Faut-il vraiment encore réglementer les banques?

Le "rebonds" du jour dans libé, par P. Martin, est consacré à l’aléa moral créé par les moyens mis en oeuvre par les banques centrales pour juguler la crise bancaire. Selon lui, le "sauvetage" de Bear Stearns et les rachats par la BCE et la Fed des créances toxiques des banques crée une pente glissante, qui pourrait inciter les institutions financières à prendre trop de risques, précipitant des crises futures. Selon lui, la "logique économique" devrait pousser dès lors à une réglementation accrue de l’activité financière, portant en particulier sur les modes de rémunération, qui poussent à prendre trop de risques. Il se fait ici l’écho de R. Rajan, qui a évoqué ce problème des modes de rémunération récemment. Mais tout cela n’est pas très convaincant.

Commençons par le premier point : l’idée que l’opération Bear Stearns a été un sauvetage générateur d’aléa moral est extrêmement discutable. Tous les actionnaires de l’entreprise, qui avaient acquis leurs titres avant le plan de sauvetage, ont acheté leurs titres à un prix supérieur ou égal à 60 dollars par action; celle-ci, l’année dernière, a valu jusqu’à 170 dollars. Même avec un prix de fusion avec JP Morgan relevé de 2 à 10 dollars, on ne peut pas dire qu’ils soient particulièrement gagnants dans l’opération. Surtout, Martin se méprend sur la raison de ce prix relevé de 2 à 10. Après tout, encore aujourd’hui, la valeur comptable des actifs de la banque correspond à environ 80 dollars par action. On peut supposer que cette valeur est surrévaluée, parce qu’elle comprend des actifs plus risqués que prévu; mais certainement pas au point de diviser par 40 la valeur du titre (rien que l’immeuble siège social de la banque valait plus que cela). Les actionnaires de la banque n’ont donc pas tellement fait de "lobbying", mais calculé de façon tout à fait rationnelle que si la fusion échouait, et que Bear était liquidée, ils obtiendraient avec la cession des actifs plus que ce que Morgan ne leur proposait. Morgan, qui tient à ce que la fusion se fasse, a dans ces conditions relevé son prix pour des raisons assez logiques; et la punition pour les actionnaires reste douloureuse. Si vraiment tous les sauvetages se passent ainsi, il n’y a pas de raison de craindre l’aléa moral – et c’est ce qui se passe en général (le "sauvetage" de LTCM avait englouti l’essentiel des économies de ses membres, et du capital des investisseurs).

Que les institutions financières aient pris trop de risques, conduisant à la situation actuelle, est fort probable. Mais à trop s’attacher à l’aléa moral, à considérer que cette prise de risque vient uniquement de ce que les dirigeants et salariés de ces institutions considèrent que quoi qu’il arrive, les banques centrales et les gouvernements viendront les sauver (sauvetage qui nécessite, en contrepartie, que les institutions financières soient réglementées) on oublie qu’il peut y avoir d’autres raisons (bien présentées dans cet article de C. Crook) pour que ces institutions prennent trop de risques – et que ces raisons appellent des solutions différentes.

La première est l’idée d’externalité, d’effet systémique. Les institutions financières adoptent un comportement rationnel à leur niveau en termes de risques; mais le fait qu’elles agissent toutes de la même façon au même moment fait que ces comportements individuels conduisent à des catastrophes collectives. Un excès d’optimisme collectif à certains moments, suivis d’accès de pessimisme collectif qui provoquent des successions d’expansions et de contractions financières, avec au passage des crises de liquidité et l’effondrement accidentel de quelques-uns. Ou alors, les risques pris en connaissance de cause par quelques-uns ont des conséquences sur d’autres. Dans ce cas-là, imposer aux institutions financières de payer pour leurs erreurs ne suffit pas (puisqu’elles y sont prêtes).

