Le coût caché des tests ADN

Dans les méandres des fausses solutions à un problème qui n’en a pas vraiment, le député Mariani, qui honora jadis la représentation nationale en se déplaçant en Irak aux côtés du député Julia et de son camarade Diard, afin de prouver que Saddam ne détenait pas d’armes de destruction massive faire sa promo personnelle, propose des tests ADN pour contrôler la validité de certains regroupements familiaux, lorsqu’il y a un doute sur leur légitimité.

La morale et le droit n’étant pas notre domaine public (par contre, pour le droit, voir Jules de D’sR), je ne commenterai pas sur cet aspect l’initiative de Thierry Mariani. En revanche, je m’interroge sur son efficacité et je vous livre mes réflexions “de coin de table”.

Le généticien Axel Khan avançait aujourd’hui sur France Info que la famille n’a pas uniquement une origine biologique dans nos sociétés. De fait, soumettre à outrance le regroupement familial à un critère génétique est criticable sur la définition qu’on donne de la famille. On peut être immigré, avoir une famille recomposée (une, voire plusieurs fois), vivre avec des enfants illégitimes, mais intégrés à la cellule familiale[1] et souhaiter obtenir un regroupement familial. Pas besoin d’avoir fréquenté une fac de médecine pour prévoir avec une grande fiabilité les résultats du test ADN dans ce cas.

L’autre inconvénient porte sur la notion même de regroupement familial. S’il est évident que juridiquement parlant, on peut difficilement soutenir un regroupement factice, économiquement et démographiquement, il est possible de trouver à la fraude quelques avantages et de rejeter l’usage de tests ADN.

Gary Becker a préconisé l’instauration de droits à immigrer (Alexandre a longuement exposé le principe ici). En échange du paiement de ce qui s’apparente à une taxe, un individu peut venir vivre dans un pays d’accueil. Le raisonnement de Becker est le suivant : si quelqu’un accepte de payer une telle somme, c’est qu’il a l’intention de la rentabiliser. Il s’agit pour lui de localiser son capital humain à un endroit où il pourra le faire fructifier. Il est prêt à renoncer à ce droit d’entrée, car il pense pouvoir plus que compenser l’investissement ainsi consenti. L’immigrant a ce qu’il veut et le pays qui l’accueille tire un double bénéfice de sa présence : des ressources fiscales et des migrants productifs. La solution est séduisante sur le papier, mais se heurte potentiellement à l’imperfection du marché du crédit. L’écrémage espéré par Becker repose sur un droit d’entrée relativement important (Becker estime que 50 000 dollars serait un montant correct pour les Etats Unis). Il nécessiterait pour la plupart des migrants un recours au crédit. Or, la possibilité d’obtenir un crédit dans un tel cadre se heurte à des problèmes d’asymétrie d’information (vous, immigrant potentiel, vous savez que vous pouvez réussir en France, mais le crédit agricole n’a pas vraiment de moyens de s’en assurer et quand bien même il vous croierait sur parole, qu’est-ce que lui dit qu’une fois en France vous ferez ce qu’il faut pour réussir et le rembourser ?).

D’une certaine manière, et toutes proportions gardées compte tenu des sommes en jeu, la combinaison entre des règles d’immigration strictes, un regroupement familial plus contrôlé et coûteux pour le migrant, nous donne le pire de tous les mondes. Actuellement, si vous êtes une petite jeune qui n’en veut, vous pouvez peut-être vous faufiler à travers un faux regroupement familial [2]. Il faut bien comprendre que d’une manière ou d’une autre, vous payez. Car, si vous étes proche du migrant, disons de la même famille, sa préférence pour vous plutôt que sa femme correspond sûrement à une productivité supérieure à celle de sa femme (je ne parle même pas des enfants). Il faut donc rentabiliser d’une façon ou d’une autre votre venue. Vu sous un autre angle, on peut dire aussi que, puisque vous êtes de la famille, c’est bien du regroupement familial… Si vous n’êtes pas particulièrement proche du mari, il ne fait pas ça gratuitement : vous payez. D’une façon ou d’une autre, on retombe sur une forme de Becker.

