Les français sont nuls en économie, le retour de la revanche

Cela commence à devenir un marronier : cette fois-ci, c’est dans un article de Foreign Policy que l’on trouve exposée l’idée selon laquelle, si les français ont des idées fausses en matière économique, les manuels qu’ils utilisent sont en cause. L’auteur considère que l’Allemagne se trouve dans la même situation. On y retrouve des idées désormais familières : l’insistance des programmes sur les problèmes, la croissance économique présentée sous ses aspects essentiellement négatifs, de perpétuels appels à la “régulation des marchés”, une présentation négative des entrepreneurs et de l’entreprise, et une conception de l’économie centrée sur les conflits de classes (via trade diversion). Pour une fois, la filière SES n’est pas tellement concernée (quoique son programme soit évoqué); l’auteur se fonde surtout sur un manuel de préparation à sciences-po.

Rien de bien nouveau sous le soleil donc. Deux remarques :

– Il faudrait qu’un jour une étude un minimum exhaustive soit faite. C’est un peu lassant de ne trouver sur le sujet que des extraits – certes gratinés – de quelques manuels choisis. L’auteur de l’article déclare avoir effectué une analyse plus complète des manuels et des programmes, mais je ne l’ai pas trouvée.

– Le point commun de ces critiques est fondé sur une idée jamais contestée : les manuels de cours et les enseignements déterminent les idéologies. Pourquoi pas, mais dans quelle mesure? Et dans quelle mesure des programmes ou contenus de cours différents pourraient-ils modifier les points de vue? Surtout, n’est-ce pas plutôt le phénomène inverse qui se produit, à savoir que les manuels scolaires et les programmes reflètent les idées de leur époque? Les manuels scolaires du début du siècle, pour qui parvient à en dénicher un, sont de véritables mines de perles colonialistes, décrivant les différentes peuplades étrangères selon des ethnotypes caricaturaux et paternalistes. Ce n’est pas parce que les manuels ont changé que s’est produite la décolonisation : c’est la décolonisation, et l’évolution des valeurs dans la société, qui a conduit à changer ces points de vue. Ces contenus de manuels nous disent quelque chose sur l’attitude française et allemande envers les questions économiques; mais en quoi déterminent-ils les attitudes?

Alexandre Delaigue

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16 Commentaires

  1. Merci pour l’analyse, elle fait plaisir.
    Pour les manuels scolaires du début du siècle, on en trouve un grand nombre sur les quais de la Seine, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’est pas difficile à trouver.

  2. Si je ne m’abuse les élèves des filières ES et STG sont les seuls à quitter le lycée en ayant vu passer un manuel d’économie entre leurs mains. Ramené au pourcentage d’une tranche d’âge, ça ne pèse pas lourd…

  3. J’ai du mal avec votre dernier argument. Certes les manuels d’économie feront de bons outils pour les futurs historiens voulant étudier l’idéologie économique sur une période mais ils ne devraient pas tendre à conforter celle-ci par l’apport d’arguments scientifiques au détriments d’autres façons de se représenter les problèmes.
    Je viens de me rendre compte que ce que j’écris passe en partie à côté de la question.
    Cependant la comparaison à la représentation colonialiste ne tient pas de toute façon car l’enjeu des manuels d’économie est la représentation de notre société à nous même pas notre perception des "peuplades étrangères".

  4. "Cependant la comparaison à la représentation colonialiste ne tient pas de toute façon car l’enjeu des manuels d’économie est la représentation de notre société à nous même pas notre perception des "peuplades étrangères"."
    Ma représentation de la société était un peu restrictive sur le coup (comme si "notre" société s’arrêtait aux frontières).
    Idéologie quand tu nous tiens…

  5. Faut quand meme pas exagérer: on doit bien reconnaitre à un manuel un minimum d’influence sur la réflexion future des étudiants. Sinon à quoi servirait-il?

