L’évènement le plus important du 20ième siècle est celui qui n’a pas eu lieu

De la même façon qu’il y a en France 40 millions de sélectionneurs potentiels pour l’équipe nationale de football, il sommeille en beaucoup d’entre nous un géostratège en pantoufles. L’attrait qui réside dans la savante dissertation géopolitique tient à plusieurs raisons; le charme incontestable des relations internationales, et le fait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une compétence particulière pour aborder le sujet à grands coups de concepts (monde multipolaire, équilibre géoplanétaire des forces, adversaire stratégique…), le caractère hypnotique pour les auditeurs de la prévision qui n’engage à rien, le fait que beaucoup en parlent sans rien y connaître, font que chacun peut se dire sur le sujet “et pourquoi pas moi?”. Avec l’âge, je me méfie de cette tendance pour ce qui me concerne; c’est un domaine dans lequel il est périlleux pour l’amour-propre de regarder en arrière ses propres anciennes déclarations définitives.

Cependant, je vois beaucoup de gens plus ou moins savants parler à tort et à travers des conséquences potentielles de la détention par l’Iran de l’arme nucléaire dans un avenir proche; imaginer des scénarios de frappe préventive, de guerre mondiale à l’horizon 2007… Je constate par contre qu’une façon de voir les choses n’est que peu abordée; il n’est pas forcément inutile de la présenter.

 

Nous avois déjà parlé ici du prix Nobel d’économie 2005, décerné à Thomas Schelling et Robert Aumann, pour leurs travaux en théorie des jeux; il faut noter qu’une bonne part des travaux de ces auteurs a été consacrée à la théorie des conflits. La conférence Nobel de R. Aumann s’appelait War and Peace; Celle de Thomas Schelling portait sur un sujet qu’il aborde inlassablement : l’évènement le plus important du 20ième siècle est celui qui ne s’est pas produit. Cet évènement, c’est une guerre nucléaire entre les USA et l’URSS pendant la guerre froide; mais de façon plus générale, l’évènement le plus important de la seconde moitié du siècle écoulé est l’absence, après l’effroi qu’a causé la destruction d’Hiroshima et Nagasaki, de nouvelle utilisation de l’arme nucléaire. L’héritage d’Hiroshima et Nagasaki, c’est le tabou qui a été depuis attaché à l’usage des armes atomiques, la véritable malédiction dont ces armes font l’objet dans l’opinion générale.

Cet héritage s’est construit petit à petit; Schelling a rappelé les multiples occasions dans lesquelles des militaires ou des membres de gouvernements ont déploré que les armes nucléaires ne soient pas “comme les autres”, c’est à dire utilisables. Il a aussi montré les diverses occasions durant lesquelles des Etats possesseurs de cette arme auraient pu s’en servir pour remporter une victoire, mais y ont renoncé, rendant le tabou de plus en plus fort.

Et Schelling connaît bien son sujet : il a cotoyé, à la Rand Corporation et comme conseiller des gouvernements américains, ceux qui voulaient se servir de l’arme nucléaire; il a suivi de près les débats, parce que ses travaux ont contribué à forger une nouvelle façon d’appréhender la question de la dissuasion nucléaire. Tim Hartford rappelle utilement qu’avant Schelling, l’application de la théorie des jeux aux questions stratégiques consistait à considérer que le conflit était inévitable, qu’il fallait donc l’anticiper, posséder un avantage décisif sur l’adversaire. Traduisant bien cet état d’esprit, John Von Neumann déclarait dans les années 50 “vous me demandez s’il faut attaquer l’URSS demain? Je vous réponds, pourquoi pas aujourd’hui? Vous me dites, à 18h, je vous réponds, pourquoi pas à midi?”. Cet état d’esprit a été fort bien décrit par Stanley Kubrick dans le film “docteur Folamour“; Ce qu’on sait moins, c’est que Schelling a servi de conseiller technique pour ce film, fournissant l’essentiel des réflexions stratégiques et une partie des dialogues du docteur Folamour sur la dissuasion “parfaite” obtenue grâce à une “machine de l’apocalypse” qui réplique automatiquement à toute attaque en détruisant toute vie sur terre.

