Electricité : le grand malentendu

Il y a quelque chose de tragique dans les discussions actuelles sur la libéralisation du marché de l’électricité : une façon d’oublier, dès lors qu’on arrive sur ce sujet, le sens commun et les bases du raisonnement économique, pour se limiter au populisme, aux fantasmes, et à l’idéologie. Il faut s’accrocher dès lors qu’on veut lire la moindre contribution sur le sujet, et de préférence ne pas être de trop mauvaise humeur, sous peine de subir – sans mauvais jeu de mot – des problèmes de tension.

La libéralisation de l’électricité n’a pas été menée, pour l’essentiel, pour des raisons beaucoup plus idéologiques que pratiques. C’est d’ailleurs souvent le cas pour les politiques européennes : le plus souvent, une bonne politique est adaptée aux contextes locaux. Mais en Europe, tout le monde doit faire pareil : et il n’y a guère que des idéologies qui soient susceptibles de produire de l’unanimité (pour ou contre elles). De la libéralisation de l’électricité, on attendait donc une électricité moins chère, pour les raisons suivantes :

– premièrement, libéralisation implique privatisations, et les entreprises privées, contrairement au secteur public, sont efficaces.
– deuxièmement, libéralisation implique concurrence, et la concurrence non seulement rend les entreprises efficaces, mais pousse les prix vers le plus bas possible.
– troisièmement, libéralisation implique construction d’un grand marché européen. Et qui dit grand marché dit grandes entreprises. Les entreprises nationales les plus efficaces allaient donc pouvoir grandir, devenir des “champions européens” atteignant la “taille critique” leur permettant d’être plus performantes, abaissant les prix de l’électricité pour toute l’Europe.

Mais de la même façon que les californiens avaient “libéralisé” leur marché de l’électricité en partant du principe qu’il était possible à la fois de consommer plus, de payer moins cher, et de ne pas avoir à payer la construction de nouvelles centrales, sans voir qu’il y avait là des contradictions majeures, la libéralisation tendance union européenne ne manquait pas, elle non plus, de contradictions.

Tout d’abord, ce n’est pas parce qu’une organisation est publique qu’elle est inefficace; ce qui rend une organisation inefficace, c’est une position non contestable. Dans ces conditions, une organisation voit sa taille augmenter excessivement; elle extorque des rentes à ses consommateurs, qu’elle traite en général avec mépris; coupée de la critique extérieure, elle développe une tendance à l’autosatisfaction et au “groupthink” qui conduisent à des erreurs collectives aux conséquences parfois dramatiques. Il se trouve que de nombreuses organisations publiques sont dans des conditions non contestables, ce qui conduit souvent à penser que ces défauts sont uniquement l’apanage des organisations publiques; mais en réalité, cela arrive à n’importe quelle organisation, privée ou publique, disposant d’un pouvoir de marché non contestable.

On voit donc que la première et la troisième idée risquaient d’être en contradiction. Si ‘lobjectif est de créer des “champions européens”, cela conduira les gouvernements nationaux à utiliser tous les expédients pour limiter la concurrence sur leur marché national, afin de faire en sorte que leurs producteurs nationaux deviennent lesdits champions; et de se contenter de favoriser une concentration capitalistique des entreprises. Les marchés nationaux restent difficiles d’accès, les champions sont constitués alors avec des opérations de fusion-acquisition entre grandes entreprises nationales et petites entreprises étrangères. Ce qui garantissait d’avoir le pire des deux systèmes : des marchés nationaux peu faciles d’accès (donc peu d’économies d’échelle) et des grandes organisations sur des marchés protégés, donc des entreprises encore plus sujettes aux pathologies des monopoles.

Les anciennes entreprises nationales productrices d’électricité étaient des monopoles réglementés, en général des entreprises publiques. Elles étaient dirigés par des ingénieurs, et animées d’une culture d’entreprise fondée sur l’idolâtrie de l’excellence technique, l’extraction de rentes au profit du personnel et des fantaisies des ingénieurs, et un solide mépris du client. Avec la libéralisation, les ingénieurs qui les dirigeaient se sont plu à s’imaginer en stratèges d’entreprises multinationales, dont la compétence repose sur la capacité à créer des montages financiers, à faire du courtage, et à se comporter de façon agressive sur les marchés. Ceux à qui cela n’a pas plu sont partis : au passage, la perspective sur ce qui est le coeur du métier d’un fournisseur de commodités a considérablement changé.

L’autre contradiction venait de l’incompréhension (volontaire?) du fonctionnement et de la tarification sur un marché. On glose beaucoup sur le fait que “l’électricité n’est pas un bien comme les autres, il n’est pas stockable” comme si cela constituait une raison pour dire qu’il ne peut pas y avoir de marché de l’électricité, alors que c’est exactement l’inverse : c’est précisément pour ce genre de biens qu’un marché “spot” sur lequel le prix suit en temps réel les évolutions de l’offre et de la demande est le plus utile. Encore faut-il savoir exactement à quoi s’attendre. Essayons de le présenter.

