Des économètres aux jeux olympiques

Comme pour chaque olympiade, la fin des jeux est l’occasion de tester les différents modèles économétriques de prévision du nombre de médailles en les confrontant à la réalité (rappelons qu’en vertu du principe de Blinder, les économistes sont toujours évalués à l’aune de ce qu’ils font le plus mal, les prévisions). Cette année, on ne manque pas d’analyses de ces prévisions.

Gizmo avait lancé le bal en comparant l’étude la plus citée (celle de Price Waterhouse Cooper) avec un modèle de prévision présenté dans la Revue d’Economie politique, cette dernière se trouvant finalement plus proche de la réalité pour le nombre de médailles françaises. Daniel Gross suit depuis les jeux d’Athenes les prévisions de PWC et autres; elles avaient été dans l’ensemble assez mauvaises en 2004, un peu meilleures cette année, même si des biais subsistent (notamment la sous-estimation d’un effet “pays d’accueil” et celle des USA). De son côté, Etienne Wasmer s’est livré à l’élaboration d’une théorie sur la base des résultats (ce qui est très mal).

Les modèles économétriques reposent tous sur la même idée de départ : plus un pays est peuplé, plus il a de chances de contenir des athlètes talentueux potentiels; plus un pays est riche, plus les athlètes pourront bénéficier de structures de détection et d’entraînement accroissant leurs chances de médailles. Tout l’art consiste ensuite à identifier des variables supplémentaires pour affiner le pronostic : l’effet “pays organisateur”, des aspects culturels (comme le culte du sport en Australie, qui permet à ce pays d’obtenir beaucoup plus de médailles que sa population ne permettrait de le prévoir) ou politiques (le rôle du sport dans la propagande des pays autoritaires par exemple) et autres. Sans oublier que le hasard joue un rôle considérable dans des résultats sportifs mesurés parfois au centième de seconde, ou sous l’oeil de juges dont la compétence et la probité ne sont pas toujours très prévisibles.

Au total, comme l’indique Chris Dillow, dans ce domaine, comme le plus souvent dans la prévision, appliquer des règles simples est une façon remarquablement efficace d’obtenir des pronostics à peu près satisfaisants. Le classement des pays par nombre de médailles est extrêmement proche de leur classement par PIB total, ce qui est ce à quoi l’on peut s’attendre étant donnée l’importance de la population et de la richesse dans les performances sportives d’un pays. Et les pays qui font significativement plus que leur classement par taille économique, comme Cuba, la Jamaique, la Corée du Nord, ne sont pas en général des pays où il fait bon vivre. L’autre grand déterminant du nombre de médailles lors d’une olympiade, c’est tout bêtement le nombre de médailles obtenues à la précédente.

Le commentaire de ces jeux, en tout cas, aura permis de constater à quel point nous ne comprenons pas le hasard et sommes avides d’explications causales là où il n’y a que de l’aléatoire. On aura ainsi pu lire beaucoup d’interrogations face au cruel manque de médailles d’or des sportifs français, ou les faibles résultats de nos sportives : ne subirions-nous pas la “peur de gagner”? nos sportives ne seraient-elles pas “friables mentalement”? Immanquablement, ces “analyses” tournent au culturalisme de comptoir, à base de chinois âpres à la victoire et naturellement enclins à l’esprit collectif, ou de français qui se contentent de peu (un effet des 35 heures?) et de jeunes filles trop intéressées par leur vie sentimentale pour avoir “ce qu’il faut” pour l’emporter. On ne donne pas de médaille du commentaire de bruit statistique, probablement parce qu’il serait trop difficile de départager les prétendants – et qu’ils ne se contentent pas de sévir une fois tous les quatre ans.

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Alexandre Delaigue

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14 Commentaires

  1. La "médaille du commentaire de bruit statistique" :lol j’adore le concept. Vous devriez lancer un concours!

  2. Vous pensez que la sous-représentation des femmes dans les médaillés n’est pas significative ? Sans chercher dans les explications culturalistes, il y a peut-être des effets de discrimination indirecte produits par les institutions et structures sportives françaises ?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Il faudrait alors expliquer 1- en quoi les structures françaises sont plus misogynes que celles des autres pays (en sport, les résultats sont relatifs) et 2- pourquoi cet accès de misogynie s’est manifesté brusquement au cours des 4 dernières années (A athenes, cela ne se voyait pas).

  3. Tout pilier de bar est capable de dire que la taille de sa population et sa richesse sont les principaux déterminants du nombre de médailles gagnées par un pays. De là à quantifier le poids de chacun des facteurs…
    L’escroquerie des économètres de PWC est de faire croire que le fait de caler une loi à 2 paramètres sur les résultats des précédentes olympiades constitue une science.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Tenez, c’est cadeau :

    Avec toutes nos félicitations !

