Ce post est le début d’une série, consacrée à ce qui me semble constituer des mystères économiques : des questions pour lesquelles je n’ai jamais trouvé d’explication vraiment convaincante (vous me direz, rares sont les explications vraiment convaincantes en économie), mais surtout, des questions que très peu d’économistes semblent se poser alors qu’elles me semblent mériter un meilleur traitement. N’hésitez pas à envoyer des suggestions, je verrai ce que je peux en faire.
NB : Les commentaires du genre “Kurt von Schplarf, grand théoricien de la monnaie, a entièrement résolu ce problème dans son ouvrage de 3000 pages, admirablement résumé dans ce numéro de la Marxist heterodox econophlogistics review” seront soumis au ridicule qu’ils méritent.
Il y a quelques semaines, j’ai voulu acheter des lentilles de contact sur internet. Une recherche google m’a instantanément confronté à un vaste foutoir : deux millions de liens, une page remplie de liens commerciaux comprenant toutes les combinaisons de mots possibles avec lentilles, pas cher, ou le mélange des deux. Pas franchement rassuré (les lentilles de contact, c’est quand même un machin qu’on se colle sur l’oeil, il y a des raisons d’être méfiant) je suis donc allé demander des conseils sur twitter. Des gens avaient-ils eu l’occasion d’acheter des lentilles de contact sur internet? Avec quel commerçant? étaient-ils satisfaits?
Après quelques réponses unanimement positives, je me suis lancé. Trois jours plus tard, je recevais une boîte de lentilles de contact, moins chère et bien plus rapidement que chez mon ophtalmologiste habituel. J’ai examiné la boîte et son contenu sous toutes les coutures : rien ne la distingue de celles que j’achète d’ordinaire. J’ai même vérifié la plausibilité du numéro de série. Puis testé le contenu. Pas de problème détecté. Toutes les raisons, donc, d’être content.
Il y a quelque chose d’extraordinaire dans cette transaction. Mais ce n’est pas mon achat sur internet le plus improbable. L’un de mes premiers date de 1996, lorsque j’avais acheté auprès d’une petite boutique californienne le jeu Duke Nukem 3D, pas encore sorti en France. Le plus étonnant restera la fois où j’avais acheté de l’or de world of warcraft, une transaction totalement interdite par le producteur du jeu (si des GM de Blizzard passent par ici : c’était il y a bien longtemps, il y a prescription). Je me souviens qu’au moment où j’avais autorisé la transaction Paypal, sur un site des plus rudimentaires (apparemment domicilié en Turquie) je m’étais dit que je pouvais tout aussi bien brûler un billet de 20 euros. Qu’est-ce qui obligeait le site, une fois payé, à fournir sur mon compte World of Warcraft les pièces d’or virtuelles achetées”? S’ils s’étaient contentés d’encaisser mon argent sans rien me fournir ensuite, je n’avais aucun recours puisque la transaction était illégale et interdite. Deux heures après le paiement, mon avatar recevait l’or virtuel dans sa boîte aux lettres.
Et que dire de mon achat de lentilles? Il s’agit d’un produit pour lequel contrefaçons, malfaçons, auraient des conséquences extrêmement graves. Et sur quoi me suis-je fondé pour mon achat? Sur les recommandations de gens que je n’ai jamais vus, que je ne “connais” que grâce à des messages de 140 caractères maximum. Pour prendre d’autres exemples, des milliers de gens parviennent à se fournir en drogues illégales et à les consommer, en l’absence de toute possibilité de recours ou de surveillance sanitaire.
Le très haut degré de division du travail, le fait que nous dépendions pour les produits les plus simples d’une myriade de personnes dont nous n’avons jamais entendu parler, que nous ne connaîtrons jamais, est un constat bien connu des économistes depuis Adam Smith. Cette complexité à l’origine des objets les plus simples a été amplement illustrée, avec des essais comme I, Pencil ou cette amusante tentative de fabriquer soi-même un grille-pain. Mais ces essais servent soit à illustrer la complexité des économies, soit l’idée d’ordre spontané hayekien, sans toucher vraiment à la réalité du problème : comment est-ce que tout cela peut fonctionner?
Asymétrie d’informations, marchés incomplets, etc; on ne manque pas d’outils économiques pour nous expliquer pourquoi toutes ces transactions ne peuvent pas avoir lieu de façon satisfaisante. On ne manque pas non plus d’analyses pour comprendre comment cela fonctionne. Adam Smith évoquait la propension humaine naturelle à “troquer et échanger”, et sa célèbre phrase sur la bienveillance du boulanger et du brasseur se trouve dans la “théorie des sentiments moraux” “richesse des nations”, un essai remarquablement subtil sur le fonctionnement des sociétés humaines. Des concepts comme le “capital social”, les “institutions” et leur évolution, la théorie des jeux, sont mobilisés pour expliquer ce mystère : pourquoi des transactions peuvent survenir en l’absence de contact, de connaissance, de lien entre individus, et de la moindre incitation extérieure à se comporter honnêtement.
L’un des meilleurs essais récents sur ce sujet est “the company of strangers”, de Paul Seabright, qui a été récemment réédité et traduit. Seabright s’appuie sur la théorie de l’évolution, le concept de “pensée-tunnel” pour montrer comment la complexité économique s’ordonne, et peut aussi basculer dans le chaos.
Le pendant de ces analyses, c’est cette grande tarte à la crème de la discussion économique, la “confiance”. Et au bout du compte, tout cela laisse un peu mal à l’aise, comme si l’on se trouvait devant un tour de magie incompréhensible : untel a confiance parce que bidule a confiance, et inversement. L’ouvrage de Seabright est à ce titre un peu frustrant, en donnant l’impression d’avoir levé le voile sur une question fondamentale, mais en s’arrêtant juste avant d’y apporter une réponse totalement éclairante.
Et c’est un peu étrange de se dire qu’à la base du fonctionnement économique, on trouve des mécanismes qu’on ne comprend que très mal, ou seulement en ayant recours à la pratique en amateur de psychologie, d’anthropologie ou de sociologie.
Parce que tous ces marchés fonctionnent, mais pas très bien. Des tas de joueurs se sont fait escroquer en achetant de l’or de world of warcraft. L’achat de lentilles en ligne soumet le consommateur à un véritable maquis d’offres de qualité très inégale, et difficilement vérifiables. Le fonctionnement de nos économies dépend à la fois d’une réglementation et de contrôles publics à l’efficacité très limitée, auxquels on ajoute la recommandation “caveat emptor”. En réalité, rien de tout cela ne pourrait fonctionner sans un degré raisonnablement répandu d’honnêteté, dont on n’explique que difficilement l’apparition, et qui peut s’effondrer comme un château de cartes.Le premier miracle, c’est que cela fonctionne; le second, que l’on y prête si peu attention.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
Je tente une réponse qui vous apparaitra probablement comme une lapalissade :
Je pense que le coût de fourniture de vos lentilles est très faible. Ce n’est pas l’offre internet qui est peu chère, c’est l’offre de l’opticien qui est très chère à cause de tous les couts qu’il supporte pour vous fournir les lentilles ; si le site web peut récupérer vos 20€ en vous envoyant pour 3€ de lentilles, son calcul est que le bouche à oreille online (beaucoup plus efficace que dans la vraie vie avec un opticien, car le bouche à l’oreille pour l’opticien ne concernerait que les clients potentiels habitant votre ville), votre avis positif peut leur amener plus de client. gagner 17€ et un client satisfait c’est beaucoup mieux que gagner 20€, des plaintes et une surveillance accrue, puis fermeture de son site.
