Encore une réforme ratée pour le Président Sarkozy

Si l’on devait résumer l’insuffisance de la réforme des retraites votée ces jours-ci, on pourrait faire référence à ce qui se dirait à Bercy, à savoir que puisqu’elle dérange, c’est qu’il s’agit d’une vraie réforme. Depuis quand une vraie réforme est-elle une bonne réforme ?

Opposer la rue, la Gauche, les syndicats d’un côté et le gouvernement et les gens raisonnables est une lecture aussi stupide que malheureusement concrétisée par l’opposition en cours. Les économistes ont globalement un point de vue différent, on s’en serait douté, même quand dans le feu de l’action politique, ils choisissent un camp. Tous relèvent que l’équilibre du système n’est à peine garanti que jusqu’en 2020. Laurence Boone signalait récemment que si des modifications prévisibles sont obtenues par les syndicats, cet horizon se réduira encore. Ainsi, à cette réforme, une autre devra succéder. Et c’est bien là que le bat blesse et conduit les gens à se montrer défiants vis-à-vis du texte actuel.

La nécessité de pérenniser le système est admise par une large majorité des Français. Le fait que cela ne sera pas, en probabilité, sans coût, qu’il s’agisse de cotisations plus élevées, de pensions plus faibles ou d’un départ plus tardif ne leur a pas échappé non plus. Pourquoi tant de réticences alors ?

Pour deux raisons essentielles. La première, c’est que le problème de la difficulté à travailler en France n’a toujours pas été considéré dans le projet comme la variable cachée du système de retraites français. La difficulté ne réside pas fondamentalement dans la question du chômage, y compris celui des seniors. Bien qu’il soit élevé, et que le taux d’activité des seniors soit faible, reculer de deux ans l’âge de départ en retraite maintient dans l’emploi un nombre non négligeable d’individus. D’autre part, on peut, sans véritablement le chiffrer espérer une modification de la demande de travail vis-à-vis des salariés de 50 ans et plus, du fait du recul du départ à la retraite.

C’est l’occasion d’utiliser brièvement le désormais célèbre modèle d’appariement des tout nouveaux Nobel d’économie. Un emploi représente pour une entreprise un gain et un coût. Le coût se mesure à divers degrés, avant l’embauche et pendant le contrat. Dans ces derniers, on peut citer le coût de l’intégration au poste et l’effort du salarié (qu’on peut supposer décliner à l’approche de la retraite). L’allongement de la durée de travail a pour effet d’accroître les gains cumulés d’un emploi et donc d’accroître la différence entre les gains et les coûts de l’emploi. En d’autres termes, si j’embauche quelqu’un qui me rapporte 50 par an et me coûte 150 à installer, je dois l’embaucher au moins pour 3 ans pour compenser (sans actualiser, pour faire simple). Un départ en retraite plus tardif accroît donc l’intérêt d’embaucher des salariés plus âgés, toutes choses égales par ailleurs. Sans ignorer les autres freins à l’embauche d’ordre socio-psychologique, on peut s’attendre à une amélioration, aussi marginale soit-elle, sur l’emploi des seniors. Au passage, il est assez cocasse et déprimant de constater, comme j’ai pu le faire aujourd’hui à la télévision, que des représentants de l’UNEF tiennent le discours arithmétique sur le chômage selon lequel plus de seniors sur le marché du travail, c’est moins de travail pour les jeunes. Cocasse, parce que je me souviens d’un ministre de Jacques Chirac, sous le gouvernement Villepin, qui nous annonçait qu’avec le départ en retraite des Baby Boomers, les portes de l’emploi s’ouvriraient grandes pour les jeunes. Ce ministre n’était autre que François Fillon. Et les portes sont restés plutôt closes. Déprimant, parce que cette idée que le nombre d’emplois dans une économie est une constante exogène est fausse mais a la vie dure.