  4. Je ne suis que modérément convaincu par l’explication du PIB : l’idée, c’est que le nombre de médailles suit le PIB, mais que les exceptions à la règle, c’est les "pays où il [ne] fait [pas] bon vivre".

    Il me semble qu’à ce tarif là, Haïti, Madagascar ou, pour d’autres raisons, la Libye ou le Zimbabwe devraient cartonner, non ? Donc soit on a un faible PIB (et donc il est très probable qu’il ne fasse pas bon vivre dans ce pays) et on a des médailles ou non selon que l’on décide de faire jouer ou non l’option "fait bon vivre". De plus, pour quantifier cette variable, bien du plaisir (ou de l’arbitraire).

    Autre effet généralement non étudié : la nature des épreuves. En gymnastique, j’ai l’impression que la médaille de bronze du concours général a finalement été plus valorisée qu’une médaille d’or (en 2004) ou d’argent sur un appareil (comme en alpinisme, on valorisera plus une ascension du Daulaghiri que de l’Everest, de la Meije que du Mont Blanc etc…). De même, les sports collectifs (football et basket surtout, hand et volley un peu moins, water-polo, base-ball et hockey carrément moins) sont des sports médiatiques et le gain d’une médaille (qui ne compte que pour une, comme le 8 avec barreur ou le K4 par équipes) a une répercussion psychologique plus importante.

    Pour finir, quel effet psychologique sur la consommation et la croissance ? Les banques nous offrent régulièrement (tous les 2 ans…) des études sur le pays qui optimiserait la croissance de la zone euro en cas de victoire en coupe du monde ou euro (de foot, évidemment), mais je n’ai rien entendu de tel pour les JO (ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elles n’existent pas). Cela signifierait-il qu’on n’observe pas d’impact significatif, même passager ?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    L’exemple du Zimbabwe est bon, justement, c’est un pays qui a un très gros écart entre rang du PIB et performances. Et je me suis mal exprimé : le “fait bon vivre” n’est pas une variable explicative, simplement un constat incident. La vraie autre variable explicative, c’est le nombre de médailles obtenues précédemment qui regroupe l’histoire et les institutions du pays, et montre que des politiques ponctuelles en la matière n’ont que peu d’impact.

  5. Est ce qu’un de ces fameux modèles arrive à expliquer pourquoi un pays comme l’Inde (2èmae pays le plus peuplé de la planète, 12ème en terme de PIB total)a un palmarès olympique qui se rapproche de celui de l’Islande, du Paraguay ou du Portugal (en 2008, l’Inde a obtenu sa première médaille d’or depuis Moscou en 1980)

  6. @ Cimon : je pense que dans les pays faisant exception à la regle, en plus de la loi "pays où il ne fait pas bon vivre", il aurait fallu rajouter "pays où l’état investit considérablement sur le sport pour améliorer son image". Là, ça passe.

    @ Astre noir : Alexandre a écrit : "plus un pays est riche, plus les athlètes pourront bénéficier de structures de détection et d’entraînement accroissant leurs chances de médailles". Certes, sauf que l’Inde n’a pas investi dans ces structures de détection et d’entraînement. Et puis, l’Inde a également beaucoup de sports indo-indiens, non homologués aux J.O..

  7. Un autre biais, c’est la nature des épreuves : il est plus facile pour de remporter beaucoup de médailles dans des épreuves comme la natation ou la course à pied où un même athlète peut concourir à plusieurs médailles avec la même tehcnique que dans une épreuve à tournoi par exemple où une seule médaille est "gagnable". Il suffit qu’un tout bon comme Phelps ou Bolt surgisse pour que le nombre de médaille augmente artificiellement pour un pays donné. Ceci expliquerait le bon score de la Jamaïque par ex.

  8. Je rebondis sur le commentaire de deadbydawn : ce facteur "nature de l’épreuve" (course en séries/finales ou tournoi à élimination directe) a également un impact sur la valeur symbolique des médailles d’argent et de bronze. Je quitte un peu l’économie mais j’ai été frappé pendant ces jeux des disparités dans les réactions des athlètes à leurs deuxième et troisième place. Une médaille d’or est toujours satisfaisante, une quatrième place toujours décevante, mais entre les deux en fonction de la psychologie des athlètes et de la nature des épreuves, la valeur de la récompense change énormément. Je revois encore ce lutteur arménien qui jette sa médaille alors qu’il est sur le podium. Alors qu’une médaille d’argent en sprint, en saut ou en natation est très valorisée.

