La presse et la télévision font l’écho d’une récente étude menée par le magazine “Mieux vivre votre argent” et une association de consommateurs sur les tarifs bancaires. Le ton général des articles consiste à critiquer ces banques dont les tarifs sont “opaques” puisque le prix des mêmes services varie dans des proportions considérables, parfois de un à sept. Non seulement les tarifs varient à l’intérieur des mêmes banques mais les mêmes tarifs sont tarifés de façon extrêmement diverse selon les banques. Que le comportement des banques soit parfois contestable, sans doute; mais la pratique de tarifs différents n’a rien de particulièrement critiquable.
La critique de la discrimination tarifaire repose le plus souvent sur un raisonnement essentialiste : il existe un “vrai prix” des choses qui correspond à leur coût de production plus un bénéfice raisonnable (sur ce point, les définitions individuelles varient…) pour le producteur. Le problème, c’est que le “vrai coût” n’existe pas. Pour une compagnie ferroviaire, le passager qui entre dans le train au dernier moment avant le départ ne génère aucun coût supplémentaire, puisque le train serait parti de toute façon; faut-il pour autant ne pas lui faire payer son billet? Non, car si cette pratique tarifaire était mise en place, tous les passagers se présenteraient au dernier moment.
Néanmoins, faire payer le même prix à tous les passagers n’est optimal pour personne. Considérons un train qui comporte 100 places; si le prix du billet est de 20€, il est rempli à 80%; si le prix du billet est de 15€, il est rempli à 100%. Si elle pratique un tarif unique, la compagnie ferroviaire préférera adopter le tarif de 20€ qui lui rapporte un chiffre d’affaires de 1600€, contre 1500€ avec un tarif à 15€.
Imaginons maintenant qu’elle puisse distinguer, parmi ses passagers, ceux qui sont prêts à payer 20€ et ceux qui ne paieront pas plus de 15€. Dans ce cas, elle fera payer les premiers passagers au prix fort et gagnera 1600€; elle fera payer moins cher les autres et s’ajoutera 300€ de bénéfice. C’est avantageux pour la compagnie, mais c’est aussi avantageux pour les passagers : les moins fortunés d’entre eux – ceux qui ne peuvent pas payer cher – pourront voyager, ce qui n’était pas le cas avec un tarif unique.
Néanmoins il faut un moyen de distinguer ceux qui sont prêts à payer cher et ceux qui n’y sont pas prêts. La SNCF a trouvé une solution, qui est celle de l’âge : avant 25 ans, et après 60 ans, vous payez un certain prix; hors de ces tranches d’âge, vous payez le double. Evidemment, ce n’est pas présenté comme cela, mais cela revient à considérer que comme ceux qui ont entre 25 et 60 ans disposent en général d’un pouvoir d’achat supérieur, ils peuvent payer. Une autre solution est celle qui est actuellement employée par Microsoft pour vendre son dernier système d’exploitation; il n’y a pas moins de 8 tarifs différents, avec 4 versions différentes du logiciel différenciées par la présence ou l’absence de certaines caractéristiques, et par les caractéristiques de la licence du logiciel (version normale ou OEM). Vous voulez disposer de l’option cryptage ou bureau mobile? Vous voulez une interface graphique consommatrice de ressources? Microsoft considère que vous êtes prêt à payer 150 euros de plus que l’acheteur d’une version familiale basique de son système d’exploitation. Vous trouverez cela cher : mais faire payer plus cher ceux qui sont disposés à payer plus est une forme de justice sociale, parce que ceux qui paient cher sont en général ceux qui en ont les moyens.
C’est aussi pour cela que les passagers d’un même avion paient des prix très différents, que selon la couleur vous paierez votre ordinateur Apple a un prix différent, que certains constructeurs d’imprimantes ajoutent des puces pour ralentir certains de leurs modèles qu’ils vendront au grand public. Ceux qui paient cher trouvent immanquablement cela injuste, et sont prêts à tous les arguments indignés, tendance “vous les économistes vous ne comprenez rien à la vie, moi je paie cher mais je suis une victime du grand capital” pour l’expliquer (voir par exemple ce post sur la discrimination tarifaire en matière téléphonique). Mais la réalité, c’est que ces pratiques sont en général justes et efficaces. Justes parce qu’elles font payer cher ceux qui en ont les moyens; et efficaces parce qu’en permettant d’offrir le service à un plus grand nombre de personnes, elles tendent à en abaisser le coût moyen.