La seconde raison est encore plus inquiétante : en pratique, les institutions financières ne savent pas ce qu’elles font. La sophistication financière, la multiplication des innovations, faite originellement pour faire en sorte que les risques aillent vers ceux qui sont prêts à les supporter, ne crée en pratique qu’une opacité qui fait que les risques finissent par être supportés par ceux qui sont trop stupides pour s’en rendre compte. Les outils d’évaluation du risque, au premier rang desquels la Value At Risk (VaR) sont en pratique défaillants, parce qu’ils reposent souvent sur des hypothèses ne correspondant pas à la réalité des risques de marché. C’est le discours régulièrement tenu par Nassim Taleb (voir cet article ou celui-là) qui est très à la mode en ce moment. Dans ce cas, la solution réglementaire exigerait de limiter l’innovation financière et d’agir sur les incitations à prendre des risques non maîtrisés, notamment le mode de calcul des bonus des traders.

En somme, il ne suffit pas de dire qu’il faut "réglementer l’activité des institutions financières" pour trouver des solutions : encore faut-il identifier les problèmes, trouver des solutions (à condition qu’elles existent et ne soient pas trop coûteuses) et les appliquer. Et le fait est que l’histoire récente ne rend pas très optimiste sur la capacité de la réglementation à prévenir de façon satisfaisante les crises financières. Pour certains, la raison est facilement trouvée : la réglementation financière est inadaptée parce que le lobbying de l’industrie financière est efficace, et aboutit à ce que les régulateurs potentiels, par le mécanisme classique de "capture du régulateur", deviennent les premiers avocats du secteur qu’ils sont sensés contrôler. C’est possible, mais on n’a jamais trouvé de solution simple à ce problème. Et il faut envisager que les régulateurs soient, comme les institutions financières, incapables d’imaginer l’origine et l’ampleur des crises futures, et en permanence dépassés par les évènements et le rythme des innovations financières; qu’au bout du compte, les régulateurs fassent partie du problème beaucoup plus que de la solution.

Gizmo constatait que le système de réglementation bancaire, Bâle 2, était dépassé avant même d’avoir été vraiment mis en place. On peut même considérer que les accords de Bâle ont, jusqu’à présent, amplifié les problèmes plus qu’ils ne les ont résolus.  Les accords de Bâle première version ont incité à la création d’un "système bancaire fantôme", à base de titrisation et d’engagements hors-bilan, pour continuer d’accorder des crédits en contournant les contraintes du système. Le système s’est révélé procyclique au moment de l’affaire LTCM, il y a dix ans. Le système en effet impose une proportion entre le capital des banques et les crédits accordés. Résultat, en période d’emballement, les profits accrus des banques leur permettent de prêter encore plus; et en période de crise financière, les pertes à provisionner imposent de réduire les crédits, donc de céder des titres au moment ou ceux-ci baissent déjà, amplifiant encore la baisse. Comme le faisait remarquer C. Goodhart, le problème subsiste, et est même peut-être amplifié, avec le système de Bâle 2 (voir aussi Alea sur Bâle 2). C’est après tout la réglementation financière actuelle qui impose l’utilisation de modèles de VaR pour évaluer les risques, les contraintes en capital sur les crédits, le recours aux organismes de notation pour évaluer les titres, un cocktail toxique.

La réponse du régulateur, dans ces cas-là, consiste à dire "on fera mieux la prochaine fois". Mais apprendre des erreurs du passé n’est pas toujours une bonne façon de prévenir les risques futurs. On peut envisager de modifier les mécanismes de rémunérations des traders : mais quelles institutions seront vraiment concernées? Combien de temps faudra-t-il attendre pour voir des mécanismes contournant la réglementation apparaître? Après tout, si les traders sont rémunérés pour prendre trop de risques, c’est que les investisseurs eux-mêmes sont attirés par des rendements élevés, et sous-estiment les risques. La concurrence pour attirer les capitaux aboutit à la concurrence pour attirer ceux qui les font fructifier de la façon la plus rentable; et il est désespérément facile de créer des mécanismes extrêmement rentables pendant un certain temps, mais voués à s’effondrer au bout d’un moment (voir l’exemple d’Andy Lo, le fonds "capital decimation partners"). La vraie leçon de l’histoire n’est pas celle qu’indique P. Martin : c’est plutôt que jamais la réglementation financière n’a particulièrement réduit les cycles de la finance – elle a plutôt eu tendance à les amplifier. L’instabilité financière est là pour longtemps.