Schelling a été de ceux qui ont montré le paradoxe et les impasses de la dissuasion; constaté que même les pires conflits contiennent une part de coopération de la part des adversaires, et que cette coopération passe par l’interprétation des signaux que l’adversaire envoie. Il avait montré qu’à l’accumulation d’armes capables d’anéantir l’adversaire, qui générait une course aux armements, il valait mieux substituer une capacité de seconde frappe susceptible d’infliger à l’adversaire qui prendrait l’initiative de l’attaque des dommages insupportables. Il a montré aussi l’importance des conventions, des tabous, des annonces; le fait que les armes nucléaires les plus utiles sont celles dont on ne se sert pas. Il a fait partie de ceux qui ont contribué à l’élaboration, dans les années 60-70, d’un nouvel équilibre de la guerre froide, beaucoup plus stable que le précédent. Cela n’en fait pas un pacifiste angélique : durant la guerre du Vietnam, il a recommandé au gouvernement américain une courte phase de bombardements massifs sur le Nord-Vietnam, afin d’en faire plier le gouvernement. Il avait recommandé une courte période de bombardement; il n’a été qu’à moitié écouté. Il faut noter au passage que sa recommandation a toujours été de maintenir le tabou sur l’arme nucléaire – ce qui est l’occasion de nous rappeler que si la guerre du Vietnam a été terrible, elle aurait pu être bien pire.

Son récent Nobel l’a rendu célèbre, et a conduit à ce qu’on lui demande son avis sur l’éventualité d’une arme nucléaire iranienne. Son raisonnement mérite d’être lu car c’est un point de vue peu fréquent. Schelling rappelle qu’il est fort peu probable que les dirigeants iraniens aient envie de voir leur pays disparaître. Le président Iranien peut fort bien déclarer qu’Israel devrait être rayé de la carte; mais même s’il détenait une arme nucléaire, Israel dispose de suffisamment de capacités de seconde frappe pour anéantir totalement l’Iran. Israel n’a jamais explicité sa doctrine d’emploi de l’arme nucléaire; mais étant données les conséquences pour ce pays de l’explosion d’une arme atomique sur son sol, peu de gens doutent que ses dirigeants hésiteraient à détruire en totalité leur agresseur en représailles. Utiliser une arme nucléaire serait suicidaire pour l’Iran… Et d’autant plus absurde que la détention des armes nucléaires, comme moyen d’exercer un chantage ou de se protéger par dissuasion, est infiniment plus précieuse que leur utilisation pour une première frappe. Les dirigeants iraniens auraient tout intérêt à comprendre ce qu’implique d’être celui qui rompt un tabou vieux de 60 ans; mais aussi l’opprobre général qui frappe les armes atomiques.

Tout cela ne veut pas dire que la perspective d’un Iran nucléaire soit très réjouissante; mais c’est l’occasion de rappeler que la situation n’est pas si changée que cela par la détention iranienne de cette arme. Il serait plus utile de faire comprendre aux iraniens que ces armes sont utiles pour la défense et la dissuasion; Voire même de leur fournir des technologies leur permettant d’en limiter l’usage, comme les dispositifs de désamorçage qui empêchent les armes nucléaires américaines de fonctionner si elles sont tirées contre des cibles non autorisées.

Un raisonnement utopique, exagérément rationnel? Peut-être. Mais ceux qui nous expliquent que les iraniens sont des fanatiques religieux qui ne reculeraient devant rien, même pas le martyre savent-ils vraiment de quoi ils parlent? Le suicide rédempteur est une chose qui peut avoir un attrait pour quelques pauvres diables endoctrinés; c’est une toute autre chose pour les nations, surtout une culture millénaire comme l’Iran.