La contrepartie, évidemment, ce sont des tarifs assez opaques, pour éviter que ceux qui paient cher ne trouvent la technique qui leur permettra de payer moins cher : l’opacité tarifaire est un moyen assez classique de lever une barrière pour identifier ceux qui n’ont pas envie de faire des efforts pour trouver le moyen de payer moins cher. C’est ce que l’on constate dans le cas des tarifs bancaires, ou le même ensemble de services est tarifé parfois 36 euros, parfois 272 euros. Mais ces simples chiffres montrent précisément la justice du mécanisme; il y a des gens qui considèrent que leur temps est tellement précieux qu’en consacrer une partie à économiser 236€ n’est pas rentable; il est juste que leur revenu serve à subventionner des bas tarifs pour d’autres utilisateurs. La Poste offre des tarifs très avantageux pour les petits comptes, mais fait payer très cher les incidents de paiement sur un compte-titres? C’est qu’ils ont identifié que les détenteurs de comptes-titres peuvent supporter des pénalités élevées, contrairement aux simples détenteurs d’un compte courant. Il y a une certaine forme de justice dans le fait que les détenteurs de comptes de titres subventionnent les détenteurs de petits comptes.
En favorisant la comparaison des tarifs, le magazine “mieux vivre votre argent” contribue à lever l’opacité, donc à réduire les opportunités de discrimination tarifaire, et bénéficiera à ceux qui actuellement paient des tarifs bancaires élevés. Mais sous couvert de défense du consommateur, le magazine avantage surtout ses lecteurs – ceux qui ont de l’argent, et se demandent comment mieux vivre avec.
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L’Etat fait obligation aux salariés (condition assez commune dans la société contemporaine) d’être client d’une entreprise ayant reçu la qualification de banque pour pouvoir toucher son salaire.
Il me semble donc difficile de prétendre que les règles habituelles de construction des prix s’appliquent alors que les mécanismes d’émergence d’offres de substituts et compléments n’y fonctionnent pas selon les postulats généralement admis.
Il vous semble… Mais cela change quoi, exactement? De même, tout conducteur doit avoir une assurance auto. Cela modifie-t-il les prix de ces assurances?
Ces commentaires sont parfaitement justes s’il y a une seule banque, mais l’opacité tarifaire n’a-t-elle pas avant tout la vocation de limiter la concurrence entre banques pour créer des rentes de monopole? Auquel cas rien ne dit que l’argent de ceux qui paient des tarif élevés profitera aux autres (au contraire cela profitera à la banque), non?
Les différences tarifaires décrites existent aussi à l’intérieur d’une même banque.Par ailleurs l’effet de volume et de réduction des coûts fonctionne aussi avec plusieurs entreprises en même temps. On peut dire aussi que si quelques banques récupèrent certains clients à forte disposition à payer, cela ne laisse pas de choix aux autres que de séduire une autre clientèle.
Il y a là un paradoxe étonnant : le savoir souvent présenté comme une sorte d’accessoire est au bout du compte seul gage de richesses ! L’homme raisonnable l’emporte sur l’écervelé, et l’homme réfléchi sur l’homme pressé… En somme, l’économiste n’est-il pas un moraliste qui s’ignore ?
PS./Est-il possible d’évaluer économiquement le comportement moutonnier comme "moteur" de la consommation moderne (pour les services bancaires,ou pour d’autres choses)? Les familles à revenus modestes ne dépensent-elles pas plus de services "inutiles" et coûteux que d’autres : marques attrape-nigauds, loteries où l’on est sûr de perdre de l’argent, encyclopédies et autres produits vendus par correspondance, prêts bancaires à taux révisables, etc ?
Des questions difficiles. Sur la première, c’est le cas : Hayek (entre autres) expliquait que la caractéristique des économies de marché n’était pas tant de reposer sur des acteurs rationnels que de faire que ceux qui sont plus rationnels que d’autres s’y retrouvent plus riches.
Sur le second point le rôle de l’imitation dans la consommation est connu, mais pas (à ma connaissance) mesuré. Et je ne suis pas certain qu’il soit réservé aux ménages modestes. La différence, c’est que ces comportements sont très vite catastrophiques pour les ménages modestes, alors que les ménages plus aisés peuvent se les permettre.
