Si l’on demande qui a été le meilleur président de la banque centrale américaine, tout le monde aura tendance à répondre “Alan Greenspan”. Pourtant, il y a toutes les raisons de penser que Paul Volcker, son prédecesseur, lui a été largement supérieur. Volcker a hérité d’une situation catastrophique, une inflation à deux chiffres et une stagnation économique; il a eu le courage et l’intelligence de faire ce qu’il fallait pour y remédier, rétablir des taux d’intérêts réels positifs jusqu’à la fin de l’inflation et s’y tenir. Au total, il a laissé la situation meilleure qu’il ne l’avait trouvée : on ne peut pas en dire autant de son sucesseur, Greenspan. Volcker a su résister à la pression politique de l’administration Reagan, que sa politique n’arrangeait pas; Greenspan s’est couché devant l’administration Bush, pour expliquer ensuite que personne n’avait compris ce qu’il avait vraiment dit.
Et puis, il y a ces analyses de la situation actuelle. Comparez ce qu’en dit Volcker et ce qu’en dit Greenspan. On trouve des arguments communs aux deux, notamment la méfiance envers les modèles de la finance. Mais le ton et le contenu sont résolument différents. Volcker est modeste, tient un langage clair, reconnaît la complexité des choses, et se pose les bonnes questions : quelle réglementation pour les banques d’affaires, si désormais elles peuvent être sauvées par la banque centrale? Quelles seront les conséquences de l’ajustement économique qui se prépare, que va-t-il falloir faire? Rien de tel chez Greenspan, qui inflige un pensum pour dire que de toute façon, tout finira par aller bien un jour, que l’auto-régulation des marchés est la seule solution. Il se paie de mots et de métaphores qui ne veulent rien dire (a disturbing reality will be laid bare, prompting an unexpected and sharp discontinuous response), pour arriver à une conclusion vide : “il faut sauver la concurrence et la flexibilité des marchés”. Waow.
On a toujours trouvé admirables les discours ampoulés de Greenspan, sa façon d’être incompréhensible et de s’en féliciter : on en a même fait un modèle de discours de banquier central. Peut-être que finalement, ces discours ne faisaient que cacher un grand vide. Et que ses performances de banquier central ont traduit en partie sa capacité à s’approprier le travail difficile fait avant lui, et par d’autres.
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S’il cherche du travail, il me semble que personne n’exerce les fonctions de Ministre des Finances en France.
Econo très claste, aujourd’hui… suffisamment pour me donner envie d’aller lire tous ces liens.
La première responsabilité incombe à l’administration Bush (qu’il soit maudit) : il a laissé la Fed jouer un rôle qu’elle ne devait pas jouer. À l’égard de Greenspan et sa cécité confiante envers les marchés, qu’elle a encouragé à maintenir des taux trop bas et trop longtemps créant une bulle de prospérité à crédit dont les citoyens américains vont devoir régler la note. Avec Bernanke, car le pouvoir politique ne prend toujours toujours pas ses responsabilités dans la crise actuelle et laisse le banquier central jongler (plutôt bien) avec sa barque à 5 trous et 4 bouchons — "the Fed has not, in the past, been conceived as a place where you put in bad assets" : tout est dit dans cette phrase par Vocker.
Quant au discours actuel de Greespan , si on est méchant on peut dire qu’il fait du révisionnisme, en étant plus indulgent de la dissonance cognitive : il cherche a posteriori des justifications à ses actions négatives.
Volcker: "The market was being run by mathematicians that didn’t know financial markets."
Las, même les êtres mathématiques bâtis sur du crédit transportent avec eux une part du risque de ce crédit. Certains ont dû l’oublier.
conclusion : Volcker meilleur banquier central.
Génial, les liens sont très instructifs. J’ai essayé de comprendre quelle était la source du problème pour chacun d’eux, et la solution qu’ils proposent.
Pour Greenspan, le problème est que… il faut le lire pour le croire : "risk models and econometric models […] do not fully capture […] the innate human responses that result in swings between euphoria and fear [or] “animal spirits”, as John Maynard Keynes puts it". Il n’a pas de solution : "risk management can never reach perfection".
Pour Volcker, le problème est que les marchés sont avides de profits (salaires extravagants, aversion au risque insuffisante) et que certains nouveaux acteurs n’étaient pas encore réglementés (hedge funds, banques d’investissement). Sa solution : réglementer les nouveaux acteurs sans casser la dynamique du système.
Je pense que ces deux personnages éminents ont oublié l’excellent conseil méthodologique de Hayek : "Before we can even ask how things might go wrong, we must first explain how they could ever go right."
Enfin, moi je n’ai aucune inquiétude : la France ne PEUT être concernée par la crise américaine (comme à l’époque du nuage de Tchernobyl). Le prix de l’énergie a de quoi rassurer. Tout le monde a acheté son logement, et pensé aux "valeurs refuges" (les matières premières si utiles en 1929). Et puis notre gouvernement "défenseur du pouvoir d’achat" a bien compris que la consommation des ménages est le seul "moteur de la croissance" ! Il diminue le nombre de fonctionnaires tout en augmentant les dépenses publiques… Avec un peu de chances, il va venir à bout de l’ "euro fort" et éjecter Jean-Claude Trichet de la BCE : un poste pour Greenspan ? 😉
Krugman sur Greenspan:
"C’est le genre de type qui laisse la porte de l’écurie ouverte, et une fois le cheval enfui, revient donner une conférence sur l’extême nécessité de faire attention à laisser les portes d’étables bien closes."
Bon, je ne défends pas Greenspan, mais il faudrait peut-être se rappeler qu’il était en poste bien avant Bush Jr. et tenir compte de l’ensemble de son mandat avant que de le vouer aux gémonies, non? Quid par exemple de sa gestion du Black Monday?
Réponse de Alexandre Delaigue
Vous pouvez en avoir deux lectures. La première, c’est que c’était la chose à faire; la seconde, c’est que cela a été le début d’une longue période dans laquelle la fed a signalé à la finance “je ne vous laisserai jamais tomber, même si vous faites des grosses bêtises”.
Comme le disaient tous les spécialistes il y a encore à peine un mois, rien ne nous oblige en effet à penser qu’une catastrophe surviendra.
Faisons comme pour le réchauffement climatique, les OGMs, le nucléaire, etc : puisque le pire n’est jamais certain, attendons voir quelles seront les conséquences pour déterminer utilement comment nous les éviterons la prochaine fois que nous mourrons.
Bizarre, un débat sur les banquiers centraux et pas un débatteur pour injurier Trichet.
Plus de Sarkozystes??
@Volcker (all)
Pour être plus exact, les mathématiciens ont fourni des bonnes excuses pour ne pas voir ce qu’il fallait voir. Je pense que personne n’est dupe dans la finance.