Jean Marc Vittori sur les sorties de l’impôt sur le revenu

vittori

Article intéressant de Vittori, sur un sujet dont on n’a pas énormément parlé, en fin de compte. Le gouvernement a décidé “de faire un geste pour plus de 3 millions de foyers. Près de 2 millions d’entre eux ne paieront, finalement, pas d’impôt sur le revenu cette année, contrairement à ce qui avait été voté au Parlement à la fin de l’an dernier. Les autres auront droit à une réduction. La mesure sera reconduite les années suivantes”. Jean-Marc Vittori y voit trois bizarreries.

La première porte sur le fait que les plus démunis ne sont pas concernés :

“Car les foyers les plus modestes paient déjà… zéro euro d’impôt sur le revenu. Il ne s’agit pas seulement de quelque milliers de misérables, ou de quelque millions de Français, que l’on peut raisonnablement qualifier de classes populaires, car 17 millions de foyers sur 36 échappent déjà à l’impôt sur le revenu – 47 % du total. Ceux qui vont bénéficier de la mesure se situent quelque part au milieu de la classe moyenne – ou pour être plus précis, dans son deuxième quartile -, pas au début des classes moyennes, déjà exonérées, ni dans la moitié supérieure. Etrange mesure donc pour un gouvernement de gauche, qui consiste à donner un coup de main aux Français qui se situent au milieu de la répartition des revenus et non aux plus démunis.”

La seconde, c’est que la baisse de l’impôt sur le revenu n’est pas forcément une bonne chose si on souhaite soigner l’équité verticale :

“c’est le seul [impôt], avec l’impôt sur les héritages, qui est progressif et donc conforme à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 – la contribution à l’entretien de la force publique et aux dépenses d’administration «  doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Comme ses prédécesseurs, le gouvernement entend réduire un impôt très réduit (après l’avoir notablement augmenté sur les plus aisés).”

L’impôt le plus “juste” est donc peu important dans notre système fiscal et cette dernière mesure ne fera que renforcer ce constat.

Enfin, la troisième, qui découle de la précédente, serait qu’elle réduit la fonction démocratique de l’impôt :

“La démocratie parlementaire a été inventée, rappelons-le, pour contrôler les dépenses publiques et légitimer l’impôt. Or l’impôt sur le revenu est le plus visible de tous. En sortant des millions de foyers de l’obligation de le payer, le gouvernement renforce l’idée erronée que « l’impôt, c’est les autres ». Et fait baisser la pression des électeurs pour contenir la dépense publique.”

Je suis d’accord avec Vittori sur ces trois arguments, totalement sur les deux premiers. En revanche, j’ai une interprétation spontanée un peu différente du dernier. La “baisse de la pression des électeurs pour contenir la dépense publique” est peut-être une conséquence des exemptions de l’impôt sur le revenu. Mais ce point peut aussi être vu comme un facteur de baisse du consentement à l’impôt, quand il s’agit de comparer ce que l’on paie et ce que l’on reçoit. De ce point de vue, l’impôt sur le revenu n’est pas le seul étalon de comparaison. Les divers impôts et taxes sont considérés au même titre par les ménages. Et chacun peut trouver un prétexte pour se plaindre. Si la thèse du “ras-le-bol fiscal” est pertinente, c’est que cette façon de voir n’est pas absurde et que chacun pense plutôt “l’impôt, c’est toujours moi”. Dans tous les cas, l’état actuel du système n’est pas terrible.
Enfin, Vittori achève son article en expliquant que si nous avons les prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, c’est qu’on transfère le financement des dépenses publiques sur d’autres prélèvements que l’impôt sur le revenu. Mécaniquement, c’est forcément vrai. Mais j’ai quelques doutes sur le fait que les autres prélèvements soient aussi invisibles que cela aux yeux des citoyens.
Une alternative à cette vision assez optimiste du comportement des citoyens, aveuglés “à l’insu de leur plein gré” © à la fois Marxiste et Hayekienne (pour faire court) serait de considérer que les groupes sociaux cherchent simplement à maximiser les dépenses qui leur reviennent et minimiser l’impôt qu’ils paient. Et je citerai Bastiat pour qui l’État “c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde.”. Ce qui ne va pas me faire que des amis. 😉
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6 Commentaires