Surtout, nous ne manquons pas de gens pour prévoir les apocalypses; nous ne manquons pas de stratèges en chambre nous expliquant déjà qu’il faudra pratiquer des frappes aériennes pour retarder le programme nucléaire iranien; Nous avons par contre assez peu de gens qui s’interrogent rationnellement sur ce qui se passera concrètement lorsque telle nation ou tel groupe sera détenteur de l’arme nucléaire. Schelling, lui, a imaginé ce qui pourrait se passer le jour ou un groupe terroriste sera détenteur d’une arme nucléaire… Dans un article de 1983.

Les commentaires sont ouverts. Après tout, il n’y a pas de raisons que je sois le seul à m’amuser à jouer les Metternich en pyjama. Merci de rester dans le sujet sous peine de censure.

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Alexandre Delaigue

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23 Commentaires

  1. Merci pour ce point de vue très intéressant. J’ai deux questions :
    > Si l’Iran procure une bombe A à un groupe terroriste qui la fait exploser sur Tel Aviv, le "jeu" n’est-il pas fort différent ? L’Etat israëlien pourrait-il riposter et sur quel pays ?
    > Avez-vous un lien vers l’article de Schelling de 1983 auquel vous faites allusion ? ou une référence ?
    Merci

  2. Il existe un autre argument qui conduit à s’inquiéter de la volonté iranienne de s’équiper de l’arme atomique. Cet argument, paradoxalement, tient au fait qu’il n’existe aucune raison éthique d’autoriser l’arme atomique à certains pays et de l’interdire à d’autres. De ce fait, il est probable qu’un relâchement de la pression diplomatique conduirait un grand nombre de pays à se dire « pourquoi pas moi ? ». Je précise que je me situe là dans l’hypothèse où la doctrine du conseil de sécurité serait identique à la vôtre, où à celle de Schelling. Or, les situations de type « équilibre de la terreur » fonctionnent de manière variable en fonction du nombre de joueurs. Certes, même à 100 joueurs, l’emploi de l’arme atomique est suffisamment grave pour ne pas passer inaperçu. Mais l’existence des mécanismes techniques limitatifs tendent précisément à l’atténuer. A 100, on se « surveille » moins facilement qu’à 10. Par ailleurs, le risque de plantage est démultiplié quand on est 100. Les plantages sont non seulement les accidents, mais également les coûts d’états, les guerres civiles, les associations officieuses entre certains états et certains groupes terroristes, qui font qu’on ne peut pas être sur à 100% que l’arme atomique ne tombera pas entre les mains d’un fou. D’autant que si le nombre de puissances nucléaires devait s’accroître, les nouvelles puissances seraient sans doute plus instables que les anciennes (encore que pour ce qui est de la Russie, je ne sais pas trop…).
    Il n’en demeure pas moins qu’un petit peu d’équilibre de la terreur est peut être une situation plus stable que pas du tout. Autrement dit, on aurait là une courbe en J inversé. Le développement de l’arme atomique et sa possession par un faible nombre de grandes puissances peut accroître la stabilité du monde, et ce jusqu’à un nombre « optimal » de pays détenteurs. Au-delà, la courbe s’inverse, et l’instabilité s’accroît avec le nombre de puissances nucléaires, pour devenir plus forte que dans la situation initiale.
    Problème : comment imposer ce nombre limité de puissances nucléaires, et comment justifier le choix de ces puissances ? C’est moralement assez discutable, mais je suis d’avis que la seule règle tenable est la « règle du grand père ». Les premières puissances nucléaires le restent, et empêchent les autres de le devenir.
    Au fond, ce n’est qu’une transposition (mutatis mutandis) au niveau mondial de l’apparition d’états détenteurs de monopoles de la puissance légitime. Au départ, un état n’est qu’une bande armée qui a réussi, puis qui devient légitime et se permet d’empêcher à d’autre bandes armées d’exister.

