En matière de brevets pharmaceutiques, le cas usuellement médiatisé est celui du méchant laboratoire qui dispose d’un brevet et vend très cher ses médicaments aux pays pauvres. S’il est digne d’intérêt et pose le problème de la propriété intellectuelle, il existe des solutions, dont celle de la licence obligatoire, retenue dans les accords ADPIC. Voir ce billet pour une présentation des enjeux ou le chapitre 15 de Sexe, drogue… et économie, intitulé Les maisons de disque et les laboratoires pharmaceutiques sont des petits malins. Tiens, au passage, je rappelle que si certains chapitres relèvent d’une logique Freakonomics, la plupart des chapitres en sont très éloignés, celui-ci en particulier (Je dis ça, parce qu’un individu nous a récemment accusés de faire du sous Freakonomics en français ; ce qui est crétin).
Enfin, voilà, quoi… Dans ces cas, on peut trouver des amendements à la législation sur les brevets et imposer à son titulaire de laisser d’autres en disposer en partie. Mais il y a un cas qui est plus ennuyeux, que l’article suivant de La Provence met en évidence : celui où personne ne veut exploiter une invention parce que la demande pour le médicament n’existe pas ou, du moins, est insuffisante. Je ne connais pas les enjeux précis de ce cas. Mais on peut modéliser basiquement le problème de ce type de marché. Ce qu’on appelle demande insuffisante est soit une demande nulle quelles que soient les conditions du marché (en gros, vous vendez de la viande halal à des skinheads), soit une demande pour laquelle le prix qu’on est prêt à payer est toujours inférieur au prix demandé par les offreurs. En conséquence, le marché disparaît, les courbes d’offre et de demande ne se croisent jamais et aucun échange n’a donc lieu.
C’est cette forme de problème qui se pose potentiellement dans le cas des maladies orphelines. Avec des variantes, cependant. On peut soit ne jamais voir apparaître le marché car la molécule est jugée, avant même son invention, peu rentable. Soit, comme c’est le cas ici, le marché a existé et disparaît (parce qu’il est plus rentable pour le laboratoire de consacrer désormais ses ressources à d’autres activités). Quelles sont les solutions alors ? Le prix des médicaments remboursables est négocié en France avec les laboratoires par la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé. Ce qui signifie qu’il peut arriver que le prix fixé ne satisfasse pas à la longue le laboratoire. Une solution pourrait donc être d’accroître le prix de remboursement du médicament et de subventionner la demande, ce qui permet de ramener à une situation où pour tout prix, la demande est supérieure à ce qu’elle serait sans subvention.
Bien sûr, on n’est pas forcément contraint d’accroître le remboursement (à mon humble avis, l’élasticité de la demande sur les médicaments soignant les maladies orphelines est globalement faible, notamment sur des prix relativement modestes). On peut envisager que les patients (donc probablement leur mutuelle) prennent à leur charge la hausse du prix (voire une partie). Notez évidemment que cela suppose que le seul obstacle à un maintien de la production est la réglementation des prix. Ce qui conduit à se demander pourquoi ce n’est pas ce qui se passe avec le médicament concerné par l’article cité (le Phosphoneuros). Les plus retors y verront une manœuvre du laboratoire destinée à se mettre en position de force pour renégocier un prix très élevé et que le médicament finira par être encore produit. Les autres se diront que la hausse du prix n’y changera rien, ce produit n’étant pas jugé rentable pour le laboratoire en envisageant une hausse du prix qui reste dans des proportions réalisables. Envisager que d’autres le produisent est compliqué. Cela dépend des caractéristiques du processus de production et il semble bien que personne ne trouve cela intéressant.
Une autre possibilité est de recourir au secteur privé non marchand. De ce point de vue, l’initiative de l’Association Française contre les Myopathies est très intéressante. Encore faut-il trouver les ressources nécessaires.
Mais finalement, le plus simple reste l’échange international… Comme le souligne l’article, “Il existe bien des médicaments similaires dans d’autres pays européens, mais avant que l’autorisation de mise sur le marché français intervienne, il se peut se passer énormément de temps”. Pour une fois que le libre-échange peut sans ambiguïté sauver des vies, ce serait dommage de s’en priver ou de dilapider inutilement les ressources du secteur non marchand (qui a d’autres services à rendre). Alors, pour sauver les 200 malades français de rachitisme hypophosphatémique, il serait sympa d’accélérer le traitement du dossier d’autorisation de mise sur le marché des substituts au Phosphoneuros.
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Merci à vous d’illustrer simplement et efficacement l’une de ces choses dont devraient s’occuper les politiciens plutôt que de passer leur temps devant des journalistes : améliorer la qualité de leur production législative et règlementaire de sorte à ne pas priver leurs concitoyens de richesses disponibles.
Plus généralement, on peut constater que le progrès technique est désormais la conséquence d’un processus organisé à l’échelle planétaire, généralement mis à disposition de l’humanité sous la forme de produits et services distribués par des marchés. Dans ce contexte, organiser un marché local, fût-il national, avec ses règles spécifiques, c’est s’exposer au risque de voir les producteurs de produits destinés à mettre le progrès technique au service de l’homme se détourner de votre petit marché.
Je suis très sceptique sur l’utilisation du modèle offre/demande. Sauf cas très rares, les médicaments ont des couts marginaux quasi-nuls, ce modèle n’a pas lieu d’être ici.
Réponse de Stéphane Ménia
Coûts d’opportunité inclus.
Votre remarque sur le rôle de l’Europe est d’autant plus pertinente que, d’après les chiffre de la commission européenne: "On estime qu’aujourd’hui, dans l’UE, 5 000 à 8 000 maladies rares touchent 6 à 8 % de la population, ce qui représente entre 27 et 36 millions de personnes" (ec.europa.eu/health/rare_…
Un marché de 27 à 36 millions de personnes, c’est une bonne masse critique (enfin, il me semble). Le problème est donc en effet plus celui de la fragmentation du marché du médicament en Europe (sécu nationale, recours aux AMM nationales, marchés cloisonnés par les producteurs etc. etc.).
Toutefois, s’agissant des maladies orphelines, une procédure d’AMM centralisée au niveau de l’EMEA existe, ce qui facilité la diffusion de ces médicaments (europa.eu/legislation_sum…
mmmh…une occasion de faire un peu d europe federale? donner a l europe le droit d autoriser et orgnaniser l importation ou la production de molecule soignant des maladies rares exclues du marche pour cause de non rentabilite … une sorte de soutien structurel a une assurance sante reservée au malades de maladies rares ?
euh oui enfin c’est 5 à 8000 maladies différentes pour 36 millions de personnes donc en moyenne une maladie orpheline touche 4500 personnes en Europe: c’est toujours un chiffre plus intéressant que sur un pays mais enfin ça n’est pas non plus un vaste marché