Pour simplifier, considérons qu’il existe deux types de centrale électrique : des centrales nucléaires (N), caractérisées par un coût constant d’exploitation, quelle que soit leur production totale. Et des centrales à pétrole (P) dont les coûts sont variables, et fluctuent à la fois avec leur production, et en fonction du coût de leur carburant (le pétrole). Dans le même temps, la demande d’électricité est fluctuante, parfois faible, parfois forte.

Que se passe-t-il dans une production régulée? l’entreprise productrice d’électricité, qui détient les deux types de centrales, pratique une tarification au coût moyen, c’est à dire un prix unique qui couvre ses coûts de production totaux. Dans ces conditions, il y a deux types de moments : des moments durant lesquels la demande est supérieure à la capacité des centrales N, et où les centrales N et P fonctionnent; et des moments ou la demande est plus faible, pendant lesquels seules les centrales N fonctionnent. On calcule le coût total de production de l’électricité, on le divise par la consommation totale, et on en déduit un prix unique de l’électricité payé de façon constante par les utilisateurs.

Cette situation a des avantages (notamment, un prix prévisible pour les consommateurs) mais aussi des inconvénients. Premièrement, cela n’incite guère les consommateurs à ajuster leur consommation aux conditions de production : lorsque la demande est très forte, et que toutes les centrales, y compris les plus chères, fonctionnent, rien n’indique aux consommateurs de réduire leur demande. Cela oblige les entreprises productrices à détenir de très fortes surcapacités de production. Par ailleurs, ces surcapacités, jointes à un prix fixe, accroissent les bénéfices de l’entreprise productrice. Pour les rentabiliser, l’entreprise incite les consommateurs à utiliser plus d’électricité. On entre alors dans un cercle vicieux : la demande, n’étant pas contrainte par des hausses de prix, augmente sans cesse, et les entreprises augmentent sans cesse leurs capacités de production.

On pourrait penser que ce n’est pas un problème : après tout, cela conduit à ce qu’il y ait sans arrêt plus d’électricité disponible, une pression à la baisse des prix. Mais c’est oublier que dans ces conditions, personne n’est conduit à économiser l’énergie, au contraire, ce qui a des conséquences environnementales importantes; et que l’entretien de capacités de production d’énergie inutilisées est un coût considérable pour l’économie dans son ensemble (elle immobilise des capitaux, de la main d’oeuvre qualifiée, pour rien).

Que peut-on attendre, à partir de cette situation, d’une libéralisation? On peut imaginer une libéralisation “idéale” dans laquelle un bon nombre de producteurs décident ou non de produire de l’électricité qu’ils ajoutent au réseau, en fonction du prix présent sur celui-ci. Cette multiplicité de producteurs permet l’existence de technologies plus variées, crée donc les conditions d’une diversité favorisant l’innovation. Les entreprises n’ont plus d’intérêt à maintenir des surcapacités inutiles. Lors des fortes poussées de demande, les fortes hausses des prix conduisent les producteurs à détenir des capacités en excédent, mais pas trop. Du côté des consommateurs, les fortes hausses de prix servent d’indicateur pour limiter leur consommation; au total donc, la consommation devient plus régulière. On peut imaginer que des courtiers se chargent d’allouer la capacité existante, offrant par exemple un approvisionnement garanti à prix bas pourvu qu’ils achètent à certaines heures. cela exige que la libéralisation concerne le plus de monde possible, et passe par des prix flexibles en permanence et pour tous. Il faut dans le même temps un régulateur du marché pour éviter que quelques entreprises se concertent pour réduire leur production et faire ainsi grimper les prix.

On peut se demander si une telle libéralisation est possible, ou si elle n’est qu’une construction théorique irréaliste. Mais ce n’est même pas le problème. Ce qu’il faut comprendre, c’est que d’un strict point de vue économique, un marché est efficace si les prix y sont flexibles pour tout le monde; et que dès lors, il n’y a absolument aucune raison d’imaginer qu’une libéralisation va aboutir inéluctablement des prix plus bas qu’un prix administré.

C’est même plutôt l’inverse d’ailleurs. Après tout les surcapacités électriques conduisent à une électricité moins chère, mais dont les conséquences négatives sont supportées indirectement dans l’économie; les ressources, les capitaux, le personnel, qui sont utilisés dans ces surcapacités seraient mieux employées ailleurs. Libéraliser l’électricité a de bonnes chances de pousser les entreprises à éliminer ces surcapacités, mais le surcoût électrique qui en découle est compensé de diverses façons; premièrement, il n’est supporté que par ceux qui consomment en période de forte demande; deuxièmement, par le fait que les ressources de l’économie sont orientées vers des activités plus utiles que l’entretien capacités de production d’électricité inutilisées l’essentiel du temps. L’autre bénéfice à attendre, c’est la diversité des approvisionnements, des fournisseurs, qui favorise le progrès technique et permet de compenser les dérives que rencontre une seule organisation.

Mais ce n’est pas du tout comme cela que la libéralisation de l’électricité a été présentée : elle a été défendue sur la base de motifs purement idéologiques (le marché c’est efficace, l’Etat c’est inefficace), avec une seule promesse : demain, on rase gratis. Ou ce qui revient au même, l’électricité va devenir moins chère par la magie de la concurrence, sans efforts. Et le grand malentendu, provenant de l’aveuglement idéologique, est là : une vraie libéralisation ne vise pas une électricité moins chère, mais une électricité mieux produite et moins gaspillée.