Plutôt que de chercher à éviter par la réglementation l’instabilité financière, il serait plus judicieux de chercher à en limiter les effets sur les individus : J. Kay cite la protection des petits déposants, faire en sorte que le système de paiements continue de fonctionner, même en période de crise, quitte à en prendre temporairement le contrôle public. Mais aussi peut-être faciliter l’accès à la faillite personnelle, plutôt qu’augmenter les conséquences de ces faillites sur les simples particuliers, tout en réservant les sauvetages aux institutions financières aux profits confortables. Créer des mécanismes financiers permettant aux gens de se protéger contre les risques qu’ils ne maîtrisent pas. Mais imaginer qu’il est possible de concevoir un système de régulation de la finance propre à en éliminer les fluctuations excessives est une présomption fatale.

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Alexandre Delaigue

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16 Commentaires

  1. Il n’y a pas que les actionnaires. Ce sont surtout les obligataires de BS qui ont la banane – et peut-être d’autres créanciers aussi. Si il y a risque moral, c’est donc là qu’il réside.

    Sinon (je sais que je vais passer pour un dinosaure, mais c’est bon j’ai des écailles), il serait bon de rappeler que le problème est né le jour où on a accepté le principe qu’une banque peut placer l’argent de ses clients, tout en leur promettant qu’il restera disponible à tout moment.

    Depuis ce jour, une grand part de l’énergie du monde financier est tendue vers cet objectif : en placer le plus possible. Les banques en ont placé 50%, puis 90%, puis 95%… crac! Alors on a mis un plafond, elles l’ont respecté, et de nouvelles entités financières (i.e. SIV) sont nées pour saisir l’opportunité. Re-crac! On va réglementer les SIV, et d’autres suivront qu’il faudra réglementer à leur tour, etc.

    La question à 100 euros est la suivante :

    Une fois qu’on rentre dans cette logique, la réglementation peut-elle être cantonnée aux activités financières?

  2. On ne peut pas réguler un systéme dont on ne connait pas les caractéristiques. Est il pertinent de rendre le systéme adaptatif en imposant une taille limite au fonds et banques, afin que les intelligences et stratégie se multiplie? Ou bien l’information circule telle tellement vite que les stratégie convergeront ( ce qui n’est pas trés glorifiant pour l’intelligence du systéme bancaire)?

  3. L’aléa moral s’est niché à deux niveaux : en dissociant les opérations de prêt (opérées par des établissements non réglementés) et la gestion du risque, un signal a été donné aux courtiers pour faire des opérations inconsidérées. Quand celui qui fait le crédit n’engage pas son argent, mais refile la patate chaude cachée dans du papier qui sera disséminé sur toute la planète, avec la bénédiction alphabétique des agences de notation, il est alors possible de foncer tête baissée.
    L’aléa moral se construit aussi quand les banques centrales et les états sauvent des banques ou des établissements du shadow banking system, en ne faisant pas la part de ce qui relève de l’illiquidité ou de l’insolvabilité ; elles donnent un signal favorable à la déresponsabilisation : il n’est qu’à voir la hausse des financières ces derniers 15 jours, surement tempérées aujourd’hui par les mauvaises nouvelles (UBS, Nothern Rock, Lehman)
    A l’aléa moral il faut joindre l’asymétrie d’information, car la complexité des techniques utilisées fait que les banques n’arrivent plus à estimer les actifs à leur juste valeur, allant jusqu’à ignorer les risques sous-jacents de ce qu’elles possèdent. Le rendement passe alors avant les risques, les risques avant LE risque. Quand on en arrive à considérer des titres adossés à des dettes empoisonnées comme du capital, quand le hors-bilan permet de contourner les ratios de fonds propres, quand les managers (énarques) ignorent les sens de ce que concoctent les ingénieurs financiers (polytechniciens), on se dit qu’il est temps de réglementer.
    Mais avant de réglementer le système, il faudra le sauver.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Le premier problème n’est pas tant un problème d’aléa moral qu’un problème d’ignorance sur la nature des actifs, liée à leur complexité. Quand bien même, à ce niveau, une réglementation des activités bancaires ne change rien au problème. L’autre problème génère en effet un aléa moral; mais imaginons que les banques, en 2002, aient eu la certitude que cette sauvegarde se ferait; quelle réglementation aurait pu les empêcher de créer des instruments financiers de contournement, pour profiter de la situation? Et même si on peut l’imaginer, aurait-elle été mise en place, étant donné ce qu’est le processus politique? Le problème de ceux qui disent “il faut réglementer dès lors qu’on sauve” se pose à ce niveau à mon avis.