    Je tiens à préciser que je n’ai rien à voir avec le Pierre ci-dessus. Pas taper, pas taper…

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Vous ne sortez pas tant que cela de l’économie, mais arrivez dans le domaine de la psychologie économique. Les médailles n’apportent pas toutes la même satisfaction, et de façon étonnante, les médailles d’argent rendent les sportifs moins heureux que les médailles de bronze. Cela se rapproche de la prospect theory : celui qui a eu le bronze aurait pu ne rien avoir, et apprécie d’avoir évité “la place de la conne” comme dirait Marie-Josée Pérec. celui qui a l’argent aurait pu avoir l’or, et est donc insatisfait. Il me semble que c’est évoqué dans “Stumbling on Happiness” de D. Gilbert.

  9. Au risque de me faire l’avocat du diable, je ne suis pas forcément en complet désaccord avec ce que dit Pierre (sans M, mais je suis d’accord avec Pierre M aussi), mais j’ai peut-être un peu plus d’arguments pour m’appuyer.

    Cette étude est limitée par le fait qu’il s’agit de "mesure sans théorie", comme dirait Koopmans, et d’autres sectateurs de l’économétrie structurelle avec lui. Et ça pose pas mal de problèmes (ou alors il y a une théorie et les différentes personnes qui ont parlé de cet article ne l’ont pas dit, et c’est mal).

    D’abord je ne suis pas sûr qu’on comprenne beaucoup mieux le phénomène après avoir lu les résultats de ce genre d’étude. Prenez l’effet "pays organisateur" : chaque pilier de bar sait bien que l’équipe qui joue à domicile a un avantage. L’économétrie permet de quantifier cet avantage, tant mieux, mais on aurait aimé en savoir plus. Vient-il par exemple d’une meilleure connaissance de l’environnement par les athlètes locaux, d’une meilleure préparation parce que le pays organisateur consacre plus de moyens à ses athlètes (ce qui expliquerait l’effet "anticipation"), de la présence d’un plus grand nombre de supporters ? Là où l’étude empirique permettrait vraiment de mieux comprendre le phénomène, c’est en essayant de distinguer ces différents effets potentiels. Bien sûr la demande sociale est toujours plus forte pour des études qui permettent de prédire sans comprendre plutôt que de comprendre qu’il est bien difficile de prédire, mais passons.

    L’autre difficulté vient du fait qu’on peut difficilement juger de la validité des hypothèses du modèle. Prenons l’effet taille. Qu’a-t-on en tête exactement ? Est-ce qu’un pays plus peuplé a plus d’athlètes potentiels, en quel cas il vaudrait mieux considérer la population en âge de concourir ? Ou bien un pays plus peuplé a-t-il plus d’amateurs de sports, et donc des championnats professionnels de meilleur niveau, avec plus de moyens, en quel cas il faudrait peut-être introduire des variables retardées ?

    Enfin, sans théorie préalable, comment justifier l’hypothèse de stationnarité de la série, nécessaire pour élaborer des prédictions ? Comment supposer que les prochains JO seront semblables au précédent si on n’a pas une idée de ce qui doit impérativement rester "semblable" ?

    Il ne faut effectivement pas se tromper sur ce qu’essaie de faire l’économétrie. Ici on a une bonne analyse des données qui suscite la réflexion et sur laquelle différentes théories peuvent s’appuyer. C’est une analyse scientifique des données passées, un peu comme un super tri croisé, qui permet de dire que toutes choses égales par ailleurs telle et telle variable favorisent l’obtention de médailles et dans quelles proportions. En revanche, tant que les JO eux-mêmes ne seront pas mieux compris, la spécification du modèle et l’hypothèse de stationnarité justifiées sur une base théorique, les prévisions, pour justes qu’elles puissent être, ne me sembleront effectivement pas pleinement scientifiques. Peut-être était-ce cela que Pierre avait en tête ?

  10. Je rebondis sur la remarque de Pierre M sur la disparité des réactions entre les médaillés d’argent et de bronze.

    Il faut voir que pour tout ce qui est épreuve à affrontement un contre un (ou une équipe contre une équipe), c’est à dire les sports collectifs, l’escrime, le judo, la lutte…
    Celui qui a la médaille d’argent vient de se faire battre en finale, il reste sur une défaite, donc est déçu.
    Celui qui a la médaille de bronze a été battu en demie finale, mais il a surmonté sa déception et a remporté le match de classement pour ma médaille de bronze. Il reste donc sur une victoire.

    Bien sûr, cette interprétation n’est pas valable pour tout ce qui est course en ligne, où concourrent x athlètes, et où on récompense les 3 premiers arrivés

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