L’argent wow c’est encore plus vrai : est ce qu’ils gagneraient un peu plus à faire ça, oui, mais ils doivent l’acheter si peu cher qu’ils ne veulent pas que l’acheteur devienne méfiant. D’ailleurs vous avez probablement acheté à nouveau des PO ? (d’ailleurs ça m’épate, j’ai joué 6 ans sans éprouver le besoin d’en acheter… mais j’ai jamais eu besoin de tonnes de sombracier non plus)
Par contre je suppose que certains domaines contiennent beaucoup plus d’arnaqueurs que d’autre (peut-être passez vous sous silence d’autres expériences, mais les pilules bleues doivent avoir beaucoup plus de clients mécontents, cependant au contraire du reste, les arnaqueurs ont peu à craindre du bouche à oreille…)
j’étais justement en train de regarder et article
Does trust extend beyond the village? Experimental trust and social distance in Cameroon
http://www.springerlink.com/cont...
Tout d’abord, super billet et super idée de série de billets.
Ensuite, pour ma réponse. (Que j’ai naturellement trouvée immédiatement, où est mon Prix Nobel?)
Une partie de la réponse vient quand même des incentives: même le dealer de drogue a des raisons de ne pas arnaquer ses consommateurs. C’est une histoire de taux d’actualisation, en fait: pour certains 100 maintenant et 0 ensuite (je t’arnaque puis je m’évanouis dans la nature) vaudra plus que 40 puis 40 puis 40, et d’autres sont "long term greedy."
Mais tu as déjà pensé à ça et je suis d’accord avec toi que c’est loin de tout expliquer.
J’y ai réfléchi un peu et si je devais me prononcer, je dirais que la réponse est probablement la plus simple. Et donc la plus frustrante. (Et donc la moins attirante aux chercheurs.)
Il s’agit de l’habitude.
Si des gens que tu ne connais pas te donnent de bonnes directions dans la rue sans y avoir intérêt ce n’est pas parce qu’ils font un raisonnement sur le long terme de leur intérêt bien compris de vivre dans une société où la barrière à l’entraide est faible. C’est tout simplement parce qu’ils y ont été habitués par leur éducation et leur environnement et que c’est devenu un réflexe.
L’histoire de la Russie post-soviétique et de l’Irak post-Saddam et de la post-colonisation nous ont fait découvrir que les institutions libérales (au sens large, de l’état de droit à des marchés fonctionnant relativement bien) reposent sur des normes partagées non-écrites qui sont elles-mêmes nées d’un processus d’accrétion de plusieurs siècles.
L’histoire de la Grande Bretagne, est l’exemple inversé de la Russie: aucune révolution (ou presque) mais un processus de plusieurs siècles par lequel certaines normes ont été découvertes puis imprimées en tout un chacun sur plusieurs générations.
L’histoire de la France montre la vacuité de créer des institutions sans ce substrat culturel, puisque, malgré l’hagiographie populaire, la Révolution française a en réalité été suivie par presque un siècle de dictature quasi-ininterrompue et souvent humanitairement pire que la monarchie qui la précédait. Ce n’est pas une révolution qui a enraciné nos institutions mais, comme dans tous les pays, l’apparition d’une bourgeoisie mercantile exigeant un Etat responsif à ses besoins et appliquant les contrats.
Et en GB, lorsqu’il y a un scandale médiatico-politico-financier, il y a une vague de démissions non pas à cause d’une loi précise (il y a aussi eu probablement des crimes et des délits, mais la plupart des démissions arrivent indépendemment d’un processus judiciaire). Et les démissionnaires sont poussés à la démission tout simplement parce que le monde autour d’eux se dit "c’est comme ça que ça doit se passer." Alors que ça se passerait bien différemment dans la Russie de Poutine…
Cette théorie de l’habitude est très frustrante parce qu’elle ne donne pas de grande explication mais elle me semble se confirmer en pratique.
Et tu me diras: c’est juste repousser la question: POURQUOI cette habitude est-elle née? Et je répondrais un mélange d’explication pseudo-darwinienne en mode "comme nos ancêtres devaient collaborer pour tuer le mammouth la collaboration est hard-wired chez nous" et de "de temps en temps dans certaines sociétés un certain nombre de gens se rendent compte qu’une norme de coopération est dans leur intérêt bien compris et celui de tous et l’imposent autour d’eux, et au bout d’un moment dans certains endroit le processus devient auto-entretenu."
Réponse de Alexandre Delaigue
D’accord mais il manque une dimension dynamique pour comprendre. L’explication par les incitations du dealer tient dans la mesure où suffisamment de dealers sont “honnêtes”: si certains se mettent a escroquer les acheteurs, le marché peut disparaitre: dans quelles conditions? Et sur la formation des normes et des habitudes, attention au risque toujours present de rationalisation a posteriori. Autres questions : que reçoit-on en achetant du viagra en répondant a un spam? Les gens indiquent-ils sa direction à un étranger perdu dans Mogadiscio?
J’ai récemment participé à une série de conférence de l’économiste H. Gintis ou il abordait le sujet. Il a récemment publié un livre sur le sujet: http://www.amazon.fr/Cooperative...
Je ne l’ai pas (encore) lu, mais il semble avoir une approche intéressante mêlant évolution et théorie des jeux.
http://www.relationalcapitalgrou...
Ceci est un article venant des théories en cognition sociale.
Je n’ai pas de réponse absolue, tout comme vous, à cette question. Et je me bornerai à la psychologie sociale. Si ça peut participer à votre recherche.
Au pire, ça attisera votre curiosité sur le sujet.
Réponse de Alexandre Delaigue
Merci pour le lien. Effectivement, psychologie sociale et sociologie ont des éléments sur ce sujet.
Mon explication perso, c’est que les individus font une forme d’arbitrage entre le respect de la loi morale (l’impératif catégorique Kantien, qui n’a pas de justification outre le fait qu’il s’impose de lui même) et les avantages matériels qu’on peut tirer de ne pas se conformer à cet impératif: les gens respectent leurs convictions jusqu’au point où le gain qu’il y a à ne pas les respecter s’avère suffisamment élevé.
C’est un peu ce qu’on retrouve chez Levitt : les maitresses d’écoles considèrent que tricher c’est mal mais face l’enjeu que représente les résultats de leurs élèves aux tests de fin d’année, beaucoup d’entre elles craquent et décident de tricher.
Bon je suis d’accord avec vous. En disant ça on n’a pas beaucoup avancé.
Ben j’ai pas du lire attentivement parce que pour le coup Kurt von Schplarf et quelques autres ont écrit tout plein de trucs sur le sujet non ? Réputation :
http://www.csus.edu/econ/Gift%20...
Réponse de Alexandre Delaigue
Je reste toujours un peu frustré. Le sentiment qu’on met en évidence certains points en passant à cote de l’essentiel, et que les autres sciences sociales sont mieux armées.
Je pense que tout cela ne tient que parce que les gens ont le ventre plein sans trop de problèmes. Et ont confiance que demain sera pareil.
Par contre des que ca manquera, tout partira très rapidement au chacun pour soi et dieu pour tous.
Pas reelement besoin d’arnaquer/exploiter son prochain quand les besoin primaires sont assouvis, mis a part pour une partie de la population qui en veut toujours plus.
Cette catégorie de parasite risque cependant de finir par tuer son hote….
@Alexandre:
1- Sur les incitations, je suis d’accord avec toi que ce n’est qu’une partie de la réponse. Mais je pense que c’en est une partie. Ensuite, sur le rôle des anticipations des réactions des autres joueurs, c’est ma délicieuse épouse qui a fait des recherches en théorie des jeux, pas moi.