Alors, où est le problème ? Il est que sous l’amendement proposé par Mariani, vous ne pourriez pas entrer du tout et si vous êtes la femme, authentique et certifiée, vous payerez un test ADN salivaire, dont le prix varie de 150 à 1 000 euros, selon les pays.[3].

En d’autres termes, la conséquence enivsageable de la mise en place d’une telle mesure est de limiter certaines migrations aussi illégale qu’efficaces[4], de faire renoncer certaines familles à effectuer un regroupement familial pour des raisons financières, d’exclure les familles socialement réelles mais non conformes génétiquement. Et de ce point de vue, l’économie de la famille, encore Becker… nous enseigne à quel point ce peut être un mauvais calcul pour l’économie française. De façon générale, il me semble que le distingo entre migrations familiales et migrations économiques a un côté artificiel quand il s’agit d’élaborer des politiques migratoires cohérentes. Ajoutez à cela que l’argent dépensé n’alimente même pas les caisses de l’Etat, qui pourrait pourtant les utiliser pour des dispositifs d’aide à l’intégration, comme l’organisation de cours de français.

Quant à l’argument qui consiste à dire que 11 pays européens pratiquent déjà ces tests, il convient de signaler :
– que ce n’est pas parce que les autres sont cons, qu’il faut l’être aussi ce n’est pas parce que les autres pays jettent des rochers dans l’embouchure de leurs ports qu’il faut le faire aussi.[5].
– que l’application de ce type de mesures prend des formes différentes (on retiendra notamment que certains pays assument le coût des tests, ce qui est bien plus conforme à une volonté de faciliter le regroupement familial).

Mais,j’y songe… n’est-ce pas le même Thierry Mariani qui a coprésenté la proposition de loi visant à l’instauration d’une TVA sociale il y a quelques mois de cela ? Ah… encore un qui devrait nous lire plus souvent, eh eh !

Notes

[1] Sous le sceau du secret ou non. Ces enfants illégitimes seraient plus nombreux qu’onne le croit (lu dans Le monde).

[2] J’ignore d’ailleurs quelle est l’ampleur du phénomène, même si des chiffres éloquents sont communiqués sur certains pays, pour lesquels de 30 à 80% des documents administratifs fournis sont sujet à caution ou carrément faux

[3] Sans même parler de leur disponibilité dans les pays d’origine.

[4] Ah, “heureusement”, il restera toujours les mariages blancs et les petits revenus qu’il permettent d’obtenir pour certains – quelques milliers d’euros, pour ce que j’en sais.

[5] Comme le disait Joan Robinson au sujet de la réciprocité supposée nécessaire en matière de libre-échange.

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12 Commentaires

  1. L’idée du test ADN est notamment d’économiser des procédures administratives coûteuses et d’accélérer les dossiers. Ce n’est pas idiot, a priori. Peutêtre que c’est faisable, peut-être que ça ne l’est pas. Ca mérite en tout cas un examen impartial. Quant aux implications morales, il n’y en a pas, c’est un choix purement technique.

    Suggérez vous que je suis partial ? En quoi les économies que vous évoquez (qui sont effectivement envisageables sur certains dossiers, mais bon…) permettent-elles d’éviter des coûts potentiels énumérés ? L’argument du test non obligatoire est assez curieux si c’est à ça que vous pensez. D’un point de vue éthique, je ne pense pas que ce soit aussi neutre que vous le dites.

  2. "député Julia et de con camarade Diard" il y a une faute de frappe

    Waow ! Celle-là est grandiose… Merci, corrigé.

  3. Il me semble qu’établir une paternité en ayant recours à des papiers d’état-civil peut être long et pénible, suivant les pays. Il y a souvent des problèmes de traduction, notamment, et de validation des traductions. Sans parler des équivalences entre papiers. Je suppose qu’avec les anciennes colonies, il doit y avoir une certaine uniformité administrative, et encore je n’en suis pas sûr, mais dès que vous partez en Asie, c’est un bordel hallucinant. Obtenir un certificat de naissance chinois est un vrai chemin de croix. Si on peut sortir la carte "Joker" du test ADN, ça doit pouvoir accélérer considérablement les choses. Enfin j’imagine.