Ainsi donc, si le chômage des seniors n’est pas anodin, on peut espérer que la situation ne s’aggrave pas. Le fond du problème est donc ailleurs. Il réside dans ce qu’on peut appeler la toxicité du travail en France. On dispose désormais sur le sujet aussi bien de faits divers que d’analyses fouillées. Du côté des économistes, Philippe Askenazy posait dès 2004 le problème. Depuis, Thomas Philippon et Eric Maurin (qu’il est encore bien temps de lire et… de chroniquer !) ont apporté des contributions très éclairantes. On pourrait les résumer en disant que le travail est au centre des préoccupations des français, davantage que de celles des habitants de pays comparables. Nous considérons le travail comme une valeur importante et comme une activité particulièrement épanouissante par nature. Dans le même temps, l’organisation de nos entreprises et les relations sociales qui y prévalent, le fonctionnement du marché du travail et du système éducatif produisent une crainte du déclassement qui conduisent à nous accrocher à un emploi, même lorsque celui-ci est particulièrement insatisfaisant. De ce point de vue, la retraite est la libération ultime. La retarder de deux années est une rude perspective.

Ce phénomène est la raison essentielle pour laquelle deux années de plus sont deux années de trop dans notre pays. Rien ne justifie que la réaction du français moyen soit différente de celle de ses homologues des pays européens où l’âge du départ à la retraite est à plus de 60 ans. Mais ce n’est pas la seule. La seconde peut du reste y être en partie rattachée, comme on va le voir.

Au jour d’aujourd’hui, hormis le fait que l’on partira deux ans plus tard à la retraite, quelle garantie nous donne-t-on ? Comme le dit un slogan qui semble se diffuser petit à petit : “Pourquoi 62 ans (ou 67 ans selon les versions) ? Pourquoi pas 69, quitte à se faire baiser…”. C’est en cela, notamment, que la réforme dont certains sont si fiers à Bercy – parce qu’elle dérange -, est absolument lamentable. Elle donne des certitudes sur les coûts, mais n’offre absolument pas de perspectives en matière ni de gains, ni de possibilité de lisser les coûts dans le temps. On le sait pourtant, il existe une solution générique qui ne donne pas de repas gratuit mais remet en perspective le contrat social entre générations. L’outil technique repose sur les “comptes notionnels”. Antoine Bozio (eh, Antoine, si tu me lis, je suis en train de lire votre repères, chronique à venir…) et Thomas Piketty ont formulé une proposition en ce sens dans un opuscule du CEPREMAP chroniqué sur ce site. Avantage du système : à tout moment, on serait en mesure d’évaluer nos droits à la retraite, dans les grandes lignes du moins. Ce n’est pas le cas actuellement, en raison du manque de lisibilité de notre système, l’absence d’unification des systèmes étant un aspect majeur du problème. Or, non seulement la réforme actuelle ne rend pas plus lisibles les droits à une échéance de disons 20 ans mais, de surcroît, elle crée une anxiété supplémentaire par l’incertitude qui pèse sur les réformes à venir.

Je parle d’outil technique car les comptes notionnels, comme n’importe quelle mesure touchant les retraites, ne règleront pas à eux seuls l’insoluble question des retraites. Ils sont simplement un cadre adapté à une démocratie libérale. En premier lieu, ils offrent des possibilités de choix individuels en créant un cadre où les individus peuvent prévoir et agir. Rappelons qu’un des résultats de la psycho-économie est de montrer que nous n’épargnons jamais assez, y compris quand nous disposons d’une bonne information. Inutile de dire que ce biais est démultiplié quand nous n’avons que très peu d’information sur le futur… Et je sais de quoi je parle…

En second lieu, comme la solution proposée par Bozio et Piketty le montre clairement, au delà des choix individuels, ce système est un cadre ouvert, qui rend possible la délibération démocratique, la définition de critères de justice sociale prenant en compte des questions comme la répartition entre générations des fruits des périodes de plus ou moins grande prospérité, les questions de pénibilité et autres sujets qui touchent à la définition de ce qu’est une société juste.

Or, pour mettre à plat le système actuel et le refonder sur de telles bases, il aurait fallu du temps, des années. Hélas, comme l’ont montré Pierre Cahuc et André Zylberberg dans un ouvrage récent, Nicolas Sarkozy a choisi une méthode générique de réforme qui est à mille lieux de pouvoir accoucher d’autre chose que de poudre aux yeux et d’arrangements entre amis ou ennemis. Eh oui, je ne peux pas en vouloir aux gens qui manifestent de ne pas faire confiance à la majorité. Et si je suis bien loin de partager la plupart des arguments avancés pour me traîner dans la rue, je comprends très bien leur angoisse. Peut-être que seule une forme de cynisme (ou de stoïcisme, je ne sais pas) et un peu plus de compréhension des phénomènes sous-jacents m’évite de sombrer dans la phobie de la réforme des retraites

Cette réforme est mauvaise. Il faudra autre chose.