2- Sur l’habitude:
– Que veux-tu dire par rationalisation a posteriori? Ou plutôt, si je te comprends, quelle réponse possible à ta question ne serait pas susceptible à la même critique?
– Je ne comprends pas ta question sur le viagra.
– Si les gens n’indiquent pas sa direction à un étranger perdu dans Mogadiscio (et comment se serait-il retrouvé là??) je répondrais que c’est justement parce que les somaliens n’ont pas pris l’habitude d’une coopération avec des membres extérieurs à leur groupe d’appartenance, et/ou que cette habitude a été tuée par 20 ans de guerre civile.
Réponse de Alexandre Delaigue
La rationalisation a posteriori, c’est le risque lorsqu’on explique un état social par des éléments historiques: c’est plausible mais difficilement vérifiable. Le problème se pose pour toute explication, c’est ce qui rend le problème complexe :). La question sur le viagra porte sur la connaissance. On connait assez mal ces différents marchés hors légalité: quelle est la qualité des produits, la proportion d’escrocs? Mon intuition est qu’on est mieux servi quand on achète des po wow que du viagra en répondant a un spam, mais on ne sait pas. Or observer de telles différences permettrait de mieux comprendre les mécanismes qui font fonctionner les marchés. Meme chose pour les directions a Mogadiscio: on manque de données empiriques pour tester diverses théories.
L’axiome de propriété n’explique t-il pas d’où vient la confiance ? Trop simpliste ? ou trop autrichien ?
heresie.org/axiomatique_n…
Réponse de Alexandre Delaigue
Les deux 🙂
Bon euh… Et si c’etait un truc tout con comme "si je suis honnête ce client reviendra me voir et me conseillera a ses proches". Si un magasin de lentille en ligne ne vous donne pas satisfaction vous ne reviendrez -jamais- le voir.
Le dealer de coke qui vent de la farine n’a jamais eu de client régulier. Il escroquera des personnes une fois et puis jamais plus après.
Réponse de Alexandre Delaigue
C’est assez paradoxal de parler d’honnêteté d’un marchand d’un produit toxique :). Faire revenir le client, ok. Mais cela suppose qu’il soit capable de déceler la différence. Si ce n’est pas le cas, que se passe-t-il? Mon intuition est que cela fonctionne mieux que’on ne pourrait le penser a priori.
Si ça peut vous intéresser, la section 12 du Traité sur l’entendement humain de Hume parle du témoignage. Il y met en avant, sans forcément l’expliquer, cette tendance générale à la probité des êtres humains, dont je m’étonne toujours quand je pars en vacances dans des endroits improbables d’ailleurs.
Son leitmotiv est l’habitude, mais il considère aussi que, in fine, nous ne croyons jamais aveuglément, mais parce que ça nous paraît probable. Même pour demander son chemin, il y a des directions qui nous paraissent plus probables que d’autres. Nous ne croyons pas aveuglément, mais vérifions par des indices externes au contenu lui-même si ça nous paraît probable. Si nous ne rendons plus compte de toutes ces vérifications, alors nous avons l’impression que les autres nous donnent toujours les bonnes réponses, malgré que nous les y aidions bien.
Le "processus de formation des normes sur plusieurs siècles" dont parle PEG est le sujet de l’ouvrage aussi fondamental qu’accessible, dans tous les sens du terme, de Norbert Elias, La civilisation des mœurs : http://www.scienceshumaines.com/...
Non, je sais, c’est pas un économiste. Et y’a rien sur les lentilles de contact.
Réponse de Alexandre Delaigue
Rien sur les lentilles, sans intérêt alors ;). Voila typiquement ce qui manque dans l’analyse économique.
Excellente idée que ce sujet !
Bon je n’y connais pas grand chose en économie, mais sur un sujet comme celui-ci, avoir une opinion, voire une approche intuitive est peut-être faisable…Je pense qu’acheteur comme vendeur estiment continuellement le niveau d’incertitude lié à une transaction.
Les exemples donnés sont heureusement assez triviaux. Le fait d’avoir recueilli l’avis d’internautes sur les lentilles semblent liés à cette volonté d’en savoir plus sur leur qualité et diminuer ainsi le "risque santé". Le "risque financier" paraît négligeable car j’imagine que 20€ ne représente pas l’ensemble de vos économies. Or, c’est bien ce risque là qui prime (non, je ne suis pas assureur) quand l’acheteur agit. Et face à lui le risque de tomber sur une arnaque devient négligeable. Au pire, c’est de l’argent perdu, mais pas une grosse somme. Le vendeur lui, remercie Paypal pour fiabiliser la transaction. Et comme souvent pour les transactions web, il y a un fort risque image si le fournisseur s’avère de piètre qualité.
Pour les PO, c’est un peu pareil. Le plus gros risque n’est pas de ne pas recevoir l’argent virtuel, mais bien que Blibli envoie un ban. Comment ce risque s’efface-t-il ? Un peu de la même manière qu’on l’en a vient à ne pas payer son ticket dans le métro…C’est sans doute là où je rejoins Thomas. On peut y ajouter que n’étant pas tous des prodiges de l’informatique, la perception du risque d’être piégé par Blibli est largement biaisée. Du côté du vendeur, le risque le plus grand pour lui est d’être discrédité (par blizzard ou pire par les joueurs) ce qui limite, au moins en nombre, les arnaques. Il diminue l’incertitude lié au "risque image" en assurant la livraison (un peu magique pour l’acheteur) des PO. Il a les garanties suffisantes pour ne pas tenir compte du risque financier vis à vis de l’acheteur (merci Paypal).
L’habitude est alors la conséquence d’une estimation déjà réalisée du niveau d’incertitude lié à la transaction.
Maintenant, pourquoi fait-on confiance aux avis des internautes, que l’on ne connaît pas ? Peut-être parce que l’on suppose intrinsèquement qu’ils ont effectué cette analyse de risques, et à l’étape suivante : le retour d’expérience.
En fait, je crois qu’au delà de bien des choses, on ne peut lutter contre cette volonté bien humaine de chercher l’amélioration ou la qualité. Les règles tacites instruisant peu à peu le monde des transactions web se construit, tendant vers un seuil tolérable d’objectivité…Après c’est sûr, nous n’avons pas le même seuil de tolérance…Ou dit autrement d’acceptabilité et de perception du risque, que ce soit pour l’acheteur (qui peut finir aveugle ou devoir reprendre une vie sociale – le drame dans ce dernier cas !) ou le vendeur (qui cherche souvent le profit maximal en un minimum de temps dans les exemples donnés)…
Je ne sais pas trop si ça fait avancer le schmilblik…
Une hypothèse qui me vient à l’esprit sans plus de réflexion que cela : la peur.
Une réponse (ou plutôt une hypothèse) pour proposer une variation sur le "être honnête paye", mais de façon cynique voire carrément social-darwiniste : plutôt qu’une tendance naturelle humaine à la probité, est-ce qu’on ne peut pas penser que les arnaques variées sont éliminées du système ? Nous aurions donc l’illusion, rétrospective, de l’honnêteté de notre prochain alors que c’est simplement le bénéfice d’un système (le marché, les régulateurs, ce que vous voulez). (Des plus cyniques – ou parano – diront que ce sont simplement les meilleurs arnaqueurs qui survivent).
Je me risque à l’exposé du point de vue personnel d’un producteur à la première personne :
Moi, je sais produire des lentilles, et j’ai tendance à croire que les lentilles que je produis sont bonnes et pas chères.
A partir de là : deux solutions : l’anonymat de l’inactivité, par définition indétectable, ou une tentative de porter à la connaissance du public la bonne nouvelle : je sais fabriquer de bonnes lentilles pas chères.
