Désolé pour le faible postage ces temps-ci. La conjonction d’une grosse quantité de travail et d’une connexion internet au fonctionnement sporadique l’explique, cela devrait (espérons-le) s’arranger. D’ici là, une petite citation à méditer :
Je ne nie pas que les gens qui parlent la même langue, qui sont nés et vivent sur le même territoire, qui rencontrent les mêmes problèmes, qui pratiquent les mêmes religions et coutumes, ont des caractéristiques communes. Mais ce dénominateur commun ne peut jamais définir en totalité chacun d’entre eux, car il ne fait qu’abolir, ou reléguer de façon dédaigneuse au second plan la somme de traits et d’attributs uniques qui distinguent un membre des autres membres du groupe. Le concept d’identité, quand il n’est pas employé à l’échelle d’une personne, est de façon inhérente réducteur et deshumanisant; c’est une abstration collectiviste et idéologique qui néglige tout ce qui est original et créateur dans l’être humain, tout ce qui n’a pas été imposé par l’héritage, la géographie, ou la pression sociale. Mais la vraie identité prend sa source dans la capacité des humains de résister à ces influences, et de les contrer par des actes libres de leur propre invention… La notion “d’identité collective” n’est qu’une fiction idéologique et le fondement du nationalisme.
Mario Vargas Llosa, “the culture of liberty”. Cité (ma traduction) dans le très intéressant “Immigrants : your country needs them” de Philippe Legrain, un plaidoyer très convaincant sur la nécessité pour les pays développés et les pays en développement d’ouvrir plus largement les frontières aux flux migratoires. Plus sur ce livre (par exemple, une note de lecture) d’ici quelques temps.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
Très belle citation, merci!
Cependant le titre du livre contredit bizarrement la citation. Si ça avait été "I need them" il n’y aurait rien à ajouter; "you need them" ça ouvre le débat; mais "your country needs them"… ce sont les personnes qui ont des besoins, pas les choses. Alors un pays??? Si un pays avait des besoins, pourquoi n’aurait-il pas une identité 😉
Vous cherchez la petite bête. Vous pouvez très bien écrire “cette ville a besoin de meilleurs transports collectifs” ou “cette entreprise a besoin d’investir” sans conférer une identité globalisante à la ville ou l’entreprise.
"Mais la vraie identité prend sa source dans la capacité des humains de résister à ces influences, et de les contrer par des actes libres de leur propre invention"
…Et c’est précisément ce en quoi ils sont déterminés par l’identité collective: c’est ce à quoi ils réagissent, ce contre quoi ils se construisent. Tout est donc vrai jusqu’à la phrase de conclusion, qui est en contradiction avec le reste de la citation. Enfin pour ce qui est de la "fiction idéologique", parce que "le fondement du nationalisme", c’est évident.
Beaucoup de gens reprochent à M. Thatcher d’avoir dit un jour que “la société n’existe pas”. Etrangement, ceux qui disent que “l’individu n’existe pas” ne semblent pas susciter le même genre de critique. ce déséquilibre a quelque chose de terrifiant.
Bon, je sais que la réponse est tarte à la crème, mais si l’individu existe, il me semble que l’amputer de ce qui le rapproche des autres en le définissant par sa capacité à résister au collectif est un ptit peu réducteur? J’aime le pinard, le frometon puant et le pain, dois-je considérer que cela ne constitue pas aussi mon identité au motif que je ne résiste pas par là au stéréotype franchouillard?
On doit quand même pouvoir saisir cette question des identités collectives autrement que comme des fictions qui prennent les individus à la gorge et se les approprient. Evidemment, si on parle dans un cadre communautariste, les identités collectives prennent un tour classificatoire un peu carcéral…
Non, dans la mesure ou vous avez choisi dans ce stereotype ce qui vous est spécifique. Quant aux “identités collectives” elles sont, oui, des fictions.
Bonjour Alexandre.
Les économistes aiment à se prévaloir de leurs analyses positives, opposées aux jugements normatifs du reste de l’humanité. Mais dans ce texte de Vargas Llosa je ne trouve que poncifs politiquement corrects et platitudes convenues.
Voici une contre-proposition : puisque les doctrines politiques et les religions ont comme principale activité de faire la morale et de relater la vérité, je propose de publier les affiliations correspondantes dans les populations incarcérées, nobélisées et fieldsisées.
Le consommateur a quand même le droit de vérifier les produits! Alors: Econoclaste ou Econoconformo?