    Oui. Mais je trouve que toutes ces critiques ne vont que dans un sens, supposant que les manuels font en totalité la pensée des élèves, et de la population dans son ensemble. Et semblent supposer qu’il suffirait de changer les manuels pour changer les attitudes. Cela me semble très douteux.

  6. "les manuels scolaires et les programmes reflètent les idées de leur époque"
    Je suis persuadé que oui, sans avoir lu d’études approfondies portant sur les manuels à travers différentes époques, mais pour l’avoir constaté de manière empirique.
    C’est flagrant pour les manuels d’histoire et de philosophie.
    Il faut accorder une importance similaire aux convictions de l’enseignant qui est également marqué par les idées dominantes de son temps.

  7. "Les manuels scolaires du début du siècle"
    De 2001 ?

    Bé… J’ai bien le droit d’être un peu l’homme du 20ième siècle 🙂

  8. Comme Morm, je pense que pour que les manuels aient un minimum d’influence il faudrait qu’on puisse les consulter. À part les filières ES et quelques cours d’éco dans les filières professionnalisantes, peu de français ont eu un contact avec l’économie.
    Moi même confronté à ce problème, je trouve ça très handicapant pour comprendre le fonctionnement de la france/ du monde/etc. Je me demande comment ça se passe chez nos voisins européens, ont-ils des cours d’économie au secondaire ?

    C’est un peu pareil partout : peu d’enseignement. En fait, je ne crois pas que ce soit très handicapant, à part pour certains domaines très vie personnelle (finances, placement).

  9. Désolé, je vais encore parler de la filière ES alors qu’elle n’est pas visée par l’article de Foreign Policy que vous signalez. Il y a quelques mois, un lobby patronal a vivement critiqué les manuels de Sciences économiques et sociales à destination des élèves de Seconde avec comme argument le fait que la place occupée par les conflits dans l’entreprise, et le rôle des syndicats était disproportionnée par rapport celle consacrée à l’entreprise privée en elle-même. Il se trouve que l’Apses a publié une petite enquête quantitative sur la place de l’entreprise dans les manuels en réponse : http://www.apses.org/spip.php?ar...

    @ Morm : je partage tout à fait votre remarque. A titre d’exemple, seuls 28% des élèves ayant un niveau de 2nde suivent l’enseignement optionnel de SES, toutes filières confondues (générale, technologique, professionnelle).

  10. Cher Alexandre,

    Il fallait peut-être lire l’article de FP jusqu’au bout. Car des "études", il y en a pardi !

    "Attitudes and mind-sets, it is increasingly being shown, are closely related to a country’s economic performance. Edmund Phelps, a Columbia University economist and Nobel laureate, contends that attitudes toward markets, work, and risk-taking are significantly more powerful in explaining the variation in countries’ actual economic performance than the traditional factors upon which economists focus, including social spending, tax rates, and labor-market regulation. The connection between capitalism and culture, once famously described by Max Weber, also helps explain continental Europe’s poor record in entrepreneurship and innovation. A study by the Massachusetts-based Monitor Group, the Entrepreneurship Benchmarking Index, looks at nine countries and finds a powerful correlation between attitudes about economics and actual corporate performance. The researchers find that attitudes explain 40 percent of the variation in start-up and company growth rates—by far the strongest correlation of any of the 31 indicators they tested. If countries such as France and Germany hope to boost entrepreneurship, innovation, and economic dynamism—as their leaders claim they do—the most effective way to make that happen may be to use education to boost the cultural legitimacy of going into business."

    Ce n’est pas de ça que je parle. Que les attitudes déterminent le fonctionnement de l’économie, c’est évident, et si vous aviez suivi le dernier lien du post, vous en auriez eu un exemple. Je voudrais par contre des études un tantinet exhaustives sur les manuels scolaires et leur contenu. Aller chercher un manuel d’histoire récente et y trouver des âneries économiques, cela ne nous dit rien du tout sur les manuels dans leur ensemble.

