D’après un sondage, les Français préfèrent plus de profs à moins de profs travaillant plus et mieux payés. Ce qui se résume à “Hollande bat Sarkozy sur l’école”. Cette préférence serait liée au problème des classes surchargées, que la proposition de Nicolas Sarkozy semble aggraver aux yeux des sondés. Sauf que…
Moins de profs mieux payés ne veut pas forcément dire qu’il ne soit pas possible d’avoir des classes moins surchargées… 8 heures de plus que les 18 habituelles, représentent 45% de temps de travail en plus. Cela ne veut pas dire un équivalent de 45% de profs en plus, puisque la mesure ne s’appliquera pas à tous. Elle ne concernerait pas a priori les agrégés et se ferait apparemment sur la base du volontariat. Autant le dire, à l’heure actuelle, le nombre d’enseignants disposés à se porter volontaire est absolument inchiffrable. Comme le rappelaient Touria Jaaidane et Robert Gary-Bobo en 2008, la structure du corps enseignant fait souvent du salaire d’enseignant un salaire de femme de cadre, dont l’offre de travail est très peu élastique au salaire (encore moins quand il s’agit de travailler 45% de plus pour 25% de salaire en plus…). Bon, vu que le pouvoir d’achat des enseignants aurait diminué de près de 20% entre 1982 et 2004, on peut aussi imaginer qu’on trouvera des clients (évidemment, les femmes de traders enseignantes s’en tapent). Mais je le répète : c’est absolument inchiffrable a priori. Donc ouvert aux hypothèses.
Or, dans l’hypothèse où l’incitation fonctionnerait correctement, on peut très bien envisager que les classes soient moins surchargées, avec cette mesure. A vrai dire, ce qui détermine le nombre d’élèves par classe est complexe et peut être variable selon les sections, les écoles, etc. Cela prend en compte le nombre d’enseignants, leur nombre d’heures de travail, mais pas seulement. Les découpages en options, les volumes horaires des classes et d’autres éléments structurels propres aux contraintes d’organisation des cours (le nombre d’ordinateurs disponibles dans une salle par exemple) peuvent avoir une influence sur le niveau moyen des classes et créer des situations différentes selon les cas. Mais si l’on raisonne en taux moyen, on peut définir un genre de taux d’encadrement qui évolue notamment en fonction d’une arithmétique simple : si je multiplie par deux le temps de travail d’un prof, je peux diviser par deux le nombre d’élèves dans les classes. En d’autres termes, si tous les profs certifiés, assimilés ou de lycées professionnels en poste dans le secondaire public (soit 87% des effectifs concernés) acceptaient la mesure proposée, on aurait une hausse de 0,87 x 0,45 = 39% environ des heures d’enseignement. Même avec un non remplacement d’un enseignant sur deux partant à la retraite, on arrive à une hausse des heures d’enseignement, ce qui signifie la possibilité de réduire les effectifs des classes pendant pas mal d’années. Et longtemps à l’aise…
Bien sûr, ces 39% sont impossibles à atteindre. Tablons sur disons 15%. Sachant que 15 000 postes non remplacés par an (grosso modo, la moyenne de tous les postes supprimés à l’éducation nationale depuis quelques années ; ce sera 14 000 en 2012) représentent en 2011 4% des effectifs, on voit que les 15% donnent de sérieuses marges de manœuvre pour à la fois réduire le nombre de profs et alléger les classes, tout en tenant compte d’une hausse du nombres d’élèves. Notez évidemment au passage que je devrais enlever 4% x 87%, soit 3,5%, de mon calcul précédent concernant la hausse des volumes horaires potentiels. On tomberait donc à 35% environ. L’hypothèse 15% reste donc très plausible. Et je vous rappelle que c’est-absolument-inchiffrable. Donc vous n’allez pas m’ennuyer pour des écarts marginaux sur la taille de ma louche.
Et donc, là, je me pose une question simple, qui est le coeur de mon étonnement et la motivation de ce billet (davantage que ce qui précède, qui peut être discuté, modulé, etc.) : ils sont vraiment cons les conseillers en com du Président, pour ne pas être foutus d’annoncer que leur proposition apporte le meilleur des deux mondes (des trois mondes, puisque les comptables peuvent aussi se frotter les mains pour les économies par prof employé) ? Franchement, déçu.
Annonce à caractère personnel : chers amis de l’UMP, puisqu’en tant qu’agrégé je ne suis apparemment pas concerné par le deal, je veux bien vous offrir mes services pour quelques menus travaux arithmétiques utilisables dans des argumentaires élémentaires. En revanche, je prends un max. Mais sûrement moins que ceux qui pensent qu’en gagnant moins de 5 000€ par mois on est un minable (OK, Copé a démenti. Mais eh… si ce n’est pas toi, c’est donc ton frère).
- Sur le passeport vaccinal - 18 mai 2021
- Laissez le temps de travail en paix - 19 mai 2020
- Élinor Ostrom, le Covid-19 et le déconfinement - 16 mai 2020
- Ne tuons pas l’enseignement à distance. Optimisons-le - 15 mai 2020
- Quelques commentaires sur les évaluations à l’arrache des systèmes de santé en pleine épidémie - 9 mai 2020
- Du bon usage du supposé dilemme santé vs économie - 9 mai 2020
- Le problème avec la courbe. Édition Covid-19 - 4 mai 2020
- Reprise d’activité - 21 avril 2020
- Problème corrigé sur les notes de lecture - 6 février 2020
- éconoclaste a 20 ans. Épisode 2. Passeurs dans les années 2000 - 27 décembre 2019
Ce calcul est très intéressant. Cependant il me semble que le candidat/président parlait de "temps de présence dans l’établissement" et non de "temps de cours supplémentaire", ce qui ne se traduit pas forcément de la même façon pour la gestion des classes.