Dans un esprit similaire, avec un angle d’approche complémentaire, on peut signaler cet intéressant billet.

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14 Commentaires

  1. Quand viendra le moment de tirer un bilan de cinq ans de sarkozysme, il sera intéressant de voir s’il restera ne serait-ce qu’une mesure gouvernementale méritant d’être citée autrement que comme un contre-exemple.

    Au moins Chirac peut présenter un bilan honorable ne serait-ce que sur le déploiement de l’ADSL en France.

  2. Le gros probleme, c’est qu’un systeme a la Bozio-Piketty est justement bien trop ouvert et clair. Il mettrait a nu plein d’injustices cachees que les syndicats aimeraient bien garder cachees. Vous imaginez si on pouvait mettre cote a cote les points annuels d’un cheminot et ceux d’une caussiere de chez Ed? Le cauchemar de la CGT.

    Et comme il faut quand meme leur accord, on appliquera la solution habituelle: un gros cadeau pour eux et les "categories du personnel" qu’ils representent, et on applique une reforme injuste au reste.

    Tiens, ca me rappelle un autre prix Nobel …

  3. @Elessar : +1

    Billet qui fait du bien parce qu’avec toutes les aneries qu’on entend j’ai tendance à radicaliser mon opinion sur la réforme alors que sur le fond je suis d’accord avec vous.

    Stephane, c’est le plus long billet de blog que vous avez écrit depuis que je vous suis (2 ans et demi…). Congrats !

  4. Pour commencer, je remarque simplement que l’attitude de l’opposition rend la stratégie du gouvernement dominante dans une optique de maintien au pouvoir. En étant dans le déni de réalité et dans un discours démago (qu’est-ce qui empêche le PS d’adopter vaguement les comptes notionnels?), le PS encourage l’UMP a faire des réformes qu’on doit revoir périodiquement. En effet, une fois la période échue, avoir l’UMP devient préférable au PS qui a des vues encore plus ubuesques. Finalement, on est dans un équilibre à la con: le PS pense apparemment ne pas pouvoir revenir au pouvoir ou s’y maintenir s’il fait des propositions sérieuses sur ce sujet, l’UMP trouve dans les réformes à répétition un moyen de s’y maintenir ou d’y revenir.

    Un 2e point que je ne comprends toujours pas, c’est pourquoi la question des retraites est "insoluble" pour vous. Effectivement, on a rien à donner à personne sur ce sujet à part un peu de transparence. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de solution. Comme arrêter de payer les retraites est aussi une solution au problème, une solution émergera plus ou moins juste, plus ou moins maligne. Alors, oui, sans doute voulez-vous dire que vous souhaitez une solution optimale et consensuelle. Dans ce cas, je suis d’accord avec vous, mais peut-être pas pour les mêmes raisons.

    Pour finir, sur les comptes notionnels: le post d’Antoine Bozio sur ecopublix donne déjà la réponse pour savoir pourquoi ce ne sera jamais implémenté en France, sauf changement exceptionnel dans le paysage politique (très improbable). La raison, c’est qu’il y a des gros perdants: les fonctionnaires qui sont déjà ceux qui hurlent à la mort. En adoptant les comptes notionnels, les fonctionnaires devraient payer pour la note du système actuel pendant 20-30 ans jusqu’à ce que tous ceux qui bénéficient du système actuel meurent. En face de ça les gains sont minimes, le régime général moyenne déjà sur 25 ans, les retraites complémentaires sur la carrière entière. Il y a une 2e raison. Comme indiqué dans le livre This time is different, les gouvernements aiment à planquer la masse réelle de leurs engagements internes. Passer à une système de comptes notionnels pour tous mettrait à nu ces engagements et empêcherait sans doute en partie les raids étatiques visant à rogner ces droits sans le dire. D’ailleurs, pour que le système de comptes notionnels soit vraiment crédible, il faudrait implémenter des punitions financières sur l’état pour éviter ces raids ou tout simplement la distribution de sucreries à certains au détriment de tous. Conclusion: en l’état actuel du débat public en France, les chances d’implémentation sont nulles.

