Et du coup je me suis couché tard…

J’ai lu Et pourtant je me suis levée tôt… d’Elsa Fayner.

Oui, le titre est bon, commercialement parlant. Et oui, il a attiré mon attention sur le livre. Facile, mais à force, quand c’est compliqué, ça use. Des fois, quand c’est simple, c’est bien. Au départ, je pensais ne pas en parler du tout. Puis, j’ai songé à l’évoquer sur le blog. Je me suis ensuite demandé si une note de lecture classique ne serait pas une bonne idée. En définitive, ce sera un genre de note sur le blog. Je pensais lire une histoire vraie, pas très vraie, romancée, peut-être larmoyante sur les bords. Ce texte n’a rien à voir.

Rappel des faits, en deux mots : Fayner est journaliste. Elle décide de faire une enquête sur le travail précaire, en se mettant dans la peau d’une licenciée en philo qui cherche un job. Sur trois mois, elle bosse comme télévendeuse, employée au self d’Ikea et comme personnel d’étage dans un hôtel 4 étoiles. Tout ça à Lille. Elle raconte ça en un peu plus de 150 pages.

Elle m’a prévenu : oui, elle sait que ce qu’elle a fait n’est qu’une immersion temporaire, elle reste elle, son expérience n’est que parcellaire, etc. etc. Mais ça doit aider à mieux comprendre. Ok. On s’attend à pleurer ou à se marrer d’écoeurement. On pleure pas. On rit, mais le bouquin n’est pas drôle. Je veux dire que tout est dans le non-dit, même si par moment, ça la démange d’en rajouter une couche. Peut-elle le faire ? Elle s’est outé auprès de toutes les boîtes et de tous les gens rencontrés. Pas facile dès lors de prendre les choses à la légère, j’imagine. Respect, prudence ? Peu importe.

L’autre truc qui fait qu’on rit peu, c’est que ce près de la moitié des pages portent sur des éléments plus généraux que ceux tirés de son expérience. Chaque chapitre est composée d’une part de récit de son immersion et d’une part de synthèse élaborée à partir de documents académiques, de rapports, bref d’analyses très générales. Au total, le bouquin est un reportage. Mieux, un reportage télé, mis en livre. On a le terrain, les commentaires off, les experts invités à témoigner en retrait de la scène. Et une grande neutralité, au moins de façade. Je ne sais pas si c’est ce que je voulais lire. D’un lecteur à l’autre, le contenu sera vécu différemment. Il y a ceux qui auraient aimé plus d’actions et moins de blabla socio éco. Et ceux à qui l’équilibre obtenu conviendra.

De quoi il parle ce livre ? De choses connues. Très connues. Avec le recul, la promo faite au bouquin est même un peu imméritée. Il n’est pas très original dans le contenu. C’est la forme qui est bonne. Et, n’exagérons pas non plus, l’expérience qui le soutient est pas mal. Donc, les thèmes… Le marche du travail pour les jeunes, non qualifiés ou mal qualifiés. Dualisation, chômage et compagnie, quand fayner égrène les statistiques relatives à l’interim, aux tarvailleurs concernés et raconte la vie de ses collègues de travail de quelques semaines. Question aussi de néotaylorisme, ce système bien décrit par ailleurs (chez Guillaume Duval, par exemple, qui en offre une description agréable à lire et limpide). Des télévendeurs qui vont pisser une fois par jour ou presque, abrutis par des challenges dérisoires, dans des conditions d’infantilisation ou d’humiliation quotidiennes, espérant passer du côté des chefaillons CDIstes. Chez Ikea aussi : mieux, bien mieux, psychologiquement parlant. La grande famille des meubles est décrite comme un lieu où polyvalence rime avec agitation de tous les instants, fatigue accumulée dans la bonne humeur, mais où les salaires en passeraient presque au second plan. Et des tâches qui sont finalement répétitives, même si on en fait plein. Il est question de logique de l’honneur aussi, d’amour du métier, quand les femmes de chambre d’un hôtel 4 étoiles tiennent la baraque, poussées par la supervision sournoise de la direction et de ses indics, autant que par le besoin de faire bien les choses, parce qu’une chambre bien présentée pour les clients qui arrivent, c’est quand même ce qui fait que se lever le matin peut garder un sens. On pense très fort à Askenazy (et on le retrouve dans la biblio du livre). Un peu à Philippon ou à Algan et Cahuc.

Je n’ai pas appris grand chose des passages d’analyse, parce qu’ils contiennent effectivement des choses que dans l’ensemble je connaissais. Mais il est intéressant d’avoir la mise en perspective permanente du terrain et de l’analyse. Pour être tout à fait honnête, sur les stats rappelées par l’auteur, beaucoup m’avaient échappé, au moins dans le détail. J’ai donc apprécié de les avoir sous les yeux, comme d’autres broutilles utiles.

Un message politique ? Pas vraiment. Du moins, je pensais trouver quelque chose de plus marqué. Si dire que la vie d’une nana non diplômée de 25 ans qui va de plateformes téléphoniques en emplois de vendeuse, en revenant toujours à la case départ parce que l’herbe n’a pas été plus verte ailleurs n’est pas cool, si dire cela est un message politique, alors le livre en contient un. Sinon, l’optique d’Elsa Fayner est plutôt de décrire et comprendre. Pas de condamnation, pas de trémolo dans le stylo. Sur Ikea, on lit que globalement, ce n’est pas l’enfer, qu’il peut exister une certaine cohérence entre discours et réalité. Même si le discours n’est pas, avec le recul, une panacée. Au sujet des plateformes de télémarketing, on apprend que certaines sont plus humaines que d’autres et marchent aussi bien. Et puis il y a ce début : partie chercher un job de caissière ou vendeuse, Fayner s’aperçoit assez vite qu’elle n’en trouvera pas. Trop demandé…

Globalement, un travail journalistique honnête et pas racoleur, ce que son lancement ne laissait pas autant supposer. Il se lit vite et bien.

Edit : à la relecture, je me rends compte que j’ai oublié de dire une chose importante : mon résumé est rapide. L’analyse du travail qui est apportée dans le livre est plus large dans les aspects abordés, sinon fouillée (manque de place), que ce que mon billet ne le laisse penser.

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3 Commentaires

  1. "partie chercher un job de caissière ou vendeuse, Fayner s’aperçoit assez vite qu’elle n’en trouvera pas. Trop demandé…"

    Voilà une réalité très cachée du monde du travail. Dans ce registre, j’ai été stupéfait d’apprendre que le boucher d’un petit village avait décidé d’abandonner son activité pour prendre un poste à l’usine. Il m’a assuré gagner plus en travaillant moins.

    Le discours sur la « pénibilité » du travail me parait très déconnecté de la réalité vécue.

  2. Dans le même genre, il y avait un très bon bouquin de Barabra Ehrenreich, "l’Amérique pauvre" sur les jobs précaires aux USA. Intéressant

    Réponse de Stéphane Ménia
    A tout seigneur, tout honneur, c’est d’elle que s’est inspirée Fayner dans sa démarche.

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