  3. Un petit commentaire expédié entre le petit-déj et le boulot :

    Ahmadinejad fait partie d’un petit club de dirigeants du Proche-Orient qui cherchent à obtenir un leadership islamiste qui dépasse les frontières de leur pays. Il y a donc un double jeu :
    1) celui qui "nous" oppose – nous les Occidentaux, Israël compris – à "eux" – les pays musulmans tentés par l’islamisme radical;
    et 2) celui qui oppose différents dirigeants du Proche-Orient entre eux dans une course au leadership spirituel islamiste.

    La détention de la bombe doit donc être envisagée sous ces deux angles, et pas seulement sous l’angle islamistes-contre-Occidentaux. L’excellent article d’Econoclaste donne des arguments très convaincants pour dire que la détention de la bombe par un pays islamiste ne ferait pas courir au camp occidental un risque plus grand que, par exemple, l’arsenal nucléaire ex-soviétique. Dans un cas comme dans l’autre, l’équilibre est possible – voire probable.

    Les lecteurs que ce raisonnement ne convainc pas se demandent alors : mais pourquoi s’équiper de la bombe si ce n’est pour l’utiliser? Puisque nous avons déjà vu les islamiste à l’oeuvre dans les attentats-suicides, dans l’attaque de 9/11, la bombe doit être l’arme ultime du terrorisme islamiste!

    Ce serait oublier le deuxième objectif de Ahmadinejad : la domination spirituelle de la Mecque. Dans ce contexte, l’usage de la bombe ferait subir des dommages irréparables à l’Iran et retournerait contre elle l’ensemble du monde islamiste. A l’inverse, sa simple détention donnerait à l’Iran une longueur d’avance par rapport à l’Arabie Saoudite, l’Irak etc.

    Comme toute théorie, celle-ci pour être valable doit être testée, vérifiée ou invalidée. Dans ce but il sera intéressant d’observer les réactions des "concurrents" d’Ahmadinejad afin de voir si ils perçoivent la bombe iranienne comme une bonne nouvelle pour le camp islamiste, ou au contraire comme un élément de division de ce dernier.

  4. Stéphane: "pourquoi s’équiper de la bombe si ce n’est pour l’utiliser?"

    Entièrement d’accord avec ton approche. Je dirai même: pourquoi s’équiper de la bombe si c’est pour l’utiliser puisqu’il n’en ressort aucun bénéfice contrairement à sa possession? L’important de la bombe atomique, c’est de la posséder pas de l’utiliser.
    Il faut donc se demander quels sont les bénéfices que retirerait l’Iran en possédant la bombe. Outre ceux que tu décris, vis-à-vis des autres pays musulmans, j’y vois un autre: cela rend impossible une invasion néo-coloniale américaine (la menace à l’utilisation est forte car le tabou à l’utilisation n’existerait pas ou très peu en cas de défense du territoire national) et retire ainsi une grande partie de la pression exercée par l’occident sur l’Iran (quand on dit dans la diplomatie occidentale qu’"on écarte la possibilité d’une intervention militaire", il faut comprendre que c’est une possibilité envisageable et c’est le message envoyé à Téhéran). Cette possibilité d’invasion écartée, l’Iran aura le champ ouvert pour des interventions dans le champ politique des pays musulmans de la zone (Liban, Irak, Afghanistan essentiellement) et c’est là qu’il pourrait agir contre Israël, sûrement pas dans une confrontation directe.

    Antoine Belgodere : "qu’il n’existe aucune raison éthique d’autoriser l’arme atomique à certains pays et de l’interdire à d’autres."

    Non, c’est évident, et il est amusant de voir comment certains s’acharnent à vouloir justifier ce privilège. Tout ça me rappelle un autre débat où on retombait toujours sur la bonne vieille conclusion qu’il était risqué de laisser le pouvoir au peuple parce que pas éduqué, trop risqué, etc. Ce qui amena le vote censitaire qui s’approche assez de ta "règle du grand père", nom au demeurant très mal choisi (et révélateur?) car il rappelle beaucoup le paternalisme patronal et colonialiste d’antan voire le traditionnalisme conservateur de l’ancien régime.