  11. Les attitudes déterminent-elles les manuels ou les manuels déterminent-ils les attitudes ? Je pense que vous avez une réponse un peu rapide à cette question d’oeuf et de poule. Car il est bien évident que, comme la publicité, la propagance, les journaux, … les manuels scolaires influencent la société tout en étant en retour nourris par elle. On pourrait objecter que les manuels scolaires ont un devoir de neutralité que n’ont pas les autres médias, mais cette apparente neutralité, et le rôle de formation qu’ils assurent, ne font que favoriser leur empreinte sur les lecteurs. Sans compter bien sûr qu’il n’existe pas de manuel neutre, même par rapport à son époque.

    Disons que les manuels scolaires s’inscrivent dans l’évolution des idées à la fois comme source, réceptacle et vecteur. Comme tous les médias.

    Tout à fait. Mais je me contente de critiquer une perspective simpliste faisant des manuels (ou des médias) les causes des attitudes et du fonctionnement de la société. Dès lors que manuels et attitudes se nourrissent mutuellement, il faut savoir quelle a été la cause initiale, au lieu de s’imaginer qu’en faisant des manuels “pro-entreprise” on changera la façon de penser des gens. A mon avis, la cause initiale, c’est un mélange du corporatisme hérité de la seconde guerre mondiale, mais aussi de la composition de la population.

  12. Il se trouve que j’ai suivi pendant environ 6 mois (avant de lacher prise) un seminaire (niveua post Maitrise) animé par un vieux guru de la sociologie Francaise (du genre Metamorphose de la question sociale).

    Je sais que la sociologie n’est pas l’economie mais ce sont quand meme des "sciences" "sociales". Le négativisme de ce type etait hallucinant. Le Monde était en crise, demain serait pire que aujourd’hui, les ultra libéraux voulaient retourner au servage, les jeunes n’avaient aucun avenir. La moitié du public etait en DEA et une bonne partie etait etranger (pas d’anglo saxon d’ailleurs).

    Losrque vous le challengiez un peu, ce que entre parenthese les jeunes etudiants ne semblent pas vraiment habitués a faire, il restait aussi interloqué que Bourdieu lorsque on lui a demandé de définir ce que c’est que d’etre de Droite.

    Des clarifications telles que: Qu’est ce que cette crise dont il parle? Se rendait il compte qu’objectivement la jeunesse n’avait jamais eu autant d’opportunité que aujourd’hui? Ne confondait il pas Libéralisme avec idéologie patronale ce qui traduit le fait qu’il ne comprend rien ni a l’un ni a l’autre, etc. le laissait absolument sans voix. Il semblait que tout cela etait un postulat de base ne necessitant aucun support factuel ou aucune demonstration.

    Je ne sais donc si les manuels influencent, mais je sais que les professeurs influencent (ca va vous faire plaisir); surtout dans un pays comme la France ou l’eleve se doit de se taire et de boire les paroles du maitre. Et la doxa professorale est completement biaisé dans ce pays vers une vision collectiviste, corporatiste, malthusienne du Monde.

    Je fais souvent la reflexion qui si nos anciens aveint ete aussi frileux, trouillard, pessimistes, je serais aujourd’hui soit maréchal ferrand, soit guide de musée au pied d’une tour Eiffel en ruine. Pardon pas de Tour Eiffel. Plutot les murailles de Lutece.

  13. "Surtout, n’est-ce pas plutôt le phénomène inverse qui se produit, à savoir que les manuels scolaires et les programmes reflètent les idées de leur époque ?"

    dire qu’ils reflètent les idées des professeurs de notre époque serait plus juste puisque ce sont eux qui les testent et que les éditeurs cherchent à séduire.