"Justes parce qu’elles font payer cher ceux qui en ont les moyens; et efficaces parce qu’en permettant d’offrir le service à un plus grand nombre de personnes, elles tendent à en abaisser le coût moyen."
J’ai du mal à comprendre pourquoi. En effet, si l’on considère
que le but de la banque est de faire le plus de profit(ce qui n’est pas le cas de la SNCF),elle n’a aucun interet à faire baisser le prix tant qu’elle trouve des clients. Elle va chercher du profit avec ses clients riches et ses clients pauvres, en surfacturant le service pour ce qui peuvent payer. Mais elle ne va pas baisser ses tarifs pour les plus pauvres ( Microsoft est dans ce cas: profitant de son monopole, il extorque à chacun le plus d’argent possible selon sa situation, mets ne baisse pas pour autant les prix de ses produits pour les particuliers, n’y ayant aucun interet.
Les riches perdent, les pauvres ne gagnent rien.
Pourrait-on me ré-expliquer l’interet pour les pauvres d’une tarifiction discrimination tarifaire lorsqu’elle est pratiquée par une boite recherchant le profit?
relisez le post, tout y est expliqué.
Mon seul regret c’est que le fisc soit lui aussi opaque mais que ses tarifs ne dépendent pas de ma volonté a payer plus. Je suis pourtant prêt a laisser tomber des options sans intérêts et a y passer le temps qu’il faut.
Comme quoi le monopole de la violence, légale ou non, présente quelques avantages financiers.
Pour les biens collectifs, c’est assez nécessaire. Si ce n’était pas le cas, vous pourriez vous déclarer anti-nucléaire et ne pas payer pour la force de dissuasion française, tout en en bénéficiant.
Bon exemple de discrimination tarifaire assez impressionnante et qui ne semble pas révolter les foules : le prix des consoles de jeu en Europe par rapport aux Etats Unis et au Japon.
Clairement, mais celle-ci est en diminution avec l’abaissement des barrières douanières. D’ailleurs, sur un sujet proche, est-ce que les DVD-HD sont zonés?
Ce qui est amusant, c’est que la discrimination tarifaire peut conduire à des inversions de prix par rapport au coût de production. Ainsi, Windows XP a été développé d’abord en version pro, puis la version familiale a été développée en inhibant certaines fonctions. La version familiale a donc coûté plus cher à développer, et pourtant elle est vendue moins cher que la version pro.
Sur l’opacité tarifaire, l’exemple de Free est intéressant. Avec un prix unique à 29,99 euros par mois, il ne fait pas la différence entre un étudiant avec un petit budget et un ménage aisé. Son tarif très transparent lui fait donc perdre des opportunités de profit. Mais le tarif unique augmente aussi ses profits puisqu’il dépense moins en pub pour faire connaître son offre, a un système de facturation très simple, et une équipe marketing réduite en ce qui concerne la tarification de ses produits.
En effet. Mais dans l’ensemble l’effet de ce surcroît de coût pour l’entreprise est largement compensé par les prix bas dont peuvent bénéficier ceux qui achètent ces versions “plus coûteuses mais moins chères”.
Le cas de free me semble différent. Pour pratiquer la discrimination tarifaire, il faut qu’il règne un certain manque de concurrence, ce qui n’est pas le cas pour l’internet haut débit. Cette unicité des tarifs s’explique par la pression concurrentielle. Lorsque les positions seront assises dans ce secteur, il est probable qu’elle montre le bout de son nez.
@SM sur les différences entre les prix des consoles suivant les continents:
je pense que vous ne fréquentez pas assez les forums de certains sites. Quand il y a un petit billet sur le fait que la PS3 sera vendue 600€ et avec une moins bonne rétrocompatibilité, il y a toujours des gens assez nombreux pour dire qu’elle est vendue l’équivalent de 350€ au Japon!
Sur le sujet initial (les tarifs bancaires): je suis toujours étonné par ces études qui donnent les prix des tarifs bancaires. Souvent sont inclus des services dont je vois mal comment on peut les utiliser une fois par an (genre le chèque de banque). Ce qu’on consomme en services bancaires doit dépendre énormément des individus, mais je doute quand même de la fiabilité de ces comparatifs pour se déterminer.