  4. Vous semblez dire que les modèles mathématiques utilisés par les financiers ne sont pas adaptés à certains risques exceptionnels. Je suis tout à fait d’accord. En découvrant la notion de VaR, je tombe sur cet article (via NakedCapitalism)

    http://www.erisk.com/ResourceCenter/ERM/persaud.pdf

    qui dit la même chose.

    Son argument est intéressant : les modèles de marchés financiers sont des lois statistiques sur le comportement des autres investisseurs. A partir du moment où ils utilisent les mêmes lois que vous, elles deviennent fausses car leurs hypothèses ne sont plus vérifiées.

  5. @Gu Si Fang

    Le même auteur développe les mêmes idées ici :

    blogs.ft.com/maverecon/20…

    J’aime beaucoup ce passage :
    "If the purpose of regulation is to avoid market failures, we cannot use as the instruments of financial regulation, risk-models that rely on market prices, or any other instrument derived from market prices such as mark-to-market accounting. Market prices cannot save us from market failures. Yet, this is the thrust of modern financial regulation, which calls for more transparency on prices, more price-sensitive risk models and more price-sensitive prudential controls. These tools are like seat belts that stop working whenever you press hard on the accelerator."

  6. Bear Stearns n’est pas une banque. C’est un courtier et un trader. La Fed est intervenue parce que BS était une contrepartie majeure dans de nombreux trades (avec les problèmes de back office insurmontables que cela aurait posé)notamment avec des banques commerciales majeures. On peut également rappeler que en plus du prix payé, JPM a provisionné 6 milliards.

    Le problème est dans le trading, activité glamour, et complètement incomprise de 98% des traders et surtout de leur patrons. Taleb a absolument raison; la plupart des activités de trading font de petits profits la plupart du temps et une énorme perte (relative aux profits) une fois tous les saint glin glin; il suffit alors de ne plus être la.
    La stupidité s’abrite derrière une pseudo rigueur mathématiques (ah! l’évènement 6 sigma qui arrive tous les 3 ans), sans compter que plus ça dure plus vous pensez que vous marchez sur l’eau alors que vous êtes simplement veinard.

    Il faudrait revenir a Glass-Steagall et interdire le trading aux banques commerciales (et peut être multiplie par 2 ou 3 le montant de capital qu’elles devrait avoir). La banque commerciale est un service public essentiel qui devrait être aussi pépère que la fabrication de yaourt.

    En France, il faudrait aussi interdire aux premiers de l’Inspection des Finances de pantoufler, ils ont une trop fâcheuse tendance a se prendre pour les rois du pétrole.

  7. J’ai du mal à comprendre pas mal de trucs sauf "Le problème est dans le trading, activité glamour, et complètement incomprise de 98% des traders et surtout de leur patrons."

    Dans ce cas à mon avis, le trading compris par les 98% devient la nouvelle définition de trading, et c’est les 2% restant qui ne font plus du trading… mais autre chose (comme j’ai pas compris j’hésite: "trading à vrai risque" ?)

  8. Pas tout à fait d’accord avec vous sur l’évacuation de l’aléa moral. Vous établissez bien que les actionnaires de BS sont convenablement punis dans ce sauvetage, mais la généralisation aux dirigeants et employés ne tient pas.

    La finance de marché est en effet un des rares domaines où la rapport de force actionnaires-employés penche lourdement en faveur de ces derniers. Les bonus de Wall Street et de la City pour 2007 ont battu des records alors même que les banques commençaient à reconnaître des pertes massives.

    S’agissant de Bear Stearns spécifiquement, rien n’indinque que les traders stars ou les dirigeants souffrent particulièrement de la situation qui voit leurs actionnaires perdre l’essentiel de leur investissement.