  5. Ne surestimez pas les ambitions "panislamistes" d’Ahmadinejad et surtout de Khamenei. Les Iraniens ne sont dans leur grande majorité ni arabes ni sunnites. De plus, le scénario envahir la Mecque grâce a la bombe A … bof bof. Comme l’auteur de l’article la bien montré les principales victimes d’un Iran nucléaires ne sont ni les occidentaux ou les Israéliens mais bien la population iranienne qui verrait ainsi une pérennisation du régime en place.

  6. Vulgos : le nom "règle du grand père" est peut être mal choisi, mais il n’est pas de moi et il est employé dans un registre généralement bien différent de celui-ci. Il s’agit de la mise en place des solutions à la Coase pour gérer une externalité. Coase suggère de définir des droits de propriété clairs sur le bien qui fait l’objet du conflit d’intérêt. A la question de savoir à qui on doit attribuer ces droits, une des réponses possibles est "à celui qui en bénéficiait de fait en premier". Cette réponse s’appelle la règle du grand père.

  7. Antoine Belgodere : ok, ok, je te charriais un peu. 🙂
    Ceci dit, ton analogie avec la solution de Coase ne colle pas. Si l’Iran possède la bombe, ça n’empêche personne d’autre de l’avoir aussi. Ici, il y a un désir clair de pays qui détiennent un avantage stratégique de pouvoir le garder. Je dis "stratégique" et non "militaire" car la bombe n’est pas un avantage militaire à cause du tabou à l’utilisation. C’est un avantage stratégique en ce qu’il rend impossible toute invasion étrangère. C’est ça qui est emmerdant pour les pays occidentaux (remarquez que la Russie et la Chine ne se tracassent pas outre mesure) et non le risque d’une frappe nucléaire offensive vis-à-vis d’Israël ou les USA alors que ces derniers ont largement les moyens de riposter plus fort.

  8. Remarquable contre-sens qui débouche sur une belle dose d’angélisme.

    Comment pouvez-vous comparer, en terme de psyché, les dirigeants US, russes, chinois durant la guerre froide, avec les iraniens d’aujourd’hui ? La relative "sagesse" des uns se retrouverait donc automatiquement chez les autres ?

    Vous oubliez que les iraniens sont des chiites. Et que les chiites forment une "secte". La secte des assassins, relisez vos classiques.

    Ces gens là n’ont pas du tout, du tout, le même cadre mental. Ils sont prêts à mourir dans un holocauste généralisé.

    Rappel : qui historiquement a "inventé" les attentats suicides ? Les chiites. La sectes des assassins. Qui les as réinventés à la fin du siècle dernier ? Les musulmans fondamentalistes.

    Voilà la réalité.

    Alors les belles comparaisons et les beaux discours sur les tenants et les aboutissants de la dissuassion nucléaire, les études universitaires brillantes sur la théorie des jeux appliquée au bombardement nucléaire etc. Tout cela ne tient tout simplement pas, plus, face à des chiites.

    Alors, la recette pour une catastrophe, elle est connue, et très réelle : Iran + arme nucléaire.
    Oui ils n’hésiteront pas à rayer Israël de la carte, et à menacer nos cités au sud avec leurs missiles longue portée.

    Et oui, tout cela ne finira qu’avec l’anéantissement de ce pays.

    Nous sommes piégés. Un conflit est inévitable.

  9. En relisant les classiques on voit que les "descendants" des Hashâchines sont plutôt les Ismaélites. Ce qui ne fait pas d’eux des assasins. Au même titre que les "descendants" des des Sicaires, ou plus proches encore, des Allemands. Ce boomrang a des bords d’attaque bien tranchants …

    Par ailleurs la menace que constituerai l’Iran est réalisée par un pays infiniment plus instable et notoirement impliqué dans des actes terroristes: le Pakistan. Qui curieusement ne fait l’objet d’aucune pression internationale comparable à l’Iran alors que le danger est constitué. Des sages sans doute …

    La question du nucléaire iranien – certes préocupante – est un chiffon rouge.