Au total, mieux vaut faire la tournée des sites web des banques, on peut récupérer rapidement des infos. évidemment on ne peut pas tester toutes les banques, mais ça va relativement vite. L’opacité est donc toute relative. Les tarifs différenciés font aussi partie de la stratégie de recrutement de clients des banques: toutes les banques ne sont pas à la recherche des mêmes types de clients et donc ont tendance à décourager certains en pratiquant des tarifs + élevés.
Oui, la barrière n’est pas très élevée. Pourtant, dans l’ensemble, elle semble fonctionner puisqu’elle permet des différences de tarif importantes. Au total, présenter cela comme une “arnaque des consommateurs” relève du sophisme essentialiste plus que d’autre chose.
Cet article me fait penser à un des premiers chapitres de The Undercover Economist de Tim Harford qui avait eu droit à une note de lecture sur ce site : econo.free.fr/scripts/not…
exact : on peut lire des extraits de ce chapitre sur le site de l’auteur.
Les gros déposants clients des banques négocient avec leur banquier le montant des frais de banque. Les plus gros clients (particuliers ou entreprises) bénéficient d’un forfait total qui peut aller jusqu’à la gratuité complète des services les plus courants et l’application de la valeur jour sur toutes les écritures.
La banque estime alors que le gain obtenu par l’utilisation de la masse des dépots, diminuant d’autant le coût de leurs ressources, est supérieur à celui des frais de gestion des comptes.
@ ????? relisez le post. La tarification différenciés permet de proposer a une partie de la clientèle des tarifs en dessous du coût de revient du moment qu’ils sont au dessus du coût marginal.
Vous semblez considérer cela normal pour la SNCF (du moment qu’elle ne fait pas de profit), mais cela est également pratiqué par toutes les compagnies aériennes (qui elle font du profit).
Sur les pauvres : une clientèle pauvre cherchera a priori un tarif le plus bas. Et pourra le trouver grâce aux tarifs différenciés (dans les cas des transports, en réservant son billets des semaines à l’avance).
Appliqué aux banques (et aux opérateurs téléphoniques), la démonstration perd cependant un peu de sa pertinence. Le coût de changement est non négligeable pour les consommateurs. Il est souvent supérieur à deux ou trois ans d’économie réalisée. Et c’est en cela que l’opacité – et la complexité – des tarifs bancaires peuvent paraître anormale. D’autant plus que la facturation se fait souvent à postériori, c’est-à-dire une fois l’opération engagée, ce qui n’est pas le cas lors de l’achat d’un billet de train.
@Proteos : ah, oui, je sais bien que je ne suis pas le seul au courant de la différence de prix ! Par contre, les gens les achètent et n’en font finalement pas tout un plat. Preuve qu’ils sont disposés à payer.
Il existe de nombreux substituts à l’automobile, et donc, à leurs obligatoires compléments au sens de la loi. Il n’en existe pas aux banques, du moins, pour une fraction particulièrement significative de la population.
Mais comme vous le dites vous-mêmes, la discrimination tarifaire exige un certain manque de concurrence. Nul ne nie ses avantages pour diverses parties (au sens socio démocrate de la conjonction d’intérêt entre un grand acteur économique protégé d’une irruption trop soudaine de concurrence et l’état qui organise par voie législative, administrative et de contrôle cette protection de l’acteur concerné contre le concurrence) dans ce contexte au point qu’on peut en première approximation d’un point de vue socio-économique considérer que son existence ("canary in the coalmine") suffit à témoigner de l’existence d’imperfections de concurrence du marché concerné.
L’entretien de la discrimination tarifaire a également un coût qui lui est propre : conception, vérification vente par vente et détermination du contexte à temps T, application des taifs discriminés ne sont pas gratuits : il est d’ailleurs d’un point de vue théorique en organisation industrielle théorique assez sensé de spécialiser l’administration d’état dans l’organisation d’une discrimination tarifaire générale par l’éventuel subventionnement de certains achats/acquisitions de services. Mais, même sans cela, on ne peut oublier que toute discrimination tarifaire organisée doit être considérée dans le contexte plus général de celle organisée par la pûissance fiscale.
brillant exemple, les plus fort, compensent les deficites des plus faibles