La fin des privilèges sur France Culture

J’ai été contacté par France Culture pour participer à l’émission ”Du grain à moudre” autour du livre de Charles Wyplosz et Jacques Delpla, La fin des privilèges, dont j’avais rédigé une chronique sur notre site. Je ne pourrai pas répondre à l’invitation. L’émission est diffusée demain, de 17h à 18h. Ce n’est pas parce que je n’y serai pas qu’il ne faut pas l’écouter :-). J’en profite pour revenir sur les mails que les auteurs m’ont adressé à la suite de ma chronique (cela fait un moment, du reste. Mais comme souvent, la procrastination n’a pas aidé). Je pense que leur contenu mérite d’être publié en complément de la chronique.

Il faut préciser que Charles Wyplosz et Jacques Delpla ont considéré que ma chronique était fidèle à l’esprit de leur ouvrage. Je ne m’étends pas là dessus, pour en venir aux précisions qu’ils ont jugé nécessaire d’apporter.
Dans mon commentaire, je posais la question des conséquences effectives des réformes envisagées. Ce qui conduit Charles Wyplosz à reformuler le problème ainsi : “Que savons-nous des effets des réformes proposées? Mais nous en savons bien assez. Il suffit de se promener un peu partout en Europe où de telles réformes ont eu lieu pour savoir ce qu’elles ont produit.”
Pas faux si on suppose que les réformes soient effectivement mises en place, avec les accompagnements institutionnels qui vont avec. Mes doutes portaient probablement plus sur ce point, toutes considérations concernant le caractère souhaité des choix sociaux induits mises à part. On peut se demander par exemple si certaines caractéristiques sociologiques ne rendent pas difficiles de suivre une voie similaire à celles des autres. L’argument est un lieu commun, mais j’y songe dans la perpsective, par exemple, de travaux comme ceux de d’Iribarne sur la logique de l’honneur. Vaste sujet, quoi qu’il en soit.
Par ailleurs, j’avais souligné l’imprécision latente du livre sur un certain nombre de points. C’était, en fait, ne pas assez retranscrire les propos des auteurs sur leur méthode. Ils précisaient assez clairement que leur démarche était exploratoire. Wyplosz en dit la chose suivante : “Faut-il appliquer ces réformes telles quelles et accepter notre chiffrage? Surement pas! Notre objectif n’est pas de voir ces réformes et la méthode appliqués demain. Vous avez raison de critiquer les faiblesses de notre analyse politique. Outre que ce n’est pas notre avantage comparatif, le réalisme n’est pas non plus notre intention. Ni même convaincre aujourd’hui. Ce que nous espérons, c’est un débat sur la manière de sortir de l’immobilisme. A propos, avez vous une meilleure idée?”. J’avais peut-être raison de critiquer les faiblesses de l’analyse politique. Mais je dois aussi reconnaître que cette faiblesse était reconnue noir sur blanc dans l’intro du bouquin ! A la relecture de ma note, je pense ne pas avoir assez insisté sur ce point. Et pour la meilleure idée ? Vous brûlez de savoir ce que j’ai répondu, non ? Eh, devinez… Ouai, je me suis méchamment défilé.
Jacques Delpla a de son côté noté que j’étais allé un peu vite en besogne du côté de l’évaluation de gains et pertes des uns et des autres, l’absence d’évaluation par le marché étant trop fréquente à mon goût. J’avais évoqué le “manque de profondeur” de ces évaluations. D’une part, j’ai constaté après coup que ce que j’entendais par là n’était pas ce qu’on pouvait lire. Je parlais de précision de l’évaluation. On pourrait croire que j’avais trouvé l’évaluation crétine [1]. D’autre part, les commentaires de l’auteur m’ont effectivement amené à penser que j’avais exagéré : “Pour le commerce, il y a un prix de marché à la rente (mesurée par nous comme la différence dans les taux de marges des commerçants entre la France et les pays plus concurrentiels (Scandinavie, Allemagne, uk). Pour la PAC, le prix est simple ; c’est la somme actualisée des subventions de la PAC aux paysans français (nous avons exclu une petite minorité qui accapare beaucoup de subventions). Pour l’Université et la Fonction Publique, la rente est la somme actualisée des salaires des fonctionnaires jusqu’à leur retraite, en indexant ces salaires sur le PIB –ce qui est soit identique ou mieux que la réalité. Seuls les chapitres sur la retraite et le marché du travail n’ont pas d’estimation de marché de la rente. Sur les retraites, en fait nous l’avons, c’est 80% du PIB (chiffre calculé avec les déficits futurs estimés par le COR), mais nous avons juste dit qu’il est impossible de tout compenser. Ici notre méthode est imparfaite, mais la comparaison ailleurs en Europe est la réforme des retraites SANS compensation (cf. Allemagne qui vient de passer à 67 ans, GB à 68). Sur le travail idem pas de marché, mais notre méthode se mesure par rapport à la réalité existante (les indemnisation actuelles de l’UNEDIC , i.e. 29 Mds EUR), te là-dessus nous sommes plus généreux.”
J’avoue que je manque de recul pour entrer dans une discussion très fouillée sur certains de ces éléments. Globalement, c’est effectivement ce qu’on peut lire dans le livre. La majorité ne semble pas poser de problèmes. Mais tous ne m’ont pas totalement convaincu. J’ai du mal, par exemple, à visualiser l’évaluation des salaires de la fonction publique. Les auteurs proposent 12 000 € environ pour racheter l’emploi à vie d’un fonctionnaire de 30 ans. Je me suis replacé à cet âge (pas si lointain) et je me suis demandé si j’aurais accepté de vendre mon emploi à vie pour une telle somme. La réponse est non[2]. Au minimum, j’attendrais 70 000 €. Mais… comme celui qui croit avoir un bien immobilier à prix d’or s’aperçoit par le biais du marché qu’il se trompe, peut-être m’apercevrais-je que je suis loin du compte. Néanmoins, il me semble qu’il y a un élément manquant dans la réflexion des auteurs : le coût de préparation des concours. Nombreux sont les entrants dans la fonction publique qui consacrent un temps non négligeable à préparer le concours. En toute logique, on devrait donc inclure la valeur de ce temps (mesurée par les salaires auxquels ils renconcent) dans la valeur actualisée de la rente. Par ailleurs, mais là je reviens sur mes doutes, quelle est la valeur de la prime de risque ? L’évaluation faite par les auteurs repose essentiellement sur le risque objectif d’être au chômage en CDI et une majoration à la louche qui peut sembler raisonnable. On tombe sur quelque chose de plutôt faible. Mais quelle évaluation en feraient les fonctionnaires concernés ? Difficile à dire, de mon point de vue. Probablement supérieure[3]. Mais de combien ? Bref, tout ceci est intéressant. Il faudrait que je remette le nez dedans plus en avant. Un élément amusant est que si on se fie à l’expérience suédoise dans le transport ferroviaire, il faut savoir que, suite à sa privatisation, les cheminots ont vu leur salaire augmenter, du fait de la pénurie de compétences dans un marché où les demandeurs étaient soudain plus nombreux.

