On a les députés qu’on mérite. Après les LR qui déploient de l’énergie parlementaire à défendre l’appellation “chocolatine”, voici donc les LREM qui consacrent leur temps à pondre un amendement destiné interdire les portables aux adultes dans les écoles et collèges. Je leur ai écrit. À la fin, j’étais triste : j’avais l’impression d’être Finkielkraut et que j’allais adhérer au SNALC. Et ça, je ne le leur pardonnerai jamais.
Mes chers députées et députés chéries et chéris,
Je prends connaissance de l’amendement que vous avez présenté dans le cadre de la loi sur l’interdiction des portables dans les écoles primaires et les collèges.
Vous voulez étendre l’interdiction des portables au personnel éducatif, profs et surveillants inclus. Vous justifiez cela de la façon suivante :
« Il semble ainsi nécessaire de renvoyer à nos jeunes une image d’exemplarité et de cohérence avec les principes affichés par la présente proposition de loi, impliquant que les adultes puissent s’adapter au règlement intérieur imposé aux élèves. ».
Bien que non concerné directement en tant qu’enseignant, mais comme parent, par cette mesure, je tenais, à vous signaler quelques points, qui ne devraient pas échapper à votre attention :
– Les protocoles d’alerte intrusion impose depuis 2015 aux enseignants d’avoir leur portable avec eux pour recevoir une éventuelle alerte par SMS ou autre. Songez-vous à les équiper de talkie walkies ou de Tatoo pour remplacer les téléphones mobiles ?
– De façon générale, le XXème siècle a consacré l’usage du téléphone, dont les fonctionnalités, quoique multiples, intègrent notamment la possibilité de donner efficacement l’alerte en cas de danger, accidents et autres causes nécessitant une assistance extérieure rapide. Le XXIème siècle devra-t-il tirer un trait sur cette pratique dans les établissements scolaires ? Combien de cadavres votre proposition devra-t-elle assumer ? Un serait de trop.
– Les smartphones ont été intégrés à des usages pédagogiques (prise de photos de travaux, recherche d’information rapide, appel, etc.) dont vous voudriez priver les établissements scolaires. Je présume que vous trouvez la productivité dans l’enseignement déjà tellement élevée que cela vous semble superflu. Vous connaissez PISA ?
– L’exemplarité donnée aux enfants ne consiste pas à placer les adultes à leur niveau. Je vous rappelle, à toutes fins utiles, que, dans un établissement scolaire, il y a tout un tas de choses que les adultes peuvent faire et qui sont interdites aux élèves. Par exemple, un élève n’organise pas le cours, ne prend pas la parole quand il le décide, n’est pas autorisé à accéder à certains locaux, à manipuler librement certains matériels, etc. Tout ceci reste le « privilège » des adultes. Mais bon, si vous voulez passer un amendement qui interdise aux enseignants de prendre la parole à discrétion en cours ou à réguler la manipulation de produits dangereux dans un TP de chimie, au prétexte que les élèves n’y sont pas autorisés, eh bien ma foi…
– La gestion des ressources humaines n’est pas le fort de l’Éducation nationale. Celle-ci ne parvient plus à recruter un nombre suffisant d’enseignants compétents dans l’enseignement scolaire. Heureusement, votre brillante proposition va, je n’en doute pas, provoquer un appel d’air remarquable. Car, quoi de plus séduisant qu’un système dans lequel les adultes et autres éducateurs sont mis au même niveau que des enfants et adolescents en pleine éducation ? Si l’institution n’est pas en mesure de faire comprendre que les droits et devoirs des uns et des autres peuvent être différents, il va falloir revoir le concept d’éducation (j’ai déjà cru comprendre que vous galériez un peu avec la laïcité). Les parents confient leurs enfants à l’école sur le temps scolaire. Les besoins en communication des élèves sont réduits au strict minimum sur cette durée. L’usage productif que les élèves peuvent faire des téléphones mobiles dans ce temps laisse effectivement à désirer. Appliquer la même règle aux adultes est pour le moins discutable. À moins de supposer que les enseignants et autres membres de la communauté éducative sont une bande de fumistes, prêts à oublier leur mission pour envoyer des textos afin d’organiser des apéros monstre après les cours. Et, j’ai envie d’ajouter que… s’ils sont capables de le faire en continuant à assumer leurs fonctions correctement, alors pourquoi pas ? Quelqu’un vous reproche-t-il d’utiliser ponctuellement votre smartphone dans l’hémicycle pour régler tel ou tel problème ponctuel sans compromettre votre participation aux débats ? Je suis sûr que vos scores à Angry Bird explosent ceux du prof ou surveillant moyen.