En attendant je vais continuer de rêver à la liberté de pensée dont jouissait Galilée…
Torquemada
Ce propos est peut-être d’une grande subtilité, en tout cas je n’y comprends rien. Avant d’apporter vos tenailles et vos fers rouges, peut-être devriez-vous mettre un peu d’ordre dans votre esprit embrumé, M. l’inquisiteur.
La France, pays dont la devise commence, dit-on, pa liberté, s’est distinguée de l’ensemble des nations signataires du Pacte International relatif aux Droits civils et politiques en accompagnant sa signature d’une observation concernant tout particulièrement l’article 27 de ce pacte.
Cet article 27 dit :
"Article 27 : Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue. "
L’observation émise par la France, ayant essentiellement pour conséquence concrète de refuser de tenir compte de l’existence des droits ici donnés aux citoyens en ce qui la concerne, était, pour l’essentiel, justifié par l’affirmation de l’existence d’un universalisme susceptible de s’imposer à toute autre représentation du monde, toute représentation de quelque phénomène communément perceptible que ce soit ne pouvant échapper aux conséquences des raisonnements issus de cet universalisme.
Ma conclusion ? Penser librement est permis en France, mais pour exprimer ce que l’on pense, mieux vaut le faire hors de France et dans une autre langue que le français.
J’ai beaucoup de mal a suivre les débats intellectuels de haut niveau.
L’identité "nationale" est ce qui définit l’espace de solidarité au nom duquel on me taxe pour payer la retraite, le RMI, la bourse, etc. de gens dont je n’ai que faire par ailleurs, dont je ne comprends pas le langage dans la plupart des cas et qui sont généralement pour moi des sujets d’ethnologie aux coutumes bizzares. La seule capacité que j’ai de contrer cette influence par un acte libre serait de prendre un billet de train pour Gstaad. Mais c’est une colonie Belge.
Je ne vais pas laisser passer une citation d’un de mes auteurs préférés sans réagir ! Je suis aussi circonspect que lui à propos de la notion d’identité collective : je ne pense pas qu’une telle chose existe en dehors des idéologies qui la promeuvent pour mieux instrumentaliser les personnes. Cependant, ne définir l’identité que par ce qui distingue la personne du collectif me paraît singulièrement(!) réducteur.
La notion de liberté individuelle est un produit de la culture occidentale (et, de mon point de vue, un de ses grands apports) qui a émergé à la Renaissance et, consacré par les Lumières, s’est épanoui dans le Romantisme. Dans nombre de cultures, l’identité se définit d’abord par l’appartenance (à une famille, un clan, un village…). C’est encore en grande partie vrai dans la nôtre. Quand, en Corse, on vous demande « qui tu es, toi ? », cela veut dire « de quelle famille ? ». De même, dans les hautes sphères de notre république, il importe de savoir de quelle grande école vous sortez, à quel grand corps vous appartenez… C’est sur ce substrat, un peu trop nié par une idéologie moderne survalorisant l’individualisme, que se construit la personne, en partie avec lui, en partie contre lui.
Nier la dimension collective dans laquelle est enchâssée (embedded) l’identité individuelle est aussi absurde que de nier l’existence de la personne distincte du groupe. Après tout, l’enfant-loup n’est pas l’idéal de l’individu (même si l’homo oeconomicus de certains économistes lui ressemble parfois étonnamment…). C’est pour cela que, quelle que soit notre adhésion à la valeur liberté individuelle, nous rejetons spontanément le propos de Margaret Thatcher : « there is no such thing as society ». Il faut, comme Alan Greenspan, avoir passé ses fiévreuses nuits adolescentes à s’exciter sur les romans d’Ayn Rand pour adhérer à ce genre de stupidités. Il importe donc de penser l’identité comme une dialectique permanente entre appartenance et individuation : avoir une identité, c’est être simultanément identique et distinct.
De plus, ce qui dans le passé, était possible pour un petit nombre de personnes est aujourd’hui, avec l’ouverture des sociétés modernes, accessible au plus grand nombre : le fait de rejoindre une ou plusieurs communautés par choix. La constitution de « online communities » en est la plus récente illustration. L’identité est donc un objet complexe articulant les relations à une communauté héritée, des communautés choisies et des affirmations personnelles…
Il n’est pas étonnant que Vargas Llosa valorise particulièrement ce qui distingue la personne du groupe : d’une part, les grands créateurs, comme les grands penseurs et les mystiques ne peuvent s’affirmer la plupart du temps qu’en s’affranchissant des normes sociales et parfois contre elles et, d’autre part, le roman, comme forme littéraire est contemporain de l’émergence du concept de liberté individuelle et fortement lié à celui-ci. On peut noter qu’il en va de même pour les grands textes de l’économise classique.