Ce n’est pas parce qu’on sait fabriquer des lentilles qu’on sait porter ce fait à la connaissance du public : par contre, son entreprise est vouée à l’échec si on emploie pas les plus simples et les plus économiques d’entre eux.
L’accès à internet étant désormais plus répandu que l’accès à l’eau potable, on en déduit que la plupart des offres commerciales intéressantes sont sur internet, et proposées par les vecteurs commerciaux les plus simples d’emploi.
Bon d’accord pour le côté "encore un peu frustré". Tout n’est pas satisfaisant, mais les sciences économiques offrent quand meme des analyses fouillées sur le sujet.
Sinon, concernant vos expériences sur internet, elles rentrent bien dans le cadre des analyses sur la réputation. D’ailleurs, Google est devenu numéro 1 en vendant de la réputation (c’est ce que fait son système d’indexation au clic). Du coup, ces expériences ne sont pas si "extraordinaires".
Je trouve qu’il est plus difficile de répondre à la question lorsqu’on l’inverse : "Pourquoi, alors qu’ils sont dans des cas d’arnaque manifeste, des individus s’engagent-ils dans des transactions perdantes ?". J’ai vu un reportage d’Envoyé Spécial sur le sujet avec des cas assez extrêmes : http://www.buzzmoica.fr/video/le...
Côté explications économiques, je n’ai pas grand chose sous le coude à part (quand-même!) Becker et Murphy et la théorie de l’addiction rationnelle et les développements de Gruber et Koszegi (QJE, 2001).
Merci pour ces bons posts en tous cas.
Réponse de Alexandre Delaigue
Oui, la vente de réputation. Mais deux remarques. Premièrement, le recours à Google marche mal, avec la multiplication des offres quand on fait une recherche, qui pourrait conduire a se demander comment la situation va évoluer. Autre aspect: le gouvernement songe à réglementer l’optique sur internet http://ufc-quechoisir-var-est.org/optique-sur-internet.php . Est-ce simplement du corporatisme? Ou le témoignage d’un vrai problème?
Ma réponse peut ressembler à de la psychologie amateur, mais mentir (particulièrement en public) représente un stress ajouté pour la plupart des humains, qui savent qu’en mentant ils risquent de perdre leur capital social (souvent à tort, cf hommes politiques…). A moins donc de tomber sur 1- des asociaux, ou 2- des anonymes en mal de sensations, on peut généralement conclure que sans incitation à mentir, les gens vont dire la vérité ou ignorer votre demande. Sur un nombre d’échantillons tel que celui de vos followers, vous pouvez établir statistiquement que la réponse généralement reçue est la bonne.
Concernant l’achat de gold, il s’agit d’e-reputation. Le site a engagé des moyens pour se faire connaître des joueurs tout en restant discret vis-à-vis de Blizzard, et escroquer un client revient à se faire dénoncer. Le référencement Google ne pardonne pas : ce serait un mauvais calcul économique pour eux.
Réponse de Alexandre Delaigue
Oui, mais c’estbien plus simple de mentir sur internet! Or le commerce en ligne fonctions mieux qu’on ne pourrait penser, meme lorsqu’il est illégal. Se faire connaitre auprès de joueurs? Dénonciation? Pas si simple. Vous ne pouvez pas aller vous plaindre d’avoir été arnaqué par tel vendeur de gold sur jol ou les forums blizzard. La réputation en question est officieuse.
Les exemples choisis diffèrent.
Pour les lentilles ( qu’on va chercher chez l’opticien et non l’ophtalmo), le calcul peut se révéler utile si vous avez une mauvaise mutuelle santé, ou que vous souhaitiez changer de formule et par conséquent sacrifier le remboursement pour tout ce qui touche à l’optique, partie qui est souvent la cause de la prise d’une bonne mutuelle. Si je prends mon exemple, j’ai une bonne mutuelle qui me permet d’obtenir le remboursement de l’achat de mes lentilles chaque année selon un forfait. Mon intérêt n’est pas de chercher les lentilles les moins chères, mais de m’assurer de la qualité de celles-ci. Je vais donc dans une enseigne connue qui ne m’a jusque là pas déçue. Aucun intérêt d’aller commander sur le net puisqu’en terme financier, je n’y gagne rien.
Pour WoW, à la base, la prise de risque, car il n’est pas question de confiance dans ce cas mais d’un risque calculé, génère le passage à l’acte. Ca me fait chier de farmer des po, je tente alors d’obtenir cette monnaie virtuelle contre le paiement en monnaie réelle d’une somme donnée. Je tente en n’ayant aucun moyen de savoir si cela fonctionnera. Je sais par contre que cela doit marcher, car sinon, l’information serait connue de la communauté, et en bon joueur de WoW, j’ai bien dû croiser quelques bots pendant mes phases de levelling/exploration. Le risque existe, mais l’envie supplante la méfiance.
Pour la drogue, inutile de reprendre ce qu’a écrit PEG. Votre réponse à son commentaire ne tient pas compte de la dépendance : même si la majeure partie des dealers arnaquaient leurs clients, ceux-ci, trop dépendants, continueraient de rechercher un vendeur qui puisse satisfaire leur besoin. C’est comme un joueur qui malgré des pertes toujours plus grandes continue de jouer, pensant se refaire.
J’ajoute que de manière générale, nous ne faisons pas confiance sans précaution. Quand j’achète un produit, je le fais d’autant plus que je sais avoir des recours en cas de complication : droit de rétractation, garantie, vice caché, etc. Si ça, ça n’est pas une incitation extérieure, je me demande ce que c’est !
Et au final, c’est là que votre raisonnement est fragile à mon sens : vous prenez des exemples de transactions dans des situations particulières, sur des points particuliers. Tout pousse au contraire, dans l’immense majorité des cas à être honnête. L’adage du temps semble être : n’ayez pas peur de faire confiance, vous avez des recours si celle-ci se révélait trahie.
Réponse de Alexandre Delaigue
Ce que je veux dire, c’est qu’on analyse en économie les transactions avec quelques outils: la rationalité instrumentale et le caveat emptor (l’acheteur et le vendeur qui calculent leur intérêt), le contrôle externe et les recours (j’ai confiance parce que la police punit les tricheurs, ce qui reste dans le modèle rationnel). or en pratique, l’élément déterminant n’est ni la rationalité ni la peur du gendarme, mais un fonctionnement spontané assez difficilement explicable.
Et si l’explication était tout simplement que l’humanité pourrait être fondamentalement et naturellement bonne ? 😉
aymericpontier.blogspot.c…
Réponse de Alexandre Delaigue
Je ne sais pas ce que cela signifie 😉
Si j’ai bien compris, la question principale est celle qui figure en gras : "pourquoi des transactions peuvent survenir en l’absence de contact, de connaissance, de lien entre individus, et de la moindre incitation extérieure à se comporter honnêtement" ? Si oui, on pourrait la poser autrement. Pourquoi certaines personnes se sentent-elles toujours coupables, quand bien même elles se sont comportées honnêtement ? Pourquoi d’autres, au contraire, ne se sentent-elles jamais coupables et ont toujours des excuses, quoi qu’elles fassent (c’est toujours la faute de l’autre, de la société, etc. En l’occurrence : "J’ai touché le fric, mais je ne lui envoie pas sa commande. Il n’avait qu’à être moins con, moins pigeon, ou tout ce qu’on veut".) ? Les deux observations sont empiriquement et cliniquement bien attestées : tendance névrotique à la culpabilité dans le premier cas, tendance "psychopathoïde" à ne jamais éprouver la moindre culpabilité dans l’autre (l’autobiographie de Mesrine est un superbe document clinique d’un passage à la limite de cette 2e tendance : Mesrine est parfaitement capable de rationalité économique – il sait mettre en regard ce que va lui rapporter un casse au regard des risques pris – mais il est totalement imperméable à la culpabilité : la seule chose qu’il peut éprouver, c’est le regret de s’être fait prendre). Entre les deux, il y a le comportement normal : celui justement de l’honnête homme (ou femme) ordinaire.
