John Kay consacre son article de la semaine à l’effet de halo. On y trouve de quoi méditer sur l’actualité.
L’effet de halo a été identifié il y a plus d’un siècle dans l’armée : les officiers considéraient que les soldats jugés comme “forts” étaient aussi considérés comme intelligents et courageux, alors que ceux qui manquaient de courage étaient aussi considérés comme faibles et stupides. Or il n’y a aucune raison pour que des critères différents donnent lieu à des classements identiques des individus; les officiers classaient simplement leurs soldats en bons et mauvais, et appliquaient ce jugement à tous les critères.
Nous retrouvons l’effet de halo dans différents domaines : si nous trouvons le personnel d’un hôtel aimable, il est probable que nous trouverons aussi la chambre propre et confortable, et le restaurant agréable. Cela peut correspondre à la réalité (un bon hôtelier veillera à tous ces éléments en même temps); mais le plus souvent, il ne s’agit que de la tendance naturelle a rationaliser a posteriori un jugement que nous avons déjà formulé. Kay cite ainsi le cas des jugements de la presse sur Cisco, aux différents moments de l’explosion des nouvelles technologies : quand tout allait bien, l’équipe dirigeante de l’entreprise était unanimement bien jugée; au moment de l’effondrement des cours, ces mêmes éléments autrefois loués sont devenus autant de handicaps.
La performance d’un individu, d’une organisation, dépend pour une très large partie du hasard, de circonstances indépendantes de leur volonté ou de leurs capacités. Mais cette complexité nous échappe, nous y préférons des jugements simples. Des circonstances favorables conduiront à louer excessivement la performance d’un individu, et des circonstances défavorables à le blâmer avec excès. Cela correspond aux jugements sur Tony Blair : tout ce qui était autrefois considéré chez lui comme des qualités par les anglais est aujourd’hui considéré comme des défauts. Le pragmatisme est devenu une absence de morale; le charme de l’individu est devenu un manque de sincérité; l’idéalisme, du cynisme. L’individu n’a pas changé, mais le jugement sur lui, beaucoup.
Cet effet de halo peut être retenu pour relativiser l’essentiel des commentaires d’après-élection dont beaucoup nous abreuvent cette semaine. Il faut donc admirer l’exceptionnelle cohérence doctrinale de Nicolas Sarkozy, son positionnement astucieux, la façon méthodique dont il a planifié sa campagne électorale, sa capacité à “sentir l’esprit de la nation”, saluer le fait que les français ont confié au candidat un agenda “réformiste”; Il faut reprocher à Ségolène Royal son incohérence et son amateurisme, l’archaisme et les contradictions internes du parti socialiste; il faut impérativement que celui-ci choisisse la “cohérence” comme son adversaire, et fasse enfin son aggiornamento en choisissant entre devenir un parti social-démocrate ou décide de s’orienter à gauche. La France est “de droite” et la gauche doit s’y “adapter” pour remporter la victoire.
Un exercice intellectuel amusant est alors de se demander ce qu’auraient été les commentaires si Ségolène Royal avait gagné l’élection. La “cohérence doctrinale” aurait été une “ghettoïsation” à droite braquant les électeurs centristes; le positionnement du candidat aurait traduit “l’inanité de la quête des voix du front national”; la méthode aurait surtout signalé le “dégoût des électeurs devant une stratégie médiatique de présence obsédante”; la capacité à sentir l’esprit de la nation un décalage complet avec les aspirations des classes populaires; On n’aurait pas manqué de noter les divisions dans le camp de la droite pour expliquer la défaite. Pour Royal, l’incohérence et l’amateurisme seraient devenus un brillant sens de l’improvisation, les contradictions internes seraient devenues “la capacité d’écoute et d’intégration d’avis différents”; la faiblesse congénitale de la gauche serait un pragmatisme, voire une “capacité à mener les réformes tout en écoutant les volontés populaires”; Et l’impérieuse nécessité d’un aggiornamento deviendrait une stratégie brillante.
