La discrimination tarifaire est une bonne chose, c’est Saint Matthieu qui l’a dit

Nous avons déjà expliqué plusieurs fois sur ce blog que la discrimination tarifaire – faire payer à différents acheteurs des prix différents pour le même produit – était une bonne chose. Voir l’exemple de l’orchestre symphonique, les tarifs bancaires, et les tarifs du téléphone mobile. Immanquablement, pourtant, celle-ci suscite des protestations de ceux qui se trouvent devoir de ce fait payer plus. N’y a t-il pas là une injustice qui leur est faite, en profitant de leurs goûts pour leur faire payer plus?

Il faut croire que non, car la discrimination tarifaire a des origines fort anciennes. Jugez plutôt ce passage de l’Evangile de Saint Matthieu :

Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit de grand matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.

Etant convenu avec les ouvriers d’un denier par jour, il les envoya à sa vigne.

Il sortit vers la troisième heure, en vit d’autres qui se tenaient sur la place sans rien faire,

et leur dit: ” Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste. “

Et ils y allèrent. Il sortit encore vers la sixième et la neuvième heure, et fit la même chose.

Etant sorti vers la onzième (heure), il en trouva d’autres qui stationnaient, et il leur dit: ” Pourquoi stationnez-vous ici toute la journée sans rien faire? “

Ils lui disent: ” C’est que personne ne nous a embauchés. ” Il leur dit: ” Allez, vous aussi, à la vigne. “

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: ” Appelle les ouvriers et paie-leur le salaire, en commençant par les derniers jusqu’aux premiers. “

Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier.

Quand vinrent les premiers, ils pensèrent qu’ils recevraient davantage; mais ils reçurent, eux aussi, chacun un denier.

En le recevant, ils murmuraient contre le maître de maison, disant:

” Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et tu les as traités comme nous, qui avons porté le poids du jour et la chaleur. “

Mais lui, s’adressant à l’un d’eux, répondit:
“Ami, je ne te fais point d’injustice: n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier?

Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi.

Ne m’est-il pas permis de faire en mes affaires ce que je veux? Ou ton œil sera-t-il mauvais parce que, moi, je suis bon?

Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers derniers. “

Etait-ce l’influence de son premier métier de collecteur d’impôts? Toujours est-il qu’entre l’effet Matthieu et cette illustration fort juste de la discrimination tarifaire, il semble qu’il était doté de quelques intuitions en matière économique… (via Reason)

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Alexandre Delaigue

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7 Commentaires

  1. Le procédé n’est-il pas de nature à dissuader celui qui est tout sauf certain de tirer récompense proportionnelle à ses efforts de faire plus que le minimum ?

    Après tout, on dit souvent que les fonctionnaires sont incités à en faire le moins possible pour leur employeur principal puisque leurs revenus ne dépendent pas de leurs efforts et consacrer l’essentiel de leur ressources humaines propres à des activités enrichissantes (bricolage, éducation de leurs enfants, militantisme, sports, tenues de sites internet consacrés à l’économie, etc.)

    Une bonne discrimination tarifaire est fondée sur un élément que les individus ne peuvent pas modifier. Par exemple, lorsqu’Apple vend très chers les premiers iphone pour baisser le prix quelques mois plus tard, l’entreprise fait payer plus cher les technophiles qui ne sont pas capables d’attendre la baisse du prix. Lesdits technophiles ne disposent pas d’une machine à remonter le temps pour avoir leur iphone le jour de la sortie et le payer au prix de trois mois plus tard. Par ailleurs, les enseignants qui tiennent des sites internet travaillent beaucoup pour leur employeur principal, sachez-le. Il existe même un moyen pour l’employeur de l’obtenir, qui consiste à leur faire faire des heures supplémentaires…

  2. Je n’ai pas de mal à comprendre que de la discrimination parfaite est efficiente. Mais si la discrimination n’est pas parfaite, est-ce que la situation est vraiment toujours efficiente ? Il me semble au contraire que ce n’est pas forcément le cas.

    Elle l’est en présence de coûts fixes, si discriminer un peu permet de vendre plus à certains en amortissant les coûts sur ceux qui sont disposés à payer plus (exemple : la classe affaires dans les avions)

  3. Bon, je vais me faire taper sur les doigts, mais ce texte est une parabole (il se présente comme telle dans la Bible) aussi l’auteur ne souhaite pas qu’elle soit prise comme une théorie économique. Elle parle de conversion, ce qui rend les choses bien moins étrange qu’il peut paraître si on y voit une théorie de la justice. En fait, il suffit de lire les quelques lignes précédentes pour le comprendre (Et quiconque aura quitté maisons, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou enfants, ou champs, à cause de mon nom, il recevra le centuple et aura la vie éternelle en possession. Et beaucoup de premiers seront derniers, et beaucoup de derniers premiers.)
    Désolé si je peux paraître un peu "pisse-froid" mais j’avais toujours trouvé ce passage débile, voir révoltant. Jusqu’au jour où on m’expliqua ce que je viens dire.

    Après vous pouvez trouver votre inspiration n’importe où et tant mieux si cela permet aux économistes d’avoir de nouvelles idées, mais ce texte ne peut servir de "justification", constituer une "origine" des discriminations tarifaires ou encore les rendre plus "juste" parce que c’est dans la Bible: il parle de tout autre chose.

    Ca m’apprendra à faire du second degré :-).

  4. Bonjour,

    j’ai une petite question viticole qui me tarabuste depuis quelques temps : je ne sais pas si elle est bien dans le thème de ce post, mais je vous la pose quand même :

    Récemment, un domaine Bordelais qui ne brillait pas auparavant par la qualité de ses vins, a été repris en main en 2006, et a reçu une très bonne note pour son millésime 2006, d’un dégustateur mondialement reconnu et respecté. Le prix de ce vin est subitement passé de 15€ environ pour le 2005, à…140€ pour le 2006. Ma question est la suivante : si ce domaine affiche ce prix, c’est qu’il pense trouver une clientèle prête à payer : pourquoi alors , tous les domaines qui ont reçu une note équivalente, n’en font pas autant ? (à capacité productive équivalente).

    cordialement

    Paulo

    Je ne suis pas certain de comprendre votre question. Suggérez-vous à tous les producteurs de se reprendre en main et de passer à 140 euros la bouteille? Ou vous demandez-vous pourquoi les autres producteurs bien notés n’augmentent pas leur prix?

  5. Des exemples similaires ont été rassemblés il y quelques années par Charles Gave dans son livre "Un libéral nommé Jésus".

  6. pardon si je n’ai pas été assez clair : je me demande en effet pourquoi d’autres producteurs bien notés n’augmentent pas leurs prix dans cette proportion : (exemple : Sociando Mallet aussi bien noté, trés apprecié des amateurs,tourne autour de 35€).

  7. S’il faut, pour pratiquer une discrimination tarifaire efficace, jouer sur un facteur que la victime du traitement discriminant ne peut modifier, comment s’assurer que la partie discriminée n’intègrera pas, dans tous ses raisonnements futurs avec la partie discriminante (ou toutes les parties que la partie discriminée assimile à tot ou à raison à la partie discriminante) le souvenir qu’il a d’avoir été objet de discrimination tarifaire ?

    Dans le cas d’Apple, par exemple, les clients ayant perdu à être avoir perdu à la discrimination tarifaire pratiquée par Apple ne risquent-ils pas de renoncer à toute future relation avec Apple au profit d’un fournisseur plus compatissant à leur situation particulière ?

    Dès lors, peut-il exister des stratégies de discrimination tarifaire viables en dehors des situations de monopole ou quasi-monopole ?

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