Ce que nous indiquent ces observations cliniques, c’est qu’il existe une instance psychique, que la psychanalyse a théorisé sous le nom de surmoi, qui rend compte de la conscience morale, qui peut s’exacerber chez le névrosé ou s’abolir chez le psychopathe, et qui ne dépend pas d’une incitation extérieure (même Freud avait fini par reconnaître qu’il n’y a pas de corrélation entre le degré de sévérité de l’éducation reçue et le degré de sévérité du surmoi : un enfant éduqué avec beaucoup de douceur pourra, disait-il, avoir une conscience morale très sévère).
Mais il me semble que l’économie continue à reposer sur une espèce de psychologie implicite extrêmement sommaire qui ignore complètement cette instance psychique. D’où le mystère…
La question me semble similaire à celle des chariots sur les parkings de supermarché, que j’avais commentée chez Optimum puis reprise sur mon blog : http://www.anthropiques.org/?p=4...
(je culpabilise un peu à cause de l’autopromotion, mais tant pis 😉
Facile : sélection de groupe, paradoxe de Simpson, ça marche même chez les bactéries
tomroud.owni.fr/2010/06/2…
😉
Notre comportement économique n’est que la conséquence du câblage évolutif qui fait que nous avons pu construire une société. Les sociétés où il y a trop d’égoistes se développent moins que celles où il y en a peu, donc les "gènes" de l’égoisme et de l’opportunisme sont contre-sélectionnés à l’échelle du groupe même s’ils sont avantageux pour l’individu dans un groupe donné. Pareil en économie : dans une sous-économie relativement isolée, tricher est avantageux, mais pénalise la dite sous-économie qui finit par se faire absorber par une économie plus vertueuse (enfin un truc du genre). Le corollaire d’ailleurs, si cette idée est vraie ou si elle a la moindre pertinence à courtes échelles de temps pour la "compétition" économique, est que la mondialisation de l’économie devrait amener l’émergence naturelle de davantage de tricheurs, et par conséquent l’effondrement global (puisqu’il n’y a plus de sociétés isolées en compétition pouvant tirer leur épingle collective du jeu par rapport aux économies de tricheurs).
Réponse de Alexandre Delaigue
Oui. Mais nous ne sommes pas des bactéries, et la métaphore du câblage évolutif est trompeuse. On connait très mal le fonctionnement et l’étendue du déterminisme génétique en matière de comportement humain. J’ajouterai que nos amis sociologues s’étrangleraient en lisant cette explication 🙂 cela dit, cette idée évolutionniste est celle de seabright dans son bouquin.
La réponse tiens en partie au moyens de payements :
– il est facile de créer un litige paypal, et les règles de paypal sont telles que c’est l’acheteur qui est avantagé en cas de conflit.
– aux US, un simple coup de fil suffit à annuler une transaction sur une carte de crédit. Là encore, les règles profitent à l’acheteur. En France aussi, en théorie, mais c’est une autre histoire. Lorsque surviennent trop d’annulation de transaction Mastercard/Visa vous coupent votre contrat.
Au fond, avec ces moyens de payement où l’acheteur peut facilement se faire rembourser, c’est même le vendeur qui devrait se méfier de l’acheteur. Ce que d’ailleurs il fait (essayez de vous faire livrer en Afrique du matériel informatique avec un IP africaines : 98% des boutiques en ligne refuseront).
Ensuite, fidéliser sa clientèle peut être plus rentable que de la pigeonner littéralement. Exemple pour le viagra : on commande en général une boite "pour voir", et contents du service, on commandera régulièrement plusieurs boites pendant quelques années (enfin, j’imagine que c’est comme ça que ça doit se passer).
Et effectivement, le commerce repose souvent sur la confiance et l’honnêteté des gens. Et d’ailleurs j’avais lu quelque part une étude comme quoi la croissance économique d’un pays était fortement liée à la confiance que les gens pouvaient se faire (désolé, j’ai paumé les références).
Autres questions : que reçoit-on en achetant du viagra en répondant a un spam?
Une boite par UPS en provenance d’Amérique du Sud, avec le produit a l’intérieur, mais la notice en espagnol et/ou en portugais, le tout semblant bien provenir de chez Pfizer. Le vendeur vous fournira ou une photocopie, ou un PDF, de la notice anglaise du viagra.
Sauf si vous avez pris du "generic viagra", mais dans ce cas vous aurez des pillules bleues provenant d’Inde qui semblent fonctionner tout aussi bien, mais sans le nom viagra.
Non, je n’ai pas testé, des journalistes avaient testé. De toute façon, maintenant, les connaisseurs prennent du Cialis…
Ma foi depuis que j’ai abordé l’économie en amateur, c’est la question qui me taraude: pourquoi tous ces économistes parlent ils d’équilibre alors que la question manifeste est celle du miracle du fonctionnement quotidien de ce machin d’une complexité folle?
La réponse la plus convaincante que j’ai trouvée est celle des régulationnistes: le marché est un construit social, qui ne se fait pas derrière un voile d’ignorance mais dans une lutte de pouvoir des acteurs. En conséquence pour qu’un marché fonctionne, il doit s’insérer partiellement dans une communauté sociale, ce qui est le paradoxe: la marché ne libère des liens personnels que parce qu’il se loge dans une communauté plus vaste. Pour reprendre l’exemple de Wow il y’a deux éléments: une norme de comportement sociale de base partagée par tous les acteurs qui est l’absence d’arnaque. Elle a été forgée sur d’autres marchés et si elle n’est pas infaillible, elle pèse. Et l’existence d’une communauté Wow, qui signalera les problèmes éventuels. Nous ne sommes pas sur un marché atomisé, mais à un endroit où les vendeurs sont plus ou moins connus, et où on peut se renseigner sur les forums ou twitter. Donc si le marché des gold fonctionne, c’est bien parce que le mécanisme social de la réputation constitue un garde-fou diffus, créé par la société des joueurs.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas I,pencil une traduction française est ici : herve.dequengo.free.fr/Re…
Dans le même esprit, un excellent passage de Bastiat :
« Pour qu’un homme puisse, en se levant, revêtir un habit, il faut qu’une terre ait été close, défrichée, desséchée, labourée, ensemencée d’une certaine sorte de végétaux : il faut que des troupeaux s’y soient nourris, qu’ils aient donné leur laine, que cette laine ait été filée, tissée, teinte et convertie en drap : que ce drap ait été coupé, cousu, façonné en vêtement. Et cette série d’opérations en implique une foule d’autres : car elle suppose l’emploi d’instruments aratoires, de bergeries, d’usines, de houille, de machines, de voitures, etc. »
Et bien d’accord avec Tonio : c’est ça le problème central de l’économie, bien avant la question d’un hypothétique équilibre entre l’offre et la demande. Différence fondamentale entre l’école classique et l’école dite "néoclassique"
"Et c’est un peu étrange de se dire qu’à la base du fonctionnement économique, on trouve des mécanismes qu’on ne comprend que très mal, ou seulement en ayant recours à la pratique en amateur de psychologie, d’anthropologie ou de sociologie."