  5. Je suis d’accord avec Proteos: le système des comptes notionnels est extrêmement séduisant, mais il est totalement irréaliste dans le contexte français, pour plein de raisons. Le système en place est le résultat d’un équilibre extrêmement délicat, entre logiques contributives et non-contributives, entre intérêts de différents groupes, etc. Le résultat est certes inégalitaire, mais en pratique je doute qu’on puisse définir un référentiel universellement partagé au regard duquel qualifier la justice d’un système de retraite.

    Je ne suis pas non plus convaincu par l’analyse des réformes de Sarkozy par Cahuc et Zylberberg. Il n’y a pas de "méthode Sarko": la méthode Sarko, c’est la méthode employée sous la Ve République pour réformer, poussée à son extrême en matière de rapidité, c’est tout. C’est la méthode qui s’impose dans un pays sclérosé par ses corporatismes: on négocie avec les corporations et on obtient ce qu’on peut, c’est-à-dire pas grand chose.

    A cet égard, je pense que la réforme des retraites actuelles est à peu près la seule possible politiquement; c’est aussi celle que les socialistes auraient mise en oeuvre, très probablement. Vous aurez remarqué l’empressement tout relatif du PS à s’emparer des comptes notionnels.

    Je dois dire que j’ai toujours, à côté du biais défavorable qu’on a traditionnellement pour le pouvoir, un biais favorable lié au fait que les individus au pouvoir sont confrontés à la nécessité de prendre des décisions concrètes, et qu’ils sont peut-être les seuls à prendre véritablement la mesure des contraintes. Imaginer un beau système de comptes notionnels dans sa tour d’ivoire, c’est bien. Mais j’ai peur que ce système soit juste totalement inutilisable dans le contexte français, qui n’est pas le contexte suédois.

    Je ne demande qu’à me tromper, ceci dit. Et si un candidat socialiste a les burnes de proposer ce système, je voterai pour lui. Mais je n’y crois guère.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Considérer que la réforme actuelle crée une grande anxiété et ne s’attaque absolument pas au problème de fond n’est pas être dans sa tour d’ivoire. C’est au contraire être à l’écoute du concret. S’interroger sur une façon de sortir de l’impasse s’appelle proposer. Après, je respecte votre appréciation de la faisabilité. Mais dire que si on fait quelque chose, ça va faire des mécontents immédiatement et on ne pourra rien faire n’est pas vraiment cohérent avec le fait que le gouvernement est en train de passer en force.

  6. Elessar: une chose que m’échappe avec le Bozio Piketti, c’est de comprendre quelle est la valeur ajoutée d’un système de ce type organisé par l’état par rapport à une organisation semblable hors état ?

    Si c’est pour demander à chacun de mettre des sous de côté pour sa retaite, je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire de déranger la fine fleur de l’économie française.

  7. Les comptes notionnels sont une jolie idée. Mais son application en France me paraît également incroyablement difficile. Ne serait-ce que parce que cela supposerait la fusion des dizaines de caisses de retraites différentes.

    Mais plus fondamentalement, les comptes notionnels ont le mérite – ou l’inconvénient – de s’ajuster automatiquement au niveau du PIB ; En suède avec la crise de 2009, le niveau des pensions à baissé de 2- 3 % (du même ordre que le PIB) en France il a suivi l’inflation.

    Il est frappant que sur les trois piliers permettant l’équilibre des comptes : augmentation de l’âge de départ en retraite, augmentation des cotisations, diminutions des prestations ; le troisième n’a été évoqué par personne. En France, les ajustements se font systématiquement sur les nouveaux entrants. On a le même problème sur le marché du travail.

    Alors, oui, il y a très profondes inquiétudes en France. A ma connaissance, nous avons été le seul pays à organiser de grandes processions en avril 2009 contre la crise. Confusément tout le monde pense que le système actuel n’est pas viable à long terme. Mais la stratégie individuelle ressemble un peu à « J’espère être à l’abri (avec un CDI, un poste de fonctionnaire, ou une retraite) AVANT qu’il ne soit trop tard. C’est en cela que la perspective d’un report de deux ans est insupportable.

