Il y a une vingtaine de jours, Olivier Blanchard avait provoqué la surprise en annonçant son intention de voter pour N. Sarkozy. J’avais expliqué à l’époque pourquoi ses arguments ne m’avaient pas convaincu. Aujourd’hui, ce sont 27 économistes de grande qualité qui publient dans les Echos un appel en faveur de Ségolène Royal (texte complet chez Etienne Wasmer si le lien des Echos devient inaccessible). Autant le dire tout de suite, eux non plus ne m’ont pas convaincu. Leur appel en tout cas, mis en parallèle avec l’article de Blanchard, met en évidence des aspects intéressants.
Dans son article, Olivier Blanchard expliquait que trois points majeurs faisait consensus parmi les économistes : La nécessité d’améliorer les relations sociales pour permettre des réformes, l’inefficacité de la protection de l’emploi, et le mauvais fonctionnement du système éducatif, notamment universitaire. Et on peut noter que ce sont pratiquement ces mêmes aspects qui sont mis en évidence dans l’appel d’aujourd’hui. Les auteurs marquent la nécessité de rendre plus efficace le système éducatif, de réformer le système universitaire; accroître l’efficacité de l’Etat, permettre aux entreprises un fonctionnement plus flexible sans pour autant précariser les individus, améliorer le fonctionnement du système fiscal, favoriser le travail des femmes. Aux différences de formulation près, le diagnostic de consensus de Blanchard tient.
On peut interpréter de deux façons cette proximité de diagnostic. Premièrement, cela montre que contrairement aux idées reçues, les économistes sont le plus souvent d’accord sur l’essentiel; D’un autre point de vue, les esprits chagrins pourront se dire que ce diagnostic n’est pas franchement spécifique aux économistes. Pour autant, les priorités sont les mêmes, et cela mérite d’être signalé.
La différence porte donc sur un seul point : qui est le plus à même, à partir de ce diagnostic, de mettre en oeuvre la politique la plus efficace. Blanchard concluait sur un avantage pour Sarkozy sur ces grands points de diagnostic; eux expliquent aujourd’hui que Ségolène Royal est plus à même de le faire. Néanmoins, là ou Blanchard avait cherché à comparer les propositions sur chacun des points, pour eux la comparaison n’est pas présente, sauf sous forme de deux piques indirectement adressées à N. Sarkozy (du moins je suppose qu’il faut lire comme cela “il faut soutenir l’innovation, l’investissement, et non la rente” et plus loin “réformer l’Etat en mobilisant les fonctionnaires, et non en leur jetant l’opprobre”). Mais eux aussi restent dans l’incantation du volontarisme. Selon eux, S. Royal “veut” investir dans la recherche, “veut” des négociations salariales, “veut” réformer l’Etat, etc. Ce type d’argument tendance méthode Coué me laisse perplexe.
Quant à la dernière phrase du paragraphe, Elle choisit de stabiliser les prélèvements obligatoires et de réduire progressivement la dette publique pour financer ces réformes structurelles, au lieu de promettre des baisses immédiates J’avoue ne pas la comprendre. Je me doute que proposer “la stabilisation des prélèvements obligatoires” est moins irréaliste que d’annoncer leur diminution si l’on veut simultanément réduire l’endettement et augmenter les dépenses publiques; cela reste, pour autant, bien peu réaliste. Surtout, je me retrouve à faire sur cet appel exactement les mêmes critiques qu’à Blanchard, principalement l’application d’un modèle particulièrement peu élaboré de la décision politique. On a vraiment l’impression, à la lecture des deux manifestes, que l’on va élire un potentat tout-puissant dont la volonté vaut action. La réalité de la société française, la réalité des processus politiques y sont pratiquement absents. Le biais d’ingénieur social souvent présent chez les économistes reste donc bien présent.
Or comme le rappelait Etienne Wasmer, intention ne vaut pas action. Il faut se demander premièrement quels sont les programmes qui peuvent être concrètement appliqués (sur ce plan mieux vaut se rapprocher de l’électeur médian) et quels candidats susciteront un rejet ou une adhésion leur permettant de mettre en oeuvre leur programme. Et on peut interpréter cet appel favorable à S. Royal dans ce sens. Ses auteurs semblent penser implicitement que son attitude et sa façon de procéder seront plus à même d’obtenir des réformes que la méthode et le personnage de Sarkozy. Sauf que rien dans l’expérience des socialistes au pouvoir (ah, la grande concertation pour les 35 heures…), et surtout rien dans la pratique passée de Ségolène Royal lorsqu’elle a participé à des gouvernements ne laisse présager ce genre de choses.