Je ne trouve pas ça étrange du tout. A la base du fonctionnement des sociétés, dont l’économique n’est qu’un aspect, on trouve des mécanismes qu’on ne comprend que très mal, ou seulement en ayant recours à la pratique en amateur de biologie, de psychologie ou d’anthropologie. Et même dans les sciences dites "dures", la chimie par exemple, ou l’astrophysique, on trouve des mécanismes qu’on ne comprend que très mal, ou seulement en ayant recours à la "pratique en amateur" de la physique des particules. Chaque science s’appuie sur les résultats d’autres sciences sans chercher à les retrouver indépendamment. C’est à mon avis une énorme erreur des économistes de vouloir construire leur discipline "in vacuo".
Paradoxalement, on pourrait se demander si expliquer les mécanismes à la base de l’économie relève bien de la science économique (ou tout du moins comme elle se pratique actuellement)!
Comme vous le citez dans le billet, psychologie, sociologie, anthropologie voir biologie sont peut être plus a même d’amener des réponses satisfaisantes. La coopération me semble de plus en plus évidente!
J’oubliais : si la phrase de Smith sur la bienveillance (ou l’absence de…) du boucher est du brasseur est bien dans la Richesse des Nations, c’est dans la Théorie des Sentiments Moraux que Smith donne sa réponse (amha toujours valable)à la question d’Alexandre : les humains sont naturellement en empathie avec leurs semblables et recherchent leur reconnaissance et leur approbation.
Bonjour,
j’ai toujours été "scandalisé" que pour contracter un prêt et bénéficier d’une assurance il fallait leur livrer ses antécédents médicaux: ce qui est une atteinte à la vie privée (de mon point de vue).Facile d’assurer si vous virer ceux qui comportent le plus de risque.Si il était interdit pour une assurance de violer la vie privée de gens le surcoût pour les autres assurés serait il aussi élevés que cela ? That is the question !
Vous touchez du doigt un point crucial dans vos commentaires : le commerce illégal est souvent plus honnête, simple, et lisible que le commerce légal.
Sans doute parce que le commerce légal n’enrichit pas uniquement les parties commerçantes.
sans doute aussi parce que les sanctions sont beaucoup plus sévères
Bonjour,
Passionnant questionnement. Très modestement, je veux tenter une grille de lecture empruntée au marketing.
Par rapport à l’économie, qui en général ne valorise pas différemment des produits strictement identiques, le marketing nous dit, de façon empirique, que l’on peut vendre différemment, et donc à des prix différents, ou dans des quantités différentes, des produits identiques mais soit packagés différemment, soit sur lesquels on a mis un marque différente. Parfois, on peut même vendre des biens non désirés juste par effet de marque.
La disponibilité à payer dépend alors d’une réputation, inconsciente, liée à la marque et au produit.
Pour en venir à vos moutons, ou plutôt vos lentilles : où est la réputation et la marque ? Si la marque, c’est le vendeur, alors vous comparerez le sérieux que vous inspire votre opticien et le sérieux que vous inspire votre commerçant en ligne, et leurs prix.
Sur le premier, je ne peux me prononcer à votre place, mais peut-être avez-vous des a-prioris sur cette boutique : positifs sûrement sur son professionnalisme, mais négatifs peut-être quant à ses marges de distributeur (dans un contexte où beaucoup de ses clients sont remboursés, il n’est pas forcément soumis à une pression sur les prix). Sur le second, peut-être avez-vous également, malgré votre déclaration de "naïveté" en la matière, déjà été exposé à la notoriété de ces sites en ligne. La notoriété n’est pas encore une adhésion à une marque ("j’ai confiance"), mais elle peut en être le début : vous avez entendu dire qu’il existait des canaux sérieux de ce type. Vous n’avez jamais entendu dire que les lentilles étaient l’objet de contrefaçons. Vous avez même peut-être entendu dire que les meilleurs sites de vente en ligne ont été fondés par des entrepreneurs ayant pignon sur rue (pour ne pas les citer).
(A contrario, si vous y réfléchissez, vous "savez" sans doute possible que les sites de vente en ligne de médicament érectifs sont des distributeurs de contrefaçons notoires).
Donc ces effets de notoriété, peu conscients, sont probablement le terreau qui vous font :
– considérer comme recevables l’avis d’inconnus ;
– annuler le doute légitime liée à la différence de prix ("est-ce normal qu’on puisse vendre le même produit avec une telle différence de prix ?").
S’y rajoute peut-être un effet lié à la marque des lentilles, mais que j’ai du mal à pousser plus loin que la simple interrogation sur une possible contrefaçon.
Don Ross a proposé récemment un compte-rendu assez critique des ajouts que Seabright a fait figurer dans la seconde édition de son ouvrage :
http://www.springerlink.com/cont...
Pour le reste, j’aurais une explication proche de celle de Tom Roud mais en mettant davantage l’accent sur le rôle de l’évolution culturelle. Ce qui est certain, c’est que l’évolution au niveau biologique nous a doté de la capacité d’intégrer l’existence de normes sociales (dans la folk psychology de l’économiste, cela veut dire que le respect des normes devient partie intégrante de la fonction d’utilité). Après, on peut supposer qu’un processus de sélection de groupe au niveau culturel a fait que ne ce sont développées que les communautés et les sociétés qui se sont dotées de normes encourageant à une relative coopération et honnêteté.
Il y a beaucoup d’autres explications complémentaires à celle-ci. Par exemple, beaucoup de biologistes et d’économistes ont étudié les mécanismes de réciprocité indirecte (par exemple Nowack et Hammerstein chez les biologistes, Binmore et bien d’autres avec le folk theorem chez les économistes), en soulignant d’ailleurs que l’espèce humaine est probablement la mieux à même de faire évoluer la coopération par ce biais (notamment pour des raisons d’aptitudes cognitives plus développées). Toutefois, je penche quand même pour l’explication selon laquelle l’évolution nous a doté d’une préférence pour la conformité (ce que pas mal de travaux empiriques confirment) et que si nous nous conformons à des normes "coopératives", c’est parce que celles-ci ont été sélectionné dans le cadre d’un processus d’évolution culturelle. Une fois que l’on intègre cette préférence pour la conformité, il est notamment intéressant de voir comment des situations conflictuelles de type dilemme du prisonnier se transforment en "simple" jeu de coordination. Sur ce sujet, on peut lire les travaux de Werner Guth ou de Cristina Bicchieri (entre autres).
Une des manières de faire de la sociologie (ou plutôt, de l’anthropologie) est de constater que, partant d’une société faites de relations d’homme à homme, l’institution s’évertue à devenir l’intermédiaire obligé de toutes les relations d’homme à homme. Plutôt que de regarder le commerce classique, interne à un pays aux institutions développées comme une relation client/fournisseur, mieux vaudrait alors la voir comme deux relations distinctes : fournisseurs/institutions et institutions/clients (sans qu’il n’y ait réellement de coïncidences d’intérêts entre les institutions interlocutrices des clients et celles interlocutrices des fournisseurs)
Faire en passant un // avec la grèce et l’italie, à l’économie occulte parait-il développée.
Bonjour,
C’est vraiment top les lentilles, à moins que votre look ne vous intéresse pas !
Moi les moins chères que j’ai trouvé c’est sur CENSURE, mais si vous avez moins cher merci !
c’est ça: CENSURE
Merci pour vos infos pour acheter en gros ?
Réponse de Alexandre Delaigue
Merci d’illustrer partiellement le propos de ce post.
