L’échec de la révolution de l’assurance chômage

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Le candidat Macron avait été élu sur un programme contenant de nombreuses réformes que l’on peut qualifier de libérales. Celle qui consistait à universaliser l’assurance chômage et à ouvrir des droits aux démissionnaires (sous condition) était l’une des plus intéressantes, dans ses implications relevant du registre “et en même temps”. Le gouvernement va s’asseoir dessus et n’en conserver que des bribes.

Le marché du travail français est passablement dualisé (pour un rapide topo, voir par exemple la page 50 de Trois débats économiques). Si la majorité des salariés sont employés en CDI, ceux qui n’accèdent pas à ce statut restent précarisés dans un certain nombre de dimensions de leur vie (revenus, accès au logement, au crédit, à la formation, etc.). Pourtant, ceux qui disposent d’un emploi stable ne sont pas toujours aussi heureux qu’on l’imaginerait. La protection de l’emploi en France reste encore élevée, mais faiblit significativement. Le pouvoir de négociation des salariés est affecté par les récentes modifications du code du travail. L’obsession de la compétitivité, plutôt que de la productivité, a de beaux jours devant elle. Sauver son CDI demeure un objectif majeur pour le salarié lambda ; quitte à y laisser des plumes salariales, horaires ou autres. Pourtant, cette conception de la flexibilité ne s’impose pas en soi dans une optique libérale. Si le dynamisme d’une économie moderne repose sur le progrès technique et demande de faciliter la réallocation des ressources, par le biais d’un processus de “destruction créatrice”, rien n’impose de faire du monde du travail un lieu d’anxiété. Le remplacement de marchés, d’entreprises, d’emplois par d’autres n’exige nullement cela.

De ce point de vue, la proposition visant à donner un droit à une indemnité chômage aux travailleurs indépendants était une très bonne idée. L’hypothèse que l’innovation et l’entrepreneuriat puissent être soutenus par un filet de sécurité social digne de ce nom est documenté depuis les années 1990. Le gouvernement n’envisage finalement pour les indépendants qu’une allocation de 800 euros mensuels versée pendant 6 mois (là encore avec des critères d’éligibilité restrictifs). En d’autres termes, un peu plus d’une fois et demie le RSA. Un dispositif qui, il ne faut pas le nier, sera sûrement une aide non négligeable pour certains travailleurs indépendants traversant une mauvaise passe, mais qui sera notoirement insuffisant en termes d’incitations à entreprendre.

L’autre promesse du candidat Macron qui ne sera pas tenue consistait à rendre éligible à une indemnisation chômage les salariés démissionnaires. Dans sa version initiale, elle était bien calibrée : un droit limité, qui pouvait être exercé une fois tous les cinq ans. Cela évitait les démissions compulsives et les licenciements déguisés en démission financés sur le dos de l’Unedic, tout en permettant une mobilité très raisonnable aux salariés en CDI.
D’après les récentes déclarations de la Ministre du travail, Muriel Pénicaud, reprises par Le Monde, les conditions que devront remplir les salariés concernés seront très restrictives :

“- avoir été affilié à l’assurance-chômage de manière « ininterrompue » pendant au moins cinq ans (les partenaires en voulaient sept mais la ministre a préféré maintenir la durée de cinq ans promise par Emmanuel Macron) ;
– avoir un « projet d’évolution professionnelle » qui soit une reconversion nécessitant de nouvelles formations ;
– ce projet doit avoir été jugé comme « réel et sérieux » avant la démission par la commission paritaire régionale compétente. Pour cela, il doit notamment répondre « raisonnablement aux besoins du marché du travail ».”

Le projet initial présentait pourtant deux qualités importantes, qu’on ne retrouvera pas ici. La première était de permettre à tous ceux qui pourrissaient dans un emploi sclérosant de le quitter sans affronter l’incertitude souvent intenable que représente le fait de lâcher un CDI. Une tare profonde de notre marché du travail national, largement ignorée alors qu’elle mine la vie de bien des gens au quotidien. On ne répétera jamais assez que si l’indemnisation du chômage a pour fonction d’assurer un revenu à ceux qui sont dépourvus d’emploi, elle contribue aussi à la qualité des appariements sur le marché du travail. Contrairement à une idée de nouveau en vogue, on ne part que peu en vacances quand on est au chômage. On cherche un emploi qui corresponde à divers critères personnels et sur lequel on donnera satisfaction, le plus longtemps possible, pour le plus grand bénéfice de son employeur qui, généralement, recherche ce type de relation, la rotation du personnel n’étant guère prisée par les entreprises. Il est absurde de laisser un salarié dans un emploi qui ne lui convient pas, dans lequel il est peu productif, ne sera pas licencié parce qu’il en coûtera plus à son employeur que de le conserver dans une productivité médiocre. C’est l’inverse de ce que suggère une vision schumpeterienne de l’économie. C’est l’inverse de ce qui fait croissance, emploi, richesse et bonheur.

La deuxième qualité de ce dispositif, comme le souligne justement l’économiste Dominique Meurs (qui a attiré mon attention sur ce point sur Twitter), était de redonner une nouvelle forme de pouvoir de négociation aux salariés, dans un contexte où le gouvernement précédent (et l’actuel) a choisi, de façon justifiable si ce n’est indiscutable, d’opter pour une redéfinition du niveau de négociation entre syndicats et employeurs ; à savoir l’entreprise plutôt que la branche. On imagine assez bien ce que pourrait donner des démissions en masse dans une même entreprise cherchant à abuser de son pouvoir de négociation : un retour à des discussions plus raisonnables. On imagine mal, par ailleurs, qu’une horde de salariés démissionnent pour des motifs futiles. Bref, ce droit à la démission suivie d’une indemnisation du chômage redessinait potentiellement des négociations un peu plus équilibrées, sans tomber dans une guerre de tranchées à l’ancienne.

En réalité, le gouvernement a probablement raté sa première vraie mesure de flexisécurité en renonçant à appliquer largement les engagements initiaux du programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Mais pourquoi y renoncer ? Le coût pour les finances publiques. Toujours le coût pour les finances publiques. Ce genre de coût, qui dans d’autres domaines est appelé investissement, est assimilé à une charge dans ce contexte. Une belle erreur.

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2 Commentaires

  1. Je pense avoir été suffisamment flexible. Je me suis adaptée à toutes les situations. J’attendais un retour…
    Aujourd’hui rien ironie du sors, mon travail est partagé résultat 1 but : “je travaille sans aucun objectif”.
    Pire encore le travail qui m’est normalement dévolu a été squeezé à quelqu’un d’autre.
    Comment accepter cette injustice et comment s’en sortir avec une DG et les syndicats qui ne font qu’un avec la direction.
    Je ne suis sans doute pas la seule dans ce cas.
    Sachez avant tout que les salariés sont propriétaires de leur savoir !

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