A ceux qui doutent, qu’ils se souviennent des compliments adressés à la “majorité plurielle” en 1997, et qu’ils comparent ces commentaires à l’évaluation de 2002. Les mêmes caractéristiques étaient, étrangement, devenues autant de handicaps pour Lionel Jospin. On peut dire que l’exercice est vain puisque le résultat est là : ne faut-il pas tenir compte du résultat électoral pour tirer des conclusions?
Mais qui dit que le résultat aurait été le même dans d’autres circonstances? Si les élections législatives avaient précédé l’élection présidentielle, si le septennat avait été maintenu, si la conjoncture économique avait été différente, résultats et jugements sur le résultat auraient été significativement différents.
Nous ne manquons pas de commentateurs plus ou moins avisés pour disséquer aujourd’hui les raisons de la victoire de l’un et de la défaite de l’autre. Ce que nous apprend l’effet de halo, c’est que les écouter est pour l’essentiel une perte de temps.
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L’anonymat réel de l’auteur est un des moyens de préserver son discours de l’effet de halo.
Par exemple, qui nous garantit, au fond, que Alexandre Delaigue n’est pas le pseudonyme d’un prix nobel ?
Les prix Nobel ont beaucoup de qualités, mais la volonté de discrétion conduisant à user d’un pseudonyme pour s’exprimer en public n’en fait pas partie.
L’hypothèse selon laquelle "La performance d’un individu, d’une organisation, dépend pour une très large partie du hasard, de circonstances indépendantes de leur volonté ou de leurs capacités" qui sous-tend la démonstration me semble un peu faible, car si "le hasard ou des circonstances indépendantes de notre volonté nous gouverne", c’est quoi notre marge de manoeuvre?
Napoléon aurait pu prendre une balle perdue à Arcole. Pétain était à quelques jours de l’âge de la retraite au moment du déclenchement de la première guerre mondiale. Churchill aurait été considéré comme un médiocre politicien britannique sans la seconde guerre mondiale. GW Bush aurait été un président bien différent sans le 11 septembre. Lionel Jospin aurait peut-être été élu en 2002 si la météo le jour du vote avait été différente, ou si les sondages avaient été publiés comme ils l’ont été lors de l’élection de 2007. Les exemples dans lesquelles des circonstances différentes auraient radicalement modifié le jugement qu’on formule sur un individu ne manquent pas. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de marge de manoeuvre individuelle, simplement que le poids des circonstances est conséquent, et – et votre remarque le prouve – régulièrement négligé. C’est plus confortable pour le cerveau d’attribuer succès et échecs à la nature des individus et des organisations. Cela s’appelle l’erreur d’attibution fondamentale.
je ne pense pas qu’il y a contradiction aussitôt que l’on veuille bien admettre que les sciences sociales ne sont pas des sciences exactes.
Une vérité aujourd’hui n’en est plus une demain, c’est ainsi que fonctionnent les sociétés humaines.
Donc continuez à lire les commentaires si vous êtes intéressés, vous ne perdrez sans doute pas votre temps.
En considérant que le fait de refaire la campagne sur le thème “on refait le match” on fait des sciences sociales, vous êtes soit excessivement sévère vis à vis des sciences sociales, soit très généreux vis-à-vis du commentaire sportif…
Un exemple d’effet de Halo, le fait qu’en France on pense que être bon en math à 20 ans fait que vous êtes bon pour tout toute la vie. Ce qui entraine bien sur une importance trop importante donné au diplome et correlativement pour faire vite "le capitalisme d’héritiers", mais là c’est un autre sujet.
Autre exemple : Noel Forgeard, porté au pinnalce lors de la "sortie" du 380, et accusé de toute les malhonnetetés et de toutes les incompétences quelques années plus tard. IL est clair que les deux attitudes sont exagérées. Comme quoi cela ne fait pas de mal de s’en tenir à la prudence du scientifique à moins d’avoir la cohérence qui fait les grands hommes.
Vous avez raison, Napoléon aurait pu prendre une balle perdue. C’est d’ailleurs ce que dit Tolstoi, quand il assomme le prince André à Austerlitz.