– En tout état de cause, votre amendement ne fait aucun distingo entre les espaces communs aux élèves et adultes et les espaces séparés. Une salle des profs est un endroit interdit aux élèves. En quoi l’exemplarité s’y joue-t-elle ? Tenez, par exemple, dans une salle des profs, on dit beaucoup de mal de vous. Mais les élèves ne le savent pas. Allez-vous interdire aux enseignants de dire du mal des députés en salle des profs ? Contraindrez-vous les enseignants à utiliser leur téléphone sur le trottoir devant l’établissement pour être en conformité avec votre loi ? Savez-vous que l’interdiction de fumer dans les établissements scolaires est appliquée avec rigueur par les enseignants, mais pas du tout avec la même rigueur par les élèves (au lycée, en tout cas) ? Pourquoi ? Parce que le personnel nécessaire pour contrôler les recoins propices à une telle transgression n’est pas disponible. Contrairement à vous, les surveillants, avec beaucoup de sagesse, se concentrent sur des missions dont la valeur ajoutée est bien plus élevée pour la communauté éducative.
– Je pourrais évoquer les cas de figure où la défaillance des infrastructures des établissements, du manque de personnel et autres dysfonctionnements divers font des téléphones portables un outil palliant les manquements de l’institution, pour assurer une qualité de service bricolée mais effective (les smartphones servent occasionnellement de modem pour assurer la connexion au serveur hébergeant l’application permettant de faire l’appel en cours ; voire même à permettre la tenue normale d’un conseil de classe…). Mais, comme vous me répondriez un truc du style “Tout sera fait à la rentrée pour que ce genre de situation ne se reproduise pas”, je vais m’abstenir. Je ne voudrais pas vous donner trop de travail pendant l’été.
– Enfin, je vous suggère de déposer rapidement un amendement interdisant aux enseignants l’accès à Internet dans leur classe. Et ce, afin d’éviter que les élèves, à qui il est interdit de naviguer sur Facebook pendant les heures de classe, ne soient pas ulcérés à l’idée que leurs professeurs matent des vidéos de chats sur Youtube pendant qu’eux sont injustement condamnés à réaliser des travaux en autonomie. Un sacré progrès.
En fait, heureusement, les gosses sont bien plus intelligents que vous et capables de comprendre les enjeux, en dehors de vos gesticulations parlementaires. Votre zèle à vous préoccuper des choses sans importance est impressionnante et nuisible. Quelle exemplarité donnez-vous à la jeunesse de notre pays, en galvaudant vos fonctions avec une médiocrité et une incompétence qui se confirment jour après jour ? Il se dit dans Paris que votre travail parlementaire laisse sérieusement à désirer. Comment en douter pleinement ?
Bisous, bisous.
Stéph.
Addendum : L’amendement a été retiré avant publication entre la rédaction de ce billet et le lendemain.
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Se retrouver aux côtés de Finkelkraut, il faut admettre, c’est brutal.
Mais votre indignation ne va pas vous amener chez les indignés, quand même ?
Rassurez nous…
Vous pouvez vous rassurer. Ni “indigné”, ni “insoumis”, ni “marcheur”.
Ni rien du tout.
Insoumis, je n’aurais pas osé.
Entre la personnalité du chef et le qualificatif, je pense que vous avez relevé comme un hiatus, vous aussi…
Je ne suis absolument pas d’accord avec vous ! Pourquoi, diable, organiser des apéros monstres après les heures de cours ? Elles servent à quoi les heures de cours ?!
🙂