P. Askenazy nous gratifie d’un intéressant article sur l’interprétation des statistiques dans le Monde daté de demain. Au passage, il glisse une petite pique contre Cahuc, Cette et Zylberberg qui, en réponse à son précédent article (texte intégral trouvable) avaient contesté ses chiffres sur l’évolution du salaire minimum.
A l’époque, un de nos lecteurs s’était demandé comment expliquer la différence significative entre l’évaluation de la hausse du SMIC par Cahuc et cie (+37.7%) et celle d’Askenazy (+20%). On peut retrouver aisément les résultats de Cahuc et les autres via l’INSEE, à l’aide du tableau indiquant l’évolution du SMIC et celui décrivant le pouvoir d’achat du franc et de l’euro. Sur le moment, je n’avais pas trouvé comment Askenazy arrivait à son résultat (si quelqu’un est plus chanceux que moi…).
La pique adressée à Cahuc et cie n’est pas imméritée. Ceux-ci comparent la France et la Grande-Bretagne à l’aide de données d’Eurostat non harmonisées : ils aboutissent à un chiffre d’environ 15% de salariés au SMIC en France, contre 4% en Grande-Bretagne : en essayant d’harmoniser les données d’Eurostat, Askenazy arrive à environ 5% de "vrais smicards" en France, un chiffre proche des résultats britanniques. Pour autant, c’est un élément mineur de leur critique adressée à Askenazy, à laquelle ils ajoutent d’ailleurs, pour s’inquiéter de la "smicardisation" des salariés français, que près de 60% des salariés français touchent un salaire compris entre 1 et 1.6 fois le SMIC. Ce n’est pas très gentil de les attaquer sur ce point précis, en négligeant le point central de leur critique (l’évaluation de la hausse du pouvoir d’achat du salaire minimum). L’interrogation sur l’évaluation d’Askenazy, dans son article initial, subsiste.
Ces querelles de chiffres sont-elles importantes? Elles traduisent ce que sont de plus en plus, aujourd’hui, les débats entre économistes. Dans le fond, Cahuc et ses compères d’un côté, et Askenazy de l’autre, sont d’accord sur un point : le SMIC devrait évoluer en France sur la base d’éléments économiques raisonnables. La différence porte sur l’évaluation de ce qui est "raisonnable" et sur le point de savoir si les évolutions passées le sont : c’est là que la querelle de chiffres intervient, et, en filigrane, les positionnements politiques des auteurs. C’est très significatif de ce que sont les débats entre économistes aujourd’hui : une acceptation assez généralisée de méthodes, de critères d’évaluation communs, et une discussion portant sur l’interprétation des faits, plus que sur des positions idéologiques inconciliables. Le débat devient plus technique, et plus raisonnable. Cela ne satisfera guère les idéologues purs et durs, mais cela traduit le fait que la science économique progresse.
Au passage : quand donc cessera-t-on de prendre comme "référence" la Grande Bretagne du New Labour? Comme le rappelle opportunément Chris Dillow, après 8 ans de new labour, le système fiscal britannique reste beaucoup plus régressif (les bas revenus supportent des taux d’imposition plus élevés que les hauts revenus) que le système fiscal américain, après 8 ans de politique de baisse d’impôts pour les riches de George W. Bush.
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Il me semble étonnant que les économistes des administrations européennes n’aient pas proposé d’indicateurs normalisés, clairement destinés à remplacer les indicateurs nationaux.
Le pire, c’est qu’ils doivent bien exister : sinon, je me demande de quoi peuvent réellement parler les membres de l’Eurogroupe. à moins que les indicateurs nationaux des pays de la zone euro ne fassent l’objet d’aucun débat au sein de l’eurogroupe ? Je n’ose y croire….
Alors, aider les citoyens à comprendre les chiffres commence certainement par les publier.
"quand donc cessera-t-on de prendre comme "référence" la Grande Bretagne du New Labour?"
Et pourquoi cesserait-on de le faire? Les Anglais ont compris qu’il fallait peu imposer les riches, pour les faire venir, et beaucoup les pauvres, pour les dissuader de l’être. Ce n’est pas de leur faute si ces derniers s’entêtent. La pauvreté c’est dans la tête des gens.
Il est temps de remettre un peu de bon sens dans tous ces débats de spécialistes.
Pour expliquer la différence entre les chiffres d’Askenazy, on peut regarder l’evolution du Smic horaire et l’evolution du Smic mensuel. Le Smic horaire net entre 1982 et 2007 a bien augmenté de 37% comme Cahuc and co le mentionnent. Le Smic mensuel net a lui augmenté de 20% sur la meme periode (35h oblige). Cela correspond au chiffre avancé par Askenazy.
Ce qui n’est pas mentionné dans ce debat a fleurets mouchetés, c’est le debat sur les baisses de charges. Pour fixer le niveau du Smic, ce qui compte c’est le Smic super-brut apres baisses de charges (cout pour l’employeur). Avant baisse de charges, sur la meme periode, le Smic horaire superbrut a augmenté de 57% (en réel), apres baisse de charge de 28% (en reel toujours).