Cela suffit-il pour disqualifier Napoléon ? Ou pour être plus précis, qu’est ce qu’y a différencié Napoléon des centaines (ou des milliers) d’autres officiers de l’armée française sous la révolution ?
Un parcours politique, économique, scientifique n’est pas une seule épreuve. La réussite d’une action dépend bien sûr du hasard. Mais quand un parcours est exceptionnel, il ne suffit pas – a mon avis – de dire que l’individu qui l’a suivi a eu énormément de chance.
D’abords, parce que la prise de risque est souvent volontaire. Après tout, Napoléon n’était pas obligé de prendre ce drapeau, ou de coller son affiche sur le fort des braves à Toulon.
Ensuite, les balles perdues ne sont pas les seules causes d’échec. Gaymard a vu son destin politique fortement perturbé (pour ne pas dire plus) par son choix d’appartement de fonction. Juppé est quand même responsable de la dissolution de l’assemblée en 1997.
Enfin, parce qu’il y a un niveau de « satiété ». Beaucoup de gens se fixent des objectifs limités et ceux-ci une fois atteints arrêtent de prendre des risques. Tous les propriétaires de PME ne développent pas des multinationales. Seules quelques-uns (les Pinault, Bébéar pour ceux qui ont réussit, les Messiers pour ceux qui ont échoués) continuent de jouer alors que les gains qu’ils ramassent ne changent plus leur condition de vie et que les risques qu’ils prennent peuvent les « condamner ».
Tous ça pour vous dire que je ne pense pas que les succès exceptionnels puissent s’expliquer simplement par des concours de circonstances exceptionnels et par le biais du survivant.
Si vous faites jouer 10 fois de suite à pile ou face 200 personnes, vous aurez de bonnes chances d’avoir une personne ayant gagné 10 fois. Cela n’en fait pas un grand joueur pour autant… Et il est bien difficile de faire la part des choses entre rôle du hasard et rôle des circonstances individuelles. Il y a une chose dont on est certain en tout cas : c’est qu’on a toujours tendance à hypertrophier le rôle de la performance individuelle et de négliger celui des circonstances. Et à assimiler de ce fait aux individus et aux structures assimilées à des individus beaucoup plus qu’ils ne doivent supporter. Votre commentaire, comme celui de nombreux autres, ne fait que traduire cela. Le simple fait de suggérer que le hasard et les circonstances jouent un rôle est interprété comme “l’individu et son libre arbitre ne comptent pas” ce qui n’a jamais été la question. La question est de constater que les circonstances actuelles font que les analyses des individus, de leurs stratégies, des organisations politiques, n’ont que peu de chances d’être fondées parce qu’on imputera aux individus le poids des circonstances.
Je ne vais pas apporter ma pierre à l’édifice, mais simplement me lever et applaudir.
Est-ce que la part attribuable à un individu (son talent, sa motivation) ce n’est pas de comprendre et d’utiliser son environnement (une ou des circonstances particulières) afin d’atteindre son but. On peut penser par exemple que Bush a "optimisé" le 11/9 pour la guerre en Irak. Comme dirait l’Autre, ce ne sont pas les individus les plus forts qui subsistent, ce sont seux qui savent s’adapter (utiliser?) à leur environnement.
" Nous retrouvons l’effet de halo dans différents domaines : si nous trouvons le personnel d’un hôtel aimable, il est probable que nous trouverons aussi la chambre propre et confortable, et le restaurant agréable. Cela peut correspondre à la réalité (un bon hôtelier veillera à tous ces éléments en même temps)"
Ce phénomène a été trés bien compris par les ralliés de l’entre-deux tour. C’est vieux comme le monde, les courtisans.
Si je me rallie au vainqueur, je m’approprie un part de son succès, j’entre dans la lumière.
Dites à Roger Hanin, Eric Besson et aux autres que l’effet de halo ne profite pas aux papillons de nuit, amateurs de flamme de bougies.