La pauvreté des jeunes : c’est bien fait pour leur gueule à ces feignasses

Manuel Valls souhaite, sur la base du rapport Sirugue, initier une remise à plat des minima sociaux à l’horizon 2018. Un des volets importants est celui des jeunes. Un sujet sensible et traité avec beaucoup de préjugés.

Je ne suis pas allé au bistrot pour écouter les réactions du peuple authentique à cette annonce. Mais, comme fréquemment, une partie de la presse donne un probable aperçu du comptoir. En gros, elle se partage entre ceux qui considèrent que la possibilité d’offrir dès 18 ans un revenu d’existence est une mesure qui “éduque la jeunesse à l’assistanat” ou ne lui donne comme seul espoir que le RSA alors que ce sont des emplois qu’il faut leur fabriquer (des emplois jeunes ?).

Posons les faits : les pauvres, aujourd’hui, ce sont les jeunes. Les chiffres suivants le montrent clairement.

pauvreté

Partant de ce constat, réserver les minima sociaux aux plus de 25 ans s’apparente en premier lieu à laisser une partie de la population dans de sévères difficultés financières, au moins pendant un certain temps. Certes, il existe un “RSA jeunes”. Mais ses conditions d’éligibilité sont tellement dures (grosso modo, avoir travaillé deux années au cours des trois dernières) que le nombre d’allocataires est actuellement inférieur à 10 000 individus.

L’argument de l’assistanat pose deux questions élémentaires. La première est de savoir si les jeunes sont susceptibles, plus que les plus de 25 ans, de succomber aux charmes du RSA et d’en faire leur unique revenu pendant des années, voire pour toujours. La seconde porte sur les conditions dans lesquelles un jeune peut raisonnablement trouver un emploi quand il n’a ni toit, ni bouffe.

Commençons par la seconde. C’est une histoire de dégradation du capital humain. Vivre dans une extrême précarité atteint la santé, les réseaux sociaux et, progressivement, les qualifications. D’autant que, dans de nombreux cas, les jeunes pauvres sont aussi ceux qui ont le moins de qualifications au départ. Un revenu minimal n’est pas un repoussoir pour l’insertion, mais un prérequis.

Concernant l’idée que les jeunes seraient plus enclins à se vautrer dans l’assistanat, il y a deux problèmes. Un, je n’ai pas le sentiment que la sociologie nous enseigne cela. Dit autrement, l’argument se résume à « Les jeunes rêvent au RSA ». Ce qui peut surprendre, surtout lorsque les mêmes qui le soutiennent nous expliquent, par ailleurs, à quel point c’est beau la jeunesse. Mais, la sociologie, je n’y comprends rien (ceux qui soutiennent l’argument incriminé non plus, apparemment). Deux, la tendance naturelle à l’assistanat avant 25 ans est-elle documentée ? Pas vraiment. L’analyse économique ne le valide pas. Pierre Cahuc et consorts concluaient dans leur Machine à trier que rien n’établit une élasticité de l’offre de travail aux aides sociales différente pour les moins de 25 ans. En d’autres termes, donner un RSA aux moins de 25 ans ne réduit pas plus leur recherche active d’emploi que pour les plus de 25 ans. Il n’y a aucune raison pour distinguer les deux populations, hormis des raisons idéologiques.

Dans la lignée de ces arguments, Cahuc, Carcillo et Zimmerman proposent l’instauration d’un RSA jeunes « activé », à savoir couplé à un système de contrôle, d’incitation et de formation digne de ce nom. Chose qui, en réalité, devrait s’appliquer à tous les titulaires de minima sociaux ou d’allocations chômage. Mais, que voulez-vous, le pognon, y en a plus. Alors, si on peut au moins diriger des ressources vers une population qui en a fortement besoin, c’est déjà ça.

