Hamon, Sapin et les 3%

hamonsapin

Benoît Hamon estime que la règle des 3% de déficit imposée par le pacte de stabilité et de croissance est un “non-sens” qui ne répond pas aux besoins d’une économie. Michel Sapin lui a répondu que “La règle des 3% est rationnelle, elle a des conséquences“. C’est l’essence d’un débat politique, pas économique.

Disons-le tout net : la position de Hamon est sensiblement plus juste que celle de Sapin. L’histoire de la fixation de cette règle va très clairement dans le sens de son argumentation. C’est un fait assez connu. J’ai entendu parler d’une rationalisation du critère, visiblement a posteriori, en mode “coin de table”, en rapport avec le critère d’un ratio dette/PIB ne dépassant pas 60%. Quelque chose comme : “Pour un taux d’inflation de x%, des taux d’intérêt de y% et un taux de croissance de g%, alors 3% de déficit stabilise la dette à 60% du PIB”. À vue de nez, cela relevait plus de la numérologie que d’autre chose (on me signale finalement qu’un papier assez sérieux de l’époque donne une justification tout à fait de cet ordre, ce qui ne modifie pas fondamentalement ce qui suit). Hamon un, Sapin zéro.

Mais peu importe, en réalité. Rappelons que, notamment dans le cadre de la zone euro, la limitation des déficits a comme objectif d’éviter que chaque pays ne conduise une politique budgétaire trop laxiste. La crainte est que, si tous font de même, la BCE ne tienne plus, à terme, son objectif d’inflation et que celle-ci s’emballe sérieusement ou que des défauts sur les dettes publiques des pays de la zone n’apparaissent, avec leur cortège de déboires, alors qu’ils ne s’imposeraient pas par un accident historique incontrôlable.
Mais la question de la fixation d’une règle budgétaire est complexe. Idéalement, il faut trouver une règle qui soit adaptée en toutes circonstances. Or, un aspect des circonstances est la position de l’économie dans le cycle. Dans une logique de stabilisation de l’activité (réduire le déficit en période d’expansion pour éviter la surchauffe et soutenir la demande globale par le déficit public en période de ralentissement économique), fixer systématiquement à 3% le déficit cible est absurde. Il peut être adapté de retenir un déficit inférieur en phase d’expansion et supérieur en phase de recul. Dans une optique keynésienne assez standard (et même si Keynes ne se préoccupait pas vraiment des phases d’expansion dans son analyse de la stabilisation, étant davantage tourné vers la crainte d’un équilibre de sous-emploi durable ; ce sont davantage ses successeurs qui ont formalisé ce principe, pour les cycles de période “normale”), on doit faire jouer les stabilisateurs automatiques. Ce qui consiste à laisser filer les déficits en période de récession et à les réduire en période d’expansion, de sorte à avoir, grosso modo, sur un cycle entier un budget équilibré. De ce point de vue, et Hamon, puisqu’il n’envisage pas (au moins dans la dépêche mise en lien) de descendre volontairement un jour sous les 3% ; et Sapin; qui suggère que dépasser 3% ne serait pas rationnel, ont tort. Hamon deux, Sapin 1.

Une autre question est de savoir ce que l’on doit inclure dans ce déficit. Doit-on prendre en compte les dépenses d’investissement, par exemple ? L’idée sous-jacente est que ces dépenses, en stimulant la productivité de l’économie se financeront d’elles mêmes par leur rendement global. Néanmoins, classer des dépenses en investissement ou en fonctionnement n’est pas toujours facile (un bâtiment universitaire est volontiers classé en investissement, alors que le salaire des enseignants-chercheurs est spontanément classé en dépenses de fonctionnement. Mais, que vaut un investissement dans une université si elle n’emploie pas de personnel ?). Donc, déterminer une règle corrigée de ces éléments n’est pas aussi évident que cela. Il existe un certain nombre de variations autour des critères conduisant, ou non, à une règle budgétaire optimale. L’analyse montre qu’il est extrêmement difficile de parvenir à en fixer les contours précis. Je vous renvoie à cet excellent texte de Sterdyniak et Mathieu (notamment les pages 10 et suivantes) pour une synthèse sur le sujet.