  1. Pourquoi devrait-on avoir une fonction de prélèvement convexe pour être conforme à l’article XIII ?
    Etre croissant ne suffirait pas ? (par exemple un taux constant sans aucune exonération pour les hauts revenus: soit le contraire de ce qui se fait actuellement avec des taux théoriques confiscatoires, mais nuls de manière effective)

    • Oui. Je pense que la progressivité n’est qu’une variante historique. Méfiance avec le terme “confiscatoire”. Il suppose une punition.

      • Mais quand le taux dépasse 100% ? 🙂
        (à ma décharge, j’utilisais ce mot dans ce sens, avec “exorbitant”)

      • La TVA est un impôt qui est croissant avec les revenus, donc, sur la durée d’une vie, sur la consommation. Il est donc conforme à l’article XIII. Le second argument ne tient donc pas. Le premier est très limité aussi, n’aider que les X% les plus démunis (d’ailleurs on s’arrête où ?) n’améliore pas la situation dans l’ensemble, en créant des effets pervers que vous connaissez bien. Ne reste que le troisième.

    • La “fonction de prélèvement convexe” prend en compte une réalité qu’ignore le taux constant : les premiers euros qu’on gagne apportent beaucoup plus que les derniers.

      Je m’explique : si vous touchez 10k€ par an, vous allez vous payer uniquement un logement minimal, à manger et du chauffage s’il vous en reste assez. Si vous touchez 10k€ de plus, vous allez vous payer un peu plus de confort de logement, une télé et une voiture minimale. 10k€ de plus, c’est une jolie voiture, des sorties et des vacances. Etc, etc.

      Avec un taux fixe, mettons à 20%, ce que vous enlevez aux plus pauvres est énorme : c’est littéralement la viande qui disparaît des assiettes, voire également le chauffage en hiver. Si vous décidez au contraire de ne pas imposer les plus pauvres, mais de taxer plus fortement les plus riches (fonction convexe), ils devront garder leur Mercedes une année de plus avant d’acheter le nouveau modèle, et partiront en vacances au Maroc au lieu de l’île Maurice…

      Certes, faisant plutôt partie de la deuxième catégorie, ça pique sévère quand je reçois ma feuille d’impôt. Mais clairement, je ne pense pas que la solution soit de faire payer les miséreux. Supprimer les multiples niches fiscales, ou réduire la dépense me paraît nettement plus approprié.

      Surtout qu’il ne faut pas oublier une chose : on paie des impôts pour les services que nous rend l’état, il faut donc tenir compte de la fonction d’utilité. Quand on a les moyens, ces services (sécurité, éducation, santé, etc) sont prioritaires sur les dépenses de confort, et les contribuables acceptent donc l’impôt. Certes, on râle parce qu’on préférerait que d’autres paient, mais si on nous proposait de ne pas payer mais d’être privé de ces services, personne ne le ferait. En revanche, quand on n’a pas un radis, trouver de quoi se loger et se nourrir est prioritaire sur tout le reste, et là l’impôt est vraiment confiscatoire : on vous oblige à payer un service qui n’est pas du tout prioritaire par rapport à vos besoins.

  2. “serait de considérer que les groupes sociaux cherchent simplement à maximiser les dépenses qui leur reviennent et minimiser l’impôt qu’ils paient. Et je citerai Bastiat pour qui l’État « c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. ». Ce qui ne va pas me faire que des amis. ”

    ça me marche uniquement pour l’Etat : chacun essaie d’obtenir de quoi que ce soit qui l’entoure y compris autrui le maximum tout en lui concédant le moins possible.

    ça vaut pour toute entreprise, notamment.

    D’un point de vue plus politique la règle est simple : pour faire le moins de mécontents possible il faut toujours taper sur les mêmes : élargir l’assiette d’un impôt est toujours courageux, la réduire de la démagogie électoraliste.

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