    Bref, l’aléa moral est là est bien là. Mais il se situe au niveau des dirigeants et des employés, pas à celui des actionnaires. C’est d’ailleurs pour cela que l’on réfléchit à réglementer la rémunération des traders.

    Paradoxalement, le système souffre de l’insuffisante prise en compte de l’intérêt des actionnaires. C’est d’ailleurs le cas des grands scandales de gouvernance de ces dernières années (Enron, Worldcom, Parmalat…) Chacun de ces cas peut se concevoir comme une démarche consciente de la part des dirigeants pour augmenter le couple risque/rémunération en prenant la rémunération et en faisant porter le risque sur leurs actionnaires.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Assez d’accord sur ce point : mais le pouvoir de marché des traders et dirigeants des banques vient du marché du travail lui-même, du simple fait qu’un trader qui gagne beaucoup pendant une période de temps raisonnable sera toujours recherché par les banques, parce que c’est ce que les investisseurs demandent. S’ils ne sont pas recrutés par les banques, ils le seront par les hedge funds, ou des structures ad hoc qui apparaîtront pour leur offrir le salaire que les investisseurs, au fond, aspirent à leur donner. En somme, je vois mal comment la réglementation pourrait régler le problème de façon satisfaisante.

  9. Sait on pourquoi la traduction francaise de moral hazard est si mauvaise? Si la combinaison de ces deux mots renvoit clairement a un concept d’economie a connaitre, on aurait pu tout de meme en rendre le sens transparent en utilisant des mots qui permettent de deviner quoi il s’agit.

  10. @ unestranavecvue : "effet boomerang" en psychologie

    Voir aujourd’hui la corrélation entre les pertes énormes annoncées par UBS, son manque de visibilité pour l’avenir, et sa forte hausse en bourse : les investisseurs survalorisent les informations données par Paulson, analysées dans ce billet, et minorent (ou occultent purement et simplement) les mauvais résultats de la banque.

  11. "(sauvetage qui nécessite, en contrepartie, que les institutions financières soient réglementées)"

    Comment cela ?

  12. @ Passant
    Annoncer que les missions de la Fed sont à revoir sur le court, moyen et long terme, c’est déjà dire que sa politique et ses instruments de régulation (ainsi que les organismes chargés de la surveillance) ont échoué ; il est normal et sain de vouloir réformer après une crise, mais pour l’instant on est dans l’immédiat d’une crise avec les dispositifs existants.

  13. Autant je (JE) suis d’accord avec la plupart des arguments présentés (encore que je ne vois pas en quoi le fait que les actionnaires de BS aient perdu de l’argent montre qu’il n’y a pas de problème d’aléa moral, ils auraient probablement perdu beaucoup plus sans intervention de la BC), autant je ne le suis pas forcément avec la conclusion. Certes la réglementation bancaire est très défaillante, est-ce suffisant pour estimer qu’il vaut mieux ne pas réglementer les banques du tout ? A quel point est-elle défaillante ?

    Rappelons-nous qu’il y a tout de même eu dans l’histoire (notamment américaine) des périodes où les paniques bancaires étaient monnaie courante et les conséquences pour les consommateurs bien pires que les crises financières d’aujourd’hui. Qu’il y ait toujours des crises bancaires certes, qu’il y en ait autant et qu’elles aient des conséquences aussi graves, bien moins sûr.

    La réglementation elle-même joue-t-elle un rôle dans la crise ? Bâle I et le hors bilan que ces accords ont généré sans doute – encore que, même sans Bâle I, les banques auraient eu intérêt à faire la même chose pour être mieux notées par les agences de notation qui auraient pu se faire avoir quelque temps par le hors bilan. Ce sont d’ailleurs les agences de notation qui ont été les premières à utiliser des modèles de VaR et donc à inciter les banques à réfléchir en ces termes. La régulation n’a fait que suivre la mode.

    Enfin quels sont les autres choix ? Ne rien réglementer ? Ce serait probablement bien pire. Protéger les déposants ? Mais c’est déjà le cas puisque les dépôts sont assurés ; jusqu’à présent aucun déposant n’est allé voir sa banque pour trouver un guichetier peiné de lui apprendre que son argent avait disparu !