    " "Les grandes maisons d’édition peuvent envoyer plusieurs centaines de milliers de livres aux enseignants par an", annonce Savoir Livre, une association qui regroupe les intérêts des six plus gros éditeurs. "
    savoirs.essonne.fr/dossie…

    Les professions des députés laissent une idée de l’orientation politique des professeurs.
    "A chaque alternance, la typologie socio-professionnelle de l’Assemblée est modifiée. Traditionnellement, la gauche envoie plus de fonctionnaires au Palais-Bourbon, notamment des enseignants, et la droite plus de professions libérales, surtout des médecins et des avocats. Une distinction qui se vérifie encore cette fois-ci. Sur les 125 députés de gauche battus les 9 et 16 juin, une bonne moitié sont des fonctionnaires, et notamment des enseignants : 45 instituteurs ou professeurs devraient ainsi retrouver leurs salles de cours à la rentrée prochaine.".
    legislatives.figaro.net/d…

    On ne peut que se plaindre si l’on est honnête homme de ce manque de neutralité de l’enseignement.
    La suppression de la carte scolaire et le libre choix des parents devrait mettre bon ordre dans les tentations propagandistes de certains professeurs.

  14. Tiens, en tapant le titre de cet article dans la cbox d’OBO, je me suis rendu compte qu’il manquait une majuscule dans le titre du présent billet.

  15. Bonjour,
    Cher Alexandre, je crois que vous avez été écouté :

    "Je voudrais par contre des études un tantinet exhaustives sur les manuels scolaires et leur contenu. Aller chercher un manuel d’histoire récente et y trouver des âneries économiques, cela ne nous dit rien du tout sur les manuels dans leur ensemble."

    Un audit vient d’être commandé par le ministre Xavier Darcos sur "les manuels et les programmes d’économie au lycée". (info relayée dans les quotidiens du jours)
    Pour une étude assez approfondie à ce sujet, je vous invite à lire ceci, sur le site de l’iFRAP : http://www.ifrap.org/0-ouvrirles...

  16. @Jules
    Pitié, pas l’Ifrap ! C’est une secte ce truc !!! Et leur dossier est un véritable torchon, du début jusqu’à la fin !
    Ils affirment que le programme officiel est ideologique et gauchisant, parce qu’il ose dire que le marché doit être encadré par des règles. Allez dire à Bruxelles que la réglementation de la concurrence n’est qu’une "pratique gauchiste", ils vont bien rigoler !
    Citer en exemple les systèmes d’échanges observés par les ethnologue en Micronésie serait faire oeuvre de Tiers-mondisme !! Mais cela revient à nier le travail des ethnologue depuis que cette discipline existe. Citer les travaux de Bourdieu serait plonger dans le marxisme le plus total : mais aucun sociologue digne de ce nom ne peut parvenir à disqualifier totalement la théorie des capitaux culturels, économiques et sociaux. Au mieux on améliore la théorie, on y apporte des nuances, au pire on adopte une autre démarche.

    C’est du grand n’importe quoi. Ce qui me fait le plus rire, c’est que pour chaque partie dénigrée, le rapport précise "certes le propos est nuancé par tel élément"… On pourrait imaginer je ne sais quel groupuscule ideologique de gauche extreme faire les reproches exactement inverses au manuel : "Certes les limites du marché sont présentées, mais on aborde quand même les hypothèses de la concurrence pure et parfaite qui est une érésie comme chacun sait", "Certes les avantages de l’intervention de l’Etat sont présentés, mais il y a tout un chapitre sur les limites des pouvoirs publics". Je pourrais prendre l’intégralité du rapport de l’Ifrap et le démonter quasi entièrement. Bien sur les manuels ne sont pas parfait, les programmes pourraient être revus, mais de là à les rendre responsables de tous les maux des entreprises, il y a quand meme une marge…

    De plus, l’Ifrap est une organisation qui se fait passer pour scientifique, adopte un acronyme qui pourrait laisser penser qu’elle est un laboratoire de recherche ou que sais je (sur certains plateau de télé, ils sont bien content que les présentateurs se plantent dans leur présentation). Ce n’est rien d’autre qu’un groupe de pression, qu’un lobby, pas moins ideologique que n’importe quelle organisation, et qui a pour but avoué de dénigrer tout ce qui touche de près ou de loin à la fonction publique.

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