A cette donnée de base s’est ajoutée la façon dont la libéralisation a été effectuée en France. Réservée à quelques clients, à qui on a donné le choix (irréversible) soit de passer en prix de marché (donc fluctuants) hors EDF; soit de passer en prix de marché en restant client EDF; soit de rester en prix régulés, comme les particuliers. A l’époque, les prix de marché et les concurrents d’EDF paraissaient intéressants; produisant de l’électricité essentiellement à base de gaz bon marché, ils offraient des tarifs avantageux, qui ont cessé rapidement de l’être avec l’envolée des prix pétroliers. Ils se retrouvent donc à devoir acheter de l’électricité au prix fort, sans possibilité de retour en arrière; ceux qui ont joué le jeu gouvernemental . Résultat, la panique d’un gouvernement qui en est à obliger EDF à subventionner ses concurrents pour qu’ils ne vendent pas trop cher (voir par exemple cet article sur le sujet).

Mais c’est une conséquence assez logique. Dès lors qu’on passe en prix dérégulés, la tarification se fait au coût marginal de production; or, pour reprendre l’exemple ci-dessus, le coût marginal de production est le coût des centrales à pétrole dès lors que la demande dépasse la capacité de production des centrales nucléaires d’EDF. On se retrouve donc avec d’un côté des prix régulés (donc une demande à satisfaire à ces prix) et de l’autre côté un marché libre sur lequel le coût marginal est celui des centrales à pétrole. Pour aggraver le tout, les fournisseurs de gaz des européens sont peu nombreux, ce qui aggrave la hausse du prix de cette matière première des producteurs d’électricité; s’ajoutent à cela des contraintes environnementales sur les gaz à effet de serre. Au total, l’électricité commercialisée au coût marginal à un petit nombre de clients ne peut que coûter très cher. A cette hausse des prix se sont ajoutés des problèmes techniques : il y a aujourd’hui beaucoup plus d’acteurs présents simultanément sur le marché, ce qui en cas de problème technique peut augmenter les risques de ruptures d’approvisionnements. Quant aux prix élevés, ils ne suffisent pas à inciter les producteurs à créer des capacités nouvelles, dont les bénéfices seraient absorbés par les pays producteurs de pétrole.

La libéralisation, de ce fait, n’a plus tellement la cote. L’article cité plus haut recommande même carrément de renationaliser EDF et de revenir à la situation antérieure, considérant que syndicats et entreprises approuveraient ce mouvement. Ce qui d’ailleurs est une erreur : ce que demandent les entreprises, c’est de l’électricité peu chère; peu importe qu’elle soit produite par une entreprise privée ou publique. Contrairement à la croyance du journaliste, ce n’est pas pour satisfaire ses actionnaires qu’EDF vend sont électricité nucléaire au prix du marché : EDF ne fait que vendre au coût marginal, c’est à dire qu’elle vend au prix de son dernier kwh produit (beaucoup plus coûteux que l’électricité nucléaire). Seule un retour à la tarification de monopole au prix moyen est à même de faire baisser les prix pour les entreprises.

Mais cette erreur du journaliste est instructive parce qu’elle nous montre dans quelle direction le débat s’oriente : on bascule d’une idéologie à une autre, avec les mêmes objectifs. De l’idéologie de la concurrence, on sombre dans celle du nationalisme et du volontarisme rois. Les politiques énergétiques s’effectuent à l’échelle nationale, avec pour but la constitution de champions nationaux : voir l’actuelle fusion Suez-GDF, dont on promet qu’elle permettra… une énergie peu chère pour les consommateurs. Tout le monde est désormais d’accord pour se lancer dans la rhétorique de “l’industrie stratégique”, les uns voulant aller jusqu’à renationaliser des entreprises, les autres se livrant au meccano industriel pour fabriquer les grands groupes de la guerre économique.

Avec toujours à la base, le même malentendu : tout se passe comme s’il existait un droit universel pour une électricité à prix réduits. Mais il ne faut pas s’imaginer que les évolutions actuelles iront dans ce sens. Il est beaucoup plus probable que l’on s’oriente vers des entreprises nationales puissantes, bénéficiant d’avantages concédés par l’Etat, et subis par les consommateurs, pour tenir lieu de champions nationaux. Il n’est donc pas impossible que l’épisode de la libéralisation de l’électricité nous laisse avec le pire des deux systèmes : des grandes entreprises protégées qui s’appuient sur des positions acquises nationales pour disposer des ressources qui leur permettent de partir à la conquête du marché mondial.

En matière électrique, la libéralisation souhaitable n’était pas possible; il faut constater que la libéralisation possible n’était elle sans doute pas souhaitable. C’est une leçon pour ceux qui sont par principe favorables à la libéralisation des marchés, qui n’a que peu de chances d’être retenue tant que les débats sur ces questions se feront sur des bases idéologiques.

(Merci à François Soult pour m’avoir fourni des éléments de réflexion utiles sur cette question).