    Si on s’intéresse simplement à l’équilibre comptable, une mesure assez simple qui ne passe pas forcement pas les comptes notionnels peut être simplement d’imposer l’équilibre entre le montant des cotisations et le montant des prestations avec un ajustement automatique à la hausse comme à la baisse.
    Mais le débat est parasité par des milliers d’autres considérations dont les arguments sont souvent contradictoires. Pour rester dans celles avouables :
    – la prise en compte de la pénibilité, avec comme idée sous jacente que ceux qui ont eu un travail pénible vivent moins longtemps et donc profites moins de leur retraite ;
    – La prise en compte des carrières hachées par la maternité des femmes qui réduisent leur droits – tout en oubliant qu’elles vivent en moyennes 5 ans de plus que les hommes ;

  8. Bonjour, une simple question: les gains de productivité pourraient-ils être utilisés pour compenser le déséquilibre des comptes sociaux (donc l’assurance vieillesse) ? Merci.

  9. Je ne sais pas si on peut dire que le gouvernement "passe en force". Je crois qu’il respecte la dramaturgie inhérente à toute réforme en France. Une dramaturgie qui suppose d’associer les syndicats dans un premier temps aux discussions (ce qui a été fait), pour ensuite imposer une solution que les syndicats feront plus ou moins mine de refuser en façade, tout en l’acceptant en privé (à coup sûr pour la CFDT, et en fait probablement aussi pour les autres; il y a en fait un assez large consensus sur les diagnostics entre dirigeants des syndicats, patrons et politiques, une partie de la CGT exceptée). La seule "faute" qui a été commise ici, c’est de n’avoir pas fait passer la réforme en été, ce qui fournit d’ordinaire une bonne excuse aux syndicats pour ne pas mobiliser (ce qui en fait les arrange bien). C’est ce qui explique le mouvement actuel, qui vise davantage à arracher des concessions supplémentaires qu’à faire capoter une réforme que les leaders syndicaux, à tort ou à raison, estiment à mon avis inévitable en privé. C’est le PS, ici, qui joue les trouble-fête, et pourrait entraîner une crise plus accentuée que prévu.

    Si le gouvernement doit reculer, ce sera une première: les syndicats ne font véritablement reculer les gouvernements que lorsqu’ils n’ont pas été associés au processus: c’était le cas de la réforme Juppé en 95, et du CPE. Sarkozy, à la différence de Juppé et Villepin, connaît les règles du jeu.

    Il y a une distance considérable entre le discours public des acteurs et leurs positions réelles. On est resté sur des mises en scène qui datent d’avant-guerre; les mots sont les mêmes, mais les réalités qu’ils recouvrent ont changé. On est dans du pur cinéma. Je m’étonne que les journalistes, dont une partie ne peut manquer d’être au courant, ne jouent pas leur rôle de décodeur dans cette affaire.

    Même si je ne crois pas trop à la faisabilité des comptes notionnels, je déplore très fortement le manque de courage de l’opposition dans cette affaire: elle aurait dû, derrière Piketty, s’emparer de l’idée. Mais c’était peut-être politiquement suicidaire.

  10. @FC

    Sur aucune de ses réformes le gouvernement n’a négocié. Il en a juste donné l’apparence pour les medias. Pour les retraites, reprenez les interviews des Chéreque et autre Thibault sur Woerth en début de processus.

    Plus fondamentalement, l’arrogance de ces gouvernants leur a fait croire que la maitrise de la com leur assurerait le succès.

    Cela pose deux problèmes
    1) l’adéquation des mesures à la réalité (vous pouvez relire ce post et le livre de Cahuzac) et leur efficacité.

    2) la maitrise des bases de la conduite du changement qui explique que pour qu’une réforme puissent être appliquée elle doit avoir l’assentiment de la base

  11. Bonjour, c’est un post interessant pour moi, d’autant plus que je ne me suis pas encore interessé à la question des comptes notionnels. Je ne sais pas si cette réforme est mauvaise, elle est en tout cas incomplète comme toutes les reformes du système de retraite depuis le début des années 90. C’est comme si on voulait soigner un cancer avec du doliprane.
    Moi ce qui me gene davantage dans l’immediat, c’est l’instrumentalisation des jeunes sur la base de pseudo arguments comme je le dis ici :
    Reforme des retraites, chômage des jeunes et Nobel d’Economie
    http://www.davidmourey.com/artic...
    Tout cela est bien décevant. Non ?