Je me retrouve donc à devoir quasiment recopier ma conclusion : les économistes ne sont pas dans leur rôle lorsqu’ils déclarent leur adhésion à un candidat. Cela revient le plus souvent, hélas, à un argument d’autorité contre un autre au détriment de l’analyse de la réalité des programmes. Et c’est oublier que les choix politiques sont le plus souvent très personnels et poussent à la rationalisation a posteriori de préférences plutôt intuitives. Comme l’ont abondamment exposé les auteurs et surtout les commentateurs (chez Salanié, chez Wasmer, et ici) ce qui est intéressant c’est que cela traduit la nouvelle importance et le nouveau rôle des économistes dans les débats publics. De la question du chiffrage à l’évaluation des programmes, les discussions autour de l’économie dans cette campagne n’auront pas, et de loin, été les plus mauvaises, et on peut s’en réjouir.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
Voyez-vous un argument pouvant invalider l’hypothèse selon laquelle ces 27 économistes soulignent en creux dans leur discours que la question de la productivité des fonctionnaires, et notamment, des fonctionnaires appartenant à des corps aux effectifs importants ("l’Etat doit devenir plus efficace, fixer des missions aux services publics et les évaluer.") est la clé de la stratégie qu’ils défendent ?
Je ne suis pas certain d’avoir compris la question. Et je ne suis pas sûr que lesdits économistes “défendent une stratégie” et que celle-ci a une “clé”. Mais il me semble que beaucoup de gens veulent accroître la productivité dans la fonction publique. Simplement, on se demande comment faire. Chez Sarkozy, cela passe par un salaire qui augmente avec le rendement. Pour Royal, si je comprends bien, ce sont les talents naturels pour faire passer les réformes.
Mais l’économiste n’est-il pas foncièrement convaincu de l’inopérance de l’action politique en matière économique, surtout si elle passe par des messages formulés, non comme des actions à mener, mais comme des résultats dépendants seulement des bonnes intentions de ceux qui les annoncent ("politique de l’emploi", "politique industrielle", etc.) ?
Il n’y a pas d’inopérance de l’action politique, simplement la loi des conséquences inattendues qui rend très compliquée la transformation d’intentions en actions, puis en résultats.
"Il faut attaquer l’échec scolaire à la racine, réformer les universités et offrir une formation professionnelle tout au long de la vie, car le capital humain est le déterminant fondamental de notre croissance. "
Au Café du Commerce dont je me glorifie d’être un pilier on n’est pas toujours très sobre, mais on a notre fierté: on ne débiterait jamais une tel torrent de banalités .
Ces 27 économistes doivent être des buveurs d’eau.
a mon café des sports, les banalités sont plutôt sur les immigrés et les étrangers qui détruisent nos emplois et notre société, sur la paresse des fonctionnaires, tout particulièrement dans le domaine éducatif, et sur Bruxelles qui nous pique tout. Vous avez de la chance de fréquenter un café du commerce aussi bo-bo.
Disons qu’il m’était venu à l’esprit que le thème de la "professionnalisation de la fonction publique" (pour employer la terminologie consacrée de l’époque) était un thème cher au tandem Jospin/DSK de 1996 dont il me semble que certains signataires étaient proches à l’époque. J’ai donc le sentiment que ces signataires s’imaginent pouvoir "dompter" Royal.
Il me semle donc que ce que disent ces économistes n’est pas "Votez Royal", mais "votez pour nous : nous sommes bien placés auprès de Royal et nous avons un plan(c)(tm)"
Peut-être. Mais je crois qu’ils sont victimes dans ce cas du biais d’ingéniérie sociale des économistes, qui conduit à négliger les éléments de base du public choice.
Deux remarques viennent a l’esprit:-
– Le fameux consensus entre économistes ne parait pas correspondre aux soucis de l’électeur moyen. Tout au moins si l’on en croit le genre de questions posées aux politiques dans les émissions de grande écoute;
– Il est encourageant de constater que, dans le pessimisme ambiant, économiste est une profession confiante en sa vocation a guider les masses. Je ne crois pas avoir encore vu une pétition de puéricultrices ou de pâtissiers en faveur de "Motherhood and Apple pie" qui sont pourtant des préoccupations beaucoup plus populaires;
Alors les économistes de 2007 seraient ils les Pascal Sevran, Dalida et autres Line Renaud d’hier?
Vous êtes sévère. Si les économistes veulent jouer les nouveaux guides des masses, cela dit, c’est plutôt un progrès par rapport à Line Renaud.
En prenant du recul je pense qu’il est plutôt positif, pour la démocratie, que certains économistes se prononcent pour des candidats différents et que d’autres pensent que là n’est pas leur rôle. Cette diversité renforcent la validité de différents choix.
Que diriez vous si :
1) tous les économistes se prononçaient pour un seul candidat ? Ce serait bien triste.
2) Ou si aucun d’entre eux ne se prononçait, laissant l’electeur devant une analyse de chaque mesure individuelle ? Cela serait un peu trop technique, manquerait de piment, de surprise.
3) Ou si aucun n’avait votre démarche consistant à ne pas exprimer (clairement) une préférence ? Cela dévaloriserait l’économie, en tant que science, laissant penser que les analyses économiques ne sont que des opinions.
Ne sommes nous pas finalement dans la situation la plus saine pour notre démocratie ?
La constitution stipule que le vote est secret. La règle vaut pour tous, économistes compris. Ce secret du vote est une condition de la démocratie pour qu’elle ne bascule pas vers la tyrannie de la majorité par pression collective. Donc le secret du vote reste une position selon moi supérieure à celle de sa publicité.