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Alexandre Delaigue

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17 Commentaires

  1. J’ajoute un élément en passant : la sécurité nucléaire. L'<<idolâtrie de l’excellence technique>> de l’entreprise nationale-en-situation-de-monopole EDF nous a valu, sur ce plan, une sécurité bien meilleure que celle des centrales étatsuniennes. Qu’un réseau de gaz ou de distribution d’électricité soit mal entretenu, ça gêne les clients (et donc les entreprises qui les gèrent seraient incitées par le marché à les entretenir. Il paraît que ça ne se passe pas ainsi, c’est un autre problème.). Qu’une centrale nucléaire soit entretenue a minima, ça ne gêne personne, ou plus exactement ça gêne très gravement énormément de monde avec une probabilité faible. Le marché peut très mal réguler ça. C’est une question politique, pas économique.

    Force est de constater qu’il a fallu un accident (Three Mile Island) et un accident plus grave frôlé (j’ai oublié le lieu, je peux me renseigner) pour que les É.U. renforcent leur autorité de contrôle. Même ainsi, une centrale étatsunienne reste moins bien entretenue qu’une française. La culture d'<<excellence technique>> d’un monopole qui n’a pas à chercher la rentabilité assure mieux, chez nous, cette sécurité. Certes c’est plus cher.
    Pour cette raison, je suis méfiant à l’égard d’un passage de la gestion des centrales nucléaires au privé. Il faut répondre à la question : comment mettre en place une autorité de surveillance obtenant autant, par la contrainte, qu’on a actuellement, par le monopole et la culture d’edf ?
    Notes anti-troll
    1) je n’ai pas dit que la sécurité est parfaite en France, notamment pour tout ce qui touche au circuit du combustible et des déchets. Par ailleurs le monople d’État a l’effet pervers de créer un puissant lobby nucléaire.
    2) je n’ai pas dit qu’une gestion d’Etat est meilleure, en l’espèce, qu’une gestion privée. Inutile de rappeler Tchernobyl. J’ai comparé UNE gestion d’Etat (France) avec UNE gestion privée (É.U.). J’ignore l’état des centrales privées ailleurs qu’aux États-Unis, ni même si d’autres pays que celui-ci ont un nombre significatif de telles centrales.

    Et merci pour votre note.

  2. @charles

    La détention du capital ou la gouvernance d’EDF n’ont aucun rapport avec les obligations demandée par l’agence de sureté nucléaire (qui elle est de la compétence des états).
    Qu’EDF soit publique ou privée, les règles ne sont pas définies par elle, et les manquements seront également punis.

    Agiter l’épouventail du danger nucléaire au main du privé, c’est du grand n’importe quoi.

  3. Je sentais bien qu’il y avait anguille sous roche, les deux "camps" étant bien incapables de développer un argumentaire, et se refugiant dans l’idéologie.

    Maintenant, j’ai compris pourquoi. Merci beaucoup !

    Ah, si, une question quand même : y’aurait-il un intérêt à garder dans le giron de l’état la production d’electricité, comme vous le suggérez, et libéraliser la distribution ? (avec le meme genre de découpage que pour SNCF / RFF)

  4. Aurait-on pu imaginer que les économistes français partisans et non partisans de tous bords, se prononcent sur ces sujets avant que les politiques ne s’emparent de ces questions ?

    Car à l’évidence dès lors que soit-un-éléphant-rose-soit-un-ambitieux-UMP-ou-UDF se réveille le matin avec une idée sur un thème, des notions telles qu’intérêt public, intérêt des générations futures, équité, s’effacent au profit des ambitions idéologiques et personnelles, qui, hélas, ne peuvent se contredire que les unes les autres.

    Sur le fond, l’évidente nécessité de réduire lentement mais sûrement, la dépendance du bon fonctionnement de la société s’obtiendra peut-être plus sûrement et plus pacifiquement par une succession de mini-crises amplifiées par des médias hystériques que par un quelconque Gosplan.

  5. Je partage tout à fait votre point de vue selon lequel la réforme du secteur électrique "ne vise pas une électricité moins chère, mais une électricité mieux produite et moins gaspillée". Il est fondamental, en effet, de considérer que la priorité est l’amélioration de la productivité et l’émission d’un signal pertinent aux consommateurs. Et finalement, la redistribution des gains de surplus global (aux salariés, aux actionnaires, aux clients, aux fournisseurs ou aux agents subissant des externalités…) est secondaire pour l’économiste. C’est probablement l’inverse pour le politique.

    Mais concernant votre analyse du système de production et de l’effet de la libéralisation, je pense vraiment qu’il est souhaitable de bien identifier les différents métiers, quand bien même ils sont tous pratiqués par le monopole historique : production, transport et distribution. La production est très loin d’être en monopole naturel sur tout le territoire (il existe de très nombreuses centrales, dont celles au gaz qui sont de taille très réduite maintenant), le transport a des caractéristiques différentes selon le niveau de demande local et la capacité des lignes, et la distribution pourrait tout aussi bien être régionale. En détaillant le système de fourniture d’électricité, il me parait alors plus facile de comprendre que le débat n’a rien d’idéologique, qu’il a de nombreux traits communs entre les pays européens, et qu’il relève fondamentalement d’une identification des coûts de transaction, des pouvoirs de marché relatifs et des synergies potentielles.