  10. Supposer qu’une théocratie puisse avoir un comportement rationnel… voilà qui est cocasse. Il y a quasi antinomie dans les termes.

    P.S. Ceci peut être lu avec humour. Mais n’empèche…

  11. FINI et Bernouilly: On disait la même chose des communistes et de leur régime totalitaire que vous des chiites et des théocraties. Irrationnels, fanatisés, etc. C’est assez gratuit comme affirmation, d’autant que l’Iran agit au contraire de manière très intelligente bien que contre les intérêts occidentaux.

    PS: "Rappel : qui historiquement a "inventé" les attentats suicides ? Les chiites."

    Au fait, les zélotes ça te dit quelque chose?

    http://www.interdisciplines.org/...

  12. Tu as raison.
    Il n’empèche que la religion a un fondement irrationel revendiqué. Que cela se transmette au niveau de la stratégie générale d’un pays est évidemment discutable.

  13. @ Bernouilly : clarifions un peu. Qu’une religion se fonde sur un texte ou un ensemble de textes sans discussion de leurs principes est une chose. Que cela conduise les pratiquants de cette religion à se comporter de manière irrationnelle en est une autre, très différente. En effet, l’exégèse et la glose ne sont rien donc que le développement rationnel des principes énoncés dans les textes en question, rarement très clairs. De ce fait, on peut dire que les personnes qui suivent une interprétation déterminée de textes religieux agissent de manière parfaitement rationnelle étant donnés les textes qui constituent leur axiomatique de base.

    La question est alors de savoir si ces personnes partagent la même rationnalité que leurs opposants. En l’espèce, c’est le cas, et l’analyse présentée ici est valable. La justification par le Coran des attentats suicide demande déjà un degré élevé d’arguties, et un massacre de masse serait encore plus difficile à justifer, surtout si dans la foulée, on vitrifie plusieurs lieux saints (Jérusalem, tombeau d’Abraham, etc.).

  14. Par curiosité, a-t-on envisagé les règles d’un jeu autorisant l’usage de l’arme atomique entre nations disposant de l’arme atomique, mais interdisant l’usage de l’arme atomique envers une nation ou un continent n’en disposant notoirement pas ?

    (Je me pose la question juste comme ça dans la mesure où c’est la règle généralement appliquée dans les jeux de rôles massivement multi-joueurs en ligne)

  15. Qui à inventé les attentats suicides ? En particulier la variante "avions bourrés d’explosifs" ? Les Japonais …

    Et puisque l’on parle d’attentats ,de nucléaire et de strategie, on voudra bien se rappeller les attentats en 1986 du CSPPA sur notre sol, puis la résolution miraculeuse du contentieux Eurodif.

    On se rappellera aussi que ce sont les iraniens de l’ayatollah Khomeny qui ont "nommé" par defaut Reagan à la tête des états-unis – restitution des otages de l’ambassade US aux républicains plutôt qu’aux démocrates ce qui à été décisif dans la campagne éléctorale des derniers jours.

    Mais ce la ne marche pas toujours il faut être honnête. Un autre candidat plus proche de nous à essayé le même deal d’entre deux tours avec moins de succès. On l’appellait "pouvez vous me dire dans les yeux…"

    Prendre les Iraniens pour de simples fanatiques religieux nihilistes et sans vision de leur propres interets strategiques, dans un contexte d’encerclement progressif de leur pays par les bases américaines – pour qui veut bien regarder une carte – et suivant les enjeux énergetiques pour l’Inde et la Chine, politiques pour les russes prouve que l’adage selon lequel "plus la ficelle est grosse, mieux ça passe" a de beaux jours devant lui.

    Les enturbannés remettent au gout du jour la strategie du Fou. Du Fou au Fort.

