Dans la deuxième note du “CAE réformé”, consacrée à l’immobilier et rédigée par Alain Trannoy et Étienne Wasmer, on pouvait lire :
“Nous proposons de réduire, voire supprimer progressivement les mesures de défiscalisation et les droits de mutation à titre onéreux, de réformer la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et de modifi er la taxe sur les plus-values. L’idée générale est de taxer la détention plutôt que les transactions afin de fluidifier le marché immobilier et de rendre la taxation des plus-values foncières plus incitative de manière à décourager les comportements attentistes.”
Étienne, j’espère que tu es en vacances. Sans quoi, tu n’échapperas pas à cette nouvelle. Il est question d’augmenter les droits de mutation (taxe payée par l’acheteur d’un logement, qui vient s’ajouter aux frais de notaire dans le coût d’acquisition d’un logement). Plus précisément, les départements qui le souhaiteront pourront le faire. Certes, la hausse autorisée est modérée. A titre indicatif (chiffres BFM TV), elle représenterait 1 400€ pour l’achat d’un bien à 200 000€. Pas de quoi fouetter un chat, dira-t-on. Mais plus que l’envergure, c’est la tendance qui, elle, est déplorable.
L’ambition du gouvernement est de compenser une baisse des transferts de l’État auprès des départements. Soit, les besoins financiers ne manquent pas et il faut bien trouver un moyen de les combler.
Mais s’il est bien un impôt qui semble économiquement peu adapté, c’est bien celui-ci. Citons encore la note du CAE, probablement inspirée par des années de travaux sur le sujet :
“Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) constituent la plus importante taxe sur les transactions pour les biens immobiliers dans l’ancien (plus de cinq ans après l’achèvement des travaux) : ils représentent 5,09 % du montant d’une transaction immobilière. Comme tout coût de transaction, ils freinent les échanges, et donc la mobilité : un propriétaire perdant son emploi dans un bassin en déclin économique hésitera à vendre pour déménager dans une région plus dynamique en termes d’emploi.”
En résumé, un impôt qui réduit les transactions sur le marché de l’immobilier (qui n’en a pas besoin). Et qui nuit potentiellement à l’emploi, en réduisant la mobilité des chômeurs propriétaires.
Concernant l’état actuel du marché, le volume des transactions est, en moyenne, plus faible qu’il y a quelques années, sortie de bulle oblige. Entre des acheteurs limités par leurs moyens financiers du fait de la conjoncture et des vendeurs qui ne sont pas forcément prêts à subir des moins-values sur des biens acquis à prix fort, le volume des transactions ne peut être élevé. Si vous ajoutez une taxe supplémentaire, quelle conséquence attendre ? C’est une question d’incidence fiscale, pour l’essentiel. Est-ce que cela fera baisser les prix hors taxe, maintenant le coût total d’une transaction à son niveau précédent (c’est le vendeur qui paie) ? Ou est-ce que le coût d’acquisition sera gonflé par la taxe (c’est l’acheteur qui paie) ? Difficile de répondre. En première approche, il semble que le vendeur acceptera plus facilement la baisse de son prix. Pour une raison psychologique et une raison bien plus concrète. La raison psychologique est qu’une baisse du prix liée à une taxe n’a pas d’impact sur l’idée que le vendeur se fait de la valeur de son bien. On a tous plus ou moins le sentiment que ce que l’on possède a une grande valeur (plus que ce que l’on convoite). Ce biais est appelé “effet de dotation” et est un grand classique du marché de l’immobilier. On peut estimer que face à une demande atone et un État prédateur, pour des montants raisonnables, le vendeur abdiquera. La raison plus concrète est que, contrairement à ce qui pouvait se passer au début des années 2000, les banques (pour ce que j’en sais) rechignent à prêter le montant correspondant aux droits de mutation. Or, pour certains, trouver ne serait-ce que 1 000€ à l’heure actuelle n’est pas forcément gagné. Si transaction il doit y avoir, c’est donc bien du côté de l’offre que l’effort devra être fait. Et même dans ce cas, vous l’aurez noté, certains qui se heurteront au refus des banques de financer leurs frais se retrouveront dans une situation de contrainte de crédit plus ou moins insoluble.
Concernant l’impact sur l’emploi, les études qui mettent en regard chômage et propriété immobilière laissent entendre que les pays où la part de propriétaire est plus élevée connaissent un chômage plus important (voir ici et, plus récemment, là). Cette hypothèse a ses détracteurs (par exemple, ici). Mais il faut reconnaître qu’elle tient la route. Ceci tient principalement aux coûts de transaction liés à une mobilité géographique. Dans le cas présent, il n’est pas question de remettre en cause la sacro sainte “société de propriétaires”, qui existe déjà pas mal, mais de constater qu’ajouter des coûts de transaction supplémentaires ne risque pas d’arranger les choses.
Tout ceci n’est guère enthousiasmant. Mais quand on entend les représentants de la profession immobilière demander en compensation un allègement de la fiscalité sur les plus-values immobilières, on se dit que, décidément, il vaut mieux être employé et détenteur de patrimoine que chômeur et prolétaire. Et puis… quand même… qu’on se demande à quoi on emploie les économistes du CAE.
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