  6. Deux remarques: en tant que client, je n’ai jamais eu à me plaindre d’avoir été maltraité par EDF. J’ai toujours apprécié leur support, leur honnêteté. Par contre, depuis la séparation EDF-GDF j’ai eu deux problème, beaucoup plus mal traités.

    En ce qui concerne la sécurité nucléaire, la logique de maximisation des profits me semble très dangereuse, en ce qu’elle tend à réduire les coûts – y compris les coûts de sécurité. Les anglais, sauf erreur de ma part, ont privatisé leur électricité par type de production, et ils ont dû plus tard réinjecter pas mal d’argent (900 Millions de GBP) pour assurer la sécurité.

  7. Globalement d’accord dans l’ensemble. J’ai moi-même souvent expliqué tout cela en m’appuyant également sur le très intéressant et instructif ouvrage de François Soult (c’est un pseudo, au passage) lors de discussions toujours animées sur la libéralisation du secteur électrique.

    Vous auriez aussi pu ajouter que pour assurer la fluidité nécessaire à l’équilibre entre offre et demande en marché ouvert, il est nécessaire de disposer d’infrastructures de transport suffisamment bien dimensionnées (en particulier dans l’optique d’un utopique marché unique européen de l’électricité) et que ces infrastructures font aujourd’hui cruellement défaut, en particulier sur les interconnexions internationales (il est d’ailleurs pratiquement impossible aujourd’hui de construire de nouvelles lignes THT, par exemple entre la France et l’Espagne ou entre la France et l’Italie, pour ne prendre que deux liens aujourd’hui sous-dimensionnés).

    Cependant vous écrivez, en parlant des entreprises publiques productrices d’électricité en général:
    "Elles étaient dirigés par des ingénieurs, et animées d’une culture d’entreprise fondée sur l’idolâtrie de l’excellence technique, l’extraction de rentes au profit du personnel et des fantaisies des ingénieurs, et un solide mépris du client."
    Si le premier point est sans discussion possible, si le second mériterait d’être precisé (je suppose que vous faites allusion au régime de retraite et aux avantages sociaux liés au comité d’entreprise par exemple, mais dans ce cas, même avec cette soit-disante extraction de rente, nous bénéficions d’une électricité parmi les moins chères du monde) le dernier point est très largement critiquable dans le cas précis d’EDF, qui a toujours été et qui reste une des entreprises françaises, tout secteur confondu, avec le taux de satisfaction des clients le plus élevés (et je ne vous rappelerai pas l’épisode de la tempête de 1999, pendant laquelle le dévouement des agents et même des retraités d’EDF a été exemplaire – c’est aussi l’une des conséquences de la fierté d’avoir construit et d’entretenir un formidable outil industriel, issu de la culture d’ingénieur et de l’idôlatrie de l’excellence que vous relevez par ailleurs).

  8. Charles : je pense que vous vous bercez un peu d’illusion. Je vois mal d’abord sur quoi vous basez votre évaluation des différences de sécurité entre les deux pays; existe-t-il des études comparatives des pratiques, permettant de conclure? Il faut aussi tout bêtement prendre en compte la question de l’âge du parc. Bref, à moins que vous ne disposiez d’éléments précis, je reste un peu dubitatif. Mais je ne demande qu’à être détrompé. Mais méfions-nous des mythes sur le "service public à la française". Par ailleurs, il ne faut pas oublier l’ampleur comparative des deux parcs. Même si la probabilité d’un accident nucléaire est deux fois moindre en France, si la part de la production nucléaire est double, au total, le risque d’un accident nucléaire dans le pays est identique…
    Ce qu’a montré la gestion de l’épisode tchernobyl en France, cela a été la façon dont le lobby nucléaire était totalement imperméable à la réalité, et prêt à raconter n’importe quoi pour ne pas perdre sa légitimité. Une attitude très caractéristique de groupthink, qui augure mal de ce qui serait leur attitude en cas d’accident en France.

    Matthieu : il y aurait plutôt un intérêt à l’inverse : une production en concurrence, et un réseau unique sur lequel le prix fluctue (c’est d’ailleurs ce qui est envisagé pour SNCF-RFF).

    William : entièrement d’accord : il y avait l’opportunité d’une libéralisation réussie et utile. Mais ce n’est pas celle qui a été mise en place. Au lieu de se demander "que veut-on d’une libéralisation, et comment le faire au mieux" on s’est dit "il faut libéraliser parce que c’est bien, faisons-le, peu importe comment". Au total la situation actuelle n’est pas entièrement négative; on y a gagné la diversité des producteurs, et l’apprentissage de ce qu’est une production/distribution d’électricité à plusieurs. Mais c’est au prix d’une libéralisation ratée, qui risque de compromettre à l’avenir toute idée de libéralisation, dans l’électricité comme dans d’autres secteurs.