    Et on voit mal quelle coalition irait se mettre dans une affaire militaire avec eux …

    Un chiffon rouge, je dis.

    PS: En revanche destabiliser le régime de l’interieur avec une population lassée des mollahs, certainement. Avec en mémoire le sort réservé aux kurdes et aux chiites après avoir été encouragés à se soulever puis abandonnés, en Irak par Bush père.

  16. Je constate avec plaisir qu’il y a effectivement beaucoup de géostratèges prêts à apporter des analyses. Quelques réponses :
    – @ HE : C’est effectivement un problème particulier. Il faut noter que toute bombe a une "signature" qui permet d’identifier l’origine de son matériau fissile de façon sûre. Cela offre une possibilité de riposte, et une incitation pour les pays à protéger et sécuriser leur arsenal : Si par exemple un terroriste pique une arme à l’Iran et s’en sert sur Israel, Israel risque de répliquer directement sur l’Iran. Autre aspect, supposons qu’un groupe terroriste parvienne à obtenir une arme nucléaire : la détonner sur tel-aviv est-il vraiment le meilleur usage à en faire? Quand vous contrôlez des avions de ligne, effectivement, les balancer dans le WTC fait partie des choses les plus intéressantes à faire. Mais si vous avez une arme nucléaire, vous disposez d’un moyen de chantage infiniment plus puissant. Quel intérêt de l’utiliser de la sorte (surtout qu’il vous sera difficile d’en retrouver une autre). C’est le genre de question que se pose Schelling dans son article de 1982 (et pas 83) qui est "thinking about nuclear terrorism", International security 6, spring 1982; reproduit dans le recueil "choice and consequence".

    @Belgo : c’est en fait le principal problème posé par l’Iran : obtenir l’arme nucléaire consisterait à violer un traité que ce pays à signé (le TNP); ce que le Pakistan ou l’Inde n’avaient pas fait. Donc il y a en l’affaire une ligne jaune franchie et c’est important. Sur l’autre question du "nombre optimal" il y a un écart considérable entre le possible et le souhaitable. Il faut bien se dire qu’il est très difficile d’empêcher un pays d’avoir l’arme nucléaire, et que ce sera de plus en plus difficile. Après tout l’Afrique du Sud a surpris son monde avec sa vingtaine de têtes nucléaires, de même que l’avancement du programme irakien en 1995. Même s’il est probablement souhaitable de retarder l’avènement d’autres états nucléaires, il faut aussi se demander ce qui se passe quand il y en aura beaucoup. Rendre la technologie de désamorçage sur cible non autorisée accessible à tous est une façon de répondre en partie à la question du risque d’accident ou d’arme entre de mauvaises mains.

    @stephane : assez d’accord. Avec une remarque : l’arme nucléaire a une caractéristique importante, qui est qu’elle a beaucoup plus de valeur quand elle est détenue mais non utilisée que quand elle sert. On peut donc la vouloir sans avoir la moindre intention de la faire exploser.

    @ l’argument : "ces gens ne sont pas rationnels, ils sont motivés par la religion qui est irrationnelle, et en plus ils sont dans une secte": Le marxisme-léninisme présentait beaucoup de caractéristiques d’une religion, avec même la perspective d’un paradis terrestre, une vision eschatologique, etc. Les soviétiques n’en étaient pas moins sensibles à la rationalité. Il est par ailleurs plaisant de voir que l’attentat suicide est justifié par le paradis qu’il promet, ce qui d’un certain point de vue, en fait un calcul très utilitariste.

    @Bof : dans les mmorpg, il y a des MJ, ça aide à faire en sorte que les règles soient respectées.