Encore une référence sur le sujet. Dans les milieux anarchistes, parfois très compatibles avec les libéraux, on peut aimer ce livre qui naturalise l’entraide en montrant à quel point c’est répandu. C’est la version opposée à Hume: ce n’est pas un calcul individuel habituel qui nous amène à avoir confiance dans les autres, mais un instinct naturel. fr.wikisource.org/wiki/L%…
Deux idées :
1) Ces deux transactions ne sont pas si étonnantes que ça. Les vendeurs avaient un certain intérêt à être honnêtes, et vous aviez certains moyens de vous en assurer. Un bête mécanisme de réputation explique une bonne partie des transactions de ce genre. Si un secteur est vraiment pourri dans son ensemble, vendeurs et acheteurs disparaissent ; si un vendeur est peu scrupuleux dans un secteur qui marche globalement bien, il ne dure pas longtemps. Le marché élimine les mauvaises herbes.
2) Et encore, là on s’en tient uniquement aux incitations financières. Mais il y a une autre incitation, qu’A Smith souligne dans la TSM (plus intéressante que la RdN sur ce point) : la reconnaissance de nos semblables. Le propriétaire d’un site web qui arnaque ses clients peut gagner un peu d’argent, mais que raconte-t-il à son conjoint, à ses amis pendant les dîners ? Non seulement le crime ne paie pas beaucoup (point précédent) mais il est socialement peu valorisé. Voler, c’est nul.
Voilà je pense deux réponses possibles, simples, voire simplistes, mais qui expliquent une partie du comportement honnête de la plupart des sites sur le web.
A contrario, voici un contre-exemple où l’on parle de sites malhonnêtes (enfin… honnêtes à leur manière) :
NPR Planet Money "Inside The Credit Card Black Market"
http://www.npr.org/tablet/#story...
Et pour ce qui est des explications plus compliquées, il y a une batterie de théories sur l’évolution de l’altruisme passées en revue dans Christine Clavien, Je t’aide moi non plus. J’ai retenu que l’altruisme réciproque était rare ou inexistant dans le règne animal, et que l’explication par la sélection de groupe avait suscité plus d’espoirs que de résultats concrets pour expliquer l’altruisme. Pourtant c’est un fait : l’homme a une propension à être honnête – avec des limites – et ce caractère se renforce à l’usage (j’aime bien l’idée d’habitude dans le commentaire de PEG). Après tout, peut-on vraiment savoir "pourquoi ?"
Si on imagine le scénario opposé, c’est à dire une multitude d’arnaques sur le marché des lentilles de contacts, voire une totalité pour raisonner très grossièrement. (ce que je vais faire tout du long vu l’heure)
La-dessus un marchand décide d’être "honnête" et de répondre véritablement à la demande des clients.
Le point-clé ici est l’information. Si elle se transmet rien qu’un minimum, ce producteur se verra très vite en situation de monopole, grosse opportunités de profit etc… et bientot d’autres véritables offreurs le rejoindront, tandis que les faux, grâce aux systèmes de protection des acheteurs ainsi qu’à la communication (commentaires & notes, bouche à oreilles, que sais-je…) se réduiront inexorablement, jusqu’à un x% assez faible d’arnaqueurs ephemeres ici et la
Bref toute cette gentille petite histoire pour dire que d’après moi, la réussite de la vente par internet est due à une asymétrie de l’information pas si déséquilibrée que ça, à un niveau agrégé du moins.
Et par niveau "agrégé" j’entends par exemple Google qui agit comme filtre de sélection des meilleurs choix, contrairement à un moteur qui listerait les sites avec une fonction random…En faisant ainsi une sorte d’institution de controle.
Après comment font-ils pour déceler les "préférences" des internautes et en fournir un classement correct, c’est un autre mystère 😉
Je suis d’accord. Pas tellement d’asymétrie d’information que ça pour les lentilles sur internet ou la drogue. Dans les deux cas, on achète plusieurs fois des petites quantité à bas coût, et pas un seul produit très cher en une seule fois dont on ne peut vérifier la qualité qu’a posteriori, comme dans le market for lemons. Donc j’achète mes lentilles (quelques grammes de cocaine), et si c’est de la mauvaise qualité, je ne rachète plus au même vendeur. La recherche d’information sur la qualité a ici un coût, mais elle n’entraîne pas l’effondrement du marché.
Juste pour documentation, l’argumentaire commercial de la principale place de marché dématérialisée :
uk.alibaba.com/knowledge-…
Si vous excluez un complot, il ne reste que deux hypothèses logiques:
1. Vous avez de la chance. Apres tout certain prennent le volant après avoir bu un grand coup et arrivent a destination quand même. Evitez l’ouzo, modération sur la grappa.
2. Votre réputation vous précède. Le bruit court que vous allez devenir le nouveau conseiller économique spécial de Valérie Pécresse et le vendeur a eu peur d’un contrôle fiscal impromptu en cas de problème.
Pourquoi faire compliqué?
Il me semble que pour bien comprendre les causes en jeu, il faut non seulement étudier des cas qui fonctionnent (vendeur de lentille sur internet, de monnaie virtuelle, de drogue) mais aussi les des cas qui ne fonctionnent pas. Je développe deux contres-exemples ici: ideesmobiles.over-blog.co…
A mon avis, ces exemples montrent clairement que la probabilité de réitération de la transaction est probablement le facteur déterminent.
Je crois que Maxime est dans le vrai : le contrôle que vous avez sur votre fournisseur vient du moyen de payement : vous téléphonez à votre banque – où à Paypal.
Bon, en pratique, avec votre banque cela va être compliqué. Mais en insistant, vous aurez gain de cause. Avec Paypal, c’est bien plus simple. Et je pense que si Paypal à des problèmes récurrents avec un site marchand, il lui retire son compte.
Je crois que vous êtes victime d’une illusion. Les exemples que vous tirez ont une caractéristique commune : un fournisseur qui pour rentabiliser son commerce à besoin d’une grande quantité de clients. Le fournisseur ne peut donc pas se permettre d’en décevoir un trop grand nombre puisqu’il risque d’avoir des soucis avec ses propres fournisseurs : ceux qui lui donnent les moyens de payements.
Dans un autre type de commerce : un fournisseur qui travaille avec un seul client, les arnaques sont bien plus fréquentes. Je passe sur les filles de dirigeants africains qui ont besoin de votre aide pour blanchir les avoirs de leur papa, mais dans le BtoB, les arnaques sont nombreuses. Et avant de vendre une prestation votre client va prendre une grande quantité d’information.
Et puis, je suis curieux, quel est la qualité réelle du viagra acheté sur internet ?
‘mais dans le BtoB, les arnaques sont nombreuses’
Parce que en temps que professionnel vous ne bénéficiez de très peu de protection compare a un consommateur.
Bref beaucoup de ces arnaques sont ‘légales’.
Vous êtes un pro donc c’est a vous de faire attention aux contrats que vous signez.
Voir ce que peu contenir un bail commercial par exemple….en toute légalité.
Voici un petit résumé du livre de Christine Clavien "Je t’aide moi non plus" en rapport avec la question d’Alexandre. Personne d’autre ne l’a lu ?
P.S. Je viens de voir qu’elle est passée sur France Cult récemment
http://www.franceculture.com/emi...
Elle commence par un chapitre sur l’altruisme biologique où elle évoque l’histoire de l’explication par la sélection de groupe + paradoxe de Simpson :
– Darwin utilise la sélection de groupe pour expliquer l’évolution de l’altruisme chez l’humain (community selection) dans La descendance de l’homme ;
– Dans les années 60, la sélection de groupe fait l’objet d’attaques de théories concurrentes, notamment la sélection de parentèle et la réciprocité directe (jeux répétés) qui offrent des explications convaincantes (sacrifice de l’abeille en raison de la parenté génétique des ouvrières, épouillage répété permettant la réciprocité chez les primates) ;
– Reste la possibilité d’une sélection naturelle à plusieurs niveaux.