    Pour autant que je puisse en juger, le gros problème des règlementations actuelles me semble bien celui de capture de la régulation que vous évoquez. Beaucoup de documents du comité de Bâle se félicitent de la convergence des objectifs, des modèles et des méthodes des banques et du régulateur. On a même parfois l’impression qu’ils oublient que le secteur bancaire est réglementé parce que soumis à de nombreuses externalités, qui font que l’objectif du régulateur est par définition différent de celui des agents dont il régule l’activité.

    La réglementation financière doit donc certainement être profondément repensée, en se débarrassant notamment de cette idée assez arbitraire que coopération entre régulateur et banque est souhaitable et nécessaire. Bien sûr, comme dans toute régulation, ceux qui posent les règles et ceux qui cherchent à les contourner font toujours la course. Est-ce une raison pour ne pas la courir ? au nom du même argument, des biologistes expliquent qu’il faudrait arrêter de chercher de nouveaux médicaments, qui ne font que favoriser l’apparition de virus plus puissants – mais les malades ne sont pas convaincus.

    De même (voire surtout), quel gouvernement prendrait le risque de voir débouler dans la rue la foule des déposants en colère hurlant "I want my money back" ? du moment que le sauvetage est politiquement inévitable (et où la solution "sauvetage sans régulation" est inenvisageable), il n’y a pas tellement de choix…
    [Commentaire affreusement long, mais il compte pour 2].

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Le problème est double : premièrement, peut-on imaginer une forme de réglementation financière qui, si elle avait été en place en 2002, aurait évité la crise actuelle? Pas évident du tout, même avec l’avantage du recul. Parce qu’une partie significative de l’innovation financière ne sert à rien d’autre qu’à contourner les contraintes réglementaires. Je suis assez d’accord avec R. Haussman sur le blog de Rodrik : il faut ajouter à la discussion les conditions macroéconomiques, et la réaction des banques. Au total, imaginer qu’on peut concevoir une réglementation évitant la prochaine crise est un exercice intellectuel impossible. Et quand bien même il serait possible, on tombe sur le second problème : est-ce que cette réglementation “efficace” aurait eu quelques chances d’être mise en place? La capture du régulateur est un problème normal, dès lors que les premiers spécialistes du sujet sont aussi ceux qui travaillent dedans, qui font des aller-retour entre autorités de réglementations et banques. Plutôt que de se lancer dans la course à l’échalote de la réglementation bancaire efficace, on pourrait se demander comment protéger le reste de l’économie des fluctuations financières. Les réponses qu’on trouverait en se posant cette question me semblent plus utiles que celle qu’on trouverait en essayant d’éviter la crise précédente sans succès.

  14. L’histoire des crises bancaires semble montrer que, en autres paramètres, ce sont souvent l’échec des modèles, représentation de la compréhension de la finance par ses acteurs, qui provoquent les crachs.

    D’où la question : même si on dé-corrèle la manière de fonctionner des banques et des régulateurs, on n’évacue pas le risque de faillite du modèle, qui ne manque jamais d’arriver. Dans le meilleur des cas, les défaillances du modèle des banques pourraient être anticipées par celui des régulateurs, évitant ainsi le cataclysme. Mais on serait face à un risque inédit : que se passerait-il en cas de défaillance du modèle du régulateur lui-même ?

  15. @Julien : en fait c’est justement en cela que Bâle II est original, l’idée est de laisser les banques développer leurs propres modèles de risque et de s’en servir pour les réguler. Ce qui pose des milliers de problèmes fort intéressants mais est en tout cas une approche innovante.

    Pour les modèles ce que vous dites est vrai, mais on voit mal comment il en irait autrement vu qu’un crash repose généralement sur une erreur de prévision et qu’une prévision repose souvent sur un modèle (plus ou moins compliqué). Depuis quelques années d’ailleurs on a un nom pour ce problème, c’est le "risque de modèle". On développe même des méthodes très compliquées pour se couvrir contre ce risque.

    Bref tout ça pour dire que c’est des problèmes pas simples tout ça et que y a plein de gens qui sont payés à plein temps pour réfléchir dessus.

    Rassurant, non ?

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