  17. "@ l’argument : "ces gens ne sont pas rationnels, ils sont motivés par la religion qui est irrationnelle, (…) Il est par ailleurs plaisant de voir que l’attentat suicide est justifié par le paradis qu’il promet, ce qui d’un certain point de vue, en fait un calcul très utilitariste"

    Trés bien répondu. Je me permet donc de rebondir sur cette idée.
    Petit exercice: si l’on introduit dans le raisonnement de Schelling l’hypothèse: "un des participant n’a pas peur de mourir car il sait qu’il ira au paradis", ne croyez-vous pas que les équilibres déduit vont (radicalement) changer?

  18. Ce qui peut être rationnel individuellement, c’est de gagner son paradis en se sacrifiant pour le groupe. Je doute fort qu’on gagne son paradis en envoyant ad patres toute la communauté des croyants. Beaucoup de gens font des relations internationales en imaginant que les nations sont des acteurs; c’est oublier que ce qui vaut pour un individu ne vaut pas pour le groupe.

  19. “Si vis pacem, para bellum”

    Comme l’explique fort bien Alexandre Delaigue à propos du nucléaire iranien, nous ne manquons pas de gens pour prévoir les apocalypses; nous ne manquons pas de stratèges en chambre nous expliquant déjà qu’il faudra pratiquer des frappes…

  20. j’admire beaucoup les demarches actuelles de l’Iran, c’est prodigieusement intelligent. quoiqu’il en soit cela semble tout de meme tres peu probable que l’iran puisse meme a moyen terme faire une bombe fonctionnelle, mais ils jouent de la possibilite.

    le benefice pour l’iran est evident, ils vont pouvoir avoir des concessions rapides ( OMC) et si jamais ils arrivent a faire une bombe ils reduisent grandement le poids politique d’Israel et des USA dans la region.

    la partie d’echec va etre amusante.

  21. bonusorbi : j’ai une question très bête à vous poser : entre la démocratie américaine et la démocratie iranienne, laquelle incarne le plus pour vous une démocratie exemplaire ?

    Autre question idiote : quand vous écrivez " laissez-moi vous dire que les Iraniens sont des hommes comme vous et moi", que voulez vous dire exactement ? Que les iraniens veulent être libres, que les femmes iraniennes souhaitent vivre libres, comme vous et moi ? Ou que leur gouvernants sont comme les nôtres ?

    Ah, au fait, sinon… Très bon livre pour démocrate :
    econoclaste.org.free.fr/d…

  22. Pour Econoclste-SM :

    Etant français et occidental, je me sens plus proche des américains, naturellement, et la démocratie américaine reste pour moi un modèle, malgré (où grâce à, cela dépend des exemples) ses faiblesses actuelles. Mais cela n’obère pas ma capacité à voir les réalités et à discerner les responsabilités.
    Lorsque en 1951 le parti du docteur Mossadegh remporte les élections législatives et qu’il est nommé premier ministre, un grand espoir s’est fait jour pour la démocratie en Iran , Mossadegh était un démocrate laïc, gagné aux idées de la démocratie européenne (il avait étudié à Paris et était diplômé de Sciences-Po), mais il avait pour les occidentaux le grand défaut d’être un nationaliste qui voulait que les ressources naturelles de son pays lui restent acquises…
    Il a donc été destitué par la CIA et le MI6 en 1953, et les puissances occidentales ont remis au pouvoir le Shah, qui devenait leur obligé. Ce jour là, le peuple iranien a compris que la démocratie à l’occidentale était incapable de lui assurer son indépendance, et il s’est tourné vers la seule force qui paraissait en mesure de répondre à ses aspirations d’identité, de justice, et d’indépendance, c’est à dire celle de l’islamiste Khomeyni. Il faut bien avoir le courage et l’honnêteté de reconnaître que ce sont les puissances occidentales qui ont fait le lit de l’islamisme, dans une nation qui était jusqu’alors largement gagnée aux idées européennes de liberté et de laïcité. Tout cela pour le pétrole ! Comme ce sera encore pour le pétrole que les USA vont envahir l’Afghanistan, puis l’Irak. Comment pourrait-on reprocher après cela aux iraniens de ne pas faire confiance aux USA ?

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