Bien sûr, au-delà du RSA, il y a une alternative, avec la thématique du revenu universel de base. L’idée fait son chemin, comme vous le savez. Mais n’est pas mure. Le choix de reporter à 2018 la remise à plat des minima sociaux me semble, de ce point de vue, intéressante. Ce n’est qu’après l’élection de 2017 qu’une telle mesure pourrait être envisagée. Inutile donc de faire ce qui pourrait, avec une probabilité non nulle, être défait dans peu de temps ou, au moins, pensé un peu différemment qu’en l’état actuel du débat. En l’état, on peut noter que le programme de “refonte” envisagé va d’ailleurs plutôt dans ce sens.

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8 Commentaires

  1. “Bien sûr, au-delà du RSA, il y a une alternative, avec la thématique du revenu universel de base.”

    Existe-t-il une différence significative entre les deux ?

    • Le revenu universel de base est “universel”. Donc versé à tout le monde, sans conditions de revenus.
      Par ailleurs, il se substituerait à un certain nombre de prestations sociales.

      • Je serais très curieux d’avoir votre avis sur le revenu universel. Si il est donné à tout le monde, les prix à la consommation vont augmenter automatiquement non ? J’ai l’impression que c’est un peu un cadeau empoisonné.

  2. En principe, jusqu’à 26 ans, des personnes qui ont des difficultés financières doivent se tourner vers leurs parents pour subvenir à leurs besoins; il me semble (mais je peux me tromper) que la limite d’âge inférieure de 25 ans pour pouvoir bénéficier du RSA vient précisément de cette subtilité.
    J’ai toujours trouvé injuste qu’on considère, dans la loi française, l’adulte majeur de moins de 26 ans comme un grand enfant: Je ne vois pas au nom de quoi on pratique encore cette discrimination entre adultes. Voilà pour mon ressenti en tant que citoyen.
    Et d’un point de vue sociologique et économique, on se doute que cette différence de traitement profite aux adultes-enfants issus des classes aisées: Un adulte-enfant de pauvre ne pourra pas espérer grand-chose de mieux de ses parents qu’un toit et une place à table (et encore, même cela sera peut-être difficile pour les parents les plus pauvres), alors qu’un adulte-enfant de riche pourra facilement espérer (s’il ne s’est pas brouillé avec ses parents) un logement à l’oeil et/ou une “petite” pension mensuelle. Dès lors, il me semble clair que la situation actuelle ne fait que renforcer la reproduction sociale. Est-ce efficace économiquement parlant? Je ne sais pas, mais cela me semble en tous cas injuste.

    • Au sens de la loi, on reste à la charge de ses proches (ascendants ou descendants) même après 26 ans. L’invention du RMI par Mitterrand n’a rien changé à cela.

      C’est aussi pour cette raison que les Conseils Généraux sont fondés à se servir dans l’héritage d’une personne qu’ils ont financièrement soutenu à son décès.

      D’ailleurs, il n’a jamais été question de vivre du RMI, les proches étant sensés complémenter.

  3. Le RSA ou le revenu universel de base (encore mieux ) peuvent même servir de sécurité pour entreprendre des études ou stages de formation, pas toujours payés… cela pour les jeunes… et les moins jeunes aussi.

  4. Je suis membre du Mouvement Français pour un Revenu de Base, je suis intéressé par plus de détail sur le manque de maturité que vous pointez: ” il y a une alternative, avec la thématique du revenu universel de base. L’idée fait son chemin, comme vous le savez. Mais n’est pas mure. ” et aussi, je suis preneur de vos idées pour favoriser cette maturation 😉

    • Bien que n’étant pas l’interpellé, je vais me permettre un commentaire.

      L’existence d’un revenu universel remettra en question la nécessité de financer autrement de nombreuses activités indéniablement utiles, mais mal valorisées par l’économie de marché : métiers du tourisme, de la culture, artisanat d’art, assistants d’éducation, jeunes créateurs d’entreprises, politiciens, etc… . Etant donnés que ces secteurs sont les seuls significativement créateurs net d’emplois, une telle proposition aurait pour conséquence de dé-professionnaliser la plupart des secteurs d’avenir de la société, ce qui n’est pas rien.

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