    Grom : vous n’avez pas connu l’époque des interminables délais pour l’ouverture d’une ligne, du courant coupé à la moindre facture impayée, les horaires d’ouverture improbables, et les employés revêches. Ne parlons même pas de l’idée de traitement différencié des différents utilisateurs. L’usager qu’on traite en client, c’est relativement récent. J’ajouterai (voir plus haut) que la logique du privé n’aurait jamais conduit à une nucléarisation de l’ampleur de celle que l’on connaît en France. On peut se réjouir du niveau de sécurité des centrales nationales, mais à condition de ne pas oublier que cette sécurité est bien le moins étant donné le risque national posé par l’abondance des centrales.

    Kryzstoff : La phrase que vous citez ne s’applique pas qu’à la France : elle est une généralité s’appliquant à l’ensemble des pays qui ont été concernés par la libéralisation (en gros, tous les pays développés). Et je pense que le principe de l’entreprise à culture très orientée technique avait effectivement plus de chances de fonctionner en France. Elle est en adéquation avec la culture nationale, telle que décrite par un P. D’Iribarne dans "la logique de l’honneur". Les comparaisons étrangères sont moins flatteuses. En Angleterre, le système public a gaspillé des sommes invraisemblables dans un programme nucléaire qui n’a jamais fonctionné correctement. De façon générale, n’oublions pas l’aphorisme attribué à Jean-Martin Folz : "il existe trois façons de se ruiner : les femmes, le jeu et les ingénieurs. La première est la plus agréable, la seconde la plus rapide, la troisième la plus sûre".

  9. Sur la sécurité, j’aurais dû en effet citer ma source. Une personne de ma famille travaille dans le secteur de la sécurité nucléaire (plus précisément dans la mise en place et la maintenance des systèmes de pilotage et d’arrêt d’urgence des réacteurs). Elle a, de ce fait, rencontré moult acteurs du secteur et de secteurs connexes de sécurité, français, russes, américains, chinois, finlandais notamment.

    Le seul point que j’évoquais est la différence de culture. Aux É.-U., chercher à minimiser les coûts est une des contraintes en permanence à l’esprit. Ça aboutit à une sécurité moins bonne. Oui, l’autorité de contrôle est là, comme en France. Mais non, ça n’implique pas des résultats équivalents. Par exemple, une centrale américaine sera plutôt réparée au coup par coup, quand il y a besoin d’une réparation ici ou là pour "passer le contrôle technique" de l’autorité. La politique d’entretien des centrales françaises est plus globale et constante. La sécurité y est un "surmoi" intériorisé, pas une peur du gendarme.
    Pour éviter les malentendus:
    -Cette personne ne travaille PAS à edf, mais dans une boîte privée ou il s’agit bien au quotidien de "minimiser les coûts". La culture d’edf n’est pas la sienne. Ce que je retransmets n’est donc pas un plaidoyer pro domo mais le point de vue d’une personne extérieure ayant fréquenté des milieux différents, par son activité professionnelle.
    -ma question "comment faire pour continuer d’assurer une bonne sécurité si les centrales sont privées ?" n’est pas une question oratoire de pourfendeur-du-privé-qui-a-trouvé-un-bon-argument.
    C’est une vraie question (i.e. dont je ne présage pas de la réponse). Je me base en cela il est vrai sur une seule source (qui n’est pas la seule, dans son entreprise, à partager ce point de vue). L’exemple des É.U. me fait douter de l’argument "l’autorité de contrôle existait auparavant, elle continuera d’exister et de faire le même boulot, pas de pb." Il y a là, pour moi, une question qui mérite réflexion.
    -J’entends bien que le monopole d’État en France a l’effet pervers d’entretenir un puissant lobby nucléaire, je le mentionnais. Ce lobby peut causer d’autres types de pbs. de sécurité (et politiques), j’en suis conscient.

  10. note:
    le découpage production/transport a déjà eu lieu:
    RTE (réseau de transport d’électricité, partie d’edf qui gérait le transport) existe depuis 2000.
    Si bien que l’ouverture à la concurrence ne concerne que les activités d’edf ne relevant pas du monopole naturel (production, fourniture)

  11. tout de même quelques bémols sur ce post qui a le mérite d’aller (bien) plus loin que de nombreux articles de presse:
    -il n’y a aucun lien entre monopole et absence de tarification de pointe. EDF appliquait depuis belle lurette une tarification incitative pour limiter la conso de pointe. L’entreprise faisait même office de précurseur dans ce domaine: Marcel Boiteux, président d’EDF qui l’a mise en place dans les 50’s est d’ailleurs cité pour cela dans tous les bons manuels d’économie.
    Cette tarification est certes limitée, mais ce n’est pas l’ouverture à la concurrence qui va permettre de l’étendre. En effet, la contrainte qui empeche la généralisation d’une telle tarification à tous les consommateurs est d’ordre technique: il faudrait pour cela disposer de compteurs permettant de mesurer la puissance (ie. grossièrement ce qui est pompé toutes les heures) et non l’énergie (ie grossièrement ce qui a été pompé pendant tout un mois). Vu que l’activité de relève de compteur reste dans le giron du monopole, c’est pas pres de changer;

  12. Je ne nie pas que la qualité de service ait pu être déplorable dans le passé; mais le fait que une entreprise privée ait su changer de culture pour offrir un excellent service client sans être vraiment titillée par une saine concurrence doit donner à réflechir.