Et reste la question toujours masquée dans ces débats de la qualité des enseignements et du temps de préparation : inciter les enseignants moins nombreux à faire plus de temps de cours, c’est aussi augmenter le risque de cours mal préparés par manque de temps, de surcharge pour certains enseignants et de situations de crises pour ceux qui ont à faire à des classes difficiles.
Le nombre d’élève par classe ne peut être le but d’une politique. Or différents travaux semblent indiquer que l’effet d’effectif réduit est très fort en primaire, ou cette mesure ne peut s’appliquer mais faible au collège et quasi-nulle au lycée.
Bref, si cela était à être appliqué, ca dépenserait beaucoup d’énergie pour rien plutot que pour faire passer des réformes qui améliorerait réellement notre système scolaire.
Je vais paraître un peu obsessionnel sur l’agreg, mais peu importe : est-ce que faire travailler les agrégés (disons au moins ceux qui enseignent au collège) 18h minimum comme tout le monde ne serait pas une mesure un peu plus juste ?
@Xavier : vous avez des liens sur lesdits travaux auxquels vous faites allusion ? ca m’intéresse
Votre calcul en univers incertain est certes intéressant, mais comme le remarque Lazarre, l’univers est encore plus incertain que vous ne semblez le penser, car la mesure n’est pas claire. Si N. Sarkozy veut que les certifiés restent huit heures de plus par semaine dans l’établissement sans y assurer de cours(préparations, correction de copies, discussion avec les collègues et les élèves, etc.), il y a de fortes chances que beaucoup d’enseignants acceptent, car bien peu parmi eux restent en réalité moins de 26 heures par semaines au collège/lycée (entre les "trous", les réunions, et tout le travail déjà accompli sur place). Mais dans ce cas, le nombre d’élèves par classe n’a aucune raison de diminuer.
En revanche, s’il s’agit de demander 8 heures de cours supplémentaires aux enseignants, les volontaires risquent d’être bien rares.
Une mesure me paraîtrait meilleure, en revanche : il s’agirait de supprimer un mois de vacances l’été (quitte à "zoner" ce mois pour préserver un peu les intérêts du tourisme), ce qui ferait passer l’année scolaire de 36 à 40 semaines (soit un gain de 11%), et ainsi dégagerait une marge de manœuvre pour 1. Alléger les classes quand c’est nécessaire, 2. Alléger les semaines des élèves, et 3. (éventuellement) Alléger l’emploi du temps des professeurs pour compenser un peu ce temps de travail supplémentaire.
Bref, un travail sur les rythmes scolaires me paraîtrait à la fois plus prometteur et plus facilement acceptable par les professeurs qu’une proposition un peu foutraque ; mais j’avoue qu’il faudrait plus d’un paragraphe pour creuser toutes les conséquences d’une mesure de ce genre…
@Henri
media.education.gouv.fr/f…
ces.univ-paris1.fr/membre…
hussonet.free.fr/pikett4b…
"En revanche, s’il s’agit de demander 8 heures de cours supplémentaires aux enseignants, les volontaires risquent d’être bien rares."
… entre autres parce que 8 heures de cours par semaine, ça doit rapporter plus en heures sup que 25% du salaire mensuel, non ? 8 * 50 = 400 € / semaine * 30 semaines de cours = 12 000 euros soit 1000 par mois…
Mais moi aussi j’ai entenu 8 heures de temps de présence, pas 8 heures de cours. Avec un objectif qui est plutôt d’assurer une présence permanente d’adultes dans les murs (encadrement, soutien, répondre à des questions, ou simplement être là et être vu….).
@5 supprimer un mois d’ete c’est retirer les vacances de toute les familles dont un parent travaille en equipe/avec obligation de service et ne pourra plus negocier 3 semaines avec ses collegues…
Autant que je me souvienne ce que Gary-Bobo disait n’était pas que le pouvoir d’achat des enseignants avait baissé de 20%, mais que la valeur actualisé de leur revenu sur toute une carrière avait baissé de 20%.
La raison en était un profil de promotion (et donc d’augmentation de salaire) très diffèrent du passé, dont la cause était la féminisation du corps enseignant.
Si ma mémoire est correcte, malgré cela le budget de l’éducation nationale était en augmentation.
Réponse de Stéphane Ménia
“nous montrons que la valeur des carrières des agrégés du secondaire et des professeurs des universités, définie comme somme actualisée et espérée des salaires nets réels sur le cycle de vie professionnelle, a baissé d’environ 20% en 25 ans, de 1981 à 2004. Cette baisse est due pour l’essentiel à une érosion de 15% de la valeur réelle du point d’indice, à laquelle il faut ajouter l’alourdissement des cotisations obligatoires, durant la période considérée. Si les traitements nets associés à un échelon donné de la carrière des professeurs certifiés ont bien subi une érosion de pouvoir d’achat de l’ordre de 20%, les mesures de revalorisation de carrière mises en place à partir de 1990 constituent des compensations partielles, qui conduisent, pour ce qui les concerne, à un jugement plus nuancé.”