Maintenant que les économistes soient à la fois une profession homogène dans son diagnostic de la société et diverse dans ses opinions politiques, je trouve cela très bien. C’est la meilleure contradiction que l’on puisse apporter à ceux qui prétendent que les économistes ne sont qu’une bande de décérébrés dont la science n’est qu’un fatras de préjugés.
À lire l’article dans les Echos hier matin, je me suis demandé : Mais pourquoi des économistes pensent-ils qu’ils doivent consacrer du temps et de l’énergie à rédiger un tel appel pour leurs concitoyens et dans un quotidien comme Les Echos ? Qui veulent-ils convaincre ? Quelle opinion se font-ils d’eux-mêmes et/ou de leur discipline pour penser qu’il faut consacrer des ressources rares pour rédiger et faire publier cet appel ? Qu’ont-ils derrière la tête ? Quelle est leur motivation ? Pensent-ils que, en tant qu’économistes de prestigieuses institutions dûment citées, ils seront écoutés et suivis ?
Je n’ai pas de réponses, que des questions…
Je n’ai pas de réponse non plus. Je crois que certaines dynamiques propres à un groupe de gens proches professionnellement et politiquement échappent à ceux qui n’en font pas partie.
Je suis d’accord sur le fait que dire "je veux" est moins efficace que dire "comment", mais c’est une condition nécessaire.
D’une part, les objectifs sont à proposer par les décideurs politiques (soumis au choix démocratique) et les moyens d’y parvenir sont plutôt le lot des experts et de l’administration. Chacun son job. Cette conception est relativement partagée (cf. le post de méthode sur ecopublix.eu), et à mon sens beaucoup plus "propre" que de lister des mesures dont les effets sont multiples (et le diable est souvent dans les détails…).
D’autre part, il ne me semble pas que les volontés mentionnées soient celles des composantes néo-marxistes et populistes du PS. Cet appel des 27 oriente les priorités de SR, ça me semble clair. En termes de lutte pour la rénovation social-démocrate du PS, cet appel est une contribution importante pour mettre en balance les propositions d’extrême gauche, et lutter contre les objectifs illusoires ou farfelux. A défaut de DSK, si SR est finalement élue sur des objectifs socio-démocrates, même à son insu, c’est à mon avis plutôt mieux. Il sera d’autant plus facile, par exemple, de rendre autonome les universités, si il est clair que c’était dans le programme de SR. La hiérarchie des objectifs dans la tête des électeurs est fondamentalement définie par le nombre de fois où ils sont mentionnés.
C’est vrai. Mais c’est amha donner un poids à la volonté politique supérieur à son impact réel.
Je ne vais pas répéter ici ce que j’ai déjà dit dans mes commentaires sur les sites de Salanié et Wasmer que vous citez. Nous sommes bien d’accord sur le fait que les économistes n’ont pas à se faire directeurs de conscience.
Par contre, comme Bernard Girard et vous-mêmes, je salue leur irruption dans le débat public, notamment sous la forme de ces blogs (Salanié, Wasmer, Bouba-Olga, Ecopublix, Optimum, Maurin, Econoclaste…) qui constituent un formidable outil d’éducation populaire au sens le plus noble du terme. Je trouve en effet que, sur ces sites et quelques autres moins spécialisés (ex : http://www.eurotrib.com ), les débats sont souvent d’une très grande qualité. De plus, leur effet en retour sur les médias (on commence à les voir cités) devrait aider ceux-ci à sortir de la facilité… Si ce phénomène, comme je l’espère, se maintient et se développe, j’y vois un progrès important pour la démocratie.
Je trouve aussi (et merci pour les compliments). Il y a des domaines dans lesquels l’internet peut jouer un rôle. En matière juridique et économique; de façon générale dans les domaines dans lesquels une expertise est utile, donc également dans les sciences, l’internet a un rôle pédagogique et de débat à jouer. Je serais plus sceptique sur son impact en matière de pure politique.
Il serait intéressant de connaître l’avis d’Olivier Blanchard sur les autres thèmes de campagne développés par Sarkozy : l’identité nationale, la sécurité, etc… Voter Sarkozy, ce n’est quand même pas neutre. Si on vire à droite et qu’on n’est pas satisfait du positionnement de la gauche sur les questions économiques, il y a d’autres choix que Sarkozy, Bayrou par exemple (choix de Peyrelevade). Devenir une sorte de neo-réactionnaire à la française, c’est, au delà des questions purement économiques, partager une vision du monde qui n’est pas la mienne.
Je ne peux pas répondre à la place de Blanchard, mais je crois sur ces questions à un “effet expatrié” qui crée un filtrage de l’information. Que l’on peut interpréter dans deux sens : soit comme un filtre qui conduit à négliger des énormités parce que la presse étrangère n’en fait pas le lancinant rappel permanent (il a fallu un certain temps par exemple pour voir dans le financial Times la reprise critique du discours protectionniste et anti-européen de Sarkozy. Soit comme un filtre qui enlève le superflu et préserve l’essentiel. Il faut envisager l’idée qu’à trop suivre une campagne on subit une quantité trop importante d’information et que cela devient contre-productif.