  12. @ima: "reprenez les interviews des Chéreque et autre Thibault sur Woerth en début de processus".

    Vous entendez souvent les leaders syndicaux dire "le gouvernement nous a bien écoutés, nous sommes très satisfaits de la négociation"?… Ces prises de position publiques font partie du sketch. Il faut bien comprendre le positionnement difficile des leaders syndicaux (c’est valable aussi, d’une certaine manière, pour le Medef): tout en partageant une culture commune avec les dirigeants politiques, ils ont à gérer l’opinion de leurs troupes, qui peuvent les déserter dès qu’elles ont le sentiment qu’elles sont mal défendues. C’est ce qui s’est passé en 2003 pour la CFDT: elle a signé une réforme somme toute assez timide, application scolaire d’un rapport socialiste, mais considérée comme inacceptable par l’aile gauche de ses adhérents, qui ont sanctionné le syndicat en démissionnant massivement. C’est la hantise de la CFDT: c’est la raison pour laquelle il n’aurait, de toute façon, pas pu y avoir de négociation comme en 2003. Vous ne l’entendrez plus dire du bien d’une réforme, surtout d’une réforme d’un gouvernement de droite. C’est trop coûteux pour elle. Le moins qu’elle puisse faire, c’est ce qu’elle fait actuellement: s’engager modérément dans le mouvement de contestation, tout en sifflant la fin de la récré plus tôt que les autres.

    Cette schizophrénie est difficile à croire pour ceux qui n’ont jamais entendu des dirigeants syndicaux s’exprimer en privé, mais je vous assure qu’elle est bien réelle. On est dans un jeu de rôles extrêmement délicat.

    Le problème, à mon sens, est le taux de syndicalisation, extrêmement bas en France: du coup, les syndicats représentent 1) surtout des fonctionnaires et 2) une minorité de salariés en général; et cette minorité est forcément la plus "radicale": l’engagement syndical est coûteux, surtout dans le privé; s’il apporte une certaine sécurité de l’emploi, il compromet la carrière du syndiqué, du fait du climat déplorable du dialogue social en France (voir Philippon et les références citées dans le billet).

    A mon sens, la mère de toutes les réformes serait l’extension du la syndicalisation, par mesures incitatives, voire par obligation pure et simple.

  13. @Qui lave plus blanc:
    Deux avantages sur des fonds de pension:
    _Surtout, le système de comptes notionnels permet de fournir une retraite à ceux qui ont d’ores et déjà cotisé.
    _Dans une moindre mesure, garantie de l’état (qui vaut ce qu’elle vaut) et protection partielle face aux secousses sur les marchés financiers.
    (sachant qu’inversement, les fonds de pension peuvent protéger partiellement des errements étatiques et offrir une diversification à l’international)

  14. Excellent post de M. Stéphane. Le seul point de léger désagrément est que le titre du post me parait incorrect et j’avoue que j’ai récemment changé d’avis sur ce sujet.

    Je remarque que ce que je pensais être des réformettes en trompe l’oeil font preuve d’un effet certain. Les trains roulent, les métros n’ont jamais ralentis, les Universités sont bien moins bloquées et leurs Présidents sont plutôt vocaux, ce qui oblige les multi-SMICARD retraitables (comme moi) a 55 ans du Pétrole de s’y coller.
    Le cas, ainsi que l’autonomie des Lycées zé collèges, sera traité la prochaine fois je suppose.

    Je partage par ailleurs globalement les commentaires de FC. Une réforme était nécessaire pour des raisons au moins cosmétiques. Le gouvernement aurait pu régler le problème par Ordonnances comme Mauroy en 82, mais il a préféré le jeu de rôle.

    Mauvaise pioche car Thibault ne tiens pas ses troupes qui en sont encore a nous refaire la prise de la Bastille.

    La vrai réforme est celle que vous dites; ne serait ce qu’a cause de l’individualisme croissant.

    La question que vous devriez vous poser est pourquoi personne ne la propose t il? Le PS, par exemple, aurait pu penser que le boulevard de la "réforme juste" s’ouvrait devant lui et aurait pu s’y engouffrer.
    Poser la question c’est y répondre me semble t il.

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