculation (qui fausse les donnees et les regles du jeu)
Intéressant.
Noter que les graphiques fournis par BA indiquent que les choses peuvent changer très vite. En janvier 2010, les taux des PIGS ne ressemblaient guère à ceux de gouvernements aux abois, sur le point d’être ruinés et poussés au défaut sur leur dette.
"Le prix d’un actif n’a que peu de corrélation avec sa valeur intrinsèque."
… pour une raison toute simple : la "valeur intrinsèque", ça n’existe pas
"Vous avez des facteurs externes qui influent bien plus sur la valeur de l’OAT que ce que pense le marché."
… mais ce que "pense le marché" comme vous dites (car le marché ne pense pas) tient justement compte de tous ces "facteurs externes"
En l’espèce, "les marchés", c’est tout simplement les gens à qui l’Etat fait appel pour lui prêter les sous dont il a cruellement besoin. Alors peu importe qu’ils soient "rationnels" ou pas. Quand on est aux abois, il faut bien en passer par leurs exigences, rationnelles ou non.
Il faudrait arrêter de parler des "marchés" en général sans comprendre de quoi ils sont faits. Bel exemple de l’animisme que dénonce Yannick Bourquin : quedisentleseconomistes.b…
Si cela peut aider votre analyse:
"Let’s start with a simple tautology for any individual country:
Household Financial Balance +
Business Financial Balance +
Government Financial Balance +
Foreign Financial Balance = 0
Again, double-entry bookkeeping: The only way that one of the four sectors can run a deficit or surplus is for one or more of the other three sectors to run the opposite. This assertion doesn’t, of course, tell us anything about causation.
Nor does it tell us about the composition or the sustainability of the starting positions for global stocks of debt and assets. It’s simply the tyranny of arithmetic for the flow of funds."
"To be sure, the vigilantes have fled Greece, but Greece does not have a fiat currency; Greece is a risk asset and all risk assets depend upon growth for valuation support. And fiscal austerity is not the path to growth if everybody wants to do it at the same time.
The risk asset vigilantes, who rightfully fear fiscal austerity–induced deflation, are in charge, not the bond market vigilantes of our youth, who feared fiscal profligacy–induced inflation."
Fact on the ground
http://www.pimco.com/Pages/GCBFo...
—————-
"To review,
QE is not ‘money printing’ of any consequence. It just alters the duration of outstanding govt liabilities which alters the term structure of risk free rates.
QE removes some interest income from the economy which the Fed turns over to the Tsy. This works against ‘earnings’ in general.
QE alters the discount rates that price assets, helping valuations.
Japan has done enough QE to keep 10 year jgb’s below 1%, without triggering inflation or supporting aggregate demand in any meaningful way. Japan’s economy remains relatively flat, even with substantial net exports, which help domestic demand, a policy to which we are now aspiring.
QE does not increase commodity consumption or oil consumption.
QE does not provide liquidity for the rest of the world.
QE does cause a lot of portfolio shifting which one way or another is functionally ‘getting short the dollar’
This is much like what happened when panicked money paid up to move out of the euro, driving it briefly down to 118, if I recall correctly."
QE still driving portfolio shifting
moslereconomics.com/2010/…
————
Maintaining Financial Stability in a Global Economy Alan Greenspan – Federal Reserve Chairman September 1997
http://www.minneapolisfed.org/pu...
Au moins six pays de la zone euro, avec en tête les Pays-Bas et la Belgique, ont une dette globale (publique et privée) supérieure à celle de la Grèce ! Depuis déjà dix ans, le Japon a une dette publique très largement supérieure à celle de la Grèce ; parallèlement, pendant la même période, la moyenne de ses déficits est pire que celle de la Grèce.
L’emprunt extérieur par tête d’habitant de l’Irlande est presque huit fois supérieur (!) à celui de la Grèce. Personne ne dit pourtant (à très juste titre) que ces six pays sont en faillite. Le fait que cela soit dit (sans aucun fondement) uniquement à propos de la Grèce prouve que notre pays est une cible d’attaques politiques et spéculatives.
J’aprouve ce que dit Lib. Les marchés peuvent changer d’avis très vite, il faut donc se méfier de tirer des conclusions trop défitives de leur attitudes.
Derrière ces changements brutaux et souvent non-anoncés, ils vaut voir que cela ne gène aucun opérateur de parier en faveur d’un marché qu’objectivement il sait être sur le long terme absolument insoutenable, car tout ce qui compte est qu’à court terme, il aura le temps de sortir avec des bénéfices.
La démonstration c’est les CDO, les subprime, manifestement plusieurs mois avant la crise, pratiquement aucun broker n’était encore dupe. Mais à très court terme, le jeu restait gagnant, donc par exemple la main droite de Goldman Sachs continuait à jouer ce marché *en* *même* *temps* que la main gauche s’activait à couvrir les arrières contre le désastre inévitable.
Cet effet rend la lisibilité du marché très, très faible, les opérateurs qui sont pourtant parfaitement capable d’anticiper, choisissent de ne s’intéresser qu’au prochains jours, au max la semaine.