    On notera que le phénomène est exactement le même dans le secteur des télécoms, où c’est l’initiative de l’Etat qui a fait bouger les choses, et de quelle manière.

  13. En fait, je dois revenir sur mon avis quant à votre post qu’une lecture hative m’avait fait juger pas trop mauvais car de trop nombreuses erreurs s’y trouvent :

    1 comme je l’ai dit plus haut, la tarification différenciée visant à une « électricité mieux produite et moins gaspillée » existait déjà sous le monopole et ne va être ni créée ni amplifiée par l’ouverture à la concurrence : les consommateurs dont les compteurs permettent de mesurer leur consommation heure par heure continueront à avoir des signaux incitatifs , les autres (vous, moi, votre boulanger,…) continueront à payer une énergie moyenne. Vous faites je pense une confusion entre le marché de gros et le marché de détail.

    2 l’objectif d’une tarification de pointe est de faire baisser les coûts et donc in fine le prix moyen que les consommateurs vont payer (il y a pléthore d’articles éco sur le sujet). Si l’ouverture de la concurrence avait eu pour but la mise en place d’une tarification incitative, ç’eut été pour baisser les prix (contrairement à ce que vous semblez croire)

    3 l’objectif de l’ouverture était bien entre autres de faire baisser les prix. Lisez donc les articles des économistes qui ont inspiré l’ouverture de l’ensemble des industries de réseau et de l’industrie électrique en particulier : il n’y est question que de baisse des prix (cf. Joskow, Tirole…). Certes, l’enjeu était également de promouvoir les échanges européens, mais que la Commission aujourd’hui se débatte pour dire que l’objectif était différent ne change rien : la baisse des prix était bien le Graal promis.

    4 Vous adopter un langage quelque peu critique sur le monopole EDF. Certes il faut se mefier de l’image souvent erronée du service public à la française et le monopole EDF avait de nombreux dysfonctionnements. Mais il ne faut pas tomber dans l’exces inverse. Lorsqu’on parle de la qualité du service électrique, on parle de différentes choses. Le nucléaire ? La compétence d’EDF est internationalement reconnue et il suffit de se rendre dans une conférence internationale (même aux EU si si) pour voir qu’ils sont considérés par leurs pairs et par les universités comme des leaders sur le sujet. La sécurité du réseau ? Là encore, au vu des résultats des voisins (black-out en 2004 en Italie, en 2000 en Californie), l’entreprise était exemplaire. De toute façon, cette activité a été séparée et est gérée par RTE qui est un monopole régulé. Les ouvertures de lignes, etc… Sur ce point votre avis est subjectif et je ne le partage pas. Mais là encore, vous vous trompez si vous croyez que l’ouverture va changer quelque chose puisque cette activité reste aussi gérée par une entité en monopole (EDF-GDF distribution) : ni poweo ni direct energie ne vous ouvriront de ligne, ne relèveront vos compteurs.

    5 vous citez comme avantage de l’ouverture de la concurrence la multiplication des producteurs. C’est faux. Tout d’abord des producteurs alternatifs ont toujours existé (le SNET) et l’ouverture n’a pour l’instant quasiment rien changé : EDF détient la quasi-totalité des centrales. (tous les rapports de la CRE ou du ministere de l’energie soulignent des indices de concentrations jamais vus sur les autres marchés). Les concurrents d’EDF ne possèdent pas ou peu de centrales : pour une grande partie de leurs approvisionnements ils achètent à edf sur le marché de gros pour revendre à leurs clients sur le marché de détail.

    6 c’est d’ailleurs le seul vrai problème qui empeche l’ouverture de faire baisser les prix. On est passé d’un monopole régulé à un oligopole : il n’ y a pas de vrai concurrence et EDF dispose non seulement d’un pouvoir de marché enorme puisqu’il détient la quasi totalité des moyens de production mais aussi les moyen de production les moins chers (hydrolique et nucleaire) alors que ses concurrents rament avec des centrales plombées par le prix des hydrocarbures. Je reviens d’ailleurs sur une erreur de votre part : sur le marché de gros, EDF ne va pas recevoir le prix associé au cout de SA dernière centrale appelée, mais de LA dernière appelée. Eventuellement cette centrale appartient à un concurrent (notamment à la pointe). Bref comme dans tout oligopole, il y a des jeu d’acteurs possibles parfois nuisibles à la baisse des couts pour l’ensemble de la société : EDF va optimiser la gestion de son parc de production pour optimiser ses profits (il y a des départements entiers à leur R&D qui bossent la dessus). Un exemple pour être clair : pour satisfaire la demande, admettons qu’EDF dispose d’assez de centrales nucleaires. S’il offre toute cette énergie à son prix coutant, il ne fait aucun profit. S’il offre toute cette énergie mois epsilon, il faudra une centrale d’un de ses concurrents pour satisfaire la demande et le prix d’équilibre sera celui associé au cout d’une centrale hydrocarbure, plus cher et donc EDF peut faire payer tout une électricité produite au cout nucléaire à un prix « centrale à hydrocarbure » et se fait bien sur du beurre au passage. On est loin de l’optimisation des couts.