Mais pour l’économiste le plus intéressant est le second type d’altruisme, dit comportemental, qui consiste à ne pas maximiser son profit, et à laisser un tiers améliorer sa situation financière, même si cela ne nous apporte aucun gain présent ni futur. Cela se traduit par une tendance humaine à être honnête même lorsqu’on n’encourt aucune sanction, à contribuer aux biens publics, à donner ou aider, mais aussi à punir notre prochain lorsqu’il a violé une règle même s’il nous en coûte de le faire, etc. La capacité humaine à imiter, à reproduire les comportements, est sans doute une condition nécessaire mais pas suffisante pour cela. Cela nous distingue déjà des animaux chez qui l’imitation est très rare. Or l’imitation requiert un cerveau doté de capacités spécifiques, ce qui représente un coût biologique. D’où la question de savoir comment cette aptitude est apparue. La réciprocité directe, par exemple, nécessite « juste » d’être capable de reconnaître un individu : cette aptitude est moins coûteuse et plus répandue que l’imitation. Une explication possible de nos capacités cognitives complexes est que la réciprocité directe apparaît d’abord, ce qui enclenche une course aux armements biologique entre tricherie et défection, aboutissant à la croissance du cerveau et l’apparition d’émotions comme l’envie, la culpabilité, l’indignation. Tout ceci repose cependant majoritairement sur des mécanismes biologiques. Or, comme l’a souligné Alexandre, la culture joue un rôle important en matière d’honnêteté et de confiance. Dans ce domaine, une explication possible est que les humains émettent un « signal coûteux » pour se construire une réputation. Ce n’est pas un déterminisme biologique mais un choix qui optimise d’une certaine façon la situation de l’individu honnête. Une autre explication très en vogue de ce phénomène, selon l’auteur, est de nouveau la sélection de groupe – mais culturelle et non biologique, cette fois. On retrouve le paradoxe de Simpson + sélection par le groupe mais ce ne sont plus les allèles qui sont en concurrence, mais les « mèmes » c’est-à-dire les idées.
Le livre aborde enfin une troisième catégorie : après l’altruisme biologique et l’altruisme comportemental, l’altruisme dit psychologique qui consiste à agir en étant motivé par le bien-être d’autrui. Les auteurs qui évoquent ce trait de caractère chez l’homme sont bien connus : Hutcheson, Smith ; et leurs adversaires aussi : Hobbes, Mandeville, qui considèrent l’homme comme un animal profondément égocentrique luttant pour son bien-être et sa survie. Le problème de l’altruisme psychologique est qu’il est défini à partir d’un critère portant sur l’intention de l’acteur, or elle est toujours difficile à connaître. L’imagerie cérébrale a cependant permis de mettre en évidence certaines réactions que l’on est très tenté d’assimiler à de l’empathie, ce qui permet peut-être de distinguer les actions altruiste instrumentales et égoïstes de celles qui sont fondamentalement empathiques. Il ne reste plus qu’à mettre des marchands d’or sur WoW dans un petscan pour connaître leurs intentions 😉
Est-ce que vous voyez là des explications nouvelles par rapport à tout ce qui a déjà été écrit dans les commentaires ?
Mon commentaire personnel est qu’il faut faire attention, pour ne pas se perdre dans ces analyses, à toujours distinguer économie et psychologie. La première prend les préférences telles qu’elles sont ; la seconde vise à expliquer comment ces préférences arrivent, que ce soit par des mécanismes biologiques, culturels, ou les deux. Le volet économique de la question d’Alexandre ne me pose pas de problème : si l’on admet que l’homme poursuit son intérêt, avec prudence, en imitant ce qui a l’air de marcher, qu’il recherche aussi la reconnaissance et l’approbation d’autrui, avec toutes ces « hypothèses » simples et réalistes les transactions sur Internet ne sont pas très étonnantes. Tous les ingrédients sont réunis pour que ça marche, pour avoir un certain nombre de vendeurs honnêtes et de clients satisfaits, mais aussi des fraudeurs et des mécontents. L’expérience seule permet de savoir que la situation est stable dans tel marché, ou qu’elle dégénère dans tel autre. En revanche, le volet psychologique semble être à ce stade un domaine d’investigation encore très ouvert. Reste à se demander : quel est le lien entre les deux, les deux disciplines sont-elles étanches ? Pour étudier le volet psychologique il me semble qu’on a souvent besoin de bouts de théorie économique, pour comprendre les conséquences de telle ou telle évolution des préférences ; en revanche, l’inverse n’est pas vrai, et l’on peut parfaitement faire un raisonnement économique même si l’on ne sait pas d’où viennent nos préférences. Cela fait sans doute débat, mais à mon avis l’économie peut se passer de théorie psychologique, tandis que l’inverse est souvent faux.
votre découverte sur les lentilles me fait penser à plusieurs situations ou l’efficacité du duo Internet/La Poste/transporteur, crée de nouvelles opportunités:
-J’ai acheté cet hiver une nouvelle sur internet: livrée le lendemain par chronopost (pourtant plus de 10kg) ,
prix tres intéressant…
– il y a un an ou deux j’ai acheté des pneus là aussi par internet, livrés chez mon garagiste qui les a montés
et m’a avoué qu’il les payait plus cher via son fournisseur…
– les livres commandés sur Am… et Al… arrivent plus vite chez moi que ce que le libraire du coin de la rue peut m’offrir…
cela ne répond pas à la question de confiance…
et comment tout ceci est-il traduit dans l’indice des prix ?
Encore un complément, pour m’éloigner de l’approche biologique de Christine Clavien : la notion de rationalité axiologique de Weber, reprise par des sociologues contemporains. L’idée est que nous croyons que telle action est souhaitable ou non, pour des raisons. Boudon développe cette idée dans sa Théorie de la Rationalité Ordinaire, et on peut en lire un résumé dans La sociologie comme science, et une version plus développée dans Le juste et le vrai. Le but de Boudon est sans doute de critiquer le relativisme culturel et éthique radical, et il cherche donc s’il y a des règles qui s’appliquent dans ce domaine. Contrairement à la rationalité instrumentale qui porte sur le choix des moyens, la rationalité axiologique porte sur le choix des fins. Or, selon ses partisans, toutes les fins ne se valent pas. Parmi les contraintes qui nous portent à croire plutôt A que B, il y a par exemple le fait que A renforce nos autres croyances préexistantes alors que B les contredit (cohérence interne). Dans Vie et mort des croyances collectives, Gérald Bronner aborde plusieurs exemples concrets de croyances apparemment "irrationnelles" et cherche à les expliquer. Je pense que les mécanismes utilisés peuvent donner des idées sur l’apparition, la propagation et l’évolution des idées comme "il ne faut pas voler ses clients sur Infernet". S’agissant de la propagation des normes sociales, les sociologues doivent être consultés.
Décidément le sujet est à la mode, c’était le thème de Du grain à moudre ce soir !
http://www.franceculture.com/emi...
Et si "l’ honnêteté" était le plus simple ?
Exemple des lentilles :
Je suis un grossiste étranger et en vendant normalement mes lentilles via internet j’arrive à un prix très compétitif en France. Les clients arrivent et restent, je fais mes marges etc…
Quel est pour moi l’intérêt d’escroquer mon client ?
Il me faut trouver des lentilles contrefaites avec le risque de me faire moi même arnaquer, estimer le bénéfice éventuel, négocier avec ma conscience et les autorités, trouver régulièrement de nouveaux gogos.
Pour résumer :
Tout va bien si je suis honnête et je pars dans l’inconnu à tous les niveaux si je ne le suis pas.
Pourquoi me faire ch… ?