Askenazy n’a jamais caché son hostilité a la baisse des charges ciblées sur les bas salaires et Cahuc and co, au contraire, leur soutien a une telle politique.
Réponse de Alexandre Delaigue
Askenazy avait pourtant bien écrit : “Malgré les coups de pouce et la convergence des smic 35 heures par le haut, le pouvoir d’achat net d’une heure de travail au smic n’a progressé en vingt-cinq ans que de 20 %.” Bon, c’est mineur, mais cela explique l’écart. Pour la baisse des charges ciblée sur les bas salaires, on peut considérer qu’elle contribue précisément à la “smicardisation” de la société, c’est même le reproche principal qu’on puisse leur faire à mon avis.
Il y a quelque chose qui me derange un peu dans ce type d’articles (je parle de tous les articles cites), mais peut-etre est-ce inevitable: pour le non-specialiste, on a l’impression quand meme de deux discours assez opposes, qui se reclament tous les deux de la science. Jusqu’il y a peu, c’etait un des points qui me laissait a penser que la science economique n’etait que peu scientifique. Sans les explications que vous donnez ici, pour le quidam, cela ne contribue qu’a renforcer le fait que "discours economique = discours ideologique seulement". En fait, lorsque l’on est plus au fait de comment fonctionne l’economie (au sens recherche academique), c’est beaucoup plus evident.
Alors evidemment, comme dans toute science, il n’y a pas d’une part l’ideologie et de l’autre la science objective, les deux sont intimement lies et inextricables, mais dans les discours tenus par les economistes, j’ai l’impression en fait de voir un certain "scientisme" que l’on ne voit plus que rarement dans certaines sciences plus "dures". En refusant d’assumer une certaine part de non objectivite, que ce soit de la part de P. Askhenazy ou Cahuc et al., ne pensez vous pas que ce soit dommageable a la perception par le public de ce que l’economie a a dire ? Je m’excuse par avance si c’est trop HS (ca ne me le parait pas trop, mais ce n’est peut etre pas la raison de votre commentaire).
Réponse de Alexandre Delaigue
Plusieurs choses. D’abord, il faut distinguer le débat économique public du débat académique, parce que l’objet est différent. Le débat académique ressemble au débat scientifique dans les autres disciplines : il est vif, avec des gens qui défendent leurs positions, mais pas tellement sur la base de prépositionnements idéologiques. Le débat public traite de questions de société, il est naturel que les opinions y prennent plus de place. Le débat académique est peu connu, le débat politique l’est plus. Si l’on en reste sur le débat public (qui est en cause dans cette discussion) ce qui est notable c’est qu’il est moins idéologique que par le passé, et plus technique. Surtout, les critères de “qualité” sont beaucoup plus fondés sur des normes de rigueur communes que sur l’adhésion à des présupposés idéologiques, lorsque ce débat public se fait entre économistes. Cela n’ôte pas la subjectivité, mais permet de la séparer du raisonnement. On peut tirer de ce que disent tous les auteurs cités ici des choses intéressantes, même si on les désapprouve.
Comment doit faire Askenazy
Deja il prend le net et non le brut
les charges sociales sont passees de 13% a 21.5%
on tombe alors a 26% environ de hausse du smic net
il prend ensuite probablement l IPCH et non l IPC francais. l IPCH augmente plus vite car il compte les deremboursemenents des services de sante. par exemple 2.8 en janvier selon l insee 3.2 selon eurostat. et le tour est joue
Je trouve dommage que des scientifiques de ce niveau oublient la règle numéro 1 qui est de préciser exactement de quoi on parle.
La confusion entre le SMIC net net horaire qui est bas et le super brut mensuel qui est haut n’est pas académique. Elle est politique.
Askenazy n’est pas très net dans son premier article et si il m’apprend quelque chose de neuf dans le second (le 5% au lieu de 17), sa remarque sur les dépenses publiques redevient politique.
Le problème des prélèvements obligatoire est dans l’obligatoire. Ou alors les dépenses de nourriture devraient être socialisées ainsi d’ailleurs que, pour les puristes, celle de c*l.
Après tout, quoi de plus obligatoire dans la vie que la bouffe et le c*l – les activités culturelles?
Et pourtant ce n’est pas pour cela que l’État recycle notre argent pour les financer. Il laisse a chacun la liberté de faire comme bon lui semble en ces matières. Alors pourquoi pas pour les autres?
Réponse de Alexandre Delaigue
Le problème c’est que lorsque la loi vous oblige à acheter un certain type d’assurance, auprès d’un nombre d’offreurs limité, la distinction entre “consommation privée” et “prélèvement obligatoire” devient floue. Et remplacer des prélèvements obligatoires par des assurances obligatoires n’est qu’un changement cosmétique – c’est l’argument d’Askenazy.