    7 Sur les dangers vis-à-vis du nucléaire, je rejoins Charles. Certes il existe une autorité de régulation permettant de fixer des critères de sécurité mais le problème est que l’essentiel de la compétence en matière de nucléaire est détenue par EDF. Cette autorité est donc largement influencée par les études d’EDF. Si demain Edf pousse à faire baisser les critères de sécurité sur les centrales nucléaires pour demeurer compétitif, on peut se demander si l’autorité aura la compétence nécessaire pour s’opposer à EDF.

    8 Enfin un commentaire a évoqué la sous-dimensionnement des interconnexions entre les pays. Effectivement les échanges entre pays sont limités par le réseau. Mais un dimensionnement du réseau permettant de tout faire passer a un cout. Les avantages attendus (une vraie concurrence européenne pour une convergence des prix et une baisse des prix) sont ils à la hauteur de ces couts ? Pas évident. C’est pourquoi un mécanisme d’enchere a été mis en place pour envoyer des signaux permettant de l’évaluer

  14. J’ai parcouru un article du journal Le Parisien sur la libéralisation du secteur de l’électricité qui doit avoir lieu en 2007 et j’avoue que je ne suis pas sur de bien avoir compris le message.

    Je retiens que la libéralisation implique obligatoirement l’émergence de concurrents à EDF. Je retiens également que cette libéralisation aura pour conséquence d’augmenter les tarifs de manière substantielle. Je retiens que le consommateur n’aura dans bien des cas guère le choix de son fournisseur contrairement à l’idée que l’on se fait habituellement de la libéralisation totale prônée par les instances européennes. Je retiens toujours que la commission de Bruxelles a le droit de se retourner contre la France si elle estime que les prix offerts par l’opérateur de référence, EDF, sont trop bas.

    Mais ais-je bien compris ? Si oui à qui profite cette libéralisation pas si libérale que cela ?

    Une réponse me vient à l’esprit; La libéralisation a pour but d’offrir à bon compte aux capitaux de la mondialisation orchestrée par l’hyperpuisance américaine de nouvelles opportunités d’investissement. Mais où est donc passé la « gauche du NON » Chevènement ! Mélenchon ! Emmanuelli ! Montebourg ! OU ÊTES-VOUS ??
    pourlafranceetgroslay.ove…

  15. Sur ce sujet difficile, je vous signale un article très intéressant de M. Marcel Boiteux Président d’Honneur d’EDF, paru dans la revue « Futurible » en date du 25 mai 2007.

    Cet article m’a inspiré le commentaire suivant:

    Beaucoup s’interrogent sur l’avantage économique apporté par l’ouverture du marché très particulier qu’est le marché de l’électricité.
    Est-ce que les gains de productivité induits par la mise en concurrence des producteurs compensent les nouveaux coûts générés par cette ouverture ?

    En réponse à cette question, le plus souvent je n’entends que des réponses idéologiques :
    En résumé, pour les libéraux, c’est oui, ces coûts de transaction restent négligeables en regard des économies apportées par l’émulation des producteurs, et pour les « monopolistes », c’est non, le marché n’étant économiquement pas capable de faire émerger un optimum pour une activité qui requiert de lourds investissements de long terme.

    L’analyse de Marcel Boiteux apporte un éclairage très fouillé, sur ces deux thèses.

    Le point de l’article que je retiens (c’est peut-être plus un avis personnel que celui de l’auteur) concerne l’évolution sociologique des « managers » et plus généralement de la société :
    Le modèle monopoliste était très efficace tant qu’œuvraient encore ces grands commis de l’Etat moralement et techniquement aptes à le faire fonctionner dans les meilleures conditions. De nos jours, cette élite animée en premier lieu par l’esprit public tendrait à muter ou plutôt serait gagnée par le climat général de la course aux profits.
    Cette génération qui a fait l’EDF de 1946 avait connu la guerre ou l’immédiat après-guerre, c’est à dire une économie de pénurie, sans doute aussi les idées généreuses du CNR, peut-être aussi une éducation empreinte d’une certaine morale laïque aujourd’hui passée de mode.
    Celle qui développe aujourd’hui EDF SA est différente, elle a grandi en pleine émergence de la société de consommation et baigne dans la mondialisation.

    Ainsi, le modèle ancien, meilleur « sur le papier » d’un point de vue économique se trouverait désormais culturellement décalé, voire, inadapté au contexte.

    L’ouverture du marché de l’électricité ne serait donc pas une fatalité économique mais inhérente à l’évolution sociologique et morale de nos sociétés

    La question ensuite étant de savoir d’où vient cette évolution sociologique et morale; elle peut après tout avoir des origines économiques, notamment le fait que les grandes institutions doivent s’adapter à la demande de leurs clients. Pour faire un parallèle avec l’éducation nationale, il est beaucoup plus difficile d’être un enseignant “de morale laïque et vertueuse” à l’ancienne aujourd’hui, parce que cela ne correspond pas à la demande des parents d’élèves. Il faut alors trouver d’autres moyens d’obtenir un système vertueux.
    Ceci dit, c’est peut-être une banalité, mais un système économique ne peut pas être disjoint d’un système de valeurs dans la société. L’électricité en serait une illustration.

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