    En tout cas, c’est une mesure technique qui peut avoir son intérêt, pourvu qu’elle soit utilisée de façon logique. Ce qui, je vous l’accorde, est hautement improbable. Et, encore une fois, je n’arrive pas du tout à concevoir ce qu’il peut y avoir comme problème éthique là-dedans. On parle d’une démarche où il est nécessaire de prouver la paternité. Ben justement, y a un moyen, qui fait mal à personne, et qui permet de le savoir. Est-ce fiable, est-ce abordable, est-ce pertinent? Tout ça se discute. Mais est-ce moral, non, là, je ne vois pas, très honnêtement. Je pense que les gens ont une tendance un peu pavlovienne à sortir leur revolver éthique dès qu’ils entendent le mot "gène", mais à mon humble avis c’est irrationnel.

    Je ne sais pas si on peut dire "partial"; mais je remarque que vous soulevez surtout les arguments économiques qui minent la pertinence du contrôle (et du contrôle tout court, d’ailleurs, pas spécifiquement du contrôle ADN), ce qui suppose de trancher dans un certain sens des questions comme le coût comparé des procédures ADN/sans ADN, sur lesquelles nous n’avons pas de données précises. J’ai tendance à penser, d’une façon plus générale, qu’il ne peut pas exister de véritable objectivité économique, dans la mesure où vos convictions morales entrent forcément en ligne de compte, puisque la matière reste l’être humain; sur n’importe quel problème économique, vous ne retiendrez de toute façon pas une hypothèse qui suppose un traitement de l’homme que vous jugez inacceptable. Or le consensus est loin d’exister sur ce qui est acceptable ou pas; pour certain, créer une situation où un individu est obligé de changer d’emploi est inacceptable; pour d’autres, créer une situation dans laquelle renvoyer quelqu’un dans son pays avec armes et bagages lorsqu’il n’a plus de travail est acceptable. Le spectre est large. Sur un sujet comme celui-ci, je pense que vous avez vous-même des convictions morales si fortes que malgré tous vos efforts, vous auriez du mal à prendre parti de façon purement technique. Mais je peux me tromper.

    Ne pas avoir mentionné les gains administratifs peut effectivement être compris comme cela. Mais, au fond, c’est qu’il me semble surtout que ces gains sont potentiellement négligeables à côté de ce que j’ai souligné. Sur le révolver éthique, je suis loin de ça. Il me semble toutefaois normal de regarder s’il y a des implications éthiques dès qu’il est question de relever des empreintes génétiques et de définir ce qu’est une vraie famille. Entre l’évocation pavlovienne du régime nazi et l’acceptation systématique de tout, il doit bien y avoir un entre-deux. En ce qui concerne l’objectivité, je ne vous contredirai pas sur l’impossibilité d’extraire les jugements de valeur de l’approche. Ensuite, ça ne veut pas dire que tout est idéologie. La simple sélection des thèmes d’un chercheur ou d’un blogueur est forcément une manifestation de ses penchants idéologiques. Après, c’est l’histoire du bébé et de l’eau du bain. Notez qu’ici, je n’ai pas mentionné le terme “inacceptable”. Donc, globalement, je suis sincère quand je dis que je me demande surtout si c’est bon pour l’économie française.

  4. Que comprendrait le droit d’entrée de Becker appliqué à la France ? S’il inclut la couverture sociale, nous allons manquer de lits

    Je ne comprends pas.

  5. je propose aussi qu’on les déshabille et qu’on examine leur musculature et leur dentition, si possible en public, dans un souci de transparence …
    Au secours, Voltaire !

    Un test ADN n’est pas l’occasion d’une humiliation publique. Il n’est pas non plus appliqué par nature aux animaux. Laisser Voltaire tranquille cinq minutes serait peut-être une bonne idée ?.

  6. " On parle d’une démarche où il est nécessaire de prouver la paternité. Ben justement, y a un moyen, qui fait mal à personne, et qui permet de le savoir."

    On parle de liens familiaux, or ces liens ne sont pas biologiques. Ils sont institués. En fait, des papiers constituent de meilleures preuves que des tests génétiques.