Cette émission tombe donc très bien. Même si l’idéal aurait été que je puisse y assister, elle m’aura incité à mettre en ligne ces lignes. Et, on ne le dire jamais assez, Internet, c’est quand même génial. J’ai lu le bouquin. Je vous ai fait profiter de son résumé. J’ai fait – en toute indépendance- sa promotion. Les auteurs ont eu un retour de lecteur. Et je vous donne des compléments utiles maintenant, après en avoir profité. Tout le monde est heureux.
L’autre point qui ressort de cet épisode, c’est que, comme l’avait écrit Alexandre il y a un moment, la note de lecture est vraiment un exercice subtil.

Notes

[1] C’est visiblement la bonne interprétation que l’auteur a retenu. Tant mieux. Ca m’aurait embêté quand même…

[2] Du moins si je ne crains pas d’en être proprement exproprié comme cela pourrait arriver

[3] Je précise que dans mon cas, je me comporte en pur rentier quand je parle des 70 000€. Le risque de chômage ne m’inquiète pas franchement. Je spécule plutôt sur l’utilité associée par les autres français à l’emploi à vie et sur l’intérêt que l’Etat pourrait trouver à payer cher sa liberté de me licencier.

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2 Commentaires

  1. Merci d’avoir signalé cette émission. Ca a été l’occasion de découvrir J.Généreux :

    Après avoir critiqué le titre et brièvement discuté la méthode proposée, il a lancé une bombe : le vrai privilège, c’est "le privilège exorbitant des détenteurs du capital". Concernant le marché du travail il faudrait selon lui instaurer un "vrai droit au travail [et si un salarié est licencié] soit on lui propose un emploi public immédiatement soit on lui garantit son revenu". Et pour financer cette mesure "on va faire payer les vrais rentiers que sont les détenteurs du capital". Bluffant!

    Face à de telles critiques, Delpla a pu défendre son livre sans aucune difficulté. Alors il ne reste qu’une question : les taxis nombreux et pas chers (et souriants), c’est pour quand?

  2. @ Gu Si Fang

    Desole, mais j’avais cru que Genereux donnait un exemple de ce qu’une personne "a la gauche du PS" pourrait considerer comme fonctionnement pour la fin des privileges. Je m’explique, il me semble qu’il voulait indiquer par la, qu’il etait largement d’accord avec la methode proposee par les deux auteurs mais qu’il etait sceptique sur un certain nombre de constats (sur ce qu’etaient les privileges et lesquels il fallait changer).

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