Faut-il jeter la règle des 3% à la poubelle ? Difficile à dire. Après tout, avec un certain degré de souplesse, elle ne sera pas pire qu’une autre. Ce degré de souplesse existe-t-il ? En pratique, depuis l’introduction de l’euro, oui. Aucun pays n’a encore, à ma connaissance, été sanctionné pour déficit excessif, tel que prévu dans le pacte de satbilité et de croissance. Bien sûr, la commission européenne, exige un retour au respect de la règle. Bien sûr aussi, on peut se demander quel est le processus politique et technocratique qui conduit à accepter ou non une déviation de la règle, plus ou moins durable et marquée. Car, en définitive, puisqu’il n’existe pas de règle théorique parfaite, on devrait être en mesure d’en fixer une qui semble raisonnable et de donner au décideur public la responsabilité de l’adapter aux circonstances, tout aussi raisonnablement. Une sacrée ambition, surtout lorsqu’on est une vingtaine de pays à devoir la porter plus ou moins consensuellement.

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1 Commentaire

  1. Cher ami,

    Je ne peux m’empêcher de réagir, cornegidouille !

    Vos papiers invitent en général à une réflexion conviviale et stimulante. Et j’applaudis.

    Quelle n’est donc pas ma stupeur de lire que, même vous, vous n’hésitez pas à brandir le terme de « laxisme ».

    N’avez vous pas remarqué qu’il emporte avec lui une connotation morale assourdissante ? Qu’il participe des postures autoritaires qui ont pour finalité, précisément, de bloquer in petto toute réflexion ?

    Peut-on invoquer le laxisme des autorités japonaises ? Ou belges ?

    Et le papier de Sterdyniak et Mathieu s’inscrit dans le modèle des interactions entre politiques fiscales et monétaires. Or vous n’avez pas tout dit.

    La version « stocker des noisettes quand ça va bien pour y puiser quand les temps sont plus durs » ne dit qu’un aspect de l’histoire. Il se limite aux cycles. Il faut aussi mettre les prix dans l’histoire, et leur tendance de long terme.

    Si des prix hédoniques étaient calculables (mais ils ne le sont pas, puisque la plupart des marchés n’existent pas), nous saurions sans doute que l’Europe est en déflation depuis un moment.

    Sur un trend d’inflation, 3 % c’est peut être pas assez. Mais sur un trend de déflation, 3 % c’est peut être trop… Les théories fiscales du déficit (Cochrane, Sims…) le disent plus proprement (et montrent la complication sous-jacente), mais l’idée est simple: en économie, il ne faut pas oublier les prix…

    (au passage, affirmer que le déficit public est inflationniste suscitera moins de réprobation que de soutenir sa réciproque logique, à savoir que la rigueur est déflationniste. C’est un fait d’opinion)

    Et puisque j’espère que vous ne me soupçonnez pas de penser que les hommes politiques sont des parangons de vertu (ceci dit, par les temps qui courent, cette opinion serait originale et téméraire. J’aimerais bien trouver une personne qui la soutient), je vous renvoie aussi au papier de votre collègue (« la fragmentation »).

    Les grosses dettes publiques sont, certes, liées à une mauvaise gouvernance et à de l’aléa moral. Inutile d’y revenir. Mais aussi à des pays en proie au risque de fragmentation politique (Italie, Belgique) ou encore à ceux dont les autorités politiques ont été capturées par des lobbies économiques (Grèce, Japon) qui bloquent les ajustements de marché.

    Ceci dit, je partage votre conclusion. Il faut bien se chercher une règle pour fonctionner ensemble, et sous l’égide à la fois du traité de Nice et de la polarisation industrielle, proposer autre chose que ce qui se fait déjà (c’est-à-dire la brandir sans la respecter) n’est pas simple.

    Bannissez juste de votre vocabulaire le terme de « laxisme ». Il ne vous convient vraiment pas.

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