    Vous pouvez lire l’excellent texte de Jules, de diner room, sur la question

  7. @ SM: Merci pour votre réponse, dont je partage les termes. Pour all, je pense qu’il a voulu dire que 50000 dollars donnaient juste droit à l’accès au territoire américain, sans protection sociale significative, puisque celle-ci est payante. En revanche, en France, l’entrée légale sur le territoire s’accompagne d’une protection sociale, donc le tarif de 50000 dollars serait particulièrement attractif sur le "marché" de l’émigration, puisque incluant davantages de services. D’où la pénurie de lits. Mais je suppose que vous aviez compris et demandiez une explicitation, que je suis en train de faire de façon parasite. Je vais donc m’occuper des petits oignons blancs que je viens de hacher dans ma salade.

    @clic: je vais aller voir le texte, mais d’emblée, je ne pense pas qu’on puisse dire que les liens familiaux ne sont pas biologiques. Ils ne sont pas que cela, mais ils le sont aussi. Et prouver la paternité génétique a des effets juridiques automatiques, me semble-t-il. Disons que les liens familiaux sont institués sur des bases génétiques.

  8. Oui fachocentristre (quel nom !) exactement ça ; le forfait immigration de 50.000 € parait élevé mais pas au regard d’une prix d’une journée d’hospitalisation à 600€ en moyenne auquel je rajouterais le prix d’une opération chirurgicale.

    Je n’ai jamais lu de prix pour un permis à immigrer en France. Donc je ne saurais dire. Cela dit, faire de la protection sociale le déterminant fondamental des choix de migration, c’est pas un peu abuser ? Si je caricature, ça veut dire que les gens viennent pour être malades ? A ce compte là, pourquoi ne le sommes nous pas tous, nous qui n’avons même pas à payer ?

  9. Pour les enfants illégitimes, j’ai entendu parler de 15% des enfants issus de relation extra conjugale avec en prime environ 5% issu de compétition spermatique…

  10. @karg se: effectivement, si on institue ce test, il serait sage de le réserver aux relations mère-enfant, sans quoi ça peut foutre la merde grave dans certaines familles… J’ai entendu des chiffres analogues. Je serais curieux de savoir le degré de variabilité de ce pourcentage suivant les sociétés, pour évaluer la "performance" comparée des modèles de contrôle socio-juridiques de la paternité.

  11. L’idée de Becker est intéressante et mérite d’être creusée.

    Plutôt que le recours à l’endettement auprès d’institutions financières, je pense que le financement du "droit d’entrée" pourrait être assuré par la charité privée. Il existe en France quantitié d’associations de défense des immigrés, souvent représentées par des célébrités aux poches profondes. L’assymétrie d’information étant moindre pour elles, de telles associations seraient à mon avis idéalement placées pour d’une part collecter des fonds importants et d’autre part "faire le tri" et allouer les sommes aux plus méritants.

    Enfin, et sans même passer par des associations, on peut imaginer de simples particuliers aisés ayant croisé le chemin d’un immigré(e) illégal(e) (garde d’enfants, aide à la personne etc…) méritant(e) et qui seraient prêts à donner ou prêter la somme nécessaire.

  12. Les étrangers ne viennent pas chez nous pour être malades, bien sur. Mais les étrangers malades pourraient se rendre compte qu’il est très intéressant financièrement de venir en France, et ce malgré les 50000 €, simplement parce que les soins y sont gratuits et de bonne qualité.
    Voilà pourquoi il faudrait augmenter cette somme par rapport à celle qui donne accès aux USA.

    Ou plutôt, si je reprends la logique de la discrimination tarifaire, il faudrait proposer 2 forfaits :
    – un forfait à 80000€, avec un accès total aux soins,
    – un forfait à 40000€, avec un accès très limité aux soins.
    😀

    Nous serions ainsi plus attractifs que les USA pour les étrangers bien portant… et même pour les étrangers en mauvaise santé, puisqu’en comparaison avec les USA, 30000 € pour avoir accès à des soins gratuits reste un tarif sans équivalent.

    Et nous pourrions ainsi financer les soins des plus malades plus facilement.

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